Retraite pour les hommes à la rue François Ier, 1873

4 APR 1873 Paris Hommes

La condition de la famille, ce sont les moeurs chrétiennes, le respect, l’esprit de suite et de fermeté et le sentiment de la responsabilité.

Informations générales
  • Retraite pour les hommes à la rue François Ier, 1873
  • Discours du très Révérend Père d'Alzon le 4 avril 1873 (soir) [sur les bases de la famille]
  • DA 2-3 (ms du Bureau sténogr. des Frères Duployé à Paris).
Informations détaillées
  • 1 APOTRES
    1 BAPTEME
    1 BON EXEMPLE
    1 COLERE
    1 CONFIRMATION
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 ENFANTS
    1 ENFER
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT D'INITIATIVE
    1 FAMILLE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 LECTURE DE LA VIE DES SAINTS
    1 LOI DIVINE
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 LOI NATURELLE
    1 LUXURE
    1 MARIAGE
    1 MARIE NOTRE MERE
    1 MAUVAISES LECTURES
    1 MERE DE FAMILLE
    1 MOEURS DE LA FAMILLE
    1 PARENTS
    1 PERE DE FAMILLE
    1 PERSEVERANCE
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 RESPECT
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SACREMENT DU MARIAGE
    1 SENS DES RESPONSABILITES
    1 SEVERITE
    1 SOCIETE
    1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
    1 VERTU DE CHASTETE
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEONIDE, MARTYR
    2 ORIGENE
    2 TITUS, EMPEREUR
    3 ALEXANDRIE, EGYPTE
    3 ALLEMAGNE
    3 FRANCE
  • A des hommes
  • Hommes
  • 4 avril 1873
  • 4 APR 1873
  • Paris
  • Chapelle de la rue François Ier
La lettre

Je désire aborder ce soir, devant vous, messieurs, la grande question de la famille. La révolution l’a sapée par ses lois, l’immoralité cherche à la démolir par ses désordres. Je laisserai le côté légal, parce que, après tout, un peu plus tôt, un peu plus tard, si la France doit être perdue, les lois actuelles iront devenant plus mauvaises, et si au contraire la France doit être relevée, il sera bien nécessaire de relever ces lois. Mais ce qui dépend de nous, Messieurs, c’est le côté moral et c’est ce côté que je veux envisager ce soir, afin peut-être de ranimer en vous des idées oubliées peut-être, de vous fortifier dans celles que vous avez déjà, et dans tous les cas afin de fortifier dans vos âmes les pensées honnêtes, ce que j’oserai appeler les honnêtes instincts qui peuvent vous diriger à cet égard, si vous avez une connaissance suffisante de vos devoirs.

La condition de la famille, Messieurs, ce sont les moeurs chrétiennes; c’est le respect; c’est l’esprit de suite et de fermeté, c’est l’initiative; c’est surtout le sentiment de la responsabilité. Je vais essayer de passer très rapidement en vue certains développements de ces cinq points principaux, et j’espère apporter dans vos âmes certaines lumières par rapport aux devoirs que vous avez à accomplir comme membres de la famille.

