- Aux Religieuses de l'Assomption
- Retraite aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil en août 1861
Treizième instruction - L'apostolat - Cahiers d'Alzon, XI, pp. 199-214.
- CZ 95, pp. 60-66 (Cop. dactyl. des notes de Soeur M.-Antoinette d'Altenheim).
- 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
1 ALLEMANDS
1 AMOUR DE DIEU SOURCE DE L'APOSTOLAT
1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
1 AMOUR DU CHRIST
1 AMOUR DU PROCHAIN SOURCE DE L'APOSTOLAT
1 AMOUR-PROPRE
1 ANGES
1 ANGLAIS
1 APOSTOLAT
1 APOTRES
1 ATHEISME
1 AUGUSTIN
1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
1 CORPS MYSTIQUE
1 COUVENT D'AUTEUIL
1 DEFAUTS
1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
1 DESIR DE LA PERFECTION
1 DETACHEMENT
1 DIEU LE FILS SOURCE DE L'ESPERANCE
1 DROITS DE L'HOMME
1 ECRITURE SAINTE
1 EFFORT
1 EGLISE
1 EGOISME
1 ENNEMIS DE L'EGLISE
1 EPOUSES DU CHRIST
1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
1 EUCHARISTIE
1 EXAMEN DE CONSCIENCE
1 FIDELITE A LA GRACE
1 FOI
1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
1 GENEROSITE DE L'APOTRE
1 GRACE
1 HARDIESSE DE L'APOTRE
1 HERESIE
1 HUMILITE
1 INCARNATION MYSTIQUE
1 INSTITUTS RELIGIEUX
1 IRLANDAIS
1 JESUS CHRIST VIE DU RELIGIEUX
1 LARGEUR DE VUE APOSTOLIQUE
1 LOUANGE
1 MONDE ADVERSAIRE
1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
1 ORAISON
1 PENITENCES
1 PEUPLES DU MONDE
1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
1 PREDICATION
1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
1 PRUDENCE
1 REGLE DE SAINT-AUGUSTIN
1 REVOLUTION ADVERSAIRE
1 SAINTS DESIRS
1 SALUT DES AMES
1 SPIRITUALITE TRINITAIRE
1 THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN
1 TRANSFORMATION SOCIALE
1 UNION A JESUS-CHRIST
1 UNITE DE L'EGLISE
1 VERTU DE FORCE
1 VERTUS DE L'APOTRE
1 VIE DE PRIERE
1 VOIE UNITIVE
1 ZELE APOSTOLIQUE
2 ALTENHEIM, MARIE-ANTOINETTE D'
2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
2 BOSSUET
2 JEAN, SAINT
2 MARINELLI, FRANCESCO
2 MOISE
2 MONIQUE, SAINTE
2 ORIGENE
2 PAUL, SAINT
3 CARTHAGE
3 CHINE
3 CONSTANTINOPLE
3 ETATS-UNIS
3 GENEVE
3 INDES
3 JERUSALEM
3 KAMTCHATKA
3 PORPHYRE
3 ROME - Religieuses de l'Assomption
- RA
- Du 17 au 23 août 1861
- AUG 1861
- Auteuil
« Moi aussi je vous envoie(1). »
Mes chères Soeurs, j’ai eu un peu de peine à sacrifier l’instruction de ce soir; mais, dans huit ou dix ans, au lieu d’une instruction sur la vie apostolique, ce sera toute une retraite que je vous donnerai; je vous en prêcherai encore deux, si le Bon Dieu le permet, une sur la Passion de Notre-Seigneur et l’autre sur la vie apostolique.
J’éprouve un grand embarras dans ce moment-ci; je voudrais pouvoir vous donner quelques avis en vous quittant. Il y a un point sur lequel je voudrais m’arrêter en particulier, en manière d’avis. Vous suivez la règle de St Augustin et permettez-moi de vous adresser une question: Avez-vous dévotion à St Augustin? Je ne vous demande pas de faire venir les deux éditions de 11 volumes.
