[Cahier de sermons de 1838-1839]

Informations générales
  • TD50.052
  • [Cahier de sermons de 1838-1839]
  • [Sermon sur la] Nécessité de la Pénitence.
  • Orig.ms. BL1, pp. 1-27; T.D. 50, pp. 52-64.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 ACTE DE CREATION
    1 ACTION DE DIEU
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR-PROPRE
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 BAPTEME
    1 CAPRICE
    1 CAREME
    1 CATHOLIQUES SANS FOI
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CHOIX
    1 COMPORTEMENT
    1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CONTRITION
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CRAINTE
    1 CREANCES A PAYER
    1 CULPABILITE
    1 DEVOIRS DE L'HOMME
    1 DIEU
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 DROITS DE DIEU
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EFFORT
    1 ENFANTS DE DIEU
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 ESPECE HUMAINE
    1 ETRE HUMAIN
    1 FOI
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 GRACE
    1 GUERISON
    1 HAINE
    1 HERITAGES
    1 HYPOCRISIE
    1 ILLUSIONS
    1 IMAGINATION
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 INSENSIBILITE
    1 INTELLIGENCE
    1 JESUS-CHRIST CHEF DE L'EGLISE
    1 JESUS-CHRIST JUGE
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LACHETE
    1 LIBERTE
    1 LITURGIE
    1 LOI ANCIENNE
    1 LOI DIVINE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MEDISANCE
    1 MENSONGE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 MYSTERE
    1 NOUVEAU TESTAMENT
    1 ORGUEIL
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PARDON
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PECHES CONTRE DIEU
    1 PECHEUR
    1 PENITENCES
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PIETE
    1 PRECEPTES
    1 PREDICATION DE JESUS-CHRIST
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 RECONNAISSANCE
    1 REDEMPTION
    1 RESISTANCE A LA GRACE
    1 REVOLTE
    1 RUSE
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SALUT DES AMES
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SERMONS
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUMISSION DES SUJETS
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 THEOLOGIE
    1 VENGEANCE
    1 VERITE
    1 VETEMENT
    1 VOLONTE PROPRE
    2 BOSSUET
    2 JEAN, SAINT
    2 JEROME, SAINT
    3 JERUSALEM
    3 JUDEE
  • 1838-1839
La lettre

Poenitentiam agite.

Quel est donc le mystère que renferment ces deux mots, mes frères? faites pénitence, crie sur les bords du Jourdain le précurseur de J.-C., et c’est ainsi que le dernier et le plus grand des prophètes clôt les leçons de l’ancienne loi, et le Sauveur ouvrant la carrière évangélique fait à son tour entendre ces paroles: faites pénitence, poenitentiam agite. L’ancien et le nouveau testament semblent s’unir avant tout par ce précepte commun. Là où l’un finit, l’autre commence et c’est en prêchant la pénitence que le désiré des nations paraît au milieu des hommes. Il y a donc, mes frères, quelque chose de bien nécessaire dans ce précepte de la pénitence, quelque rude qu’il soit à la nature humaine; c’est donc pour les enfants d’Adam une inévitable obligation de ployer le front sous la loi de la pénitence. C’est donc à bon droit que me plaçant entre Jean-Baptiste et Jésus-Christ, entre le plus grand homme de la loi ancienne et l’auteur de la loi nouvelle, je viens vous dire à mon tour faites pénitence. Et pourrais-je mieux commencer ma carrière évangélique parmi vous qu’en empruntant les paroles par lesquelles le Sauveur des hommes commença la sienne dans la Judée? Oui, faites pénitence, vous dirai-je avec lui, et pour vous exciter à cette pénitence si nécessaire, je me propose de vous suggérer quelques motifs d’autant plus simples qu’ils sont plus évidents.

Je dis qu’il faut faire pénitence: 1° Parce que Dieu punit le péché.

2° parce que nous sommes pécheurs.

Haine de Dieu contre le péché.

Dégradation que nous cause le péché. Tels sont les deux motifs que je me propose de développer devant vous.

