- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
- OBSTACLES A LA VIE RELIGIEUSE
L'ESPRIT HUMAIN - Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 45-51.
- CO 20
- 1 ABUS DES GRACES
1 AMOUR-PROPRE
1 BONHEUR
1 CHATIMENT
1 DOUCEUR
1 IDEES DU MONDE
1 JUSTICE
1 MANQUEMENTS A LA VIE RELIGIEUSE
1 MISERICORDE
1 PAIX DE L'AME
1 REFORME DU COEUR
1 VERTU DE PENITENCE
1 VOEU DE PAUVRETE - 1875
Et fiunt novissima hominis illius peiora prioribus(1).
Voilà un religieux entré dans la voie de la perfection où il doit avancer tous les jours. Il y passe un temps plus, ou moins long. Tout à coup, il ne découvre en lui que trouble, ténèbres et désordre. Ah! s’écrie-t-il alors, si j’étais resté dans le monde, je n’en serais pas là!
Je veux examiner les causes des chutes de ce religieux, et je les trouve dans l’abus qu’il a fait des béatitudes que Notre-Seigneur avait établies comme les grandes lois de la vie religieuse.
I. Beati pauperes spiritu(2).
Dieu me demandait le dépouillement des biens de la terre, l’indifférence pour tous les agréments matériels de la vie. Cela n’est pas exigé de tous mais enfin la perfection consiste à imiter Jésus-Christ, qui n’a eu ni berceau à sa naissance, ni tombeau après sa mort, ni une pierre pendant sa vie, pour y reposer sa tête. Est-ce que je ne tiens à rien de créé? car la pauvreté religieuse va jusque-là. Est-ce que je ne considère rien comme ma propriété?
II. Beati mites.
« Bienheureux ceux qui sont doux. » Quelle influence surnaturelle n’est pas le partage de l’apôtre plein de douceur! « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups »(3), dit Notre-Seigneur à ses disciples. Mais non, j’ai préféré m’aigrir contre tous: contre mes supérieurs, qui ne me traitent pas selon mes mérites; contre mes égaux, qui ne veulent pas reconnaître ma supériorité sur eux; contre mes inférieurs, qui ne m’obéissent pas assez promptement et semblent peu disposés à subir l’amertume de mon langage.
Le Saint-Esprit a dit: Ecce quam bonum et quam incundum habitare fratres in unum(4). Qu’importe! je fais de ma communauté un véritable enfer par mon caractère violent et emporté, ce qui ne m’empêche pas de me poser en victime. De pareils religieux sont la peste et la perte des couvents. Ne suis-je pas du nombre [de ces religieux]? Et si j’en suis, quoi d’étonnant que je ne sois plus un vrai religieux? Saint Jean, montrant Jésus-Christ, disait: Ecce Agnus Dei(5), c’est-à-dire: Voici la douceur même de Dieu. Ah! quand dira-t-on cela de moi?
III. Beati qui lugent.
« Bienheureux ceux qui pleurent! » Non pas ceux dont les yeux sont toujours pleins de larmes pour pleurer leurs souffrances, mais ceux dont le coeur est brisé par le regret de leurs fautes et qui sont résolus à en faire une efficace pénitence; ceux qui, après avoir pleuré leurs péchés, pleurent les péchés du monde avec Jésus-Christ.
Heureuses les âmes qui gémissent pour ceux qui ne savent pas gémir et dont les tristesses, comme celles du prophète, attirent le pardon!
Est-ce là mon état? Au contraire, ne suis-je pas d’une sécheresse désolante, non seulement en face des fautes d’autrui, mais surtout en face de mes fautes personnelles? Quoi d’étonnant que, sans repentir du passé, je ne conçoive aucun ferme propos pour l’avenir?
IV. Beati qui esuriunt et sitiunt iustitiam.
« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice! » -Non pas les redresseurs des torts qu’ils ne sont pas chargés de redresser, mais ceux qui, s’oubliant eux-mêmes, ne songent qu’aux intérêts de Dieu. Que suis-je venu faire en religion? Ne me suis-je consacré par les voeux que pour nourrir au fond de mon coeur un amour-propre plus subtil?