Il y en a un douzième; mais je ne le dis pas et je l’achèterai, si je puis. Je ne vous demande pas d’examiner la doctrine de St Augustin sur la grâce, ses livres contre les Manichéens… mais il y a une foule de choses que vous pourriez connaître: certaines parties de ses Confessions, ses lettres, son sermon à ses religieuses avant de leur donner sa règle. En lisant la traduction de ses oeuvres, vous pourriez connaître de bonnes et belles choses. – St Augustin est difficile à connaître, dit-on… je réponds: oui et non. Une fois que l’on connaît cinq ou six grands principes, tout le reste est facile.
1° La connaissance de Jésus-Christ; 2° Uti non frui; 3° la grâce; 4° manière d’expliquer l’Ecriture Sainte; 5° la question de l’unité de l’Eglise. Une fois ces principes bien expliqués… il y a des questions difficiles sur la grâce, qu’il faut laisser de côté. Dans [illisible], il pose cinq questions sur les textes de l’Ecriture Sainte; dans sa Doctrina christiana, il traite de la manière dont Jésus-Christ a opéré le salut du monde; si on suit, on voit que St Augustin suit l’enchaînement de ses premiers principes et tout revient à l’unité.
Il y a deux cents ou trois cents Congrégations qui suivent la règle de St Augustin; il me semble que c’est une belle parenté, un assez beau cousinage; sans compter les ermites de St Augustin qui possèdent le corps de St Augustin et de Ste Monique; j’ai su un détail singulier. Il y a deux mois, je voyais le Général des Augustins, c’est un évêque, le curé des palais du pape, aujourd’hui évêque de Porphyre, Mgr Marinelli; il me mena voir l’église des ermites de St Augustin – on peignait l’Assomption dans le choeur des Augustins, il y a deux mois de cela. Nous sommes recommandés à St Augustin par la Sainte Vierge… et la porte du cloître est gardée par une statue de la Sainte Vierge. C’était un samedi à 1 h. et il y avait autant de monde que si c’était un dimanche(2).
Il serait très bon que nous prissions l’esprit de St Augustin; c’est un grand et magnifique esprit qui découle par sa sainteté, par sa grandeur et par sa majesté de l’esprit de l’Evangile. St Augustin vivait à une époque de transition, entre le vieux et le nouveau monde. Il est mort pendant le siège de Carthage… les barbares rendirent hommage à son corps en… Nous sommes également dans une époque de transition. Avez-vous remarqué un fait très curieux? Tous les principaux centres de religion sont aujourd’hui dans le bouleversement. La Chine, les rebelles y renversent la religion; les Anglais s’agitent dans les Indes; les Mahométans, vous m’avouerez que Constantinople n’est pas dans une belle situation… et l’islamisme s’en va de soi si Constantinople tombe… il y a des prophéties qui placent la fin de l’islamisme de 1882 à 1885… nous n’en sommes pas très éloignés; Genève est à moitié catholique; la papesse se fait, dit-on, catholique. Dans les Etats-Unis, ce sont les Allemands et les Irlandais qui décident du sort. Il y a là un mouvement et il y en a un aussi dans l’Eglise catholique. Il y a un effroyable plan de la renverser, de détruire l’Eglise par la papauté, le plan révolutionnaire est résumé tout dans le pape. Si nous n’avons à faire qu’à une seule tête, disent-ils, il nous sera plus facile de l’abattre… Mais, nous avons les paroles de Notre-Seigneur: portae inferi non praevalebunt adversus eam. (Matth., XVI, 18).
Nous vivons donc comme St Augustin dans une époque de transition, avec cette différence, que du temps de St Augustin, la transition était opérée par les barbares qui envahissaient le monde, et qu’aujourd’hui, c’est la révolution. Il y a une définition de la révolution que je lisais ces jours-ci: la révolution, c’est le règne des hommes sans Dieu ou l’expulsion de Dieu des affaires des hommes. – Nous avons donc à étudier, à examiner ce que nous avons à faire, nous avons à étudier nos devoirs chez ceux qui se sont trouvés dans une situation analogue. C’est pourquoi l’étude de St Augustin nous sera très utile. Le vieux monde romain partait, le monde chrétien arrivait. Aujourd’hui, le monde révolutionnaire veut prendre le dessus; nous avons à nous imprégner de cet esprit des saints qui vivaient dans certaines circonstances et ont vu arriver le flot qui balayait des ruines… des ruines antiques… Ces observations sont peut-être un peu trop fortes pour quelques-unes, mais il y en a qui pourront les comprendre, il fallait donc les poser.