Premièrement les moeurs chrétiennes. Ah! Messieurs, une question: en jetant un regard général (ici je ne m’arrête pas aux nobles et nombreuses exceptions que je multiplierai autant qu’il pourra vous plaire), mais enfin, dans leur ensemble, où sont les moeurs chrétiennes aujourd’hui? où sont ces habitudes d’une vie réglée dans l’intérieur des familles, où sont ces prières faites en commun? où sont ces exemples donnés par les parents et qui fortifient si bien et qui facilitent le travail de l’éducation? Je parlais des hommes, Messieurs, les mères donnent l’exemple… et les pères? En général, quelle lutte n’y a-t-il pas (je ne parle pas pour vous, je parle pour les absents) entre une mère, quelquefois, souvent chrétienne et le père qui l’est si peu? Et de là que résulte-t-il? Des scandales, des dissensions, des tiraillements, les plus funestes à l’éducation des enfants. Que résulte-t-il de là encore? Eh! mon Dieu, c’est que le sentiment chrétien qui aurait été imprimé dans les jeunes âmes si l’exemple avait été donné, le sentiment chrétien disparaît, il s’en va. Que d’enfants qui disent: Je ferai comme mon père, et par conséquent, après ma première communion, je me reposerai de tous les devoirs religieux, de toutes les pratiques religieuses? Les moeurs chrétiennes, Messieurs, c’est dans la famille l’accomplissement des grandes lois de Dieu et de l’Eglise. Eh bien! je le demande encore par ce côté: où sont les moeurs chrétiennes et comment les apercevons-nous dans tous ces intérieurs quand il nous est permis d’y pénétrer? Les moeurs chrétiennes? Eh! il y a les lois de l’Eglise qui en étaient un des indices principaux; il y avait par-dessus tout la loi de Dieu. Qu’est-ce que l’on fait de la loi de Dieu? comment s’occupe-t-on de Dieu? quelle place Dieu occupe-t-il au foyer domestique? Les moeurs chrétiennes, mais elles ont été données par Jésus Christ, je pense, et qui s’occupe de Jésus Christ dans l’intérieur de tant de familles? Les moeurs chrétiennes, Messieurs, sont absentes et non seulement elles sont absentes, mals malheureusement tout tend à nous montrer que leur absence ira peut-être croissant; on s’en éloignera, on s’en détournera et il ne restera plus bientôt que la passion brutale de l’homme, comme disait Mr de Lamennais dans le temps, de l’homme qui a une femelle et des petits? C’est dur, mais voyez si ce n’est pas ainsi pour beaucoup. Eh! la famille, qu’en fait la littérature moderne, sinon de chercher à en détruire les moeurs? Que voyez-vous sur le théâtre et quelle est la conclusion d’une foule de ces plaisirs immondes dans lesquels toutes les classes se précipitent, un peu plus, un peu moins? Il en est, dit-on, qui se respectent, mais il y en a tant qui ne se respectent pas! Vous voyez s’étaler le vice dans vos promenades sur vos boulevards, partout, et quel respect voulez-vous qu’on ait pour les moeurs chrétiennes lorsque ainsi tout semble favoriser ce débordement du plaisir, de l’orgie, si opposés à la famille? Est-ce que j’exagère, Messieurs? Ce n’est pas vous dont il s’agit, en ce moment, mais regardez autour de vous. Et puis maintenant, comment chacun participe-t-il un peu plus, un peu moins à cette perte des moeurs chrétiennes? Un jour ce n’est qu’un rien, et puis plus tard c’est davantage, et nous arrivons à toutes les abominations des moeurs anti-chrétiennes, du renouvellement des moeurs païennes, car nous en sommes au paganisme, nous en sommes au paganisme et nous en sommes au paganisme, par l’instruction anti-chrétienne donnée aux enfants, par ces moeurs anti-chrétiennes qui commencent d’aussi bonne heure, et quand on a préparé l’enfance d’une certaine façon, arrivé à l’âge d’un établissement comme on dit, à l’âge mûr, avec ces moeurs on continue. Messieurs, voilà ce qui est fatal, voilà ce qui est indispensable et c’est là ce que nous voyons! Eh bien les choses en arrivent là; voici la conséquence: c’est que la famille n’existera plus. Or, Messieurs, je le dis tout de suite en passant, de quoi donc se compose un peuple? De familles; et quand la famille est forte par les moeurs chrétiennes, le peuple est fort, mais quand vous avez dissous l’élément principal qui compose le peuple, la nation, il est indispensable que la nation aussi aille se dissolvant. C’est une règle, voyez-vous, c’est une loi qui, celle-là, ne souffre pas d’exceptions. Messieurs, si les familles étaient chrétiennes en France, forcément la société le serait. C’est pour ainsi dire une banalité que ce que je dis; c’est une proposition qui sent trop le vulgaire, tant elle est évidente, tant elle saute aux yeux. Je vais plus loin, Messieurs, et