- TD43.045
- CONVERSATIONS [A ROME]
- [Chez le cardinal Micara, le 14 novembre]
- Orig.ms. BJ 1; T.D. 43, pp. 45-47.
- 1 ATHEISME
1 DIEU
1 EGLISE
1 FOI
1 FONDEMENTS DE LA THEOLOGIE
1 GOUVERNEMENT
1 MAGISTERE
1 PEUPLE
1 PREDICATION
1 VERTU D'OBEISSANCE
2 BAUTAIN, LOUIS
2 GREGOIRE XVI
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 LE PAPPE DE TREVERN, JEAN-FRANCOIS
2 MICARA, LODOVICO - 14 novembre 1834
- Rome
14 novembre. Micara.
M[oi]. L’évêque de Strasbourg vient de publier une lettre pastorale contre M. Bautain, lettre qui est vraiment impayable. Si l’on ne savait pas que M. l’évêque de Strasbourg est l’adversaire de M. de la M[ennais], on croirait qu’il ne condamne M. Bautain que pour montrer combien peu le blâme du Pape atteint le système philosophique de M. de la M[ennais]. M. Bautain prétend qu’on ne peut avoir l’idée de Dieu sans la foi, ce qui me paraît entièrement faux. La croyance en Dieu n’est pas, que je sache, un article de foi.
M[icara]. Vous avez raison, puisque nous croyons à l’Eglise, parce que nous croyons que c’est par elle que Dieu nous parle. Cela seul est de foi qui est enseigné par l’Eglise. Or l’Eglise n’enseigne point la croyance en Dieu, elle la suppose. Remarquez que je parle de Dieu comme première vérité, principe de toutes choses; car ensuite, pour ce qui a rapport à la nature de Dieu, l’Eglise a le droit de décider [= désigner] les erreurs qui peuvent en corrompre la notion…
En dernière analyse, ce qu’il faut enseigner aux peuples, c’est l’amour de l’ordre, c’est la soumission. Il faut dire aux particuliers: Vous vous plaignez du gouvernement. Ou il est bon ou il est mauvais. S’il est bon, vous devez le respecter comme le ministre de Dieu pour le bien; s’il est mauvais, vous devez le subir, comme l’on subit la fièvre. La fièvre est un châtiment de Dieu envoyé à l’individu, un mauvais gouvernement est un châtiment de Dieu envoyé à la société.
M[oi]. Vous m’aviez promis, Eminence, de me donner vos idées sur la manière de prêcher dans les temps actuels.
M[icara]. Je vous avais promis de vous donner mes idées sur la manière de prêcher aux incrédules. Quoi qu’il en soit, voici quelques observations. On est incrédule pour mille raisons. On est incrédule, parce que la loi chrétienne impose certaines privations. On est incrédule, parce que la loi de Dieu a un sixième commandement. On est incrédule, parce que la loi de Dieu défend de voler et de tuer. On est incrédule, en un mot, parce qu’au dogme se trouve réunie la morale; car si la morale se retranchait du système religieux, demain tout l’univers serait catholique. D’autres, disent-ils, sont incrédules, parce qu’ils redoutent l’influence du Pape. Enfin, les causes d’incrédulité sont infinies, et il est impossible d’attaquer les incrédules les uns après les autres.
Car si l’on prend cette méthode, on court risque de ne parler que pour un très petit nombre d’auditeurs et il faut parler pour l’auditoire entier. Encore faut-il dire que les incrédules ne pensent pas toujours la même chose. Un jour ils penseront d’une façon, un autre jour d’une autre façon, et toujours changeant, toujours variant, il est impossible de les saisir sur leur champ de bataille. Il suffit de leur faire voir leurs contradictions. Après cela il faut [les] laisser se confondre eux-mêmes dans leurs luttes intestines. Une autre réflexion, c’est que j’ai entendu des prédicateurs s’emporter avec fureur contre les incrédules. Ces hommes faisaient beaucoup de mal. Car de deux choses l’une: ou il y avait des incrédules dans leur auditoire, ou il n’y en avait pas. S’il n’y en avait pas, à quoi bon prêcher contre des gens qui ne vous écoutent pas, avec des invectives qui ne persuadent pas votre auditoire. Ou ces incrédules vous écoutent, et au lieu de les attirer, vous les éloignez. Tout ce que vous direz ne fera que les confirmer dans leur incrédulité, que leur inspirer de la haine contre la religion qui les repousse par votre organe, ou contre les ministres de cette religion, par qui ils sont repoussés quand ils viennent vers eux.
Troisième observation. Il n’est pas toujours prudent de donner des preuves des mystères, car le peuple, pour la plupart du temps, ne les comprendra pas: ils doivent reposer sur la grande autorité de l’Eglise. La raison n’a que faire dans ce qui concerne la foi. Voici donc comment je voudrais m’y prendre. Je voudrais envisager la nature humaine et montrer comment la religion est nécessaire à cette nature, comment les premières vérités religieuses sont naturelles à tous les hommes, et comment aussi la religion a de profondes racines dans le coeur humain, comment elle satisfait les devoirs de l’homme, comment elle le rend heureux, comment elle est ce bien que tant d’âmes désirent sans le connaître, comment elle est le but de l’espérance de l’humanité, comment elle explique le mystère de la vie. Alors la prédication est quelque chose de vivant et n’est pas morte comme tant de sermons que j’ai entendus. Le peuple correspond à toutes les vérités, quand vous les lui présentez ainsi; il les trouve au fond de lui ou plutôt il les trouve conformes à sa nature; il les aime, il se convertit.
Voilà quelques-unes de mes idées sur la prédication, voilà comment je comprends que l’on peut faire du bien.