Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes

28 jun 1846 Nîmes Tertiaires Hommes
Informations générales
  • Procès-verbaux du Tiers-Ordre des Hommes
  • Cahier des procès-verbaux 1845-1847
    32. Séance du 28 juin 1846. - Esprit ecclésiastique et esprit laïque.
  • Ecrits spirituels, pp. 1292-1296
  • DI 208-210, pp. 33-35.
Informations détaillées
  • 1 APOSTASIE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ASSOCIATION DE L'ASSOMPTION
    1 AUTORITE RELIGIEUSE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CLERGE
    1 CLERICAUX
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COMBATS DE L'EGLISE
    1 CORPS MYSTIQUE
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 ERREUR
    1 ESPRIT CHRETIEN
    1 ESPRIT DE L'EGLISE
    1 ESPRIT SACERDOTAL
    1 FRANCHISE
    1 GRACES
    1 HUMILITE
    1 IDEES DU MONDE
    1 IGNORANCE
    1 LAICISME
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MINISTERE DES LAICS
    1 MINISTERE SACERDOTAL
    1 ORGUEIL
    1 PEUPLE
    1 QUESTION SOCIALE
    1 RATIONALISME
    1 REVOLTE
    1 SOCIETE
    1 SOLITUDE
    1 TIERS-ORDRE MASCULIN
    1 UNION DES COEURS
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 EVERLANGE, PIERRE-EMILE-LEON D'
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GREGOIRE VII, SAINT
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 LOUIS, SAINT
    2 LUTHER, MARTIN
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    2 SURREL, FRANCOIS
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
  • Tertiaires de l'Assomption
  • Tertiaires Hommes
  • 28 juin 1846
  • 28 jun 1846
  • Nîmes
  • Collège de l'Assomption
La lettre

[32] Séance du 28 juin 1846.

Présents: MM. d’Alzon, Tissot, Surrel, Henri, Blanchet, d’Everlange, Durand, Decker, Sauvage.

Présidence de M. d’Alzon.

M. d’Alzon continue d’examiner la question de l’union de l’esprit laïque et de l’esprit ecclésiastique.

[Pas d’opposition foncière]

Y a-t-il opposition entre l’un et l’autre? – Il ne devrait assurément pas y en avoir. Tous, en tant que chrétiens, nous ne faisons qu’un; nous sommes tous un même corps puisque nous participons tous au même pain eucharistique. Sans doute les ministères sont divers. Mais ces ministères variés n’établissent que des nuances, non point des oppositions. Si l’esprit ecclésiastique est de soi plus haut et plus sublime, si le prêtre peut et doit offrir un plus parfait modèle de sainteté et de dévouement, les grâces spirituelles peuvent également abonder et abondent souvent dans le laïque qui peut aspirer à la perfection du prêtre, comme individu, et la dépasser. Saint Louis, et tant d’autres, en sont d’illustres exemples.

A s’arrêter aux aptitudes particulières, les grâces, que Dieu verse dans le coeur du prêtre, lui donnent sans doute pour l’éducation des âmes plus d’action et de puissance. Mais doit-on en conclure que le prêtre seul peut agir sur les âmes? Evidemment ce serait affirmer une conséquence illégitime. Là encore, il y a union de fonctions, comme dans l’enseignement proprement dit, où il serait excessif de n’admettre que le laïque, lui réservant ainsi le profane pour abandonner le sacré au sacerdoce. Les oppositions véritables existent dans les défauts particuliers à l’un et à l’autre esprit.

[Mais tendances divergentes]

M. d’Alzon aborde avec franchise cette question délicate, après avoir fait les réserves nécessaires. Il signale dans l’esprit ecclésiastique une pente à l’orgueil, à la domination, à l’isolement, à l’ignorance; il relève dans l’esprit laïque les abus de l’ignorance et de l’indépendance.

[I. Chez les prêtres: orgueil]

Le sentiment même de la hauteur et de la sublimité de son ministère pousse le prêtre à l’esprit de domination. L’homme s’exalte en lui à la vue de la puissance dont il est revêtu par Jésus-Christ. Il se plaît à exercer ce pouvoir, et incline à s’approprier ce qui n’est que d’emprunt chez lui. La puissance lui vient de Jésus-Christ, il se laisse aller à croire qu’il peut en faire un usage humain. Il tend à s’en emparer, à s’en servir comme d’un droit. Qu’on se nomme Luther ou bien que l’on soit Grégoire VII, ces tendances sont naturelles à tout pouvoir considéré humainement. On veut attirer à soi, concentrer et absorber en soi ce qui peut paraître légitimement au-dessous de soi et dépendant. C’est là tout le noeud des luttes perpétuelles entre la puissance temporelle et la puissance spirituelle. L’une et l’autre sont entraînées à l’envahissement. Or, le sacerdoce a mérité ce reproche, il faut l’avouer courageusement, après avoir fait la part des calomnies indignes des ennemis de l’Eglise. Il a voulu dominer, il a voulu être servi. A titre de ministère, il exerce une fonction sociale, par elle il a des relations, des communications avec la société. Ces relations légitimes, nécessaires, il a plusieurs fois cessé d’en envisager le devoir, il les a considérées comme un droit absolu; de là des résistances, des luttes, des froissements déplorables, qui ont abouti à la séparation et à l’isolement de nos jours.