maintenant je me demande qu’est-ce qui ramènera ces moeurs chrétiennes? c’est là la difficulté, car il faut les ramener. Eh bien! Messieurs, je ne crains pas de le dire, lorsque N.S. envoyait les douze apôtres dans le monde, il n’y avait pas de moeurs chrétiennes. Ce qu’il y avait de chrétien dans les moeurs des Juifs nous est montré par le siège de Jérusalem et par la conduite de ces Juifs qui s’entre-dévoraient sous les yeux du jeune empereur romain du César, de Titus. Eh bien! Messieurs, cependant les apôtres ont fait de ce monde corrompu, pourri, vermoulu, ils en ont fait la société chrétienne. Les barbares y ont bien contribué, mais les barbares aussi avaient bien quelques reproches à se faire dans tous les désordres où ils ont plongé le vieux monde avant de préparer le monde nouveau. Il n’y a donc pas à désespérer, mais à une condition, c’est que les hommes voudront, et si une poignée d’hommes le veulent on peut dire que la société sera sauvée, mais il faut le vouloir, d’une manière énergique. Je n’insiste pas davantage sur cette considération et je passe à ce que j’appelle le second élement, la seconde condition de la famille chrétienne, le respect. Messieurs, c’est quelque chose de très grand, le respect dû au père et à la mère. Dieu en a fait un commandement spécial: souviens-toi d’honorer ton père et ta mère afin que tu vives longtemps dans la terre que t’a donnée le Seigneur ton Dieu; il y a une promesse de longévité accordée à ceux qui respecteront leurs parents. Eh bien! Messieurs, ce respect s’en est allé, ce respect a disparu, il disparaît tous les jours: les vieux parents fatiguent et les parents moins âgés sont bien souvent insupportables, et qui est-ce qui est plus trompé dans le monde qu’un père? La tendresse de la mère fait que quelquefois on la trompe un peu moins, mais le père! et chaque jour! Et plus le père est tendre, c’est-à-dire plus il est faible, moins on a confiance en lui. Je sais bien qu’il y a des pères brutaux qui inspirent la terreur sans inspirer le respect. Ce n’est pas de ceux-là que je veux parler. Si leurs enfants ne se confient pas à eux, c’est que, pour ainsi dire, ils leur ont fermé la bouche à coups de poing. Mais le père chrétien inspirera le respect, n’est-ce pas? et la mère chrétienne, c’est quelque chose de si beau qu’une mère chrétienne! La mère, sans doute, dans le paganisme avait déjà sa beauté, mais comme avec la Sainte Vierge la mère chrétienne a été transfigurée, avec ces vertus dont le monde païen n’a jamais eu le sentiment! Oui, c’est quelque chose de beau que la mère chrétienne et je le dis parce que peut-être tout à l’heure aurai-je à diminuer sa gloire, c’est quelque chose de beau que la mère chrétienne et le respect dont elle est entourée, ce respect qui est formé avec la confiance, la reconnaissance, la tendresse qui partent du coeur de la mère et qui correspondent dans le coeur du fils. Oh! cela est magnifique, cela est admirable! Mais enfin, on dit même qu’aujourd’hui les mères se respectent très peu. Il y en a de très chrétiennes; voyez comme il y en a aussi qui oublient ce que c’est que l’esprit chrétien.

Et le père, Messieurs? car c’est de vous surtout que je dois m’occuper, et les pères, Messieurs, quel respect inspirent-ils? Que remarquez-vous? Dieu qui est père, lui aussi, commande le respect, et le père qui déshonore Dieu, le père par excellence, n’est pas respectable lui-même. C’est là une énorme question et c’est là le véritable mot, peut-être, c’est là le véritable mot de tout l’avenir: vous ne respectez pas Dieu, pères de famille; vos enfants ne vous respecteront pas. Le bon Dieu a permis que je forme un petit pèlerinage où il y a déjà eu des miracles (nous avons des miracles dans ce pèlerinage), et tout dernièrement il y en a eu un (je crois l’avoir déjà dit à quelques-uns d’entre vous), nous avons eu la conversion de deux protestants par la guérison d’une femme qui était mariée à l’un des protestants et qui était mère de l’autre. Bref la légende porte (à côté de ce lieu de dévotion il y a une très haute montagne qui domine un précipice d’à peu près 7 ou 800 mètres), et la légende porte que dans le temps les fils qui en avaient assez de leurs pères, les prenaient sur leurs épaules, les portaient là et les précipitaient. La mort avait son originalité, son côté pittoresque; on rapporte que la dernière fois que la tentative a été faite, c’était un jour qu’un père était ainsi porté par son fils; le fils souffrait, parce qu’il faut encore monter pour arriver au sommet (et j’y suis allé il n’y a pas longtemps) et le père dit à son fils: Mon fils, arrête-toi ici.

