- TD42.202
- [Sermon] SUR LA VERITE
- *Première partie* [Ce qu'est la vérité pour l'Eglise]
- Orig.ms. CP 132; T.D. 42, pp. 202-208.
- 1 ASSOCIATION
1 AUTORITE DIVINE
1 BIENS
1 CHRETIEN
1 DEFENSE DE L'EGLISE
1 DIEU
1 DIEU LE FILS
1 EGLISE
1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
1 FAMILLE
1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
1 INTELLIGENCE
1 LIBERTE
1 LOI DIVINE
1 LOI HUMAINE
1 MENSONGE
1 PARENTE
1 PATRIE
1 SENS DE L'HONNEUR
1 SOCIETE
1 VERITE
2 JEAN, SAINT - 1838-1839
Toute association d’hommes est fondée sur certains biens, certains avantages, certains droits, sans lesquels l’association est affaiblie ou même cesse d’exister. Ainsi la famille; ainsi la société civile. Eh bien, je ne crains pas d’avancer ce que ces biens, ces avantages, ces droits communs sont pour la famille et pour la société, la vérité l’est pour l’Eglise catholique. De telle sorte que l’Eglise, en tant qu’Eglise, cesse d’exister, si ses enfants ne sont pas rendus participants de la vérité, comme la famille et la société s’affaiblissent et meurent, si leurs membres ne participent pas à certains biens, avantages ou droits communs. Je vais m’expliquer.
Le premier bien de la famille, c’est le lien du sang. Par lui s’établit l’autorité, l’unité, l’égalité. Par lui le père s’attache à celle par qui il exerce un si étonnant pouvoir; par lui la mère sent se former au fond de ses entrailles un amour, qu’aucun amour n’égalera, envers l’être qu’elle va présenter à la terre; par lui le fils est comme forcé d’aimer ceux qui lui communiquent une portion de leur être. Voyez ces enfants nombreux entourer leur père et leur mère. Portés par le même sein, le même sang circule dans leurs veines, et la vie qui s’est épanchée par les mêmes canaux donne à leur coeur les mêmes battements. L’existence qui leur a été transmise, se partageait en quelque sorte, à mesure qu’un nouveau fils naissait; mais tous ces ruisseaux divers sentaient bien qu’en remontant leurs cours ils s’unissaient dans une même source. C’était, si vous voulez une autre image, comme les branches d’un bel arbre s’élançant d’un même tronc. La cause de l’union de tous ces frères se trouve dans l’union du père et de la mère, qu’ils confondent dans leur amour, et tous ces membres réunis par la même origine sentent entre eux, sous la même autorité, une égalité de nature qui constitue la raison la plus forte de l’égalité de leurs droits.
Eh bien, ce lien du sang avec son triple résultat d’autorité, d’unité, d’égalité, je le trouve par la vérité dans l’Eglise. Si je remontais dans le sein de Dieu pour lui demander ce que c’est que la vérité, je verrais que la vérité est le premier acte réellement divin, puisque la vérité c’est le fils de Dieu même. De par qui Dieu manifeste-t-il plus sa puissance que par l’éternelle génération d’un fils qui est Dieu; l’unité, puisque de l’éternelle puissance unie à l’éternelle vérité découle, comme un lien divin d’unité, l’amour qui est Dieu; l’égalité, car le Fils est égal au Père en toutes choses, comme l’amour qui procède du Père et du Fils.
Mais descendons sur la terre. Et ici je n’ai qu’un embarras, c’est la multitude des points de vue, par où je vous présenterai cette pensée. Arrêtons-nous à ceci et disons que la vérité est le sang par lequel le chrétien qui le reçoit, reçoit la vie même de Dieu, de la manière la plus profonde et la plus vraie; et pour que vous ne disiez pas que je me hasarde sans preuve divine dans une matière aussi haute, pesez, si vous le pouvez, toute la force de ces paroles de saint Jean: Ceux qui ont reçu le Verbe qui est la vérité, il leur a donné d’être les enfants de Dieu. Quotquot autem receperunt eum, dedit eis potestatem filios Dei fieri. Ici les mystères de la nature ne sont plus rien; c’est Dieu avec sa volonté et sa toute-puissance qui donne une nouvelle naissance aux hommes par la vérité, – et c’est pourquoi le Verbe se fera chair; – de la manière la plus haute en Jésus-Christ, – mais le Verbe se fera chair aussi dans tous les chrétiens, membres et frères de Jésus-Christ.
En vertu de quoi Dieu commande-t-il dans l’Eglise? Par la puissance de la vérité qu’il a donnée, qu’il a transmise. Avec quoi l’unira-t-il? N’est-ce pas dans l’unité de la vérité, en qui sont toutes choses? Omnia in ipso constant. Et vous ne demanderez pas, je pense, le principe de l’égalité dans l’Eglise. La vérité étant Dieu même, toute intelligence pouvant participer à la vérité, où sera possible l’égalité? Je vous le demande. En Jésus-Christ il n’y a ni Scythe, ni Grec, ni…; mais tous sont égaux en Jésus-Christ, l’éternelle vérité qui se répand sans cesse dans les âmes.
