- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
- INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
XIII
[LA CONVERSION DE SAINT PAUL. ACTES, IX, 1-30.] - Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 280-291.
- BR 2-3
- 1 CONVERSIONS
1 ENERGIE
1 PERSECUTIONS
1 TOLERANCE
2 ANANIE
2 BARNABE, SAINT
2 BENJAMIN
2 ELIE, PROPHETE
2 ETIENNE, SAINT
2 GUIZOT, FRANCOIS
2 JACOB
2 JEAN, SAINT
2 PAUL, SAINT
2 RENAN, ERNEST
3 DAMAS
3 JERUSALEM - Collégiens de Nîmes
- 17 mars 1868.
- Nîmes
Nous avons à voir aujourd’hui la conversion de saint Paul qui vient après la conversion de l’eunuque.
Permettez-moi tout d’abord de vous faire remarquer un rapport entre Benjamin et saint Paul. Benjamin était le dernier fils de Jacob, et saint Paul était le dernier apôtre; de plus, saint Paul était réellement de la tribu de Benjamin. Or, Jacob, sur son lit de mort, prédisant à chacun de ses fils les destinées de sa race, dit à Benjamin: « Benjamin lupus rapax, mane comedet praedam, et vespere dividet spolia: Benjamin, loup ravisseur; le matin il dévorera la proie, et le soir il partagera les dépouilles. » (Gen. XLIX, 27.) Ces paroles ont été appliquées à saint Paul lui-même par tous les Pères de l’Eglise. Qui mérita, en effet, plus que lui cette qualification, lupus rapax, lui qui avait été si ardent persécuteur de l’Eglise de Dieu, ennemi acharné des chrétiens, et comme il s’appelle lui-même, blasphémateur, blasphémus fui? Et cependant, ce loup ravisseur, qui le matin, dévorait sa proie, apportait le soir, à l’Eglise des dépouilles immenses, c’est-à-dire toutes les nations qu’il convertissait à la foi de Jésus-Christ.
M. Guizot, qui se croit un grand homme en tout, mais qui a tort de se croire un grand homme en religion, fait cette réflexion que les chrétiens ont toujours été persécutés ou persécuteurs. Quant à moi, je ne vois pas qu’il y ait grande honte à être persécuté par le diable, et celui-ci ne serait pas véritablement le diable s’il ne cherchait en toute occasion à nuire aux saints de Dieu. Ce n’est pas sans doute l’avis de ces gens qui, avec M. Guizot, réclament une liberté absolue. Ah! s’ils ne réclamaient qu’une liberté relative, nous serions d’accord; moi non plus, je ne repousse pas cette liberté; mais la liberté absolue à laquelle ils prétendent, c’est l’indifférence. Le prophète Elie avait certainement en vue ces sortes de gens, lorsqu’il disait: « Usquequo claudicatis in duas partes: Jusqu’à quand boiterez-vous des deux côtés? » (III Reg. XVIII, 21.) Si Dieu est Dieu, suivez Dieu et non pas Baal, et ne prétendez pas servir l’un et l’autre. Mais vous ne croyez ni à Dieu ni à Baal, ou, selon l’expression familière, vous ne croyez ni à Dieu ni à diable.
« Saulus autem adhuc spirans minarum et caedis in discipulos Domini: Or, Saul respirait menace et meurtre contre les disciples du Seigneur. » Voilà donc en quelque sorte Saul qui se fait capitaine des zouaves contre les disciples du Seigneur; il va demander des lettres au prince des prêtres pour aller à Damas s’emparer des chrétiens, hommes et femmes, qu’il y trouverait et les conduire prisonniers à Jérusalem. Ainsi, quoique persécuteur, il agit franchement, et l’énergie qu’il déploiera plus tard au service de Dieu, il la déploie maintenant contre les serviteurs de Dieu.