– Ah! pourquoi veux-tu que je m’arrête ?

– Eh! mon cher, c’est parce que quand j’ai porté mon père comme toi tu me portes, je me suis reposé ici et j’ai eu plus de force pour jeter mon père dans le précipice, dans le gouffre.

Le fils réfléchit que peut-être il allait traiter son père comme son fils le traiterait un jour; il reprit son père sur ses épaules et au lieu de le conduire au précipice, il le reconduisit à la maison. Messieurs, Messieurs, veuillez un peu examiner comment vous avez traité vos parents; un jour rétrospectif, vous les avez honorés peut-être, mais voyez un peu que de fils qui déshonorent les cheveux blancs de leurs pères! et vous voulez que ces fils ne soient pas châtiés! Si. Mais d’autre part et en même temps, les pères sont-ils bien respectables? Ce pauvre vieux qu’on portait ainsi à la mort, avait-il respecté son père, lui? Ce fut un sentiment d’intérêt personnel qui arrêta le fils. Messieurs, c’est l’histoire, voyez-vous, c’est l’histoire de beaucoup de fils et de beaucoup de pères, et si vous aimiez mieux prendre la chose pour beaucoup, de l’autre côté, c’est l’histoire de beaucoup de pères et l’histoire de beaucoup de fils; c’est malheureusement très vrai qu’on ne respecte pas les pères parce qu’ils ne sont pas respectables et qu’ils ne se font pas respecter. Le protestant, Monsieur Guizot, un de mes compatriotes, a dit que le catholicisme était une grande école de respect. Il avait raison, il avait raison, et à mesure que les moeurs catholiques s’en vont, le respect chrétien s’en va aussi. Cependant, Messieurs, voyez je vous en prie, voyez ce que c’est que le respect et comme c’est une magnifique chose que le respect! Le respect des enfants pour leurs pères, je n’en parle plus, mais le respect du père pour ses enfants! quelle dignité magnifique, quelle coopération à l’oeuvre de la création des âmes que ce privilège de donner des corps à des âmes pour qu’elles habitent la terre quelque temps et le ciel ensuite! Comme c’est magnifique que d’être ainsi appelé à peupler le ciel de citoyens après en avoir donné à la patrie! Et c’est là précisément ce qu’il y a de beau dans le père qui contemple le temple qu’il a servi à préparer pour l’âme de son fils. On raconte du père d’Origène, le martyr Léonide, que lorsque le jeune enfant qui ensuite répandit un si grand éclat par ses commentaires sur l’Ecriture et par ses leçons dans l’école catholique d’Alexandrie, avait 12 ans et qu’il commençait à prendre son sommeil, Léonide relevant les couvertures de son lit et ouvrant sa tunique allait baiser la poitrine de son enfant qui était le temple du Saint Esprit. Eh bien! Messieurs, quel est le père après avoir cherché à donner une éducation chrétienne à son fils, qui ne pourrait pas ainsi adorer le Saint Esprit dans la poitrine de son enfant? Vous voyez, alors, il y a une communication entre Dieu et l’homme. On dit que la Sainte Vierge pouvait proférer les mêmes paroles que le prophète met sur les lèvres de Dieu le Père : Tu es mon fils! le Seigneur m’a engendré et m’a dit: Tu es mon fils. Dominus dixit ad me: Filius meus es tu. Et ce même enfant, qui, par le baptême et par la confirmation est l’enfant de Dieu et le temple du Saint Esprit est aussi le fils d’un homme qui a le dépôt de cet enfant, de cette innocence, et dans le corps de cet enfant, il a le dépôt du Saint Esprit, le dépôt d’un Dieu qu’il doit faire grandir et développer avec le corps, les sens, l’âme, l’intelligence, le coeur de cet enfant; et on néglige cette oeuvre! et on ne la trouve pas la plus belle des oeuvres, l’oeuvre de l’agrandissement de Dieu dans une âme humaine, et tous les pères se montrent rebelles à cette oeuvre, et tandis que Dieu du haut du ciel envoie son Esprit dans cet enfant, par le baptême et la confirmation, le père peut aider à cette oeuvre et il ne s’en occupe pas! Cependant, qu’est-ce qu’il y a de plus respectable qu’une oeuvre pareille?