Première partie: Nécessité de la pénitence du côté de Dieu.

Qu’il faille développer devant des chrétiens des considérations aussi simples que celles que je viens vous soumettre, c’est ce qui paraîtrait assurément extraordinaire, si l’on ne se rappelait avec quelle facilité l’homme oublie les notions les plus claires de son état actuel, toutes les fois que sa mémoire est troublée par la fièvre des passions. Oui, il faut rappeler à l’homme qu’il lui faut prévenir la justice de Dieu par une expiation volontaire. Voyons donc comment Dieu punit le péché pour en conclure la nécessité de faire pénitence.

Je dis donc que Dieu punit le péché en maître, en juge, en père.

Et premièrement en maître. Que Dieu soit le souverain Seigneur, le monarque suprême de l’univers, c’est, je crois, ce qu’il est inutile d’établir. Je suis le Seigneur, s’écrie-t-il par la bouche de son prophète, et il n’y en a point d’autre devant moi. Or, il n’est souverain maître que parce qu’il est souverainement puissant. Il est de la nature de cette puissance de se faire connaître, de se faire obéir, de se faire respecter. De se faire connaître: et elle s’est manifestée par la création de l’univers et par les merveilles qu’elle y a opérées; de se faire obéir: outre ces créatures aveugles, Dieu devait manifester sa puissance en la faisant proclamer par l’obéissance libre de créatures intelligentes qu’il voulait rendre participantes de son bonheur, en échange de la gloire qu’il retirait de leur obéissance volontaire; mais par cela même que ces créatures étaient libres, elles pouvaient se révolter et refuser l’hommage commandé, il fallait alors que la puissance qui ne recevait plus un hommage qui lui était dû se manifestât en se faisant respecter, et l’intérêt de la puissance divine était de punir et de punir en Dieu. Comprenez tout d’abord cette parole de St Paul: il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, car ce Dieu n’est le principe de la vie que parce qu’il est le principe de la puissance, et que tant qu’il vivra il sera souverainement puissant. Or comme il cesserait de vivre, d’exister, s’il cessait d’être puissant, son existence s’obscurcirait aux yeux des hommes du moment que sa puissance serait méconnue; et du moment que cette puissance a été méconnue par le péché, il est nécessaire qu’elle soit proclamée authentiquement par la pénitence, et sous ce rapport la pénitence est en premier lieu un acte de foi à la puissance de Dieu outragée. Donc si vous me demandez pourquoi faut-il faire pénitence? Je vous répondrai parce que Dieu existe, et que tant qu’il existera sa puissance réclamera ses droits, et que ceux qui n’accepteront pas la pénitence que propose sa miséricorde, tomberont nécessairement dans la terrible punition qu’inflige sa justice.

Et ici il est inutile de venir m’objecter que Dieu est bon et qu’il ne peut agir avec tant de cruauté.

Je réponds d’abord avec Bossuet que c’est une manière très grossière de raisonner, de vouloir faire prévaloir en Dieu une qualité, un attribut sur un autre. Dieu est bon, sans doute, il est infiniment bon, mais aussi il est juste et infiniment juste. Mais vouloir expliquer l’union de la justice et de la miséricorde dans son sein, c’est vouloir lui ravir son secret. Nous savons qu’en lui la justice et la paix, fille de la miséricorde, se sont donné un saint baiser: Justitia et pax osculatae sunt. Mais nous savons aussi que ses voies ne sont pas nos voies, et qu’arguer de sa bonté contre sa justice c’est prouver une témérité infinie, puisque c’est raisonner sur ce qui dans son essence dépasse la portée de l’esprit humain. Qu’est-ce que cela prouve encore? Que l’on ne comprend pas, et il y a tant de choses qu’il faut se résoudre à ne jamais comprendre, qu’en vérité il n’y a qu’une chose incompréhensible comme la prétention de vouloir tout expliquer.