Revenons à l’apostolat(3).
L’Apôtre est un envoyé.
Qu’est-ce qu’un apôtre? un apôtre est quelqu’un qu’on envoie, donc, c’est quelqu’un qui ne reste pas toujours à la même place. Les Apôtres ne restèrent pas à Jérusalem, ils s’y trouvaient bien cependant; mais les persécutions arrivèrent… Si une révolution vient et que nous n’ayons pas l’esprit apostolique, nous nous cramponnerons à Auteuil… Le vent de la révolution sera pour nous comme le vent d’automne qui balaye les feuilles, sème la graine à droite et à gauche et les fruits croissent ensuite…
Les Anges sont les premiers apôtres.
En attendant les révolutions, vous ne devez pas moins être des apôtres, être prêtes à aller partout où Dieu vous enverra. Les premiers apôtres sont les anges; ils sont toujours prêts à aller partout où Dieu les envoie: Pars, et va te lancer pour veiller sur telle planète; et l’ange part. Va présider au cours de telle fontaine. – Origène nous dit que de son temps on adorait les anges préposés à la garde des eaux. – Va veiller sur telle Eglise, sur tel diocèse, sur telle paroisse, et il va… Il y a l’Ange gardien de cette maison; c’est quelque Principauté, quelque Trône, quelque Domination qui est l’Ange gardien de la Congrégation.
L’Apôtre est un ange.
Vous devez aussi être des anges. « Moi aussi je vous envoie. » Où? Ah! cela ne vous regarde pas. Les Apôtres étaient prêts à tout: « Allez… enseignez toutes les nations(4). » En quelque endroit que ce soit… Vous irez… Vous trouvez très bon de dire que vous appartenez à une Congrégation qui a l’esprit apostolique… à condition que vous ne bougerez pas. Je ne veux pas dire que vous ayez toujours le pied levé pour partir… mais que vous soyez dans la disposition d’aller partout et du côté où on voudra vous envoyer, que vous soyez prêtes à lever le pied et la tête qui est portée par les pieds. Vous qui voulez être des apôtres, vous devez être dans une disposition entière de voyager, d’aller, de partir une fois que c’est la volonté de vos Supérieures.
Incarnations du Christ dans les âmes, dans l’Eglise.
Vous n’êtes pas la portion la plus parfaite de l’Eglise: c’est l’épiscopat; mais la portion qui tend le plus à la perfection, la portion bien-aimée de Jésus-Christ, les épouses de Notre-Seigneur, d’où il ne faut pas conclure que vous serez comme certaines petites personnes… Dans une famille nombreuse, patriarcale comme vous en connaissez peut-être, il y a beaucoup de belles filles, on voit arriver quelquefois une petite personne, pincée, mijaurée, tout occupée d’elle… c’est un vilain genre… ne le prenons pas… il faut aimer le bien général… ne soyez pas de petites égoïstes, aimez l’Eglise de Notre-Seigneur. – Notre-Seigneur s’est incarné de différentes façons… j’aurais voulu vous le faire voir sous différents caractères… il y a une incarnation de Notre-Seigneur dans nos âmes, c’est celle dont je vous ai parlé pendant cette retraite; il s’est incarné d’une autre façon dans son Eglise. Nous avons un grand honneur, si nous sommes réellement apôtres: le but de l’apôtre est d’enfanter Jésus-Christ dans les âmes. La parole divine tombe par le ministère de l’apôtre sur un terrain plus ou moins préparé et de cette semence finit par surgir, par croître, par pousser Jésus-Christ. « Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi(5). »
Plus Jésus-Christ habite dans vos coeurs, et il y est, plus vous devez le faire habiter dans les âmes des autres; comprenez la grandeur de votre vocation, de votre mission… Comment y contribuer? par votre évangélisation, par votre esprit apostolique et catholique, surtout catholique. Il faut vous persuader que l’Eglise est une grande incarnation, une incarnation mystique de Notre-Seigneur… Vous êtes toutes appelées à aider Notre-Seigneur, à compléter son corps mystique.