Et maintenant dites-moi aussi ce qu’il y a de respectable dans cette nation des relations de l’épouse et de l’époux. Voyez comme à ce point de vue (car je ne veux l’envisager qu’au point de vue des enfants en ce moment: je serais très long, trop long si je prenais d’autres considérations), voyez ce qu’il y a de grand dans cette alliance faite entre deux êtres pour préparer des saints. Ce sera le travail de toute la vie, à une condition, Messieurs, (car je ne veux pas vous fatiguer longtemps et trop longtemps insister sur cette matière), à une condition, c’est que le sacrement du mariage sera respecté: le respect envers l’institution divine! La vie de famille a ses peines, il y a des moments où le front d’un père se ploie sous le poids des soucis; il y a des moments où son coeur bat à la vue des dangers qui environnent l’avenir de ses enfants. Je sais que dans certaines classes il y a même l’angoisse de ne pas toujours pouvoir leur donner le pain suffisant; je sais cela, Messieurs, et c’est pourquoi je dis que rien n’est admirable comme l’institution de ce sacrement qui rend indissoluble l’union de l’épouse et de l’époux. Pourquoi se fait-il que s’il y a violation, que s’il y a rupture du lien posé par la main même de Dieu sur deux coeurs, c’est presque toujours le père qui brise le premier ce lien sacré? Vous connaissez le monde, Messieurs. Vous savez comment les choses se passent; mais si Dieu a voulu mettre par la formation des âmes, dans la famille, ce qu’il y a de plus magnifique: la prolongation de la création, dans tout ce qu’elle a de plus sublime, puisque c’est la création des intelligences continuée, eh bien! Messieurs, lorsqu’un père viendra dire (pardonnez-moi d’aborder ces questions): Je veux des enfants, mais je n’en veux pas trop, qu’est-ce que c’est, sinon la profanation du plus magnifique privilège qui ait été donné à l’homme? Ah! sans doute, si un homme est appelé au sein des privations de la chasteté, s’il est appelé à être d’autant plus père des âmes qu’il se privera d’être père des corps, il y a quelque chose de beau là-dedans, il y a quelque chose de la vie de l’ange; heureux ceux qui le comprennent, mais en même temps, Messieurs, pourquoi accepter une mission, pourquoi accepter un droit sur des âmes à faire venir dans le monde et que l’on prive de l’existence parce qu’on viole les plus saintes lois de la nature posées par Dieu et sanctifiées par le sacrement? Messieurs, pourquoi l’Allemagne a-t-elle vaincu et pourquoi la France a-t-elle été humiliée? Il y a plusieurs raisons, mais il y a une raison morale; même protestante, l’Allemagne est chaste et la France ne l’est plus dans le mariage. Pourquoi la dépopulation des campagnes? pourquoi les désastres et l’étiolement de la génération dans les grandes villes? C’est la perte du respect du sacrement. Messieurs, voilà la raison, cherchez tant qu’il vous plaira, il y a quelque chose d’inéluctable dans cette affirmation et alors, et alors il faut en revenir à la famille et il faut en revenir à la sainteté de la famille, à la fécondité de la famille par le respect du sacrement. Je vous demande pardon d’aborder ces questions-là, mais entre hommes il faut bien, n’est-ce pas, les traiter à certains moments sérieux; vous avez à régler les affaires de votre conscience, n’est-ce pas, pour les Pâques, si quelques-uns d’entre vous ont sur la conscience quelques doutes, quelques scrupules, qu’ils s’en affranchissent en ce moment-ci. Je ne veux pas parler du remords, je ne veux pas croire que parmi vous il y ait de ces hommes-là, mais enfin on en rencontre. Il y a là, Messieurs, un crime détestable, c’est l’Ecriture qui dès le commencement l’a dit: scelus pessimum. Soyez respectueux, Messieurs, envers ces âmes que Dieu vous donnera à conduire si vous le voulez, soyez respectueux envers vos épouses, ne les forcez pas à être un instrument de vils plaisirs, au lieu d’être vos aides, vos coopératrices dans la formation d’une famille chrétienne; soyez respectueux envers le sacrement.

