TEXTES DIVERS EDITES

Informations générales
  • TD 1-5.7
  • TEXTES DIVERS EDITES
  • ORAISON FUNEBRE DE MGR DE CHAFFOY
  • Oraison Funèbre de Monseigneur C.F.M. Petit-Benoît De Chaffoy, Evêque de Nîmes, Prononcée dans l'Eglise Cathédrale, le 6 octobre 1837, par M. l'Abbé d'Alzon, se vend au profit de la maison du refuge. A Nîmes, chez Mme. V.e Gaude, 1837.
Informations détaillées
  • 3 GENEVE
    3 LAUSANNE
    3 LOUVAIN
    3 NIMES
    3 ROME
    3 UZES
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION POLITIQUE
    1 AMBITION
    1 AUGUSTIN
    1 BON EXEMPLE
    1 BONTE
    1 CALOMNIE
    1 CATECHISME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CIEL
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE
    1 DISTINCTION
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DOUCEUR
    1 ECOLES
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENFER ADVERSAIRE
    1 EPISCOPAT
    1 EPREUVES
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ESPERANCE
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 EUCHARISTIE
    1 EVECHES
    1 FOI
    1 FRANCHISE
    1 GUERRE CIVILE
    1 HERESIE
    1 HONNETETE
    1 HUMILITE
    1 JUSTICE
    1 MAITRISE DE SOI
    1 MALADIES
    1 MINISTRES PROTESTANTS
    1 MORT
    1 OEUVRES CARITATIVES
    1 ORPHELINS
    1 PAPE
    1 PATIENCE
    1 PENITENCES
    1 PIETE
    1 POLEMIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RATIONALISME
    1 REFUGE LE
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 RETRAITES PASTORALES
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SACREMENT DE PENITENCE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SALUT DES AMES
    1 SATAN
    1 SCHISME
    1 SEMINAIRES
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 SIMPLICITE
    1 SOINS AUX MALADES
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SUPERIEURS ECCLESIASTIQUES
    1 UNION DES COEURS
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 UNITE DE L'EGLISE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VISITE DES MALADES
    1 VOCATION SACERDOTALE
    1 VOIE UNITIVE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 BAUSSET, LOUIS-FRANCOIS DE
    2 CALVIN, JEAN
    2 CARLSTADT, A.R.
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 CORTOIS DE PRESSIGNY, GABRIEL
    2 DURFORT, RAYMOND DE
    2 ELIE, PROPHETE
    2 ESDRAS
    2 JACOB
    2 LUTHER, MARTIN
    2 MOISE
    2 PIE VII
    2 THIBAULT, CHARLES-THOMAS
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    2 ZWINGLI, ULRICH
    3 ALES
    3 ANGLETERRE
    3 ARLES
    3 BEAUCAIRE
    3 BESANCON
    3 FRANCE
  • le 6 octobre 1837
  • Nîmes
La lettre

[Introduction].

Ce n’est pas sans regret que nous offrons ce discours au public. Composé au milieu des préoccupations les plus douloureuses, à peine avons-nous pu consacrer à sa rédaction, quelques heures du temps, déjà si court, qui nous était accordé; aussi l’abandonnerons-nous entièrement à la critique, sous le point de vue littéraire. Nous eussions pu, il est vrai, le remanier après coup, et rendre ainsi notre oeuvre moins imparfaite; mais ce n’eût plus été cette Oraison funèbre, jugée par de si étranges préventions; et nous préférons la donner avec ses incorrections sans nombre, afin que le public prononce, en pleine connaissance de cause, entre nous et ceux qui ont cru devoir nous infliger un blâme sévère.

On nous reproche d’avoir prononcé une fois le mot hérétiques, au lieu de l’expression consacrée de frères séparés.

On pourrait répondre que le nom de frères séparés venait d’être prononcé un instant auparavant, quand il s’était agi des protestans français, et que l’orateur, en se servant du mot hérétiques, l’appliquait aux Suisses Zwingliens et autres, qui ont bien reçu quelquefois cette qualification de la plume et de la bouche de Luther et de Calvin(1), et don’t les ministres il y a deux ans à peine, déclaraient ne vouloir pas souffrir que Genève devint une seconde Rome. On pourrait répondre encore que séparé, vient d’un mot latin, dérivé lui-même du grec, et qui signifie mis de côté; quhérétique, au contraire, est dérivé du grec (mot grec), choix; héretique signifie qui a fait son choix; et, il est préférable de choisir soi-même volontairement, que d’être mis de côté. Ceux qui soulèvent des discussions de mots devraient étudier les étymologies.