Il faut nous y mettre entièrement. – J’entends une religieuse me dire: c’est cela, j’aime à m’occuper des élèves, et c’est pourquoi je me fâche quand on m’en retire. – Ce n’est pas cela. – S’il en est ainsi, je crains bien qu’au lieu d’incarner Notre-Seigneur dans les âmes, vous ne vous y incarniez vous-même. Ce n’est pas cela que Notre-Seigneur demande. C’est un caractère, un cachet tout particulier de notre divin Maître qui veut s’incarner en tous, en vous et par votre action dans les autres; et à l’aide de cette multiplicité d’incarnations particulières, se résume la grande incarnation qui est l’Eglise. Voici une comparaison: dans le ciboire, il y a plusieurs hosties, elles sont distribuées; chaque fidèle a Jésus-Christ tout entier, et dans le ciboire, il n’y a qu’un seul Jésus-Christ. – Jésus-Christ est un seul, est un, tout entier dans vous toutes par la communion, comme il est tout entier dans chacune dans la vie intérieure.
L’union à Dieu, la sainteté nécessaire pour les incarnations mystiques.
Il y a des âmes qui ne sont appelées qu’à incarner Jésus-Christ en elles, d’autres âmes sont appelées à l’incarner dans les autres. Il y a un échec là… c’est que par un sentiment humain que vous y mêleriez, ce ne soit vous que vous incarniez. Nous le faisons quand nous incarnons nos idées, nos sentiments; lorsque c’est nous que nous prêchons, que nous recherchons. On croit avoir fait beaucoup de bien, et il se trouve qu’on en a fait fort peu. Pour opérer cette incarnation, l’âme a d’une part un besoin très grand d’union avec Jésus-Christ; car si l’apôtre est un canal, il lui faut prendre la grâce dans le bassin. Saint Bernard dit: « Il faut qu’il soit un peu bassin lui-même pour retenir de cette grâce, et qu’il soit un canal très pur pour ne pas arrêter l’eau en la communiquant aux autres. S’il y a de la rouille, de la boue, de la terre dans le canal, l’eau qui arrivera aux autres sera boueuse, terreuse… Si vous êtes très unies avec Notre-Seigneur, si vous ne faites qu’un avec lui et que vous preniez le sang de Notre-Seigneur pour le donner ou plutôt la vie pour la communiquer, vous serez bientôt étonnées de toutes les grandes et belles vertus que vous sèmerez dans les autres; mais à une condition: c’est que vous serez entièrement unies à Notre-Seigneur, que vous serez des instruments dociles et soumis.
Diversité dans les activités apostoliques.
Je vous ai montré l’obéissance de Dieu le Fils et de Dieu le Saint-Esprit à Dieu le Père, et je vous l’ai proposée comme modèle de l’obéissance dans laquelle vous devez vivre par rapport à Dieu le Fils et à Dieu le Saint-Esprit. Pour une âme appelée à faire du bien, à travailler à ce que Jésus-Christ vive par elle dans les âmes, il y a diverses actions: l’action du missionnaire qui monte sur une plate-forme et de là, parle à trente ou quarante personnes: ce n’est pas là ce que vous avez à faire; il y a l’action du prédicateur du haut de la chaire, cela ne vous regarde pas non plus. L’action des missionnaires qui vont convertir les sauvages, jusqu’à présent, cela ne paraît pas être votre mission non plus.
Mais ce travail intime d’une âme qui veut appartenir entièrement, uniquement à Notre-Seigneur pour lui gagner le plus d’âmes possibles soit par une action directe, soit indirectement, c’est là votre but.
Moyens surnaturels d’apostolat.
A l’exemple de Jésus-Christ « Jésus a fait et enseigné(6) ». Notre-Seigneur commence par faire; quand il a fait, il enseigne. Il faut que vous soyez dans la résolution de faire si vous voulez avoir l’action d’un apôtre, que vous travailliez à acquérir la liberté de coeur, le détachement, que vous soyez dans une disposition d’immolation que vous ayez l’esprit d’obéissance, de charité, d’amour, l’amour de l’Eglise… Vous êtes appelées à ce travail par lequel Notre-Seigneur forma les Apôtres avant de les envoyer… Le travail dans la solitude… Le zèle immense pour que les âmes se convertissent vous portera à offrir beaucoup de communions, d’adorations, de mortifications, de prières, d’actions pour que les âmes reviennent à la vérité ou se fortifient dans la sainteté. Quand une fois vous aurez cet esprit, quand vous serez occupées de vous donner, de donner Notre-Seigneur aux autres, et de montrer votre don de vous-mêmes partout, vous pourrez exercer cet apostolat au parloir, près des enfants, de vos soeurs, dans toutes les circonstances possibles et imaginables… dans la prudence, dans la mesure où vous devez vous placer. N’est-ce pas quelque chose de merveilleux, d’admirable?…
Entretenir en soi l’amour de Notre-Seigneur.
