- TD48.266
- Sermon sur la charité, Beaucaire, 29 avril 1849.
- Orig.ms. CU 29; T.D. 48, pp. 266-268.
- 1 AMOUR DE DIEU POUR SA CREATURE
1 AMOUR DIVIN
1 AVARICE
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 EGALITE
1 EGLISE
1 ENFANTS DE DIEU
1 FORTUNE
1 LIBERTE
1 MORT DE JESUS-CHRIST
1 PAUVRE
1 PAUVRETE
2 AUGUSTE, EMPEREUR
2 BOSSUET
2 MARIUS
2 PAUL, SAINT
2 PIERRE, SAINT
2 SPARTACUS
3 ROME - 29 avril 1849
- Beaucaire
Mandatum novum do vobis, ut diligatis invicem, sicut dilexi vos, ut et vos diligatis invicem.
On a tellement abusé du mot divin de la charité que ce n’est pas sans peine que je l’emploie aujourd’hui. Et pourtant quand je jette un regard sur ce qui nous entoure, je ne sais si nous pourrons être sauvés autrement que par un miracle de la charité.
Restituons donc sa notion véritable et vengeons-la de toutes les erreurs dont on a voulu la profaner. Mais faisons plus. Comme ces erreurs ont cherché à se traduire par des manifestations pratiques, examinons à quelles conséquences on est amené forcément quand on la place en dehors de la charité catholique.
[1.] Notion de la charité chrétienne.
La première idée de la charité, c’est Dieu lui-même; c’est dans le sein de Dieu qu’il faut l’aller chercher. Dieu est charité. Deus caritas. Otez l’amour en Dieu, vous en ferez le plus malheureux des êtres. Dieu s’aime de toute éternité, et c’est dans son amour qu’il puise son éternel bonheur. Les flots de cet océan sans rivage débordent et se répandent sur la création.
Dieu s’aime lui-même, il aime les oeuvres de ses mains; il les aime comme leur auteur, il les aime comme leur père.
Dieu fait plus. Son bonheur étant d’aimer, il leur donne le bonheur en leur donnant la puissance d’aimer. Qui l’homme aimera-t-il? Dieu. Diligamus ergo Deum. Mais Dieu ne veut pas cela seulement, il veut que tous s’aiment entre eux et il leur donne son Fils, qui s’est fait le frère des hommes pour nous apprendre comment un Dieu frère des hommes les aimait. Et ce Fils est mort pour les hommes. Majorem charitatem, – et, prêt à mourir, il dit: Mandatum novum do vobis.
Sur quoi? Sur l’égalité du prix vous êtes frères, tous fils du même père, tous rachetés du même sang.
Et toutefois, quand au prix que vos âmes ont coûté, vous ne l’êtes pas, vous ne le pouvez être, ni en âge, ni en force, ni en bien, ni en intelligence, ni en vertu. Dieu, d’une part, a mis en vous des distances; l’usage que vous faites de ces choses, l’emploi de votre liberté en établit d’autres. Mais, quelles que soient ces différences, elles doivent toutes concourir au bien général. Ceux qui ont plus doivent donner plus, [ceux] qui [ont] moins, moins; [ceux] qui n’ont rien doivent recevoir sans rougir. Le pauvre donne plus, il donne la prière, le plus grand bien, et quand il ne prie pas, J.-C. prie pour lui. Ne savez-vous pas que l’Eglise est appelée par Bossuet la cité des pauvres et que les riches n’y sont admis que par grâce? Voilà donc les rôles intervertis. Ce sont les pauvres qui se trouvent donner plus et les riches qui reçoivent; mais, comprenons-le bien, ceci ne se passe que dans la cité de Dieu. Oh! pauvres, que votre dignité est grande!
Mais davantage, la condition de la charité, c’est la liberté de faire ou de ne pas faire. Saint Paul crie: La charité du Christ nous presse. On a voulu étouffer ses cris, il en est résulté que chacun s’est occupé de lui. La notion de la charité s’est amoindrie. Les puissants de la terre espéraient l’aumône du mourant qui souvent n’était qu’une restitution; ils avaient compté sans la faim qui bientôt, elle aussi, allait se formuler en système. La propriété se parquait en quelque sorte, et voilà que la propriété était niée. On n’avait pas voulu des dons volontaires, la pauvreté menace de tout perdre. La lutte commence. Comment finira-t-elle, Dieu le sait. Et nous voilà déjà touchant les premières violations des lois de la charité pour [?] cet effrayant tableau.
2.
En dehors de la notion de la charité, l’humanité tout entière se partage en deux classes: ceux qui ont, ceux qui n’ont pas.
Ceux qui ont sont pressés en deux sens: ou d’accroître leur fortune ou d’en jouir. Accroître sa fortune est permis; il y a du bien là-même. Mais quand le sentiment chrétien n’est pas là, que d’horreurs dans le sacrifice de ceux qui travaillent péniblement au dieu de l’or! L’esclavage menace de reparaître. Je dirais des choses horribles, si je voulais entrer dans les détails. Que de haines s’accumulent! Vous démoralisez et vous excitez la convoitise par l’exemple de la vôtre. Tremblez pour votre avenir.
Ou [bien] ils veulent jouir. Spectacle du luxe, quelle insulte pour la pauvreté! Et le pauvre est témoin de ces choses. Voilà pour ceux qui ont!
Enfin, et toujours en dehors de l’esprit chrétien, ceux qui n’ont pas rugissent. Croyez-vous qu’eux aussi n’aient pas de désirs? Quelle rage quand ils sont impuissants à satisfaire les plus rudes nécessités!
Croyez-vous qu’ils n’aient pas de passions? Et alors comprenez quelle guerre s’allumera. Les pauvres espèrent vaincre, parce qu’ils sont les plus nombreux. Ils se trompent. Quand Spartacus brisa ses fers et arma ses compagnons d’esclavage des glaives des gladiateurs, Rome se troubla un instant et fit bientôt bon marché de ces révoltés. Mais déjà les listes de Marius étaient ouvertes, et elles ne furent fermées que quand les successeurs de Pierre eurent chassé de Rome les successeurs d’Auguste.
Quel remède? La charité, qui s’adresse au pauvre d’abord; – c’est à lui que Jésus venant en ce monde a parlé le premier, puis au riche; – au pauvre qu’elle relève par la foi et l’espérance jusques à Dieu; au riche à qui elle commande, en les lui laissant, d’user librement de ses biens pour ses frères en J.-C., et pour soulager toutes les misères.
Mais, isolée, la charité est impuissante.