Mais je me bornerai à deux observations générales qui répondront à ce reproche, et à ceux qu’on m’a adressés au sujet de certains vexations, et de l’enlèvement des Croix, dont j’ai, selon quelques-uns, imprudemment réveillé le souvenir. La première, c’est qu’il est difficile de faire la vie d’un homme qui a passé quatre-vingts ans au milieu des discordes civiles, et dont l’un des plus beaux titres de gloire résulte des vertus qu’il a manifestées au milieu des passions effervescentes, sans dire quelque chose de ces mêmes discordes. La seconde observation, est que j’ai eu si peu l’intention de blesser les protestans, qu’ayant entendu un frémissement dans l’auditoire, je l’attribuai aux catholiques, mécontens de ma modération, et que j’ajoutai une phrase pour la justifier(2).

Quant au jugement que j’ai pu porter sur certains actes de l’autorité d’alors, quoiqu’il m’ait toujours répugné d’aborder les questions politiques, devais-je les supprimer quand elles avaient une connexion intime avec les questions religieuses? Et puis, parlant en présence des autorités actuelles, qui marchent dans des voies différentes, ne devais-je pas leur supposer l’intention de n’accepter jamais un odieux héritage? Pour moi, je le déclare, jusqu’à manifestation formelle du contraire, je leur croirai toujours assez de principes d’honneur pour repousser des actes arbitraires et tyranniques, sur lesquels gémissent tous les protestans éclairés. Oui, tous les protestans éclairés gémissent sur le renversement des Croix, je n’en voudrais pour preuve que l’émotion pénible qu’ils éprouvent, dès qu’on le leur rappelle même, sans le leur reprocher. Car, examinez bien attentivement, ai-je énoncé la moindre inculpation contr’eux? Je n’en ai pas dit un mot. Mais vous avez prêché la révolte. -J’ai positivement prêché le contraire(3). Seulement l’infortuné mot hérétiques avait fermé les oreilles: Inde irae.

Je proteste donc ici contre toute allusion fâcheuse de ma part, envers les membres de la communion protestante. Au moment où de tous côtés on nous signale un mouvement heureux vers le catholicisme, au moment où l’Angleterre s’ébranle en masse, et réclame l’autorité religieuse à grands cris, où le rationalisme allemand revient par une voie plus longue, mais plus logique et plus sûre par conséquent; nous aurions un remords éternel d’avoir contribué à retenir le protestantisme français dans les replis tortueux de la politique, où il puise encore tout ce qui lui reste de vie. Non, ce n’est pas le terrain sur lequel nous prétendons qu’il se place. Quand nous voudrons l’attaquer nous prierons ses ministres de nous en présenter le symbole clairement formulé, et quand nous aurons constaté leur impuissance à s’accorder sur aucun dogme essentiel, nous nous contenterons d’assister à leurs luttes intestines, qui datent de loin déjà, prêts à leur ouvrir les bras et à les y presser avec bonheur, quand la lassitude leur fera ressentir le besoin du repos; et à leur révéler les splendeurs d’une doctrine qui n’est pas de nous, quand leurs yeux, fatigués des ténèbres appelleront les rayons de l’éternelle vérité.

Nîmes, 16 octobre 1837.

[fin de l’introduction]

ORAISON FUNEBRE de Monseigneur C.F.M. Petit-Benoît DE CHAFFOY, Evêque de Nîmes.

In fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum. Le Seigneur l’a sanctifié à cause de sa foi et de sa douceur. (Ecclésiastique.)

Monseigneur, (4)

Etait-ce donc à l’un des plus jeunes prêtres de ce diocèse, à l’un des derniers venus dans le clergé de cette église, à entretenir cet auditoire du pontife que nous pleurons, et cette tâche n’eût-elle pas été mieux remplie, sous tous les rapports, par quelqu’un de ces prêtres vénérables qui, l’ayant connu plus long-temps que moi, semblaient plus à même de placer ses hautes vertus, dans leur véritable jour? Aussi, en me chargeant de lui payer un juste tribut de regrets, ai-je consulté bien moins mes forces que mon coeur: j’ai compté sur le vôtre, mes frères; et dès-lors, j’ai cru pouvoir vous parler de notre douleur commune; c’est un fils qui vient raconter à d’autres-enfans ce qu’il a recueilli de la vie de leur père. Aussi me suis-je seulement efforcé de me pénétrer du caractère de notre saint pontife, afin de vous le représenter tel que vous le connûtes tous; et le Saint-Esprit lui-même, ne semble-t-il pas avoir tracé en deux mots son portrait, lorsqu’il nous dit, en parlant du législateur du peuple hébreux, que le Seigneur l’avait sanctifié à cause de sa foi et de sa douceur: In fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum? N’est-ce pas cette foi, tout ensemble humble, ferme et ardente; ce sentiment habituel de la présence de Dieu; cette confiance aveugle en sa bonté; cette soumission sans bornes à ses décrets; cet abandon absolu à la Providence: et, d’un autre côté, cette ardeur pour le salut des ames; cette charité si grande; cette aménité dans les rapports, qui forment comme le fonds de son esprit et de son coeur?