Je réponds en second lieu que lorsqu’un roi irrité entre par la force de ses armes dans une ville révoltée contre lui, ce n’est plus le lieu d’examiner si la révolte était permise ou non, si le châtiment qu’elle entraîne est injuste ou légitime, qu’il faut se soumettre toutes les fois que l’on peut craindre en ne se soumettant pas, un châtiment plus terrible encore. Or telle est précisément la position du pécheur vis-à-vis de son Dieu. Il s’est révolté contre son souverain et ce souverain l’a d’abord écrasé. Telle est la condition de la nature humaine. Voyez ses maux, ses douleurs, mais ce châtiment n’était qu’un commencement. Dieu maintenant dit à l’homme: choisis ou une pénitence volontaire ici-bas accompagnée du pardon et d’un bonheur éternel, ou un châtiment sans limites. Il n’y a plus à raisonner, mes frères, il faut choisir entre ces deux partis. Et toutes les objections que vous prétendrez soulever contre la justice de Dieu, dont les secrets peuvent être impénétrables à votre orgueil, n’empêcheront pas que Dieu ne soit le Seigneur tout-puissant et qu’il ne vous brise sous sa main, si vous ne prévenez ses coups. Donc, mes frères, il faut faire pénitence pour éviter les châtiments d’un Dieu qui met sa gloire et son intérêt à punir le pécheur, selon la mesure d’une puissance infinie et infiniment irritée.

Mais Dieu, dans la punition qu’il exige n’agit [pas] seulement en vertu de son pouvoir; s’il est la puissance infinie, il est aussi l’infinie sagesse, et c’est à cette sagesse, qui est la seconde personne de l’adorable Trinité, que le jugement de toutes choses est confié, Pater omne judicium dedit Filio. C’est donc aussi comme juge que le Seigneur punit le péché. Des lois ont été données aux hommes, et les hommes ont méconnu ces lois; ne cherchant qu’un bonheur matériel, ils se sont engraissés des biens de la terre, et l’oeil de leur âme s’est obscurci. Incrassati sunt, et impinguati sunt, et praeterierunt sermones meos pessime. Dieu par ses lois avait établi des rapports avec l’homme et ces rapports constituaient une société. C’était certes un grand honneur pour l’homme de faire partie de cette société divine. Mais une société ne saurait subsister sans que les lois en soient respectées; il faut donc une sanction à ces lois et un juge pour appliquer cette sanction, et ce juge c’est Dieu même. Où trouverez-vous plus d’équité, plus de justice qu’en Dieu? vous ne le pourrez pas. Mais quand cette justice est insultée par la violation des lois qu’elle a établies, elle s’irrite; aussi quand elle voit les hommes violer méchamment ses préceptes, elle s’irrite. Ecoutez-la: Numquid super his non visitabo? dicit Dominus, aut super hujuscemodi non ulciscitur anima mea? Stupor et mirabilia facta sunt in terra. Il se vengera, et le prophète le saluant de loin dans la splendeur de sa vengeance s’écrie: Exaltare qui judicas terras, redde retributionem superbis.

Mais il y a ici un intérêt plus intime, car il reste non seulement juste, mais il est la justice par excellence; c’est donc encore un intérêt d’existence pour lui qui le force à exiger une satisfaction du péché. Il faut ou que l’expiation ait lieu ou que Dieu cesse d’exister, et voici l’explication de ce serment: Vivo ego, que le Seigneur répète si souvent par la bouche de ses prophètes.

Quoi! voulez-vous qu’il voie d’un oeil impassible le mal qui se fait? Non, non. Justus Dominus.

Oui, Seigneur, vous êtes juste et vous avez aimé la justice, et c’est pourquoi cette justice réclame ses droits, et c’est pour cela aussi que nous n’avons rien à dire contre les peines portées contre le péché, car à quel tribunal appellerions-nous du vôtre, ô Juge suprême?