Comme il était sur le chemin de Damas, une lumière venue du ciel l’entoura tout d’un coup et, ayant été jeté à terre il entendait une voix qui lui disait: « Saule, Saule, quid me persequeris? Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? » En effet, quiconque persécute les membres de Jésus-Christ persécute Jésus-Christ lui-même. S’il se trouvait dans cette maison un de ces élèves qui cherchent à corrompre les autres, ah! qu’il entende la voix de Notre-Seigneur: « Pourquoi m’enlèves-tu cette âme innocente? Que t’ai-je fait pour me ravir ce que j’ai racheté de mon sang, pour entraîner au mal cette âme créée pour me servir? » Paul, entendant cette voix, s’écria: « Qui êtes-vous, Seigneur? » Et la voix répondit: « Je suis Jésus que tu pérsécutes, il t’est dur de regimber contre l’aiguillon, durum est tibi contra stimulum calcitrare. Alors Saul, tout tremblant de frayeur, dit: « Seigneur, que voulez-vous que je fasse? Domine, quid me vis facis? »
Remarquez, mes chers enfants, le caractère de saint Paul, et soyez bien persuadés que si, trop souvent, il n’y a que des demi-conversions, c’est qu’on manque de droiture. Dieu avait permis que Saul fût pris d’une sorte d’aveuglement, mais, dès qu’il entendit cette voix qui lui indiquait son devoir, il n’hésita plus et se montra chrétien aussi ardent qu’il avait été ardent persécuteur. Bien des jeunes gens sentent, eux aussi, qu’ils ne sont pas très mauvais, mais sentent en même temps qu’ils ne sont pas tout à fait bons, et cependant ils ne font aucun effort pour sortir de leur aveuglement. Si vous en prenez quelques-uns à part, si vous leur demandez: « Voyons, répondez, ne sentez-vous pas au fond du coeur quelque aiguillon qui vous pousse à vous donner à Dieu? » Tous sentiront bien qu;ils ont besoin de conversion, mais, l’énergie leur manque. S’ils se disaient une bonne fois:: « Il faut que j’examine, ce qui se passe au fond de moi-même, que j’écoute la voix de la grâce, que je songe à remplir mes devoirs « , ils seraient bientôt changés et convertis. Mais la force de caractère leur manque, et si vous saviez que de citrouilles fricassées dans la neige! Quand ont veut les saisir, ils vous glissent et se fondent dans les mains, ils n’osent jamais faire un effort sur leur nature indolente pour s’écrier comme saint Paul: Domine, quid me vis facere? »
On veut et on ne veut pas; et c’est là toute la différence avec le grand Apôtre qui du premier coup n’hésite plus. Sans doute, il a conscience de sa faiblesse, et nous l’entendons répéter souvent « qu’il se plaît dans sa faiblesse, parce que c’est quand il est faible qu’il est puissant; placeo mihi in infirmitatibus meis; cum infirmor, tunc potens sum » (II Cor. XII, 10). Aussi ne compte-t-il point sur ses propres forces, mais sur la grâce de Dieu qui seule l’a fait ce qu’il est, « qui n’a pas été vaine en lui, gratia ejus in me vacua non fuit » (I Cor. XV, 10). Ah! si une douzaine de jeunes gens venaient me dire avec un zèle véritable la parole de saint Paul: Que voulez-vous que je fasse? je me chargerais de remuer et de convertir le monde. Comment tant de jeunes gens baptisés, confirmés, absous au tribunal de la pénitence, nourris du corps de Jésus-Christ, ne comprennent-ils pas le déshonneur qu’il y a pour un homme qui s’est engagé par serment à servir Dieu, de violer ce serment?
A saint Paul qui avait dit: Que voulez-vous que je fasse? le Seigneur répond: « Levez-vous; entrez dans la ville, et là on vous dira ce qu’il faut que vous fassiez. » Remarquez encore ici que l’obéissance est toujours le caractère de la vie chrétienne. Vous voulez savoir ce qu’il faut faire, je ne vous le dirai pas tout de suite, mais vous attendrez un peu à votre tour, je vous ai bien assez attendu.
