- TD48.164
- [Panégyriques]
- PANEGYRIQUE DE SAINT VINCENT DE PAUL
- Orig.ms. CU 8; T.D. 48, pp. 164-168.
- 1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 CLERGE
1 EPISCOPAT
1 PRETRE
1 SAINTS
1 VERTUS SACERDOTALES
2 BERULLE, PIERRE DE
2 BOURDOISE, ADRIEN
2 CHARLES BORROMEE, SAINT
2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
2 OLIER, JEAN-JACQUES
2 PORTAIL, ANTOINE
2 VINCENT DE PAUL, SAINT
3 BARBARIE
3 FRANCE
3 MILAN
3 PARIS
3 PYRENEES
3 ROME
3 SAVOIE - 1836-1839
Pauperes evangelizantur, et beatus est qui non fuerit scandalisatus in me.
S’il eût été donné au glorieux saint, dont j’entreprends de vous parler en ce jour, de contempler à travers les siècles les honneurs dont il devait être l’objet, de la part des hommes qui d’une main lui dressaient des statues et de l’autre renversaient les autels du Dieu qui l’éleva à des vertus si étonnantes, je ne doute pas, mes frères, qu’il n’eût considéré ces honneurs sacrilèges comme la plus terrible des épreuves, par lesquelles il plut à la providence de le faire passer pendant sa longue carrière. Oui, son âme eût frémi en pensant à ces paroles du Sauveur: Le serviteur n’est pas plus que le maître, et, glacé d’épouvante à la vue des jugements divins, il se fût demandé si sa portion devait être avec ces hommes, dont on le force de partager [?] l’apothéose.
Cette douleur qui eût percé sa grande âme, c’est à nous qu’elle est réservée. On semble nous dire que Vincent de Paul ne nous appartient point, et que son amour des hommes le place hors du catholicisme, parmi ceux qu’on est convenu d’appeler les bienfaiteurs de l’humanité. J’entreprends aujourd’hui de le venger de cette injure. Je veux dépouiller son front de la couronne des philanthropes pour y replacer l’auréole des saints. Je veux montrer que ce qu’a fait Vincent de Paul, il ne le fit que parce qu’il fut prêtre; et je suis heureux de développer ma pensée devant un auditoire que les circonstances ont disposé à entrer avec moi dans des considérations puisées dans un ordre différent de celui que nous sommes souvent obligés d’adopter.
Je pourrais tracer ici des tableaux tels que l’imaginent des âmes, et je serais dans le vrai. Je veux quelque chose de mieux, je veux parler à votre foi et vous montrer le modèle des prêtres dans Vincent de Paul. Je veux vous faire connaître par la vie de ce saint prêtre ce qu’est le sacerdoce, afin de vous apprendre à le respecter. Je considérerai donc Vincent de Paul comme prêtre et j’essaierai de vous dire ce qu’il fut pour Dieu, ce qu’il fut pour ses frères. Voilà tout mon dessein.
Première partie.
Que l’Eglise du Seigneur, et en particulier l’Eglise de France, eût reçu de profondes blessures, c’est ce que personne ne conteste. Mais Dieu qui met sa gloire à tirer le mal du bien, sut, après avoir éprouvé ses enfants par des châtiments sévères, les consoler en faisant refleurir au milieu des dévastations de l’hérésie les plus belles vertus. Pendant le siècle qui suivit la Réforme, nous comptons plus de soixante saints placés sur les autels. Saint Vincent de Paul devait fermer cette brillante légion que le Seigneur suscitait pour l’opposer aux attaques de l’ennemi. Vincent de Paul devait avoir la mission spéciale de rendre à l’Eglise de France son antique beauté. C’est surtout par la réforme du clergé qu’il accomplira l’oeuvre, dont il est chargé. Lui-même il sera prêtre. Mais c’est ici que commence la série de prodiges que j’ai à vous révéler.
Depuis longtemps les mêmes classes qui semblaient en possession de fournir des généraux aux armées, des magistrats aux premiers tribunaux du royaume, semblaient avoir le privilège exclusif de fournir des pontifes à l’Eglise de France, et l’ordre naturel semblait exiger que l’impulsion de la réforme commençât par ceux qui étaient les plus haut placés. Eh bien, il n’en sera pas ainsi, au moins pour la France; et tandis que Charles Borromée à Milan, François de Sales en Savoie feront des oeuvres merveilleuses dans le même but, la glorieuse Eglise de France, trop fière peut-être de l’éclat extérieur qui l’entourait, apprendra que les desseins de Dieu ne sont pas les desseins des hommes. Voyez-vous dans un obscur vallon des Pyrénées un enfant ramenant le soir un petit troupeau dans une pauvre chaumière: ses vêtements sont grossiers, et pour subvenir à sa nourriture, il a été quelquefois réduit à mendier sur le chemin quelques débris des provisions tombées des convois des armées françaises. Voilà le réformateur du clergé français; voilà celui qui, pendant près d’un demi-siècle, tiendra entre ses mains le choix de ceux qu’il jugera dignes d’être promus à l’épiscopat et qui, sans égard pour les protections extérieures, pèsera pour ce redoutable fardeau les mérites de ceux qu’il croira devoir appeler à la balance du sanctuaire; voilà celui qui de concert avec les Bérulle, les Bourdoise, les Olier, rendra à notre Eglise de France son antique splendeur.