Vous êtes juste et nous concevons, si nous ne pouvons le comprendre, quelle peine exigerait une justice infinie. Oh! nous le savons, aucun être vivant ne peut être justifié devant vous, et c’est vous, au contraire, qui l’emporterez dans votre sentence et qui vaincrez toutes les fois que vous rendrez un arrêt divin, ut justificeris in sermonibus tuis, et vincas cum justificaris [= judicaris]. Mais encore un coup ne me serait-il pas permis de me tourner du côté de votre miséricorde? Oui, chrétiens, cela nous est permis, mais considérez avec moi quelle nécessité de faire pénitence découle de cette troisième considération. J’ai dit que Dieu punissait le péché non seulement en maître et en juge, mais encore en père. Or je le considère en même temps et comme père des chrétiens et comme père de Notre-Seigneur J.-C.

Si je le considère d’abord comme Père des chrétiens, ne trouvé-je pas dans le titre qu’il veut prendre, dans l’amour qu’il nous témoigne en nous appelant ses enfants, en nous donnant des droits à l’héritage du salut, ne trouvons-nous pas la preuve de l’intérêt qu’il nous porte, et à la considérer sous ce point de vue, la pénitence ne nous est-elle pas prescrite par lui-même dans notre intérêt? C’est notre Père, c’est le père le plus tendre, mais aussi le père le plus éclairé. Quand donc il nous dit: souffrez en faisant pénitence, ne suffit-il pas que nous nous en rapportions à son amour pour croire que les douleurs de la pénitence nous sont nécessaires? Pour nous, nous avons cru à l’amour de Dieu, nous dit saint Jean; pourquoi sur la foi de cet amour divin n’accepterions-nous pas cette loi de la pénitence?

Mais si Dieu nous propose la pénitence en bon père qui souhaite la guérison de ses enfants, n’a-t-il pas le droit de la commander lorsqu’il nous parle comme père de J.-C.?

Dieu est Père de Jésus-Christ, mais rappelez-vous de quelle manière il use de ses droits: Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret. C’est un père, mais quelles vengeances n’exercera-t-il pas sur son Fils, du moment que ce Fils a consenti à porter nos iniquités? Quoi! le Fils légitime ne sera pas épargné et les enfants d’adoption ne payeront rien de leur dette? Toute la peine retombera sur la tête de l’innocent, et les coupables n’acquitteront rien pour eux-mêmes? Pensez-vous que s’il a voulu que son Fils souffrît ça été pour nous exempter entièrement?

En livrant son fils à la mort, il nous dit: je sais que vous ne pouvez souffrir autant que lui, mais voilà votre modèle. Vous ne pouvez l’imiter entièrement, imitez-le en ce que vous pouvez. La valeur de vos expiations était trop peu de chose en compensation de ce que vous me deviez, aussi n’ai-je pas voulu vous imputer toute votre dette, mais souvenez-vous que mon fils est votre caution et que c’était à vous à payer d’abord; il satisfera pour le surplus, mais c’est vous qui êtes le premier débiteur. Et puisque le fils est votre caution, la caution n’a-t-elle pas recours contre le premier débiteur? Mais, me direz-vous, quel est alors l’effet de la bonté de Dieu dans la rédemption du genre humain? Le voici. Dieu fait pour nous tout ce que nous ne pouvons pas faire, il agit donc avec bonté. Notre pénitence seule était insuffisante, il la rend méritoire, il l’accepte. Il fait plus, il nous sollicite, il nous presse de nous donner à lui, il nous donne son propre Fils, que pouvait-il de plus? Mais prétendre que la rédemption n’a eu lieu que pour nous dispenser de faire pénitence, c’est duper Dieu.

Encore, si vous le voulez, je vous l’accorderai pour le premier pardon accordé dans le baptême, mais quand nous abusons de la grâce d’en Haut, Dieu a le droit de nous demander des preuves de notre repentir. Mais, dites-vous encore, le sang de J.-C. n’était-il donc pas suffisant pour laver toutes les souillures de la terre? Oh! si, il était plus que suffisant, mais fallait-il à cause de cela le rendre inutile en le profanant?

