- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|DEUXIEME SERIE
- INSTRUCTIONS SUR L'EDUCATION CHRETIENNE
IV
REFORME DE LA VOLONTE - Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 92-98.
- BT 12-13
- 1 BONHEUR
1 DIEU LE PERE
1 EDUCATION
1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
1 IMITATION DE DIEU
1 LIBERTE
1 PERFECTION
1 REFORME DE LA VOLONTE
1 VOLONTE - Collégiens de Nîmes
- 1876-1877
- Nîmes
J’aborde aujourd’hui le noeud de la grande question de l’éducation: la réforme de la volonté.
On veut vous aider, par une éducation chrétienne, à cette réforme de toutes les réformes. Mais, pour vous faire comprendre tout ce qu’il y a de grave là dedans, il faut poser certains principes extrêmement importants.
1° Dieu avait fait l’homme avec une parfaite droiture de volonté : Deus fecit hominum rectum(1). Et avec une intelligence droite et une volonté tendant à son vrai bien, l’homme devait, un jour, être parfaitement heureux.
2° L’homme, créé avec une intelligence et une volonté saines, a péché, et aussitôt son intelligence a été sujette à l’ignorance et aux ténèbres, sa volonté à la concupiscence, c’est-à-dire à subir une pente vers le mal.
3° Malgré cela l’homme a été créé avec le désir de la vérité, aliment de son intelligence, et un désir invincible de bonheur. Ne cherchant pas toujours la vérité ni le bonheur là où ils sont, il s’égare dans les ténèbres et se perd dans des maux causés par ses illusions,
L’homme ne peut pas ne pas vouloir la vérité. Il ne prendra jamais un maître pour lui dire: enseignez-moi l’erreur, enseignez-moi les choses fausses; il ne dira jamais: indiquez-moi le moyen d’être malheureux.
Voilà donc l’homme avec le désir du bonheur, le cherchant, et, par l’effet de l’erreur de son intelligence et de la corruption de sa volonté, exposé à chercher le bonheur où il n’est pas; vous avez là l’histoire des égarements et des souffrances de l’homme.
Toutefois, en combien de circonstances n’est-il pas profondément coupable, puisque, bien qu’il sente un penchant vers le mal, il a toujours le cri de la conscience avant de commettre le mal, et l’aiguillon du remords quand il l’a commis!
On a entendu de nos jours dire: mais si je suis ainsi poussé invinciblement vers le bonheur, je ne suis pas libre? Eh bien! il faut une bonne fois établir ce qu’est la liberté.
On est plus libre à mesure que l’on devient plus parfait, ou bien il faut dire que la liberté est une imperfection. Accordez-vous cela? Evidemment non, car si la liberté était une imperfection, il faudrait la fuir. Mais de tous les êtres, le plus parfait est Dieu; Dieu est, par conséquent, de tous les êtres, le plus libre. Et pourtant Dieu ne peut pas pécher. Que conclure, sinon que la liberté ne consiste pas dans un droit égal à faire le bien et le mal, mais qu’elle est l’état d’un être que rien n’empêche d’arriver à sa perfection, ou, si vous aimez mieux, le droit de faire ce qui est conforme à notre nature. Mais il est conforme à notre nature de vouloir être heureux; donc nous nous mettons dans un état contraire à notre nature quand nous choisissons ce qui nous rendra malheureux; et, comme le mal nous procure le malheur, nous nous mettons dans un état contraire à notre nature quand nous faisons le mal.
Peut-on se dire libre quand on viole les lois de la nature humaine?
Eh bien! l’éducation, en réformant la volonté corrompue, va remettre les choses en place; et, pour cela, elle développe le désir du bonheur en montrant en quoi ce bonheur consiste. Il consiste à chercher volontairement, sans contrainte, par conséquent très librement, le bonheur pour lequel nous avons été faits. Or, le bonheur est comme infini dans notre désir. Il est infini dans son terme: ce terme est Dieu qui nous a faits et qui nous a faits pour lui. De là ce cri de saint Augustin: Fecisti nos ad te, Domine, et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te(2). -La volonté corrompue par le péché s’en va dans les voies les plus déplorables et se perd par la violation de la loi de Dieu dans un malheur inexprimable: il faut réformer tout cela.