Il faut pour cela un grand amour et une grande humilité, parce qu’au moment où vous faites le bien, ce bien est gâté par l’amour-propre, par ce que vous y mettez du vôtre. Vous avez surtout besoin d’amour; les ailes du Séraphin doivent être les ailes de l’apôtre; c’est sans doute pour cela que les saints Pères placent les Apôtres dans la catégorie des Séraphins. Il y a là une conséquence sur laquelle il nous faut revenir une fois que nous sommes engagés dans la cause de Dieu; c’est l’obligation où nous sommes d’entretenir en nous l’amour de Notre-Seigneur.
par l’oraison, la vie intérieure
Vous penserez avec moi qu’on a besoin de revenir sans cesse sur soi-même; car, si l’âme apostolique ne revient sur elle-même pour se nourrir de Notre-Seigneur, elle se dépense, elle se donne tout entière, et elle reste dans un état d’appauvrissement. C’est comme une mère qui allaiterait son enfant, et qui ne se nourrirait pas… elle aurait bientôt les mamelles vides. Il est un fait important: de ce que vous donnez aux autres, vous devez vous donner à vous-mêmes. La mère ne peut donner que le lait qu’elle a; l’apôtre ne peut donner que ce qu’il a reçu. Il faut qu’il reçoive en proportion de ce qu’il doit donner, et plus son action doit être communiquée, plus l’apôtre doit être un homme d’oraison.
Vous devez être des filles d’oraison. Une religieuse vouée à l’apostolat qui ne tend pas à être une fille d’oraison finira par mal tourner; je ne dis pas extérieurement; mais aux yeux de Dieu, il y aura décadence, chute.
l’esprit de présence de Dieu
Vous me direz, mais si on ne peut pas faire oraison? si les occupations, si la santé ne permettent pas qu’on aille au-delà de la règle? si même il faut quelquefois retrancher de la règle? Le Supérieur des Frères des Ecoles chrétiennes doit plutôt manquer son oraison que manquer la récréation, s’il a été trop occupé pour y donner le temps voulu… Dans ces circonstances, l’esprit de présence de Dieu supplée à ce qui a manqué à l’oraison, la prière au fond du coeur, un esprit plus particulier de prière continuelle.
Je me résume: l’esprit apostolique n’est pas chez vous si vous n’avez pas l’amour de la cause que vous devez répandre, l’humilité pour ne pas vous attribuer ce que vous faites; l’esprit de prière pour prendre sans cesse des provisions…
Largeur d’esprit.
Il est encore quelques réflexions que je veux vous livrer. C’est la manière étroite avec laquelle on sert la cause de Dieu et par laquelle on la perd. Je désire, je souhaite que dans une association comme la nôtre, nous soyons à l’abri de cette disposition, que nous disions comme saint Paul: « Ce ne sont pas vos biens que je cherche, c’est vous-mêmes(7). » Une de mes prières les plus fréquentes est celle-ci: Mon Dieu, écartez de mon coeur tout sentiment personnel. Comme on annonçait à Moïse que d’autres que lui prophétisaient il répondit: « Plût à Dieu que tout le peuple de Yahvé fût prophète(8). »
Ayez l’esprit large, cherchez non pas votre Congrégation mais Jésus-Christ et son Eglise… c’est bon et bel à dire, mais la pente de l’esprit humain est telle que l’on se replie sur soi et que l’on songe à soi. Le Bon Dieu et moi… que c’est vilain… Le Bon Dieu et la Sainte Eglise et toutes les âmes qui honorent Dieu: voilà ce qu’il faut rechercher. Nous avons ce sentiment de l’impuissance dans laquelle nous sommes par rapport à Dieu: nous ne pouvons pas assez honorer Dieu. Vous conviendrez que la multitude de ces âmes qui l’honorent est moins impuissante que l’adoration d’une pauvre petite âme.
