- Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes
- Cahier des procès-verbaux 1845-1847
48 et 49. Séances des 14 et 21 février 1847. - La charité. - Ecrits spirituels, pp. 1304-1310, et Cahiers d'Alzon, n° 5, pp. 146-155.
- DI 208-210, pp. 63-67.
- 1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
1 AMOUR-PROPRE
1 ANTIPATHIES
1 BONTE
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 COLLEGE DE NIMES
1 CONNAISSANCE DE SOI
1 CONTRARIETES
1 DOUCEUR
1 ENFANCE SPIRITUELLE
1 ESPERANCE
1 ESPRIT CHRETIEN
1 ESPRIT D'INDIFFERENCE
1 FRANCHISE
1 HUMILITE
1 HYPOCRISIE
1 IMITATION DE JESUS CHRIST
1 INGRATITUDE
1 INJURES
1 INSENSIBILITE
1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA GRACE
1 JOIE SPIRITUELLE
1 LUTTE CONTRE LE MAL
1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
1 MEDISANCE
1 ORDRE SURNATUREL
1 PAIX DE L'AME
1 PATIENCE
1 PATIENCE DE JESUS-CHRIST
1 PRUDENCE
1 PURETE D'INTENTION
1 REFORME DU CARACTERE
1 REFORME DU COEUR
1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
1 SENS DES RESPONSABILITES
1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
1 SUSCEPTIBILITE
1 TIERS-ORDRE MASCULIN
1 VANITE
1 VERTU DE FORCE
1 VERTUS THEOLOGALES
1 VIE DE SACRIFICE
1 VOIE UNITIVE
2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
2 CARDENNE, VICTOR
2 CUSSE, RENE
2 DAVID, MONSIEUR
2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
2 EVERLANGE, PIERRE-EMILE-LEON D'
2 FERRY, FRANCOIS-LEON
2 GERMER-DURAND, EUGENE
2 HENRI, EUGENE-LOUIS
2 JOVENICH
2 MONNIER, JULES
2 PAUL, SAINT
2 PIERRE, SAINT
2 PRADEL, ABBE
2 ROCHER
2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE - Tertiaires de l'Assomption
- Tertiaires Hommes
- 14 et 21 février 1847
- feb 1847
- Nîmes
- Collège de l'Assomption
[48] Séance du 14 février 1847.
Etaient présents: MM. Henri, Tissot, Cusse, Blanchet, Hippolyte, Cardenne, Jovenich, d’Everlange, Monnier, Ferry, Sauvage, Durand, Rocher, Decker, Pradel.
Présidence de M. d’Alzon.
Les réunions, pendant le carême, sont fixées à 6 h.
M. David est présenté à la Réunion par M. d’Alzon; il assistera aux entretiens.
M. d’Alzon commente l’Epître du jour.
La charité est le lien de toute association: nous devons la resserrer le plus possible dans notre communauté naissante. Examinons quelles sont nos dispositions à cette vertu principale du christianisme; faisons un retour sur nous-mêmes, à cet égard, en écoutant saint Paul, qui nous définit d’une manière si précise les qualités d’une charité parfaite.
Patiens! Qu’est-ce que la patience? Est-ce l’apathie de la volonté? Est-ce une certaine somnolence, une certaine indifférence de caractère? Assurément non. Pour être patient, il faut sentir. Donc la définition de saint Paul, attaquant les caractères les moins emportés, ne laisse aucune excuse aux caractères plus vifs. La vie du chrétien est une vie de combat. Nous devons lutter contre nous sans cesse. Nous sommes donc inexcusables, quand nous ne surmontons pas nos imperfections. Allons à Jésus-Christ, Il nous apprendra cette admirable vertu de patience. En nous repliant sur nous-mêmes, en nous analysant dans toutes nos misères, nous comprendrons que la vertu de patience consiste dans cette bienveillance naturelle qui nous fait éviter avec soin de blesser les autres. Combattons les mouvements intérieurs; ne scandalisons point; faisons-nous une loi de la souffrance continuelle que l’homme éprouve à se contraindre courageusement. Pati! souffrir! c’est le sens profond de la patience. Soyons patients volontaires; que tout devienne pour nous une occasion de vertu, de sacrifice; d’un sacrifice réel, dont la charité sera la flamme; la patience, le prêtre; nous-mêmes, la victime par la souffrance. Brisement des coeurs, chocs involontaires des caractères, ennuis de l’enseignement, peines de l’éducation… que d’occasions de nous transformer!