Pour parler dignement d’une si belle vie, je me suis efforcé moi-même de la méditer à la lumière de la foi; car la foi seule nous donnera l’explication des principaux événemens de sa longue carrière. Vous le verrez, tantôt prêtre charitable travailler avec un désintéressement parfait aux oeuvres les plus humbles selon le monde, tantôt évêque des temps primitifs chargé d’organiser un diocèse au milieu d’obstacles sans nombre, vous admirerez sa force contre les épreuves, sa patience dans les jours mauvais, son inébranlable égalité d’ame dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Mais si je me propose de le suivre au milieu des peines de tous genres qu’il endura pour son Dieu, gardez-vous de croire que je vienne ici faire entendre des paroles amères et indignes de lui. Je craindrais trop, ô mon père, que vos restes mortels s’agitant dans le tombeau, comme autrefois ceux du prophète, cette bouche désormais glacée ne s’ouvrit pour me dire: Est-ce donc là, mon fils, l’esprit que je vous ai inspiré, et ne déshonorez-vous pas ma mémoire en prétendant la venger?

La foi et la charité, qui ont brillé en lui d’un si vif éclat, seront donc mes deux guides. J’invoque leur secours dans ce que j’ai à vous dire de mon révérendissime seigneur Claude-François-Marie-Petit-Benoit DE CHAFFOY, évêque de Nismes.

Lorsque Dieu voulut délivrer son peuple de l’esclavage des Egytiens, il se choisit dès le berceau un homme selon son coeur, le fit instruire dans toutes les sciences humaines, le conduisit pendant quarante ans dans la solitude, et, dans la retraite du désert, il grava au fond de son coeur, avec une foi ardente, un sentiment inexprimable de douceur et de charité. Il fallait que le législateur de ce peuple grossier, dont le Seigneur voulait faire une nation sainte, fut le plus doux des hommes.

Hé bien! le même Dieu, dont les conseils sont impénétrables, avant de frapper contre l’Eglise de France le coup terrible qui la bouleversa jusque dans ses fondemens, avait des vues de miséricorde sur notre patrie. Il entrait dans ses merveilleux desseins que l’Eglise de Nismes, après avoir vu son dernier évêque proscrit comme un criminel, après avoir été réunie quelque temps à une église voisine sortit, pour ainsi dire, de ses cendres, et qu’augmentée des débris de plusieurs diocèses voisins elle présentât de tous les sièges épiscopaux de France le plus difficile à occuper.

Ce fut pour le remplir qu’il fit naître le pontife objet de nos larmes, dans une province où la foi se maintint dès l’origine dans sa pureté primitive, et sur les frontières d’un pays protestant, afin que, dès le berceau, le double spectacle, et de la fermeté majestueuse de la vérité, et des perpétuelles fluctuations de l’erreur, fortifiât dans son ame son attachement à l’Eglise, et fit tout d’abord éprouver à son coeur cette touchante compassion qui l’anima toujours envers nos frères séparés.

Issu d’une famille connue depuis long-temps dans le parlement de Besançon, il puisa comme avec le sang un amour invincible de la justice, en même temps que son caractère naturellement bon était formé avec la sollicitude la plus sévère par une mère chrétienne, à qui il dut cette éducation si parfaite, ce sentiment délicat des convenances, cette adresse aimable à obliger, ce tact si fin et ce vernis de politesse qui tempérait si bien les élans d’une charité ardente, en un mot, tout ce qui devait lui être nécessaire un jour pour adoucir l’irritation des esprits et guérir des coeurs ulcérés.

Doué d’un esprit droit, clair et laborieux, à peine a-t-il terminé ses études au Séminaire de Saint-Sulpice que M. de Durfort, archevêque de Besançon, l’appelle, à l’âge de vingt-cinq ans, à faire partie de son conseil, et le charge de la haute direction du Séminaire diocésain. Un si jeune homme, pour un emploi si important, effraye le supérieur de la maison qui craint des innovations fâcheuses de la part d’un prêtre qui n’a pas été formé sous ses yeux; mais à peine l’abbé de Chaffoy a-t-il adressé aux élèves sa première allocution, que tous les esprits peu favorablement prévenus envers lui reviennent d’eux-mêmes, et pendant douze ans, que la même tâche lui fut confiée, la confiance et l’estime qu’il avait inspirées d’abord allèrent toujours croissant.