Je pense, mes Frères, que Dieu a bien le droit d’attendre quelque chose de la reconnaissance de ceux qu’il rachète. Eh bien, le moyen de lui témoigner cette reconnaissance, c’est de faire pénitence. La preuve en est dans ce besoin de mortification qui dévorait le coeur de tous les saints. Il vous est impossible d’aimer Dieu sans haïr son ennemi. Or l’ennemi capital de Dieu, c’est le péché, puisque le péché lui a donné la mort, et le moyen que Dieu nous a donné de détruire et d’expier le péché c’est la pénitence. Ah! si nous aimions Dieu, nous punirions en nous le péché, nous prendrions, oh! Dieu, les intérêts d’un père qui nous a payés du sang de son fils; mais nous ne l’aimons pas, c’est pourquoi nous n’avons aucune reconnaissance envers lui, aucune horreur de ce qu’il déteste. C’est pour cela que nous ne faisons pas pénitence, et que nous rendons inutile le sang de J.-C. Ah! songez-y, mes frères, l’honneur de J.-C. y est intéressé, et c’est ce même Dieu mort sur la croix pour nous qui se présente à son père et qui demande vengeance pour l’inutilité de ses efforts, et c’est l’amour irrité d’un père, témoin des sacrifices de son fils légitime et de l’ingratitude de ses fils adoptifs, qui s’élève contre le pécheur impénitent. Ah! craignons que Dieu ne se retire. Erudire, Jerusalem, ne forte recedat anima mea a te, et ponam te terram desertam et inhabitabilem. (Jer. VI).

Deuxième partie: Nécessité de la Pénitence, parce que nous sommes pécheurs.

On reconnaît bien en général que les pécheurs sont tenus à faire pénitence, la chose est trop évidente pour pouvoir la nier, et il faut cesser d’être chrétien pour contester une proposition qui est confirmée par toutes les pages des Livres saints. Mais que l’on soit ce pécheur qui a besoin de faire pénitence, c’est ce dont on a beaucoup plus de peine à convenir. Tant qu’on reste dans le vague de la théorie, on convient de tout, mais si nous essayons de descendre dans le positif de la pratique, tant s’en faut qu’il en soit de même. Pourquoi cet étrange abus, pourquoi cette inconséquence, pourquoi ces effrayantes illusions? Quoi! espérez-vous pouvoir vous cacher à Dieu même? Et parce que vous avez pu mentir à votre coeur, croyez-vous tromper celui qui est la vérité même? Oh! ne vous égarez pas, car après tout il y va de votre salut.

Ah! vous dirai-je avec le précurseur de J.-C.: Jam securis ad radicem posita est. Y songez-vous, mon frère, voilà la hache levée, l’arbre demeure du côté où il tombe. Prenez donc garde, car comme le fait observer Bossuet, la hache n’a pas seulement été levée, elle est tombée, elle a frappé un coup, ad radicem arboris posita est.