Ah! quel obstacle à la vie religieuse que la tendresse de sa personnalité, et que Dieu a bien droit de s’irriter contre le religieux qui, chargé dans sa prière, dans sa vie de sacrifices, dans son apostolat, des plus grands intérêts, ne s’occupe ni des saintes lois de l’Evangile, ni du salut des âmes! Seigneur, faites que j’aie faim et soif de votre justice et que j’y trouve mon bonheur!
V. Beati misericordes.
« Bienheureux les miséricordieux! » Notre-Seigneur revient sur la pensée exprimée déjà, quand il lisait : « Beati mites. Bienheureux ceux qui sont doux! » La miséricorde implique une idée d’indulgence et de pardon dont j’ai grand besoin dans mes appréciations et mes jugements. Qui a plus besoin de miséricorde que moi? C’est pourquoi j’en aurai envers les autres.
VI. Beati mundo corde.
« Bienheureux les coeurs purs! » Quelle n’est pas la grossièreté de certains esprits qui, à force de se permettre des vulgarités en matière de perfection, finissent, sinon par tomber dans la boue, du moins par se laisser couvrir de poussière. Ils en sont aveuglés et perdent la vue de Dieu promise à la pureté du coeur. De là tant de sécheresse dans la prière; de là l’impossibilité de la méditation et des exercices nécessaires au maintien de la ferveur. Ne voyant plus Dieu, ils se tournent vite du côté du monde. Peu à peu, à la place de ce lis dont ils étaient si jaloux, dont ils avaient savouré l’éclat et le parfum, l’impureté s’est avancée comme une vapeur obscure et fétide. Les sens n’ont peut-être pas été atteints encore, mais le coeur, [où en est-il]? Et l’impureté du coeur n’est-elle pas pire que celle des sens? Impossible, pour une âme religieuse, de ne pas perdre sa vocation dès qu’elle perd sa pureté. Seigneur, où en suis-je?
VII. Beati pacifici.
« Bienheureux les pacifiques! » -Que la paix est difficile à maintenir dans certains couvents et qu’il importe d’y combattre les caractères inapaisés, brouillons, turbulents et querelleurs! Ceux-là seuls sont les vrais fils de Dieu qui procurent la paix. Mais ou l’on ne s’occupe que de ne pas se compromettre au nom d’une prudence charnelle, ou l’on a l’humeur guerroyante et on tient à le faire sentir. Eh bien! soyez guerroyant mais vous ne serez pas le fils de Dieu.
Seigneur, je veux pourtant être votre fils, a fin de jouir dans votre royaume de la paix qui ne finira pas.
VIII. Beati qui persecutionem patiuntur propter iustitiam.
« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice! » -Il y a une double persécution: celle du châtiment; hélas! je ne l’ai que trop méritée; et celle de l’expiation. La conquête du ciel est à ce prix: il faut expier [ses péchés] dans la persécution. Quelle persécution est la mienne?
Oui, je mérite d’être châtié. J’accepte, ô mon Dieu, la peine de mes fautes. Si je veux être un vrai religieux, j’y suis contraint, car quelle part n’ai-je pas eue aux causes de votre colère! Ah! je une suis retiré au couvent pour avoir la paix selon les idées du monde! Notre-Seigneur ne l’entend pas ainsi.
Les hommes mentent-ils ou disent-ils la vérité quand ils donnent les motifs de leurs persécutions? Voilà la question. Pour moi je ne puis poser d’autres principes de perfection que ceux que Jésus-Christ lui-même a posés.
Mon Dieu, faites que, sans chercher la persécution, je l’accepte, ou comme châtiment imposé par votre justice, ou comme expiation proposée par votre amour.
2. "Bienheureux les pauvres d'esprit." (Matth. V, 3 sq.)
3. Luc. X, 3.
4. "Qu'il est bon, qu'il est doux pour des frères d'habiter ensemble!" (Ps. CXXXII, 1.)
5. "Voici l'Agneau de Dieu." (Ioan. I, 36.)