J’ajoute l’esprit de suite, Messieurs, l’esprit de suite et de fermeté. Messieurs, pour former une famille et la conduire à son terme, il faut que l’homme se rende compte de ce qu’il fait, n’est-ce pas? Et puisque Dieu lui donne d’abord, dans les premières années, des enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de raison, il faut, n’est-ce pas, qu’il soit raisonnable pour eux, et la raison a un but, et la raison qui a un but sait aussi les moyens par lesquels elle atteindra le but de la sagesse elle-même, attingit a fine ad finem fortiter; elle atteint d’un terme à un terme du commencement à la fin, du point de départ au point d’arrivée avec force; sur son chemin disponit omnia suaviter; elle dispose tout avec suavité, c’est l’esprit de suite tout bonnement. Eh bien! cet esprit de suite implique un plan. Dieu a laissé une certaine liberté au père pour prendre le plan qu’il voudra. Si le père a quelque sens commun, il comprendra la nécessité de n’avoir pas de plan préconçu. Il veut former des chrétiens, voilà son but, et quant aux moyens, c’est l’étude des enfants, c’est l’étude des enfants qui les lui fera connaître. S’il n’a qu’un fils il n’aura qu’un plan, mais s’il a plusieurs enfants il sera bien possible qu’il sera obligé d’adopter un plan pour l’un et un plan pour l’autre, les natures sont si diverses dans leur multiplicité! Mais il faut de la suite; mais quand un plan est adopté il faut le poursuivre, et ceci je l’affirme en face du caprice. Je sais très bien que le caprice est plus particulièrement attribué aux femmes; elles ont des nerfs, elles sont sensibles, elles sont impressionnables, elles ne veulent pas affliger leurs enfants: les pauvres petits… enfin vous savez! Le père doit avoir de la fermeté, quand il s’occupe de ses enfants, quand il n’en confie pas tout le poids à sa compagne, à la compagne de sa vie, il doit avoir plus de suite et il doit écarter le caprice par-dessus toutes choses; il doit aussi écarter la violence. Que de tristesses dans certains intérieurs où le père n’arrive après un travail pénible que pour faire éclater ses violences, ses colères! A côté de cela, Messieurs, dans des classes plus élevées, plus polies, que de tristesses dans ce dédain, dans cette absence de systèmes calculés et préparés à l’avance de l’éducation de ses enfants. On les jettera dans un pensionnat, on les jettera dans un collège: on en sera débarrassé, et pourvu qu’ils prennent un petit bagage de latin et de grec, de mathématiques, qu’ils ne fassent pas trop de fautes d’orthographe si c’est un garçon, qu’ils aient une certaine tenue et surtout une certaine coquetterie qui flatte si c’est une fille, on est content, mais la suite pour former ces coeurs? Mais la suite nécessaire pour former ces intelligences et leur donner l’instruction nécessaire? mais enfin tout l’ensemble du système ou du plan, comme il vous plaira, de l’éducation, qui s’en occupe? qui y a songé? qui a compris que si on peut dresser un cheval on peut bien aussi prendre la peine de dresser un enfant. Où en êtes-vous, Messieurs? voyez à cet égard-là le crime d’une quantité de pères. Eh! mon Dieu, ils devraient s’en occuper, et s’ils ne s’en occupent pas ils devraient au moins laisser toute liberté à une mère chrétienne pour porter tout le poids du travail, à la condition qu’elle ne sera pas gênée par certaines exigences, je le répéterai, le mot de caprice, certaines exigences fantasques d’un caractère insoutenable et qui vient à chaque instant détruire le travail préparé avec peine pendant de longues semaines, pendant de longs mois il faut de la suite, Messieurs. C’est très bon de laisser votre femme élever ses enfants et les vôtres; c’est très bon mais il faut aussi songer que vous devez l’aider. Dans quelle mesure? c’est à vous de le savoir, mais vous devez l’y aider d’une manière chrétienne, d’une manière suivie, d’une manière sage, d’une manière prudente, et vous comprenez que je n’ai pas l’intention ici de vous faire un système d’éducation; c’est tout au plus si j’aurai occasion d’avoir un entretien avec vous sur l’enseignement. Je crois peut-être être obligé de vous en dire un mot, mais enfin je ne veux pas entrer dans plus de détails en ce moment-ci: l’esprit de suite.