Benigna. – La bénignité, c’est la vertu la plus fade aux yeux du monde. Il ne l’accepte qu’avec les assaisonnements de son goût. Il consent à ne point faire de la peine aux présents, mais on doit lui permettre de médire au moins des absents. Laissons-lui ces idées mondaines. Pour nous, la bénignité est bonne. Aussi combien elle est difficile! Quoi! ne pas avoir d’antipathies pour certaines gens! point d’exception légitime! Elèves, collègues, tous sont à embrasser dans la charité bienveillante universellement, journalièrement! Toujours se sacrifier! toujours s’immoler! c’est en vérité durement pratique!… Il y a des riens où l’on ne doit pas descendre. – Je ne suis pas assez fort pour me débarrasser de certaines répugnances. – Vous avez peut-être malheureusement raison. Mais le chrétien est plus fort que tout puisqu’il s’appuie sur Dieu. – N’est-ce donc pas de l’imbécillité? – Oui, au sens humain; mais au sens divin, la folie, c’est la sagesse. – Il faut en prendre son parti et renoncer aux objections. Brûlons, à la flamme vive de la charité, tous ces petits sentiments bas. Méditons un peu sur la puissance que donne au maître l’esprit de bienveillance. Quel empire n’a-t-il pas! Il attire les âmes: c’est comme une glu où elles viennent se prendre et se soumettre au joug aimable de Jésus-Christ. Quel bien nous pourrions faire si nous avions cet esprit de bienveillance qui n’est point la niaiserie d’un optimisme exagéré, mais une disposition de douceur, d’amour qui nous fait désirer par-dessus tout le bien des âmes! Un élève est désagréable! Nous nous surmontons peut-être par raison. Mais analysons notre coeur: qu’y trouverons-nous? La satisfaction personnelle d’avoir subjugué ou ramené une nature difficile. Sous l’apparence du bien, se cache une vaine complaisance en nous-mêmes. Le mérite est effacé, car nous ne nous sommes pas arrêtés à la charité. Nous avions commencé par l’enfant, nous avons fini par nous. Nous nous sommes contemplés et au lieu d’être un canal de grâce pour lui, nous allons devenir peut-être une occasion de rechute. – Ressemblons donc à Jésus-Christ. Soyons ce qu’il est, dans le silence, dans l’oubli du tabernacle. Il est là, auteur et consommateur de la grâce, prêt pour tous, bienveillant pour tous, qui que nous soyons. A quelle hauteur cependant nous nous placerions vis-à-vis de nos élèves, si nous savions prendre les mêmes sentiments. Nous irions toujours en avant, malgré tout; nous les entraînerions à Jésus-Christ.
Non cogitat malum. – Pense mal et tu devineras. C’est une maxime du bon sens dont l’application est souvent vraie. Mais Jésus-Christ n’en veut pas, il nous reprend: ne pensez pas le mal. Celui qui ne pense pas le mal force à faire le bien. Il y a une loi de prudence sans doute à observer; mais par-dessus tout, c’est une affaire de zèle et de charité: nous forcerons au bien en croyant au bien. En une foule de circonstances le mal consiste dans la manière dont on envisage les choses; on les voit par leur mauvais côté, dans une disposition de méfiance et il arrive que l’intention, bonne en elle-même, disparaît sous l’apparence du mal que l’on imagine. C’est ainsi que l’on exagère les fautes des enfants et que l’on prend mal leurs défauts naturels. En règle générale, abstenons-nous de penser mal. Quand on se laisse entraîner à cette habitude de soupçon, à cette opinion toujours défavorable, le mal vient du jugement même que nous portons et il s’envenime d’autant; croire de préférence au bien, c’est se ménager les moyens d’écarter le mal. La charité, en tant que charité, suspend ses jugements. Que de soupçons, que de suppositions, que d’appréciations fausses, exclus en fait par ce caractère de la charité chrétienne et quelle paix n’établit-elle pas dans le coeur, quand on sait se maintenir persévéramment dans ces sentiments de bonté et d’équité!
Congaudet veritati. – Fuir les fausses positions, s’en retirer vite! Rester dans le bon, dans le bien, s’y attacher, chercher ce qui est vrai, aimer ce qui est vrai, demeurer dans le calme et l’impartialité: combien de fois nous manquons à ces règles de conduite et si sûres et si sages!
Omnia suffert. – Le silence de l’amour-propre, les froissements étouffés, l’insensibilité extérieure: oui, Dieu nous demande tout cela; aussi littéralement que nous pouvons le lire dans saint Paul.
Sperat. – Nous pouvons tout avec Dieu. Et cependant combien nous y pensons peu! soit par lâcheté, soit par insouciance, soit par manque de foi. Quand donc vivrons-nous en Dieu, pour Dieu, avec Dieu?
