Orient – Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 137

1863-mar-3|1863-mar-14 Constantinople|Rome

Départ différé du P. Galabert pour la Bulgarie et Andrinople – Démission de M. Arabadzijski – Les Bulgares-Unis refusent M. Malczynski et veulent un évêque de leur nation – Les menées de Zankof – Leurs entrevues avec le P. d’Alzon.

Informations générales
  • PM_XV_137
  • 1937 a
  • Orient
  • Note sur l'affaire des Bulgares
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 137
  • Orig. ms. Congrégation Romaine pour les Eglises Orientales, intitulé *Note sur l'affaire des Bulgares*, dossier Bulgari 1863-1873 tome I, foglio 28-29. Notes et transcription Jean-Paul Périer-Muzet (17 mai 2000). ACR Photocopie microfilm BZD 6.
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • NOTE SUR L'AFFAIRE DES BULGARES
  • Constantinople 3 mars 1863|Rome 14 mars [18]63 (l)
  • 1863-mar-3|1863-mar-14
  • Constantinople|Rome
La lettre

Le P. Galabert se dispose depuis 15 jours à partir pour Andrinople, mais il attend M. Macinski (2) dont le voyage a été différé à la prière de Mgr Hassoun (3) à cause des complications survenues. Le P. d’Alzon ne croit pas du reste que cette excursion révèle rien de nouveau, il se considè-re maintenant comme parfaitement édifié de tout ce qui concerne les bulga-res. Il a d’ailleurs la pensée qu’il ne doit pas s’établir à Andrinople puisque ce point a été définitivement adopté par les PP. Polonais (4); cependant il n’a pas encore décidé ce qu’il fera ni l’endroit de notre établissement. Le Carême que prêche le P. d’Alzon est maintenant assez suivi, on nous écrit que beaucoup de dames se félicitent de sa prédication.

A la suite de la démission du P. Arabajinski (5), un incident assez grave s’est produit. Cette démission était d’abord demeurée secrète, mais M. Zankof (6) ayant organisé une députation des principaux bulgares afin d’aller réclamer impérieusement cette démission, Mgr Hassoun s’est décidé à la rendre publique, mais il ajouta en même temps que la Porte (7) ne leur donnerait pour chef aucun prêtre de leur nation, il leur proposa pour chef M. Macinski qu’ils rejetèrent et qu’ils persistent à rejeter après plusieurs réunions. Cependant Mgr Hassoun avait fait des démarches officielles et avait obtenu d’Ali-Pacha (8) qu’il acceptât la démission de M. Arabajinski. Le samedi 28 février, Mgr Hassoun reçut assez vivement M. Zankoff et ses bulgares qui venaient lui présenter un nouveau refus, leur déclara qu’ils n’auraient point d’autre chef que M. Macinski, qu’il était d’ailleurs déjà reconnu par la Porte.

Le lendemain dimanche 1er mars, le même M. Zankof accompa-gné de douze bulgares principaux vint trouver solennellement le P. d’Alzon et sans lui parler de la réception de la veille chez Mgr Hassoun, ils lui ont demandé d’être leur intermédiaire et de leur faire obtenir un évêque et des prêtres de leur nation. Il leur a répondu fort doucement, les assurant que sans doute on ne le leur refuserait pas s’ils avaient des sujets capables à présenter mais que cela était peu probable en ce moment.

Le soir du même jour, M. Zankoff revint avec deux députés seulement parlant l’un et l’autre le français; ils venaient renouveler leur instance et affirmer qu’ils n’accepteraient qu’un chef de leur nation. Le P. d’Alzon avait vu Mgr Hassoun et d’après son avis il leur répondit cette fois plus énergiquement.

Ils déclarèrent alors que 25.000 familles de l’heptarchie (9) de Solimno (10) étaient décidées à revenir à l’union si on leur donnait un évêque national.

Eh bien, leur dit le P. d’Alzon, on vous le donnera mais plus tard quand vous aurez des sujets capables; ils vous manquent; en ce moment, on s’occupe de vous en former, on élève vos enfants et vous serez satisfaits. Partout la foi a commencé par des missionnaires étrangers, voyez l’histoire de l’Eglise; c’est aussi par des missionnaires étrangers qu’elle se renouvelle dans des pays où elle a été altérée, le clergé indigène ne vient qu’après; ainsi les prêtres irlandais administrent la plupart des paroisses d’Angleterre, en Amérique il y a des évêques de toutes les nations; pourquoi ne ferait-on pas ainsi pour la Bulgarie? On a commencé autrement et cet essai n’a pas été heureux; l’exemple de Sokolski (11) rendra le St-Siège très prudent, vous devez le comprendre.

Les Bulgares: Mais nous voulons constituer une Eglise nationale indépendante.