L’esprit d’initiative, et je me permettais, je crois, hier, de dire que le principe attribué au père dans le mystère de la Sainte Trinité c’est quelque chose de semblable qui est attribué au père dans la famille; c’est le père qui est principe, c’est le père qui commence et c’est le père qui doit avoir l’initiative. Quand il abdique, on peut dire que dans un sens il n’est plus père ou qu’il trahit sa mission, il faut qu’il sache la direction à donner et qu’il soit en tête de la direction, je le répète encore, par l’exemple. Et alors, alors on voit toutes ces oeuvres qui viennent se grouper autour de la famille, on voit tous ces moyens, je ne dirai pas inventés, mais du moins approuvés par le père pour que les enfants grandissent et que leur niveau s’élève. Messieurs, qu’est-ce qui fait la différence à certain point de vue entre les jeunes enfants des grandes villes et les enfants des campagnes? Mon Dieu, sans s’en douter, les enfants des grandes villes ont beaucoup vu, ils ont observé; dans les campagnes il n’y a qu’un spectacle, le spectacle de la belle nature; cela a son charme, mais enfin cela ne forme pas toujours beaucoup. Il y a la pureté des moeurs, dit-on. On le dit, et puis, et puis… quoi? Il y a cependant je ne sais quel vernis qui n’est pas toujours plus moral chez certains petits garçons des grandes villes (ce n’est pas toujours plus moral), mais enfin il y a quelque chose; et ce quelque chose, Messieurs, ne pourrait-il pas être donné au point de vue surnaturel si les pères voulaient en prendre la peine et s’ils marchaient devant leurs enfants pour leur dire comme Notre Seigneur à ses disciples: Je vous ai donné l’exemple afin que ce que j’ai fait vous le fassiez. Je suis convaincu, Messieurs, je suis très profondément convaincu que si vous le vouliez, vous feriez des saints de vos enfants. Il faudrait peut-être, ah! il faudrait peut-être vous occuper des exemples donnés par les saints. Je rêve pour mon compte de prendre dans les Bollandistes, collection qui n’est pas complète et qui a déjà 60 volumes in folio très serrés, la collection des saints qui ont été pères de famille, et vous verriez comment ils ont élevé leurs enfants, et vous verriez quelles impressions ils leur ont données. Mais enfin les saints, si vous êtes chrétiens, ce sont vos modèles, et le grand mal c’est que aujourd’hui au lieu de lire la vie des saints on lit les romans. C’est encore là un des abus de la famille, ce que j’appellerai une des prostitutions morales de la famille, parce qu’on prostitue les âmes avec de mauvais livres, avec des feuilles empestées, avec des journaux détestables, tandis qu’en leur donnant des exemples de ces grandes vertus, de ces grands et beaux dévouements, de ces exemples de sacrifice poussés jusqu’à l’héroïsme, on transformerait les jeunes générations, on les pousserait à la sainteté, ce qui serait bien malheureux au dire de certaines personnes, mais ce qui serait fort heureux aux yeux des chrétiens et de l’Eglise notre mère. Je me place toujours au point de vue chrétien, et au point de vue chrétien voilà la conséquence. Eh bien! l’esprit d’initiative vous obligerait à avoir non pas toute l’instruction nécessaire pour former vos fils sur tous les points, mais l’instruction convenable pour les préparer si vous le voulez bien. C’est la question, c’est là ce qu’il faut que vous sachiez; c’est là ce qu’il faut que vous examiniez un peu attentivement afin de savoir ce que vous auriez à faire à cet égard. Et enfin, j’aurais encore beaucoup de choses à dire sur l’initiative, je passe un peu rapidement et j’arrive enfin à ce dernier élément de l’esprit de famille: c’est la responsabilité. Messieurs, je m’adresse à des pères de famille en ce moment-ci ou à ceux qui probablement le deviendront un jour parmi vous s’ils ne le sont pas encore. Eh bien! Messieurs, la formation de l’enfant implique une responsabilité. Mais cette grave question, cette terrible question: de combien d’âmes êtes-vous responsables et de combien d’âmes avez-vous voulu être responsables? C’est affreux, ceci, c’est affreux! Examinez. Et maintenant que vous soyez responsables d’une âme, de deux âmes ou d’une multitude d’enfants comme on en voit dans certaines populations, vous en êtes responsables et vous porterez au tribunal de Dieu le jugement de ces enfants