Sustinet. – La souffrance amoureuse! Avouons-le: nous n’y comprenons rien. Et cependant nous parlons de notre christianisme. Oui, c’est là ce que nous veut Jésus-Christ, immolés, crucifiés, mais gaîment, en toute bonne volonté, dans la paix, sans murmure, sans révolte, avec résignation, avec amour. Prenons, si nous le voulons, notre tête à deux mains, comme l’on dit, de peur qu’elle ne nous tourne en entendant ces paroles de saint Paul. Mais enfin, c’est cela, tout cela, bon gré mal gré, coup de hache, coup d’épingles, coup de bâtons, coup d’épée, en grand, en petit, l’âme doit souffrir tout. Ne faisons cependant pas les enfants: c’est ici la lutte de l’amour, c’est le combat du courage, c’est l’honneur des âmes, rachetées au prix du sang de Jésus-Christ. Quoi! nous regarderions à l’honneur, au courage, à l’amour!
Oui, nous sommes des enfants en sainteté, des enfants en piété. Acceptons cependant avec confiance la loi qui nous est faite. La nature peut s’effrayer, mais n’écoutons pas les effrois de la nature. Il s’agit de voir en quoi nous voulons nous abandonner à Jésus-Christ qui nous presse, à la charité qui nou sollicite, à la foi qui nous éclaire, à l’espérance qui nous soutiendra. Il s’agit d’appliquer à l’ensemble de notre conduite cette belle loi de la charité qui doit être le caractère vivant de Jésus-Christ en nous. N’hésitons pas: nous mériterions véritablement le nom que saint Pierre donnait aux païens: nous serions sans coeur, sine affectione.
[49] Séance du 21 février 1847.
Présidence de M. d’Alzon.
M. d’Alzon continue de développer l’Epître de St Paul.
[In caritate non ficta]. Soyons les fidèles ministres de Jésus-Christ, dans la sincérité et la charité: in caritate non ficta. Appliquons cette parole à la solidarité de nos oeuvres, à notre responsabilité commune et individuelle, particulièrement à notre conduite dans le commerce journalier. Dans nos relations les uns avec les autres, souvenons-nous que la charité passe et ne dure pas, lorsqu’elle s’arrête aux formes, à la pure politesse; ce n’est là qu’une écorce. Le monde peut s’en contenter, mais Jésus-Christ la rejette; il lui faut autre chose que des dehors et de simples apparences. Retranchons donc toute aigreur. Il est impossible assurément que des humeurs diverses n’entraînent pas de frottements. En ce sens acceptons patiemment les peines qui nous arrivent. Mais appliquons-nous à chercher des motifs à ces paroles, à ces actes qui nous auront blessés. Ces motifs, nous en sommes le plus souvent les auteurs, et l’offense qui nous chagrine part bien des fois de nous-mêmes. Allons intrépidement aux dernières limites du coeur et voyons s’il n’y a pas dans ces vivacités, dans ces débats, dans ces brusqueries, beaucoup de notre faute. In caritate non ficta. Sans doute, il est agréable de se poser en innocente victime, on tient à ne pas se mentir à soi-même, on veut avoir raison; mais la charité sincère sait aller par-delà ces menteries, ces surprises faites à la conscience et met le doigt sur la misère du coeur; elle s’avoue coupable, elle reconnaît avec franchise que les torts sont de notre côté, que nous n’avons eu que ce que nous voulions. Dieu donne, quand on le lui demande, cette limpidité du regard intérieur. Si nous pouvons nous dire avec une entière simplicité que nous n’avons en rien attiré l’offense, tout est dit; on se tait, on n’envenime pas, on accepte l’humiliation, la douleur, le brisement; on demeure dans une disposition pacifique, on attend que l’orage passe.
Pratiquons cette paix, cette douceur et nous pourrons acquérir des sentiments supérieurs aux sentiments humains. Notre morale sera véritablement une morale chrétienne et nous n’en resterons point à un stérile paganisme. N’avons-nous pas un sublime modèle dans Jésus-Christ, Videte qualem caritatem: quelle charité désintéressée! tout est pour l’homme. Et quel support de nos ingratitudes; quelle condescendance à nos faiblesses! Nous inclinons à préférer des formes aimables, le bon ton, le charme du monde; et cependant, quelle hypocrisie se cache sous ce vernis d’emprunt, sous ce masque embelli! Nous pourrons trouver certaines grossièretés, certaine rudesse dans l’allure chrétienne. Sachons nous y faire. Il y a là toujours la franchise. Et quand la franchise s’attaque à nous-mêmes, quand elle sait ne rien nous passer et se dispose toujours à ne point s’excuser, quelle dignité ne nous donne-t-elle pas! quelle autorité également et quels droits!
Donc, à cet égard, une rude guerre à nos inclinations, à nos susceptibilités, à nos aigreurs. Portons l’amour de Dieu au fond de nos coeurs et faisons le prévaloir. In caritate non ficta! Hélas, nous voulons le nom et pas la chose. Deus caritas est: voilà Dieu, voilà l’homme surnaturalisé. Surmontons-nous généreusement, laissons tomber ou étouffons les répugnances, les résistances et arrivons à agir dans l’ordre des pensées de Dieu, dans une sphère supérieure aux grossièretés de la nature.