N’entrait-il pas dans vos desseins, ô mon Dieu, de préparer, par là votre serviteur, aux connaissances qui lui furent plus tard nécessaires, lorsqu’arrivé dans un diocèse dépourvu de tout établissement d’études ecclésiastiques, sa première pensée dut se diriger sur les moyens de perpetuer les jeunes lévites du sacerdoce!

Ne croyez pas que le Séminaire absorbât tous ses moments. Sa touchante piété, les agrémens de son commerce lui avaient gagné le coeur de son archevêque qui le formait pour une plus haute dignité: mais Dieu avait d’autres vues. Déjà l’on avait entendu les premiers mugissements de l’orage révolutionnaire; déjà les vents avaient grondé sous les portiques du temple, quelques colonnes en avaient chancelé; déjà les tonnerres, de plus en plus multipliés, retentissaient dans des nuages gros de tempête. La nuit se faisait, cette nuit terrible pendant laquelle, selon les paroles du Sauveur, personne ne peut plus travailler; Nox venit quando nemo potest operari. Les prêtres effrayés consultaient le Seigneur, et le Seigneur ne répondait plus. Enfin, la puissance fut donnée pour un temps à Satan et à ses Anges; et l’Enfer vomit sur la terre toutes les passions et tous les crimes. Dans ces pénibles conjonctures, l’archevêque de Besançon cruit devoir se retirer pour un temps. L’abbé de Chaffoy suivit partout le pieux vieillard pendant un an d’exil avec l’affection du fils le plus tendre.

Souvent, rappelant cette époque de sa vie: Je n’ai hérité, disait-il, ni de l’or ni de l’argent de mon archevêque, mais il m’a légué en mourant un héritage bien plus précieux: c’est son amour pour l’Eglise de France. Que je voudrais pouvoir transmettre ce même amour aux prêtres du nouveau clergé! Entendez-vous ces paroles, ô mes jeunes collègues? Ils tombent, ils tombent tous les jours ces anciens du sanctuaire. La mort, jalouse de leurs vertus, nous enlève ces modèles vivans. Qui de nous peut se vanter comme eux d’avoir résisté jusqu’au sang, et enduré de longues et cruelles douleurs pour Jésus-Christ? Ah! si jamais de semblables sacrifices nous étaient demandés, souvenons-nous de la source où ils puisèrent leur courage, allons-nous retremper dans l’amour de l’Eglise de Dieu.

La mort de Mgr. de Durfort va ouvrir à son grand-vicaire une nouvelle carrière. Chargé, par l’évêque de Lausanne, de tous les prêtres français réfugiés dans la plus grande partie de la Suisse, voyez-le comme ce serviteur d’Achab nourrir non pas cent prophètes au désert, mais plusieurs centaines de prêtres, chercher à grand’peine les fonds nécessaires, s’imposer à lui-même les plus rudes privations, afin de fournir du pain à ces confesseurs de la foi. Mais admirez en même temps sa noble délicatesse, il manque souvent de tout, et une somme considérable lui est offerte par le ministre d’une grande puissance. Il pouvait l’accepter sans que jamais le moindre soupçon pesât sur sa probité; il eût pu même l’employer au soulagement de ses frères, mais parce que l’honneur sacerdotal lui paraissait avoir à redouter une ombre légère, il refuse constamment toute proposition de ce genre et paie ainsi son tribut à la pureté de réputation dont tout prêtre doit être si jaloux. Je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que cette position avait de pénible et de génant, tout ce qu’il lui fallait souffrir, et souffrir en silence. Aussi quelquefois le vit-on s’y soustraire pour aller où? pour rentrer furtivement en France. Un malade, un moribond l’avait fait appeler pour lui confier un dernier aveu ou recevoir de lui la force de quitter le monde, et martyr de son ministère, sachant quel sort l’attendait, si la moindre imprudence l’eût fait découvrir, il bravait la mort pour arracher une ame à l’enfer et l’introduire dans les cieux.