Le P. d’Alzon: Mais dans l’union; l’indépendance des Eglises doit être bornée; vous mettez toujours la pensée du schisme en avant, c’est une mauvaise marche, vous avez déjà fait jadis un schisme parce qu’on vous refusait le diacre Marin (12) pour évêque. Aujourd’hui vous vous déclarez prêts à renoncer à l’union parce qu’on veut vous donner comme simple administrateur un étranger! Et cependant puisque vous n’avez personne, il faut bien accepter ceux qui consentent à embrasser votre rite. Les Bulgares: Mais nous ne manquons pas d’hommes instruits parmi nous. Le P. d’Alzon: Eh bien alors présentez-les, qu’ils consentent à subir un examen et s’ils sont vraiment capables, je vous promets de m’employer pour les faire ordonner.

Les Bulgares sans répondre à cette proposition ajoutent: Mais le Pape nous a promis un clergé national et nous demandons qu’il tienne sa promesse.

Le P. d’Alzon: Le Pape a tenu sa promesse en nommant Sokolski et si après sa défection il ne se présente personne en état de lui succéder, vous ne pouvez pas le lui imputer.

Les Bulgares: Alors considérez comme impossible l’union de Solimno qui compterait 25 000 familles.

Le P. d’Alzon: Tant mieux si elle ne peut se faire que dans de mauvaises conditions, car elle ne durerait pas. Après cette conversation qui résulte des lettres du P. d’Alzon et du P. Galabert réunies, on ajoute que cette crise pourrait avoir de bons résultats, qu’en marchant plus doucement et par des conversions partielles on obtiendrait des résultats plus solides; cependant Mgr Hassoun est très découragé. Mgr Brunoni au contraire (13) qui était moins ardent au principe, croit que c’est le moment de persévérer et d’agir.

Le mardi, après une séance de 3 heures et assez désordonnée faute de Président, les Bulgares ont décidé que M. Arabajinski se retirerait en emportant les sceaux et en mettant en sûreté les objets les plus précieux.