Je vous entends, mes frères, me dire que je confonds la vérité substantielle, qui est Dieu, avec les vérités mises à la portée des hommes et qui ne sont qu’une ombre de la réalité. Nullement; mais je devais d’abord vous montrer l’action de la vérité comme dans son principe. Parlerons-nous de l’enseignement de la vérité? Eh bien, mes frères, au nom de quoi l’Eglise commande-t-elle? N’est-ce pas au nom de la vérité? Le titre de son autorité n’est-ce pas la vérité? A qui commande-t-elle? A des intelligences. Et par quel moyen arrive-t-elle à ces intelligences? N’est-ce pas par la transmission de la vérité?
Le caractère de la vérité, n’est-ce pas d’être une, et les intelligences participant à la même vérité ne se grouperont-elles pas dans la même unité? L’enseignement ne se trouve-t-il pas le même pour tous, et la même foi n’est-elle pas obligatoire pour tous? Son niveau divin ne courbe-t-il pas toutes les têtes?
La vérité est l’aliment de l’âme.
Mais la famille, unie par les liens du sang, a besoin de moyens d’existence, et le second des biens nécessaires à la famille, c’est le patrimoine. Ce patrimoine, que sera-t-il? Vraiment je suis embarrassé pour vous le dire. Depuis le lait que la mère tire de son sein jusqu’au pain que le père, plus tard, sera chargé de fournir; depuis la chaumière du pauvre jusqu’au palais du monarque; depuis le coin de terre le plus étroit jusqu’au domaine le plus vaste; depuis l’humble salaire que le riche donne à regret à l’artisan jusqu’aux besoins entassés par l’habileté industrielle, tout cela se partage, tout cela forme un fond commun auquel tous, même ceux qui n’ont rien fait pour l’acquérir ou le conserver, ont droit. Tous, et les plus faibles surtout, viennent y puiser. Et la famille ne se divisera que lorsque les jeunes membres ayant grandi, la mort frappera le chef ou lorsque, par l’effet de l’indigence le patrimoine étant épuisé, chacun sera forcé d’aller chercher, de son côté, ses moyens d’exister.
Eh bien, la vérité est le patrimoine de l’Eglise. Cette mère le donne comme un lait à ses plus jeunes enfants; elle le proportionne aux intelligences les plus avancées, elle a pour elles d’inépuisables trésors. Mais remarquons d’abord que la vérité peut se partager sans crainte de diminution; elle vient tout entière chez tous, et tous la possèdent également. Elle apaise toute faim de l’intelligence et n’en est pas absorbée. Toujours elle est prête à enrichir ceux qui s’adressent à elle, toujours elle leur apporte de nouveaux biens, et c’est pour cela que ceux qui s’attachent le plus à la vérité s’attachent plus à l’Eglise, à mesure qu’ils la connaissent mieux.
La vérité étant toujours la même groupe toujours les intelligences autour d’elle. Moyen de conservation pour l’Eglise.
La famille a droit à certaine propriété, l’Eglise aussi, et la propriété de l’Eglise c’est la vérité.
De quoi vivent les intelligences? D’idées: d’idées fausses ou d’idées vraies. Si c’est d’idées vraies, l’Eglise les leur donne, et la preuve qu’elles sont vraies, c’est qu’elles nourrissent.
Le troisième bien de la famille, c’est l’honneur. Il y a une certaine solidarité entre les membres de la famille, qui fait que quand un membre s’est honoré, l’éclat en rejaillit sur tous ceux qui sont de près ou de loin ses frères; que lorsqu’un membre se déshonore, tous ceux qui lui touchent de près le sentent une flétrissure. Je sais bien que ce sentiment s’éteint tous les jours, mais il n’en est pas moins dans la nature.
Eh bien, l’honneur de l’Eglise, c’est la vérité; c’est de se montrer vraie, la seule vraie, et c’est par où il faut montrer quelle obligation c’est pour les chrétiens de prouver la vérité de la religion. Comment? Par la profession qu’ils doivent en faire devant tous et sans respect humain. L’homme qui rougit de sa famille est un homme méprisable. Le chrétien qui rougit de l’Eglise l’est plus encore. Et de quoi peut-il rougir, sinon de sa vérité; car s’il la croit vraie, il doit en être fier. Il ne peut en rougir que s’il craint qu’elle ne soit fausse. Vous n’en rougirez plus, chrétiens; vous vous attacherez à elle, vous la défendrez, vous la protégerez contre toute attaque et vous la glorifierez, comme sa vérité vous glorifiera. La vérité, splendeur de la gloire de Dieu, sera la splendeur de l’Eglise qu’elle illuminera, et sera aussi la splendeur du chrétien qui ne demande qu’à se soumettre à ses divins enseignements.