Un des crimes que Dieu déteste le plus, qu’il reproche le plus amèrement à son peuple, c’est l’aveuglement volontaire dans lequel se placent certains pécheurs. Il semble que la morale ne doive pas être ce que Dieu prescrit, mais ce que leur imagination, leur caprice et leurs passions ont réglé. Ils ont fait une loi, ils se la sont imposée, et d’après cette loi ils se sont déclarés exempts de péché, mais écoutez le Seigneur: Dixisti: absque peccato et innocens ego sum, et propterea avertatur furor tuus a me; ecce judicio contendam tecum, eo quod dixeris: non peccavi. Et ce langage, mes frères, n’est-il pas celui que nous entendons tous les jours? Mais quel grand mal ai-je donc fait? je n’ai point tué, je n’ai point volé, je suis un honnête homme selon le monde: dixisti: absque peccato et innocens ego sum. Quel besoin ai-je donc de faire pénitence? Pourquoi se soumettre à une loi fatigante, pénible, insupportable? La colère de Dieu ne peut tomber sur moi, propterea avertatur furor tuus a me. Mais écoutez la réponse du Seigneur: Ecce ego judicio contendam tecum, eo quod dixeris: non peccavi. Voilà Dieu qui descend de son trône et qui de juge devient accusateur: Ecce ego judicio contendam tecum. Sentez-vous, mes frères, la colère divine respirer dans ces paroles? Ecce ego judicio contendam. Mais quel mal ai-je donc commis? Ah! je vous plains grandement si l’aiguillon du remords s’est émoussé pour vous. Quoi! les plus grands saints se sont déclarés d’insignes pécheurs, ils étaient sans cesse frappés à la vue de leurs souillures, et vous ne voyez rien! Mais quoi! l’aveuglement du péché aurait-il donc commencé pour vous? serait-ce là le prélude des châtiments que la colère de Dieu va exercer contre vos prévarications? Les grâces commenceraient-elles à vous être retirées, la paralysie s’étendrait-elle déjà sur votre âme? Ah! si vous avez quelque sentiment encore, faites-y une sérieuse attention. Mais je vous entends. Vous avez encore un certain extérieur et vous observez les convenances; l’édifice de votre réputation est encore debout, et vous avez dans votre conduite une certaine régularité. Jérusalem aussi était debout, mes frères, et le temple du Seigneur ouvrait ses portes aux sacrificateurs. Et cependant le Seigneur s’écriait par son prophète: Nolite confidere in verbis mendacibus, dicentes: templum Domini, templum Domini, templum Domini est. Ecce vos confiditis in verbis mendacii. Parce que vous êtes catholiques, parce que vous faites partie du temple spirituel qui est l’Eglise, vous vous fiez sur votre salut. Ah! écoutez les effrayantes déclarations: Ecce vos confiditis in verbis mendacii. Paroles menteuses qui peuvent tromper les hommes, mais qui ne trompent pas Dieu.

Quoi! parce que vous portez le nom de chrétien, vous vous croyez justifié, et moi je vous dis, au contraire, que c’est à cause de cela même que votre condamnation sera plus terrible. Les grâces que vous avez reçues, se tourneront contre vous, et votre confiance menteuse sera la première cause de votre ruine: Ecce vos confiditis in verbis mendacii.

Vous dites que vous êtes chrétiens, voulez-vous que je vous prouve que vous mentez? Qu’est-ce qu’un chrétien? C’est un membre de la grande société dont Jésus-Christ est le chef. Mais une société a des lois et J.-C. a donné les siennes. Ces lois, les observez-vous? Quel est le commandement de Dieu que vous ne violez pas?

Aimez-vous le Seigneur, votre Dieu, de tout votre coeur, et ce coeur n’est-il pas l’esclave d’un autre maître, d’une autre divinité que du seul véritable Seigneur? Quels élans d’amour poussez-vous vers ce Dieu? Ah! vous vous trompez quand vous dites que vous l’aimez: Ecce vos confiditis in verbis mendacii.

Vous dites que vous êtes chrétiens, mais Dieu est la vérité même, il a défendu que l’on jure en vain par son nom, il a défendu de trahir la vérité, et que faites-vous que le sacrifier tous les jours à vos intérêts? Que faites-vous au milieu de ces basses intrigues, de ces machinations que la fourberie recouvre de son voile? Vous dites que vous êtes chrétien, et moi je vous dis que vous êtes deux fois menteur, Ecce vos confiditis in verbis mendacii.

Quel culte extérieur rendez-vous à Dieu? quelle édification présentez-vous dans les temples ou plutôt quel scandale n’y apportez-vous pas? Quel sentiment d’amour-propre, pour ne rien dire de plus, n’y préside pas à votre toilette, à votre maintien et même peut-être à vos affectations de piété! et vous croyez être chrétien. Confiance trompeuse et source de damnation? Ecce vos confiditis in verbis mendacii.

Dieu défend de faire le mal au prochain, il ordonne au contraire de l’aimer. Ah! si je soulevais en ce moment le voile qui recouvre les sentiments de votre coeur, que verrai-je? Que de haines à la place d’une affectation hypocrite d’amitié, que de désirs de vengeance, que de ressentiments! Et après tout quelles occasions de lui nuire avez-vous laissé échapper, quelles occasions de médire avez-vous évitées? Ah! vous avez médit et vous avez oublié que celui qui dit qu’il aime Dieu et hait son frère est un menteur. Ecce vos confiditis in verbis mendacii.