et leur salut. Voilà ce qu’il faut bien vous dire si vous êtes père ou si vous devez l’être un jour; et rendez-vous compte alors du poids épouvantable qui pèse sur un père indigne de ce nom, rendez-vous compte de ce que c’est: les âmes; de l’amour que Dieu porte aux âmes. Je vous en ai quelquefois parlé déjà les jours derniers; rendez-vous compte également, Messieurs, rendez-vous compte de la malédiction qui accompagne à sa dernière demeure le père indigne de ce nom, rendez-vous compte de ces malédictions qui accablent ce père, malédictions des âmes des enfants qui ont peut-être précédé dans l’enfer ce père indigne, malédictions de la part des âmes qui ne le maudissent pas encore, mais qui le maudiront avec une haine plus envenimée lorsque, à leur tour, elles tomberont dans l’abîme, car c’est ce père qui a été la cause de leur perdition, malédictions de la part de la patrie, ou qu’il a privé de citoyens, ou à laquelle il a donné de mauvais citoyens, malédictions de la part de l’Eglise qui avait à lui réclamer des saints et à laquelle il n’a donné peut-être que des impies ou de ces indifférents qui semblent s’enfoncer dans je ne sais quelle vie brutale parce qu’ils n’ont pas le sentiment de la dignité de leur âme; malédictions de la part de Dieu dont ils ont bouleversé le plan. Pourquoi la terre, Messieurs? pour les élus, c’est un principe de faire omnia propter electos; je vous l’ai dit: il y a des damnés ou des sauvés en ce monde. Messieurs, Dieu n’a pas fait le monde pour les damnés, il n’a fait le monde que pour les élus, et ce père a contribué à ne faire que des réprouvés par la mauvaise éducation qu’il a donnée à ses enfants, par la manière sacrilège dont il a traité la grande oeuvre de la famille; malédictions de la part de Dieu; malédictions parce que Dieu dans son amour pour les âmes avait donné à certains hommes le privilège de porter le titre dont il est le plus fier envers les hommes, le titre de père, et qu’ils en ont fait une abomination. Ah! Messieurs, qu’un père, qu’un père sous le poids d’une pareille responsabilité, s’il n’a pas su accomplir ses devoirs, qu’il est à plaindre, Messieurs, et que son avenir est terrible, que terrible est son éternité. Voyez donc, voyez donc ce que nous avons, ce que vous avez à faire à cet égard; voyez donc quel retour il y a à apporter sur sa conscience, quand N.S. à la dernière cène dit: en vérité je vous le dis, l’un d’entre vous me trahira. Tout troublés les disciples dirent: numquid ego Domine? Est-ce que chacun d’entre vous, Messieurs, n’a pas à se faire cette question au fond de son âme numquid ego Domine? Mon Dieu, est-ce que moi aussi je serai un de ces pères à qui vous réservez vos malédictions. Je ne puis point le croire; j’aime même supposer que ceux d’entre vous qui sont pères ou qui le seront plus tard, sont ou seront des pères chrétiens, et alors je dis qu’après la paternité du prêtre, il n’y a rien de beau comme la paternité du père de famille. Soyez, Messieurs, si telle est votre vocation, soyez des pères de famille dans toute la sincérité du mot et dans toute la perfection où Dieu, le père par excellence, vous invite à vous élever; soyez des pères de famille; ayez le sentiment de votre dignité, soyez pères de famille apôtres des moeurs chrétiennes par vos paroles et surtout par vos exemples, par le respect que vous inspirerez parce que vous serez respectables, par le respect que vous garderez puisqu’il s’agit de l’âme d’êtres qui vous doivent ce qu’ils ont de plus cher, par l’action que vous exercerez avec une réflexion calculée, par cette action et cette vie que vous communiquerez à tous ces êtres que vous remplirez d’une vie chrétienne plus abondante et au nom de cette responsabilité terrible quand le devoir est mal rempli, mais aussi qui est la source de joies vives; car si au fond des enfers le supplice se multiplie pour le père de toutes les âmes qu’il a pu corrompre et damner, la récompense se multiplie aussi pour le père chrétien de la récompense de toutes les âmes dont il aura assuré le salut éternel et assuré aussi le sien de la même manière.

Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Notes du P. d'Alzon : D01937. Un résumé de ce discours est également conservé par DA 6, pp. 30-37 (ms d'inconnu) tandis que DA 1 fournit des notes du P. Germer-Durand.