Venons à une manière pratique: Mon Dieu, je vous aime de tout mon coeur, mais je sens que les limites de mon coeur sont très étroites, voulant que vous soyez aimé autant que vous pouvez l’être sur cette terre, je souhaite que toute créature vous connaisse, vous bénisse… Quand vous dites le Benedicite de Laudes, vous invitez non seulement toutes les créatures mais toutes les âmes intelligentes à louer et à aimer Dieu. Dans la sphère de mon action, je chercherai à vous faire aimer, mon Dieu, et tous mes efforts, toute l’action qui me sera permise au-dehors, tendront à ce que vous soyez aimé, connu et servi.
On se fait des illusions à cet égard. J’ai connu une communauté de très saintes religieuses où il y avait deux aumôneries… près de là se trouvait une maison des Frères des Ecoles chrétiennes qui n’avaient pas la messe tous les jours. Ayant besoin de changer la réserve, ils demandèrent que ce soit fait par un des deux aumôniers, mais pour cela il fallait que ces saintes et bonnes filles n’eussent qu’une messe un jour de temps en temps et cela ne leur fut pas accordé! Je sais bien que si elles avaient eu dix aumôniers, ils auraient été tenus à leur dire la messe; mais exposer les saintes hosties à se corrompre! Mettons que ce soit en Chine, au Kamtchatka que cela se passe… qu’en pensez-vous? Encore une fois je ne juge pas…
On se fait des illusions étranges à cet égard, mais avec le respect que je dois à ces religieuses dont je ne veux plus parler, avec tout le respect que je vous dois, je croirais que la malédiction du ciel serait sur l’Assomption, si quelque chose de semblable s’y passait jamais. Il faut nous tenir sur nos gardes. Nous avons une telle pente du coeur à rechercher ce qui nous appartient au lieu de chercher ce qui appartient à Jésus-Christ! « Tous recherchent leurs propres intérêts non ceux de Jésus-Christ(9). »
Désintéressement.
L’apôtre doit avoir un but unique, une seule cause en vue: la gloire de celui qui l’envoie… et que de combinaisons d’intérêt personnel quelquefois!… Si un jour une dévotion de cette espèce était la dévotion de l’Assomption dans son ensemble, je ne dis pas dans les détails… j’aimerais mieux que la voûte de cette chapelle tombât et nous écrasât tous!… Je le dis devant le Bon Dieu… C’est une chose abominable! Si vous faites une faute de ce genre, vous vous en confesserez, vous en recevrez l’absolution et puis ce sera fini… mais, si l’esprit foncier tournait dans ce sens-là, je le répète: je voudrais nous voir tous écrasés à l’instant, sous cette voûte! Vous fuirez cet esprit avec une attention très spéciale, vous aurez cet esprit large, cet amour de Notre-Seigneur et de tout ce qu’il aime; vous serez heureuses d’enfanter Jésus-Christ, heureuses d’enfanter quelque âme à Jésus-Christ… vous accomplirez votre oeuvre d’évangélisation avec le sentiment de la foi la plus grande. Celles d’entre vous qui ne sont pas directement occupées de cette action apostolique y ont cependant leur part, parce qu’elles sont engrenées dans un ensemble d’oeuvres dont le résultat est l’apostolat. Que toutes contractent cet amour immense de Notre-Seigneur, des intérêts de l’Eglise… cet amour libre…
Résolutions:
Quelle sera la résolution de la fin de cette retraite? Chacune, vous avez vos bonnes résolutions à prendre sur les points qui vous sont nécessaires particulièrement. Moi, si j’ai une proposition à vous soumettre, je vous donnerai pour résolution de retraite:
1° Faire grandir Notre-Seigneur en nous.
Grandir avec Notre-Seigneur. Je vous l’ai montré s’incarnant, naissant, croissant en vous. Je voudrais que vous grandissiez et que vous croissiez avec lui, de façon qu’il ne se passe pas un jour où il n’y ait en vous quelque croissance en choses saintes. Tous les soirs à votre examen, vous vous demanderez, non pas en quoi ai-je grandi? mais en quoi Jésus-Christ a-t-il grandi en moi? Vous avez, non pas seulement des défauts à détruire, mais la sainteté à mettre en vous. Notre-Seigneur est en vous par la grâce avec toute sa perfection. Il veut se manifester selon les temps. Vous êtes maîtresses de ces temps par votre correspondance à la grâce.