Après neuf ans d’exil l’abbé de Chaffoy profit d’un moment de calme pour rentrer dans sa patrie. Ses peines étaient loin d’être adoncies: le chef de l’Eglise, par un acte de cette puissance souveraine qu’il a reçue de Dieu même, venait de ratifier aux yeux des hommes, la sentence que depuis quelques années le ciel avait prononcée sur l’Eglise gallicane. L’édifice ancien avait été par lui renversé dans sa base. Les évêques anciens, ceux-là même qui ont le plus honorablement combattu pour la foi sont par lui dépouillé de leur juridiction. Il devait en être de la sorte: ainsi lorsqu’un violent incendie a ravagé un temple, que tout est détruit, et que l’on aperçoit à peine quelques colonnes debout, quelques murs chancelans, un prudent architecte achève d’accumuler les ruines pour reconstruire un édifice nouveau. Telle fut la conduite de Pie VII: il alla même plus loin; et, dans sa profonde intelligence de l’esprit de l’Eglise, réalisant ce que saint Augustin avait autrefois proposé pour les Donatistes, il permit que les évêques schismatiques, après avoir fit leur soumission, continuassent à régir les Eglises usurpées par eux. « Je blâmai d’abord, nous répétait souvent notre vénérable pontife, une pareille concession; j’ai depuis reconnu par les résultats combien le Pape avait agi avec prudence. » Mais il fallait, pour rendre son calice plus amer, que l’archeveque constitutionnel de Besançon refusât constamment de reconnaître l’autorité du saint siège et persévérât dans sa séparation avec l’Eglise. Pour lui, il comprit sa position, et évitant avec soin ce qui pouvait marquer une opposition systématique, il se tint toujours à l’écart. Vainement l’archevêque intrus le fit-il solliciter d’accepter le titre de chanoine qu’il avait autrefois. M. de Chaffoy, à qui la rapacité révolutionnaire avaient à peine laissé quelques débris de son ancienne fortune, fut toujours ferme dans son refus. Et, cependant s’il fuyait les dignités, ce n’était pas qu’il repoussât le travail. Un concours de circonstances heureuses l’engagèrent à faire partie de l’administration des hôpitaux de Besançon. Bientôt il y consacre tout son temps, et ses collègues, pleins d’estime pour lui, le laissent agir presque seul, se contentant d’approuver ce qu’il soumettait à leur délibération. Ce genre d’occupation lui imposait des devoirs nouveaux, Il lui fallait des lumières; il alla les chercher dans la vie de saint-Vincent-de-Paule, et crut devoir méditer l’histoire de cet homme extraordinaire pendant un an entier. Il apprit tout de lui, et la direction des religieuses, pour lesquelles il composa un ouvrage auquel il donna par modestie le titre d’Analyse; il apprit à former un établissement de personnes pieuses qui, sans faire des voeux, se consacraient aux humbles soins des écoles de la campagne; il apprit à organiser une association de dames de charité qui sous sa conduite allaient visiter les pauvres, porter des secours aux infirmes, et formaient ainsi une sainte ligue pour repousser la douleur de la retraite de l’infortune. Il puisa surtout dans cette touchante étude, l’intérêt le plus tendre pour les enfans abandonneés, qui lui faisait éprouver un attachement plus vif envers ces pauvres créatures à mesure qu’elles étaient plus dénuées de tout secours humain. Vingt années de sa vie se passent au milieu de ces travaux. Il cherche toujours le silence et l’oubli comme le modèle qu’il s’était proposé; mais les fruits de son zèle ne pouvaient demeurer secrets. Partout où il se présentait, il était entouré comme de l’auréole de ses bonnes oeuvres les plus cachées, ainsi le soleil levant éclaire la terre de ses rayons avant même d’avoir percé les vapeurs du matin.

Cependant de grands changemens politiques avaient fait espérer une position plus florissante pour la religion. Le nombre des évêchés venait d’être augmenté. Le siège de Nismes autour duquel on groupa les anciennes églises d’Alais, d’Uzès et une partie du diocèse d’Arles, réclamait un évêque. Mais l’on ne se dissimulait pas les difficultés presqu’insurmontables qui attendaient l’homme de Dieu; le choix du roi était incertain, lorsqu’un illustre cardinal, qui avait gouverné autrefois une des églises réunies à celles de Nismes, et qui, pendant les années de son exil, avait apprécié l’admirable esprit de conciliation par lequel l’abbé de Chaffoy avait conquis l’estime universelle, dans un pays peuplé d’hérétiques, ne crut pouvoir donner à son ancien troupeau, un témoignage plus grand d’affection paternelle que de le réclamer pour évêque.