Les compagnons de saint Paul étaient tout étonnés, stabant stupefacti, car ils entendaient la voix et ne voyaient personne. On ne s’attend pas sans doute à ce que je réfute les ridicules inventions de M. Renan, qui attribue l’état de saint Paul à un éblouissement, par la raison que les éblouissements sont fréquents dans ce pays, et que M. Renan lui-même a éprouvé de ces sortes d’éblouissements, ce que je lui accorde bien volontiers. Quand saint Paul se leva de terre, ses yeux étaient ouverts, et il ne voyait rien. Ses compagnons le prirent alors par la main et le firent entrer à Damas. Là, il demeura trois jours aveugle, sans manger ni boire. Il faisait donc pénitence, car la pénitence est un des signes, un des gages de la conversion.
Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananias. Le Seigneur lui dit dans une vision d’aller trouver Saul dans telle maison et de lui imposer les mains.Ananias faisait quelque difficulté « J’ai appris disait-il, tous les maux que cet homme a faits à vos saints dans Jérusalem. » On fait observer avec justice et justesse que dès le commencement les chrétiens sont en possession de ce nom de saints si détesté des protestants. On le donnait alors à tous ceux qui souffraient le martyre et la persécution et même aux fidèles en général. Le Seigneur répondit à Ananias ces admirables paroles: « Allez le trouver car il est pour moi un vase d’élection il doit porter mon nom devant les nations les rois et les fils d’Israel. Je lui montrerai tout ce qu il aura à souffrir pour mon nom « Vade quoniam vas electionis est mihi iste, ut portet nomen meum coram gentibus, et regibus, et filiis Israel. » C’est un vase où j’ai déposé ma grâce, et je mettrai en lui dans son coeur dans son intelligence la vérité; je confierai à ses mains ma foudre toute-puissante; il ira porter mon nom devant les nations les rois les empereurs et il les placera tous sous le joug du Crucifié. Telle fut, en effet la mission de saint Paul, l’Apôtre le Docteur des nations.
« Ostendam illi quanta oporteat eum pro nomine meo pati: je lui montrerai combien il faut qu’il souffre pour mon nom. » Si donc, mes chers enfants, vous sentez au dedans de vous-mêmes le désir de vous consacrer entièrement et sans réserve à la cause de Dieu, ne vous attendez pas à des jouissances. Pour porter le nom de Dieu, la vérité éternelle devant les peuples et les rois il faut avoir l’âme pure, et il faut en même temps s’attendre à beaucoup de déceptions de calomnies de persécutions à toutes les souffrances que l’enfer peut vomir contre les soldats de Jésus-Christ. Pour être véritablement apôtre, il faut aimer à souffrir.
Le monde il est vrai n’y comprend rien ni surtout ces chrétiens tolérants qui se transforment en lits de plumes, pour qu’on vienne se reposer sur eux. Mais les vrais chrétiens ne connaissent pas ces manières douces et mielleuses, ils sont toujours prêts à faire face à la lutte acharnée que leur livre Satan, aux attaques de l’enfer, aux médisances des hommes.
Ananias fit donc ce que le Seigneur lui avait commandé. On ne sait trop ce qu’était Ananias; quelques-uns prétendent qu’il n’était que diacre, cependant la croyance la plus répandue, la croyance romaine, est qu’il devint le premier évêque de Damas et qu’il fut lapidé par les Juifs.
Quand un jeune homme se convertit, il y a de l’étonnement parmi ceux qui l’ont connu; tout le monde s écrie: »Il est donc changé Est-ce possible? Cette conversion serait-elle sincère? » C’est même prudent de ne pas aller trop vite avec certaines gens, de bien examiner si le changement opéré en eux promet d’être durable. Les bons sont pleins de méfiance et hésitent longtemps à recevoir dans leurs rangs celui qu’ils avaient vu si mauvais la veille. Quant aux mauvais, ils sont furieux de se voir abandonnés. Alors ce jeune homme est dans une triste situation, et s’il ne trouve pas quelque Barnabé pour le prendre par la main et raconter aux bons le miracle de sa conversion, ce jeune homme est exposé à passer de bien mauvais moments.