2° Tendre à la maturité d’union mystique.
Il est certain qu’il y a un moment où Notre-Seigneur arrive en nous à la plénitude de l’âge, un moment où Notre-Seigneur se manifeste à nous d’une manière intime. Vos efforts pleins d’amour peuvent hâter ce moment, comme les patriarches hâtèrent de leurs voeux la manifestation du Messie; comme les patriarches saluaient de loin les prophètes, vous saluerez Notre-Seigneur non pas de loin, mais tout proche.
Je veux favoriser ce désir qu’a Notre-Seigneur de se manifester à mon coeur selon ma vocation spéciale. Un mot résumera tout: Jésus-Christ manifesté en moi, agissant en moi, se sanctifiant en moi. Notre-Seigneur ne dit-il pas: « Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés en vérité(10). » Votre sainteté sera le contrecoup de sa sainteté. Des relations plus intimes s’établiront entre Notre-Seigneur et vous; vous aurez un désir plus grand de le communiquer. Vous mènerez une vie cachée en Jésus-Christ dans laquelle il se manifestera à vous dans le secret et ensuite par vous aux autres.
Ainsi il sera votre vie, il grandira, il se développera en vous. Notre-Seigneur vous donnera davantage de lui-même.
Et cependant, il se proportionne à notre faiblesse, il se donne à nous comme par portion, selon que nous sommes prêts à le recevoir. « C’est de sa plénitude que nous avons tous reçu(11). » Si vous ne recevez pas sa plénitude encore, que vous puissiez au moins dire ce qui est dit dans saint Jean: et nous avons reçu de sa plénitude. Vous en avez déjà reçu en ce sens que vous avez goûté quelque chose de ce qui ne peut jamais vous rassasier. Il y aura toujours quelque chose de plus pour vous à recevoir: plus vous sonderez cet abîme, plus vous le trouverez insondable. Il y a cependant un moment où l’âme est satisfaite, où Jésus-Christ est satisfait… sans doute, jamais entièrement sur la terre et surtout jamais dans le ciel où vous irez de clartés en clartés, mais il arrivera toutefois un moment où Jésus-Christ sera assez satisfait de vos efforts pour qu’il se repose entièrement en vous et trouve du charme dans ce repos.
Tout m’est Jésus-Christ.
Je souhaite que vous viviez établies en Jésus-Christ. Alors tout sera Jésus-Christ pour vous: là où vous ne trouverez pas Jésus-Christ, il n’y aura que tristesse, horreur et dégoût pour vous. Là où sera Jésus-Christ, il pourra y avoir douleur, mais douleur et force, courage, espérance, amour; le besoin de vos âmes sera satisfait. Au-delà des épreuves, il y a la couronne; viendra le jour où Notre-Seigneur vous dira: « Venez épouse du Christ, recevez la couronne que le Seigneur vous a préparée pour l’éternité. » Dès cette vie, vous ne pourrez plus que vous écrier comme dit Bossuet: Oh! Jésus-Christ! Oh! Jésus-Christ! Oh! Jésus-Christ! et quand Jésus-Christ votre tout, vous aura fait grandir, vous aura transformées, alors vous serez vraiment ses épouses. Je souhaite que ce moment arrive, que vous sentiez cet attrait de l’époux, ce bonheur d’appartenir à son Dieu, que vous vous en rendiez dignes par les efforts de sainteté auxquels vous vous porterez et que Notre-Seigneur couronnera, j’en suis sûr. Ainsi soit-il.
2. Le sacriste de Sa Sainteté, Mgr Francesco Marinelli, évêque titulaire de Porphyre, est distinct du général des Augustins. Le P. d'Alzon les rencontra tous deux à Rome vers la fin du mois de mai.
3. Ce qui précède n'a pas été reproduit dans les Cahiers d'Alzon.
4. Matth., XXVIII, 19.
5. Eph. III, 17.
6. Act. I, 1.
7. II Cor., XII, 14.
8. Nom., XI, 28.
9. Phil., II, 21.
10. Jean, XVII, 19.
11. Jean, I, 16.