La vérité est à la religion ce qu’est la loi à la société civile. Toute société subsiste, parce qu’elle repose sur certains principes fondamentaux, que l’on appelle lois fondamentales; et quand ces principes sont contestés, l’état chancelle sur ses bases. Dans la société religieuse, il faut qu’il y ait certains principes, et ces principes sont immuables. Voilà pourquoi l’Eglise ne saurait périr. On peut bien l’ébranler, mais aucun effort ne renversera le roc sur lequel elle repose. Mais des lois fondamentales de tout Etat il en découle d’autres, dont l’application est de tous les instants. Il en est de même dans l’Eglise. A côté de ces grandes vérités fondamentales, à côté du dogme se trouve la morale, dont les racines plongent à la fois dans la nature de Dieu et de l’homme, pour exprimer les rapports de la créature avec son auteur. Or, si la loi donne plus de stabilité à l’Etat, à mesure qu’elle-même est plus stable, quelle stabilité l’éternelle vérité, manifestée par la loi religieuse, ne donnera-t-elle pas à l’Eglise? Or la loi de Dieu, c’est la vérité même. Lex tua veritas. Donc tant que Dieu sera la vérité et que de cette vérité infinie découleront les vérités morales que renferme la loi religieuse, cette loi portera en elle comme un cachet de divinité; et cette loi divine, parce qu’elle est l’application de la divine vérité, unira entre eux les membres du grand tout et leur communiquant un même esprit les poussera, par les mêmes moyens, vers le même but qui est l’éternité.
Quelle différence, je vous le demande, mes frères, entre cette vérité qui est Dieu et qui se manifeste dans ses rapports avec les hommes, dans sa vie et sa fécondité, et les opinions humaines que l’on appelle vérités relatives, qui naissent le matin, meurent le soir et ne laissent après elles aucun vestige, pour ainsi dire.
La vérité, principe de la loi religieuse, loi religieuse elle-même, est encore le plus excellent principe de toute liberté. Ce n’est pas moi qui le dis, mes frères, c’est Jésus-Christ lui-même, lorsque s’adressant aux Juifs il leur déclare que le péché les a faits esclaves, mais que la vérité les rendra libres: et veritas liberabit vos. Voilà le prix de la vérité: elle donne la liberté, et comment? Remarquez que le père du mensonge, de qui il est dit qu’il ne demeure pas dans la vérité, in veritate non stetit, remarquez, dis-je, que celui-là est encore appelé homicide dès le commencement. Eh bien, celui qui ne reste pas dans la vérité, celui-là cherche à faire des esclaves par le mensonge; et tout homme qui est dans l’erreur est dans un rapport faux et son intelligence n’est pas libre. C’est pourquoi il ne reviendra à la liberté que lorsqu’il sera dans la vérité, qu’il ne dépendra que de celui-là seul de qui il relève. Accumulez tant que vous le voudrez des titres mensongers, vous n’en ferez pas moins que la liberté ne découle que de la vérité, et que celui qui ne s’attache pas à la vérité est esclave ou du mensonge de l’erreur ou du mensonge de ses passions.
La liberté ne se trouvera que dans la vérité, et plus la possession de la vérité sera grande, plus la liberté sera grande aussi. Je parle ici avant tout de la liberté morale; mais que n’aurais-je pas à dire, si je voulais parler de l’autre liberté?
Enfin, toute société offre à ses membres la patrie. Qu’est-ce que la patrie? C’est le lieu de naissance, le théâtre du premier développement, le sanctuaire des souvenirs. La patrie, c’est la loi, c’est la famille, c’est l’air que l’on a toujours respiré, les nuages et le soleil, le champ que l’on a cultivé, les lieux où l’on aime, où l’on a souffert, où le bonheur nous a visité; le lieu qui a reçu notre premier soupir, qui recevra le dernier.
Eh bien, la patrie du chrétien, c’est la liberté. Par la vérité le chrétien a un père qui est Dieu; par la vérité le chrétien a un frère qui est Jésus-Christ, des frères qui sont tous les hommes; par la vérité le chrétien a un champ que son intelligence cultivera; par la vérité il a la gloire, il a des lois, il a la liberté. Et si tout cela ne forme pas la patrie, je ne sais ce que c’est que la patrie. Mais c’est quelque chose de plus: c’est le lieu où l’on se repose, le lieu où l’on est heureux. Le lieu où l’on est heureux n’est pas sur la terre, il est là-haut. Or quel repos là-haut? N’est-ce pas la claire vision? Le bonheur découle donc de la vérité, lumière de Dieu même, en qui il est donné de voir la lumière faite pour l’oeil de l’homme: in lumine tuo videbimus lumen.