Ici, mes frères, il faut faire tomber le voile d’humilité sous lequel s’est constamment caché notre pontife. Je le sais, l’épiscopat est un fardeau que redoutent le plus, ceux qui en sont le plus dignes. Je ne vous dirai donc pas l’effroi dont il fut saisi en ouvrant la dépêche qui lui annonçait sa nomination: il eût fallu l’entendre lui-même peindre avec sa sublime simplicité, la stupeur profonde dans laquelle il fut plongé à cette nouvelle, Vous qui l’avez connu, vous comprendrez les sentimens de son ame; mais s’il se trouvait dans cet auditoire des hommes qui ne pussent croire à l’absence de toute ambition dans le coeur de prêtre, parce que le coeur de l’homme est naturellement ambitieux, nous leur dirions que Mgr. de Chaffoy avait déjà reçu du monarque des lettres d’archevêque de Besançon, lorsque le même monarque crut devoir le désigner au souverain pontife, comme le plus capable de régir l’église de Nismes.

Que ceux qui cherchent partout des motifs humains, nous expliquent comment on renonce à un siège archiépiscopal dans sa ville natale, dans un diocèse que l’on a administré pendant douze ans, et où de grandes vertus ont déjà assuré l’estime et la vénération, pour venir à soixante-huit ans, à l’âge où l’on commence à éprouver le besoin du repos, sous un climat étranger, au milieu d’un peuple contre lequel les conseillers du roi donnent eux-mêmes les plus funestes et heureusement les plus fausses préventions, pour venir dis-je, occuper un siège entouré d’écueils, et où la mître devait-être ceinte de la couronne d’épines du Sauveur.

Comprenez-vous maintenant, mes vénérables collègues, pourquoi il nous répétait si souvent qu’il n’aimait pas les prêtres de goût; qu’un ministre du seigneur doit toujours chercher la dernière place; qu’il peut bien quelquefois refuser des dignités, mais qu’il ne doit ne les demander jamais? Toutefois qu’on le sache bien, le sacrifice (s’il y en eût un de sa part) fut toujours un mystère entre Dieu et lui. Il n’a été connu que par le prince qui l’avait demandé, et qui fut obligé de rendre témoignage à une abnégation si profonde; pour lui, il la couvrit toujours des ombres du silence. Celui dont le coeur était si sincèrement ouvert à ses amis, ne leur confiait pas des secrets de cette espèce.

Vous savez mieux que moi, mes frères, quels travaux l’attendaient dans son diocèse. Rien ne l’émeut: du moment qu’il est désigné par le roi, il se croit obligé de consacrer tous ses soins au troupeau qu’on va lui confier. Il s’occupe de former dans notre ville une association de dames de miséricorde, il fait préparer un asile pour les jeunes orphelines, comme plus tard il ne dépendit pas de lui (il faut qu’on le sache), que le département ne jouit d’une école de sourds-muets. Tels étaient les préludes par lesquels l’homme de Dieu se préparait à sa mission.

Il arrive, et vous vous rappelez-mes frères, avec quels transports il fut reçu. Ah! certes, l’enthousiasme qui le précédait partout, dut lui prouver combien étaient fausses toutes les appréhensions par lesquelles on avait voulu l’effrayer. Dieu avait permis ces craintes afin de donner à sa foi l’occasion d’un plus beau triomphe. A peine arrivé ses travaux commencent,il fallait tout créer, tout former. Rien ne l’arrête. Nouvel Esdras, il porte d’une main de marteau qui édifie, et par ses soins actifs s’élève un séminaire d’où, comme d’une citadelle fortifiée, sortiront sans cesse de nouvelles troupes pour repousser l’ennemi; de l’autre main, il tient l’épée qui frappe; il appelle les missionnaires de France dans sa ville épiscopale; il confie d’abord une partie de ses missions diocésaines à un prêtre de son clergé, que je louerais davantage si je le chérissais moins; il organise un petit séminaire, afin de recevoir comme dans son germe, et de favoriser dans son développement, une vocation exposée à tant de périls dans le monde; il parcourt son diocèse avec une infatigable activité, rallume dans son clergé le zèle sacerdotal; il invite tous les ans ses prêtres à venir se retremper auprès de lui dans la méditation de la retraite. Le peuple avait la foi, mais n’était pas toujours fréquentées, l’exactitude du prélat, son recueillement dans le lieu saint, est la prédication la plus active et la mieux comprise. L’heureux effet de son action pénètre partout, rien ne peut s’y soustraire, nec est qui se abscondat a calore ejus.