Que dirai-je de ces passions déplorables et honteuses qui immolent un si grand nombre de victimes? Quoi! vous élevez dans votre coeur autel contre autel, oubliant que nul ne peut servir deux maîtres et vous dites que vous êtes chrétiens. Hélas! que votre illusion est profonde: Ecce vos confiditis in verbis mendacii.

Je puis donc à juste titre vous adresser les mêmes paroles que le prophète aux enfants d’Israël, et parce que je vous trouve pécheurs, vous inviter à une sévère pénitence. Or, lorsque le prophète portait des paroles de conversion et de pénitence, Israël refusait d’écouter, ne craignant point les jugements du Seigneur, et voilà que le Seigneur prend la parole: Allez, dit-il, visiter Silo, ce lieu où mon arche a reposé pendant si longtemps, où je rendais mes oracles du haut du propitiatoire, où a habité la majesté de mon nom. Ite in domum meam in Silo, ubi habitavit nomen meum a principio. Rappelez-vous comment les crimes d’Israël y ont provoqué ma colère, et videte quae fecerim ei, propter malitiam populi mei Israël. Hé bien, continue le Seigneur, ce que j’ai fait pour punir Israël je le ferai encore. Ainsi parlait le Seigneur par son prophète. Et quelques années s’étaient à peine écoulées, et Jérusalem fut livrée aux nations, et son temple livré aux flammes, et ses enfants conduits en esclavage ou immolés par le glaive. Sur quoi saint Jérôme observe que ce que le Seigneur fit à Jérusalem, il le fait subir à son Eglise. Ite in domum meam in Silo. Ah! Seigneur, quel châtiment nous réservez-vous donc? Que nous reste-t-il à faire, mes frères, sinon de prévenir les terribles effets des vengeances de Dieu, en nous chargeant nous-mêmes de satisfaire à sa justice. Entrons donc avec courage dans la voie de la pénitence qui s’ouvre devant nous. Hélas! la colère est déjà à la racine de l’arbre, et tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. Ayons donc la force de faire de dignes fruits de pénitence: Facite ergo fructus dignos poenitentiae (êtes-vous sans péché, que la pénitence soit un préservatif). Seigneur, c’est avec un sentiment profond en notre misère que nous nous adressons à vous, et en prenant la résolution de faire pénitence, nous comprenons encore que pour payer notre dette nous avons besoin de toute votre miséricordieuse indulgence: Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam. Mon Dieu, je suis bien résolu à la commencer cette pénitence, mais seul que puis-je? Venez donc à mon aide, Seigneur, et commencez à laver mes iniquités. Et secundum multitudinem. Je compte pour le pardon sur la gloire que votre bonté retirera d’avoir pardonné un grand coupable, et le nombre de mes crimes qui me glacerait d’effroi, si j’avais à tomber sous les coups de votre justice, me rassure et me console aujourd’hui que je m’adresse à votre clémence avec la résolution de ne plus abuser de ses bienfaits. Vous me pardonnerez donc, ô mon Dieu, et vous ne permettrez pas que cette sainte quarantaine passe sans fruit pour moi. Dès ce moment je vous promets de prendre des résolutions sérieuses. Vous les bénirez, Seigneur. Fortifié par votre grâce, je saurai l’obtenir et j’y puiserai l’espérance d’un pardon qui sera lui-même le gage de votre éternelle paix.

Tandis qu’il en est temps encore, faisons pénitence. Plus tard il faudra se hâter. Qui sait si nous y serons à temps? On dit alors, comme les habitants de la Judée qui couraient vers Jérusalem pour fuir la fureur du roi de Babylone: Hélas! le jour baisse et les ombres s’étendent: Vae nobis, quia declinavit dies, et longiores factae sunt umbrae.

Notes et post-scriptum