Notes et post-scriptum
Nous pensons que ce texte non signé est de la main du P. Vincent de Paul Bailly, lequel remplissait à Rome le rôle de procureur de la Congrégation tout en poursuivant ses études, après le retour de Constantinople du P. d'Alzon et son rapport sur l'Orient terminé le 25 avril 1863, mais il reproduit substantiellement la pensée du Fondateur. C'est la raison pour laquelle il a été classé dans la série informatique E, notes d'audition. Cependant nous croyons utile de l'intercaler ici dans les Lettres pour une compréhension comparée et simultanée des faits et de leur interprétation.
(1) Ce texte résume deux lettres qui ont été adressées de Constantinople au P. Vincent de Paul Bailly, l'une par le P. d'Alzon (lettre n° 1925, datée du 28 février 1863 et continuée les 3 et 4 mars), l'autre par le P. Galabert le 4 mars 1863 (ACR 2 BK 58, lettre n° 274). Le 14 mars est le jour où à Rome, Vincent de Paul rédigea sa note pour la porter à la Propagande, probablement à Mgr Simeoni, secrétaire de la section orientale de cette Congrégation.
(2) M. François Macinski est l'orthographe incorrecte de Mgr MALCZYNSKI, prêtre d'origine ruthène auqel a été confiée l'administration spirituelle des Bulgares-Unis en 1862, né en 1829 à Holubin, évêque d'Alessio en 1870, en résidence à Kalmeti, coadjuteur en 1905, mort en 1908.
(3) Mgr Antoine HASSOUN, de rite arménien, né à Constantinople en 1809, patriarche de Cilicie des Arméniens, cardinal en 1880, décédé en 1884.
(4) II s'agit de la Congrégation des Résurrectionnistes polonais, fondée à Paris en 1836 par les PP. Pierre Semenenko, Jérôme Kajziewicz et Adéodat Janski, bien connue de M. Marie-Eugénie de Jésus qui la mit en relation avec le P. d'Alzon. Elle eut son siège romain à Saint-Claude des Bourguignons, de 1843 à 1886, puis via Sebastiano, près de la Place d'Espagne. Des pourparlers d'union avec l'Assomption ne purent aboutir. Les Pères Polonais ouvrirent à Rome en 1866 un collège polonais, les religieux pouvant choisir entre deux rites, latin et oriental. Ils établirent à Andrinople le centre de leur mission orientale auprès des Bulgares, ce qui créa quelques difficultés entre le P. Thomas Brzeska et le P. Victorin Galabert lorsque ce dernier voulut y établir sa résidence en 1867. Les Résurrectionnistes obtinrent de Rome en 1860 le décret de louange, en 1888 le décret d'approbation provisoire, en 1902 le décret d'approbation définitive de leurs constitutions.
(5) Orthographe approximative pour l'abbé Petar ARABADZIJSKI, prête latin de rite bulgare auquel fut confiée en 1862 l'administration civile des Bulgares-Unis et qui reçut alors la dignité d'archimandrite.
(6) Dragan ZANKOF (transcrit aussi ZANKOFF ou CANKOV) est le laïc influent et manœuvrier du mouvement bulgare qui négocie en 1862-1863 le mouvement d'union à Rome avec des visées d'ordre nationaliste. Il est le premier chancelier du Comité des Bulgares-Unis et a épousé la fille du prêtre Stanco. Cf Sofranov, *Histoire du mouvement bulgare*.
(7) Porte ou Sublime Porte est le nom officiel donné par les Ottomans à la cour du sultan d'Istanbul, par héritage du califat abbasside.
(8) Mehmet Emin ALI-PACHA (1815-1871) est un homme politique turc, ministre des affaires étrangères de l'empire ottoman en 1846, président du conseil du Tanzimat en 1854, cinq fois grand vizir de 1852 à sa mort. Il inspira une politique libérale à l'égard des minorités non-chrétiennes et réussit encore en 1869 à forcer le khédive Ismaël à reconnaître la suzeraineté de la Porte sur l'Egypte.
(9) C'est bien le mot que nous lisons à cet endroit du manuscrit. Heptarchie provient étymologiquement du grec pour signifier 'sept royaumes'. Nous croyons cependant qu'il s'agit là d'une confusion ou corruption pour éparchie, division territoriale en Orient correspondant au diocèse.
(10) Solimno, Selino ou Selimnio sont des transcriptions incorrectes de la ville bulgare appelée communément Slivo ou Sliven, ville située en Roumélie orientale sur le versant méridional des Balkans, à 135 km d'Andrinople, peuplée à l'époque de quelque 22.000 habitants. On y fabriquait des armes, de l'essence de rosé et des lainages. Elle fut déjà conquise par les Russes sur les Turcs en 1829.
(11) Cf Siméon Vailhé, *Vie du P. d'Alzon*, tome II, p. 347-348 et 361. Les catholiques se souviennent avec amertume de l'épisode tragique de cet archimandrite élevé par le pape Pie IX à la dignité d'archevêque des Bulgares en avril 1861, enlevé le 18 juin 1861 par les Russes en pleine Mer Noire, sans doute interné par la suite volens nolens dans un monastère orthodoxe.
(12) Le diacre Marin - qui deviendra le pape Marin 1er (882-884) - avait fait partie de l'ambassade envoyée par le pape Nicolas 1er (858-867) auprès du prince des Bulgares, Boris, récemment converti. Il est vrai que le pape refusa à Boris de lui donner Marin comme archevêque des Bulgares et que les Bulgares se tournèrent alors vers Constantinople, mais il n'est pas exact de dire qu'ils firent un schisme. Le IVème concile œcuménique de Constantinople (869-870) décida que la direction ecclésiastique de la Bulgarie appartiendrait désormais à l'évêque de Constantinople. Voir par exemple l'article du P. Siméon Vailhé, dans *Dictionnaire de Théologie catholique*, col. 1180.
(13) Autre dignitaire de l'Eglise orientale du XIXème siècle, souvent nommé dans la correspondance du P. d'Alzon, Mgr Paolo Brunoni vicaire patriarcal latin de Constantinople de 1858 à 1869.
Ce texte mérite d'être comparé avec le rapport du 25 avril 1863 présenté par le P. d'Alzon au pape Pie IX, édité dans les *Lettres d'Alzon*, t. IV, édit. Désiré Deraedt, pages 265-279, dont nous avons retrouvé le texte original autographe de la main du P. d'Alzon dans les archives de la Congrégation Romaine pour les Eglises Orientales. Il faut d'abord préciser que ce dernier correspond mot à mot avec celui copié par le P. Vincent de Paul Bailly et reproduit dans les *Lettres* (ACR CV3). Il n'y a pas une virgule ou un seul mot qui soit différent. Il faut ajouter ensuite, pour être vrai et complet, que la Propagande fut irritée de la publicité donnée aux propos et aux commentaires du P. d'Alzon après sa visite à Constantinople. Nous avons trouvé notamment dans la *Correspondance de Rome* de l'abbé Chaillot un article intitulé *Correspondances particulières* (Constantinople, 5 mai 1863), publié dans le n° 248 du 16 mai 1863, pages 158-159 (photoc. ACR BZB 321), reprenant les grandes lignes du rapport du P. d'Alzon, avec même des citations explicites, mais dans une perspective qui déplaira à l'auteur des lignes puiqu'il écrivit au P. Victorin Galabert: « *L'abbé Chaillot a donné dans la Correspondance de Rome des détails extraits de mon rapport au Pape, où il me fait dire les plus grosses bêtises. Ainsi soit-il! Prévenez Mgr Brunoni que je n'y suis pour rien* » cf *Lettres d'Alzon*, t. IV, p. 302. On comprend que l'ardeur du P. d'Alzon pour alimenter les colonnes de la *Correspondance de Rome* en fut quelque peu amoindrie, lui qui avait déjà prétexté en septembre 1861 de ses ennuis de santé pour ralentir sa contribution:
« *Je pars demain pour Nîmes, les entrailles en marmelade. Voilà pourquoi les lettres de Madrid ne vont pas, je vais trop* » Lettre n° 1663, t. IV, p. 507. On peut constater une fois de plus que le P. d'Alzon connaissait sa langue, puisque l'expression abrégée *aller* en français signifie pudiquement *aller à la selle*.