Ainsi s’écoulent, dans tous les travaux de la sollicitude pastorale, les dix premières années de son apostolat. Rappellerai-je maintenant cette époque sinistre, où les catholiques indignés des vexations de tous genres qu’on leur faisait subir, semblaient enfin avoir pris le parti de résister à l’oppression par la force des armes? Vous montrerai-je les représentans de la force matérielle, reconnaissant leur impuissance morale, rendre comme malgré eux un hommage éclarant à la religion; invoquer le puissant ascendant du pontife sur les esprits; le supplier d’aller apaiser une irritation dont les conséquences pouvaient être affreuses? Vous le vîtes, mes frères, se diriger vers le lieu du rassemblement, faire entendre sa voix si persuasive et obtenir une soumission, qu’il eût peut-être fallu encourager davantage. Vous le vîtes encore, lorsque l’autorité, ne se sentant pas la force de protéger la liberté des cultes, nous força de renfermer dans nos églises ces signes vénérés, se prosterner au pied de cette même croix, et répondre aux consolations qu’on voulait apporter à sa douleur, augmentée de toute la douleur de ses enfans, par ces seules paroles: Sonsummatum est. Ah! s’il est vrai que, dans les momens solennels, Dieu se plait quelquefois à parler par la bouche des vieillards et de ses prêtres, quelle imposante autorité n’acquiert pas cette sentence lugubre tombant des lèvres du pontife! Non jamais je n’ai pu l’entendre répéter sans que l’émotion la plus vive fit battre mon coeur et sans que mes yeux se mouillassent de larmes. Grand Dieu que nous réservez-vous?

Catholiques! écoutez-le bien, c’était la consommation de votre opprobre; mais sachez-le aussi, ce sera le commencement de votre triomphe du jour où une foi ardente, vous éclairera sur vos devoirs; du jour où la charité en vous unissant comme un seul homme, vous donnera la force de les remplir; de ce jour vous vaincrez, non par la force mais par la patience, non par la violence mais par la douceur: car alors vous vous serez rendus dignes des leçons de votre pontife, et des enseignements qu’il puisa sur le Calvaire au pied de la croix*.

Au milieu de ces commotions douloureuses, le prélat n’en poursuit pas moins son oeuvre et toujours par les mêmes moyens. Les efforts qu’il voyait tenter de toutes parts pour renverser l’unité merveilleuse de l’Eglise universelle étaient pour lui un motif de resserrer de plus en plus dans son église les liens de la concorde et de la charité.

Ce même amour de l’unité lui faisait comprendre l’avantage d’une prière commune et des règles de discipline générale pour son diocèse; mais convaincu que les règles et les prières ne sont rien, si l’esprit de Dieu ne les anime, il désirait que tous ses prêtres reçussent de lui l’imposition des mains après avoir passé un an dans son séminaire; c’était là qu’il s’efforçait de transmettre ses sentimens aux jeunes rejetons du sanctuaire. Un prêtre lui parlait un jour du recueillement de l’esprit de vraie piété, et si je puis parler ainsi du bon ton qu’il avait observé parmi eux: Ah! s’écria-t-il, quel bien vous me faites! en me parlant ainsi de mes enfans. C’était le nom qu’il vous donnait, messieurs et j’ai été bien aise de vous rappeler publiquement ce témoignage de son affection; il vous l’a, certes, prouvée lorsqu’il a voulu que ses dépouilles reposassent parmi vous. Confiées à vos soins elles seront comme la base de l’édifice que vous êtes appelés à élever, vous serez les gardiens de ses cendres. Ah! soyez dignes d’un tel père!

Cependant l’âge minait son corps; il devait recevoir dans ses courses apostoliques un premier avertissement du trépas. Au moment de célébrer les saints mystères, il éprouve un affaiblissement qui effraie ceux qui l’entourent, on le presse de se retirer. Non, non, dit-il, laissez-moi au milieu de mon peuple; qu’il me serait consolant de mourir environné de mon troupeau! Un évêque peut-il désirer une plus belle mort? Ceci se passait à Saint-Paul de Beaucaire.

Mais la mort devait nous le laisser trois ans encore, afin qu’il pût donner à son clergé des règles synodales, préparer aux vétérans du sacerdoce des ressources contre les infirmités, et imprimer une nouvelle impulsion aux études ecclésiastiques par la formation de conférences théologiques, où chacun, apportant le tribut de ses connaissances, vient s’éclairer en même temps de celles de ses confrères.