Suivez-le dans l’obscurité, où il se cache pour se préparer au sacerdoce, voyez-le jeté par la tempête sur les côtes de Barbarie, souffrir trois ans dans le plus dur esclavage. Mais quoi, Seigneur, le temps s’écoule et votre serviteur ne peut accomplir les desseins que vous avez sur lui. Rassurez-vous, mes frères, les voies de Dieu sont autres que les voies des hommes. Vincent est prêtre, et prêtre dans les fers, il convertira son maître, et, vainqueur par la foi de celui qui le tenait captif, il fuira avec lui les terres de l’esclavage et de l’erreur. Le maître brisera pour Vincent les chaînes du corps, Vincent brisera pour son maître les chaînes de son âme.
Le premier usage qu’il fait de cette liberté, qui lui est rendue, est pour aller au tombeau des Apôtres retremper sa foi en la miséricorde divine; puis, il partira pour Paris, afin d’accomplir sa grande mission. Mais croyez-vous, mes frères, qu’il ait le sentiment de ce qu’il va faire? Ah! gardez-vous de le croire. La foi rend tout possible, mais la foi est un flambeau qui avant tout éclaire l’homme sur son néant et sa misère. Et qui en fut plus convaincu que M. Vincent? Ecoutez-le, dans un âge avancé, s’adressant à la communauté des prêtres de Saint-Lazare. « Ayons confiance, Messieurs et mes frères, leur disait-il, mais ayons-la entière et parfaite, et tenons pour assuré qu’ayant commencé son oeuvre en nous, il l’achèvera. Car, je vous demande, qui est-ce qui a établi la Compagnie? Est-ce moi? Nullement. Est-ce M. Portail, que Dieu a joint à moi dès le commencement? Point du tout; car nous n’y pensions point; nous n’en avions aucun dessein. Et qui est-ce donc qui est l’auteur de tout cela? C’est Dieu, c’est sa providence paternelle et sa pure bonté ».
C’est qu’en effet le prêtre considéré par rapport à Dieu n’est qu’un pur instrument. Le prêtre qui veut se considérer comme autre chose qu’un instrument s’expose à agir de lui-même; il fait son oeuvre, il ne fait plus l’oeuvre de Dieu. Combien fut différente la conduite de Vincent. Uni à Dieu en tout par la foi la plus vive, par la confiance la plus entière; s’efforçant, selon ses propres expressions, de côtoyer sans cesse la Providence, il ne la tentait point, mais aussi inaccessible aux craintes de la nature humaine, dès qu’il avait entrepris une oeuvre, rien n’était capable de le faire reculer. A une époque où les séminaires n’étaient pas encore ouverts, lui ouvrait la science aux aspirants au sanctuaire.
Nous mettrons la clé sous la porte.
C’était donc Dieu qui agissait et qu’il s’appliquait toujours à mettre en avant, si je puis me servir de cette expression: disposition qui impliquait une abnégation absolue de l’amour-propre, une parfaite humilité. Oh! qui peut dire les bénédictions qu’attire celui qui s’oublie pour manifester l’action de Dieu? Et voilà la perfection du prêtre qui doit constamment s’oublier, ne se comptant pour rien et fuyant toujours, autant qu’il est en lui, les moyens humains, fuyant sa propre gloire, aimant les opprobres. Aussi quels efforts ne faisait-il pas pour s’enfoncer cette vertu dans le coeur. Pendant quarante ans il médite sur l’humilité, et l’on peut dire que les pieux excès auxquels il se livra sur ce point ne peuvent être expliqués que par un sentiment surnaturel. Ce mépris de lui-même lui faisait comprendre la nécessité de se purifier par une sérieuse mortification. On ne croira jamais ce qu’il fit à cet égard. Mais ce qu’il savait surtout, c’est que le prêtre, instrument entre les mains de Dieu, est cependant puissant sur le Tout-Puissant par la prière.
C’est là que dans le secret de son coeur il traitait des oeuvres qui lui étaient confiées. Quel respect dans l’oraison! Quelle attention à la messe! J’ai parlé de la messe. Que dire de son amour pour l’adorable victime qui y est immolée, de son désir de l’imiter et de reproduire en lui tous les traits qui la caractérisent? Quelle soif pour la gloire de Dieu! [Caetera desiderantur.]