[Isolement]

Isolement avantageux dans un sens, puisqu’il a dégagé le sacerdoce de l’influence des vices sociaux, mais dans un sens aussi isolement funeste et regrettable, car il a placé le clergé en dehors de la société qui ne reçoit plus l’utile impression de l’esprit religieux par l’action constante du sacerdoce, et dont le sacerdoce lui-même, retiré de tout contact avec elle, finit par ignorer les besoins, les exigences, la véritable situation, lui devenant de plus en plus étranger dans sa solitude.

[Ignorance]

De là une déplorable impuissance. La parole du prêtre est devenue une parole morte. Son langage est un langage étranger: comment peut-il attirer la société à lui, il ne la connaît plus; il vient résoudre des objections qui n’en sont plus, il réfute des erreurs oubliées, et que remplacent d’autres erreurs, d’autres objections. Il oppose la science théologique à l’ignorance religieuse, mais les autres sciences soulèvent leurs difficultés, et il n’a pas abordé l’étude de ces sciences qui combattent contre lui, et dont il pourrait au contraire se faire de puissants auxiliaires; il reste dans le mysticisme, et on lui demande des faits, de l’histoire, des démonstrations, des raisonnements; il n’a plus la foule, il a gardé seulement un auditoire de dévotes. L’humanité lui échappe, il l’ignore.

Ce mal est réparable: il s’agit de résister à ces tendances pernicieuses d’orgueil, d’isolement, d’ignorance. Il n’est plus question de dominer. Bâtir sur l’esprit de domination, c’est ruiner l’oeuvre entreprise. Il y a trop d’indépendance autour de nous, trop de résistances à l’absolutisme. Il faut s’abaisser volontairement, se faire laïque, en un certain sens, ménager un ralliement, une fusion. Il faut, tout en s’isolant par la vie religieuse, renouer les communications interrompues, respirer l’air de la société. Il faut étudier non plus à un point de vue mort, mais vivant, se familiariser avec les objections de toutes sortes, se faire au langage actuel, aux idées courantes.

[2. Chez les laïques]

Orgueil, isolement, ignorance chez le prêtre; – indépendance, révolte chez le laïque, ignorance profonde. Le laïque veut tout séculariser; autant le sacerdoce incline à la concentration, autant l’esprit laïque penche vers la dissolution de toute unité. De là d’effroyables perturbations, l’épuisement, la ruine du principe d’autorité, et une anarchie inévitable. Révolte de l’esprit laïque: ignorance sans mesure. L’esprit ecclésiastique s’est retiré de l’humanité, ou du moins s’en est peu associé; l’esprit laïque ne s’est pas associé du tout à la société chrétienne. De là d’épouvantables absurdités, d’incroyables bévues; et l’on a vu des intelligences d’élite se retirer de l’Eglise faute d’avoir étudié leur catéchisme.

L’esprit laïque contient des éléments de mort, il renferme aussi des éléments de vie. Il y a un grand profit à retirer de l’ardeur qui l’anime aux investigations de toutes sortes, de cette curiosité qui lui fait poursuivre la solution de tous les problèmes et le sollicite à descendre jusque dans les dernières profondeurs de la science. Il faut faire de cette curiosité, mauvaise, ennemie, une curiosité salutaire, dévouée, et, armé du flambeau de la foi, l’employer à l’étude de la religion, des sciences, des lettres, en vue de défendre la religion et de soutenir la vérité.

[Neutralisation de ces tendances]

Les oppositions qui sont inhérentes aux défauts particuliers de l’un et l’autre esprit cesseront donc aussitôt qu’ils se tempéreront mutuellement dans un rapprochement journalier. C’est le but pratique de notre Association. Un Ordre veut de l’unité, et l’unité est le fruit de l’obéissance. L’esprit de domination disparaît dès lors qu’il est contrebalancé par l’esprit d’obéissance. En tant que prêtre, le prêtre, dans l’Association, devrait commander; simple membre, simple religieux, il se dépouille de ce commandement, et redevient laïque – notre Association nous donne les moyens de prendre les allures franches et libres du laïque; le laïque les donne lui-même et les communique au prêtre. De là un esprit miséricordieux, bon, compréhensif, accepté dans une certaine mesure. Le prêtre s’unit au laïque sans s’effrayer de ce qu’il a été, prenant son parti sur le passé, n’envisageant que les conséquences heureuses du rapprochement; et, par le laïque, il rentre en communication avec le monde, il se fait à son langage, il apprend à faire envisager la vérité sous un point de vue acceptable.

Tout est remis alors dans l’esprit de Jésus-Christ. On se fait tout à tous par la charité. On ne s’approprie plus le bien, on n’en fait plus un monopole; on s’empare de la science, de l’étude, du travail pour s’assimiler les progrès de l’esprit humain; on obéit chrétiennement dans la liberté et la franchise. L’esprit de domination s’abaisse, s’assouplit, devient de l’humilité; l’esprit de révolte se soumet, se règle, devient de l’obéissance. L’isolement cesse, la séparation n’existe plus; tout est rallié dans une douce et paisible harmonie.

Notes et post-scriptum