Le premier avertissement de la maladie avait laissé au pontife la provision d’une seconde attaque. Par quelle étrange combinaison d’événemens, deviez-vous être, Monseigneur, le témoin de cet accident déplorable? C’était à votre premier entretien; et, vous le reçûtes entre vos bras lorsque la mort frappa son second coup. Votre affection pour lui ne devait-elle donc naître que sur les bords de sa tombe et ne deviez-vous l’aimer que pour répandre des larmes sur son cercueil? Mais il est des coeurs qui n’ont besoin que de se rapprocher pour s’unir; le vôtre fut digne du sien; et, ce sera, Monseigneur, la seule et la plus belle louange que vous recevrez de ma bouche dans cette lugubre circonstance.

L’affaissement de ses facultés physiques semblait devoir diminuer les puissances de son ame: il en servit qu’à en faire éclater l’égalité, la force et la patience. Rendez témoignage à mes paroles, et vous qui l’avez approché pendant ces deux années d’infirmité; et vous à qui il rendit le service si aisé; et vous, qui alliez lui demander des lumières sur les difficultès qui entravaient vos fonctions; et vous qu’il appelait à ses conseils; et vous surtout qui, semblable à ces guerriers qu’on voit dans les combats, faire à leur prince un rempart de leur corps, détournâtes sur vous les traits du mécontentement et même de la calomnie, afin de l’en préserver.

Dieu le veut, disait-il, et dans ces simples paroles il puisait la force de supporter ses maux, de conserver cette sérénité d’esprit, ce calme du coeur qui rendait son commerce si agréable. Dieu le veut, et il poursuivait ses travaux, il remplissait, autant qu’il dépendait de lui, les fonctions de son ministère; ne pouvant plus parler à son peuple, il lui écrivait ce mandement si touchant qu’il croyait devoir être le dernier, et toutefois la mort n’a pu le surprendre. Déjà, mes frères, son mandement pour le Carême prochain était fait. S’il était permis à un simple prêtre d’exprimer ici un voeu, nous demanderions aux représentans de l’autorité du chapitre, et qui le sont aussi de l’esprit du pontife, de nous faire bientôt connaître ce testament de notre père.

Dieu le veut, et jetant un regard jusques dans les derniers rangs de la débauche, avec quel intérêt paternel ne nous commandait-il pas de préparer un refuge pour les victimes du vice, qui sentent le besoin de recouvrer par le repentir une seconde innocence?

Dieu le veut, et il poursuivait sans relâches les affaires les plus pénibles de son administration: vainement les membres les plus influens de son conseil veulent-ils le détourner de frapper un grand coup: « Messieurs, leur dit-il, je suis prêt à paraître devant Dieu; un seul point de mon administration me trouble; je veux écouter le cri de ma conscience avant de me présenter au Tribunal suprême.: Et lorsqu’après avoir tout conduit avec cette paternelle bonté, qui étendait le voile de la charité sur ceux même qu’il croyait le plus coupables, au moment où il eût en besoin du secours de l’autorité extérieure, cette même autorité, par des motifs que je n’examine pas, loin de le seconder, le contrarie; il convoque extraordinairement son conseil; écoutez, mes frères, les paroles d’un vieillard qu’on disait dépourvu d’énergie: Messieurs, dit-il, je vous ai fait convoquer pour vous consulter non sur le fonds, mais sur la forme d’une lettre qu’on va vous lire; ma conscience seule l’a dictée. Après tout, je connais le chemin de l’exil, et s’il le faut je le reprendrai encore. Voilà ce que lui inspirait sa foi, en même temps que sa charité tempérait toutes choses; et certes, qui sut plus que lui se prêter à tout désir que ne contrariaient pas les lois de l’Eglise? Vous le savez, mes vénérables confrères, les dernières paroles qu’il adressa à son clergé, réuni autour de lui, après la retraite pastorale, ont été des conseils de modération, de prévenance et de charité envers les organes du pouvoir civil. Cependant on lui annonce que les peines qui, depuis quelque temps fatiguaient sa pensée, sont à leur terme, et, qu’au moment où l’on pouvait craindre une fâcheuse collision tout était heureusement apaisé. Ah! s’écrie-t-il, mon Dieu, je puis mourir maintenant! Dieu l’exauça. A onze heures du matin il avait adressé au ciel sa prière. A quatre heures du soir, une troisième attaque l’avait frappé.

Faut-il, mes frères, vous rappeler les derniers momens du juste, et vous le montrer conservant sous les coups de la mort le calme et la sérénité de son ame? Ses yeux étaient déjà fermés à la lumière, sa langue ne pouvait proférer aucun son, et cependant semblable à l’antique Jacob, sa main, bénissait ses prêtres et son diocèse, ou cherchait dans les ténèbres la main d’un ami pour la serrer encore une fois et lui exprimer ainsi un déchirant a

Notes et post-scriptum