Et comment? Voici quelques principes que vous ne pourrez contester:
1° Vous avez en vous le désir invincible du bonheur et vous devez chercher à être heureux.
2° Vous êtes forcés de reconnaître que vous ne pouvez trouver le bonheur en vous-mêmes.
3° Si votre conscience n’est pas totalement obscurcie, vous reconnaîtrez encore que l’homme, qui ne peut trouver le bonheur en lui, le trouvera seulement hors de lui. Où donc?
4° Si vous ne croyez pas en Dieu, je n’ai rien à vous dire, mais si vous croyez en Dieu, c’est à Dieu votre créateur que vous devez allez demander le couronnement de votre création: le bonheur. Et pour cela, il faut le prier. Pourquoi? Parce que ce bonheur est la possession de lui-même. Croyez-vous que vous pourrez le posséder sans sa permission? D’autre part, vous ne pouvez rien de bien sans lui. Il l’a dit lui-même: Sine me nihil potestis facere(3).
Mais si vous accordez ces propositions, nous en tirerons certaines conséquences:
1° Si je suis d’autant plus libre que je suis plus parfait, je dois tendre à la plus grande perfection pour arriver à la liberté, à la liberté la plus grande.
2° Dieu étant le plus parfait des êtres et le plus libre en même temps, pour avoir la plus grande liberté, je dois m’appliquer à imiter la perfection de Dieu autant que j’en suis capable.
3° Il y a en moi, laissé à mes propres forces, deux grandes impossibilités: 1° impossibilité de devenir parfait et libre comme je le comprends, et l’impossibilité d’être heureux comme je le désire. La perfection, la liberté, le bonheur sont là où, seul, je ne puis atteindre. Mais ce que je ne puis atteindre par moi-même, Celui qui m’a créé pour le bonheur me le donnera par sa grâce, si je le lui demande.
Seigneur, devons-nous lui dire, vous m’avez créé avec une volonté qui aspire au bonheur; je vois bien des hommes chercher le bonheur où il n’est pas; on me dit qu’il est en vous, qu’il n’est autre que vous; eh bien! ce bonheur, je le désire; mais vous seul pouvez le donner: je vous le demande.
Certes, il y a là dedans une puissante réforme. L’homme, par l’orgueil, s’est séparé de Dieu, et l’homme, pour se rapprocher de Dieu, s’humilie dans la prière: c’est déjà un commencement de guérison de son mal.
Je pourrais maintenant prendre mon sujet par un autre point de vue et dire: Dieu, infiniment parfait, a produit des êtres qu’il voulait parfaits à son image. Pour les pousser à bien lui ressembler, il leur a donné comme aiguillon le désir invincible du bonheur. Ce désir étant dans leur nature n’offensait pas leur liberté, qui se perfectionne à mesure qu’ils deviennent plus parfaits eux-mêmes. Et voici trois conséquences étonnantes auxquelles il faut aboutir:
1° Quand Dieu a dit: « Faisons l’homme à notre image et ressemblance », c’est comme s’il avait dit: Faisons l’homme parfait. Quelle plus grande perfection que la ressemblance avec Dieu!
2° Si, en Dieu, la liberté est égale à la perfection, l’homme, à mesure qu’il devient plus parfait, devient aussi plus libre; et la liberté, par ce côté, est une imitation de Dieu.
3° Mais l’homme, devenu parfait et libre de la liberté des enfants de Dieu, peut dire à Dieu: « Mon Père », puisqu’il est libre comme les enfants. Et puisque Dieu, son Père, lui a donné pour premier titre la liberté, l’homme peut bien dire: Mon Père, vous qui m’avez rendu libre, rendez-moi heureux.
Et Dieu répond: La liberté que je donne à mes enfants est « une liberté de bonheur infini: libertatem gloriae filiorum Dei« .
De telle façon que la réforme de la volonté que je vous propose est une réforme qui, en vous faisant pratiquer la loi de Dieu, vous rendra parfaits; en vous rendant parfaits, vous rendra libres; en vous rendant libres, vous rendra heureux: in libertatem gloriae filiorum Dei(4).
2. "Vous nous avez faits pour vous, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en vous." (Conf. I, 1.)
3. "Sans moi vous ne pouvez rien faire." (Ioan. XV, 5.)
4. "Pour *participer* à la glorieuse liberté des enfants de Dieu." (Rom. VIII, 21.)