Saint Paul fut donc présenté par saint Barnabé aux apôtres, et il se mit aussitôt à prêcher l’Evangile, à confondre les Juifs, confundebat Judaeos. C’est qu’il avait une grande énergie, et une fois son parti pris d’être au nombre des saints, rien ne pouvait l’en faire démordre. Il consentira à être outragé, battu, mis à mort, mais il faut qu’il annonce la vérité. C’est avant tout un homme de zèle, de dévouement, un homme d’action. Il faut sans doute aussi des hommes de prière, de vie intérieure, comme saint Jean. Dieu me garde de trouver cela mauvais! Saint Jean était le disciple bien-aimé du Sauveur, et l’Eglise a besoin de prières non moins que de zèle apostolique. Saint Jean est donc le modèle de la vie intérieure, et par là il n’a pas été moins utile à l’Eglise que les autres disciples. De plus, comme le dit saint Augustin, c’est même à la prière que nous devons saint Paul, car « si Etienne n’avait pas prié, l’Eglise n’aurait pas eu cet Apôtre, nisi Stephanus orasset, Ecclesia Paulum non habuisset. » Mais comme je prêche à des jeunes gens qui sont pour la plupart destinés à tout autre chose qu’à la vie mystique, je ne saurais leur montrer un plus admirable modèle de fermeté et d’énergie que saint Paul.
Dès le commencement il se révèle vraiment vase d’élection. Aussitôt que les écailles seront tombées de ses yeux, qu’il aura vu la lumière, il en fera, comme du soleil, la règle de ses pas. Il s’écriera: « J’ai vu des choses admirables; dussé-je déplaire, je dirai ce que j’ai vu. Maintenant que j’ai pris le parti d’être à Dieu, je ne veux plus tarder, et ce prosélytisme qu’on reproche aux disciples de Jésus-Christ et qui est leur plus grande gloire, ce prosélytisme sera exercé par moi avec tout le dévouement possible. » Que les hommes à demi-croyance, à demi-doute, disent: Peut-être la vérité est-elle ici, peut-être est-elle là, et qu’alors ils ne veuillent imposer aucune doctrine à leurs semblables, cela s’explique. Qu’ils restent donc dans leurs nuances, dans leurs parcelles de vérité. Nous autres, nous voulons toute la vérité et pour la faire régner dans le monde nous acceptons la souffrance la persécution parce que nous aspirons aussi à la gloire de Jésus-Christ Nous nous complairons dans nos infirmités nous souffrirons toutes choses de la part des hommes pourvu que notre ministère s’accomplisse et que Jésus-Christ soit annoncé dummodo Christus annuntietur. » (Philip. I, 18.)
Voilà le grand enseignement qui ressort de la conversion de saint Paul. Qui pourra nier maintenant que saint Paul n ait été très sincère dans sa conversion? Il n était point homme à agir par des voies détournées, il se présentait hardiment, il était tout l’un ou tout l’autre: persécuteur,les chrétiens n’ont pas d’ennemi plus redoutable; chrétien, la foi ne saurait trouver un plus vaillant défenseur. S’il vivait de nos jours, il sympathiserait peu avec les doctrines du Correspondant et avec le libéralisme moderne.
Cette conversion avait été signalée par un miracle de premier ordre et l’Eglise avait pour la défendre un homme instruit éloquent et surtout plein de zèle, ce qui prouve que Dieu ne repousse ni les savants ni la science. Saint Paul ira donc avec cette foi qui prend sa racine dans le ciel, évangéliser le monde entier. S’il a plus travaillé, plus écrit que les autres apôtres, c’est qu’il avait un caractère impétueux et au fond du coeur une soif sans bornes de faire connaître et aimer Dieu, une foi qui ne connaissait ni trêve ni repos.
Pénétrez-vous donc, mes chers enfants, de cette foi en Jésus-Christ; adressez-vous à quelque Etienne pour qu’il demande à Dieu de vous inspirer la même énergie, le même dévouement qu’à saint Paul. Alors, à l’exemple de cet Apôtre, vous servirez dignement votre Mère l’Eglise, et celui dont vous aurez soutenu les intérêts ne vous laissera pas sans récompense.
Ainsi soit-il.