- TD 8.202
- ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES
- LA SEMAINE SAINTE
- Le Pèlerin, N. S., IV, n° 168, 20 mars 1880, p. 1015-1022.
- TD 8, P. 202.
- 1 ABUS DES GRACES
1 AGONIE DE JESUS-CHRIST
1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
1 ANARCHISTES
1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
1 ANGES
1 AUGUSTIN
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 CHATIMENT
1 CONSPIRATION
1 CONTRITION
1 CORPS DE JESUS-CHRIST
1 CROIX DE JESUS-CHRIST
1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
1 ENNEMIS DE JESUS-CHRIST
1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
1 EPREUVES DE L'EGLISE
1 EUCHARISTIE
1 HAINE DE SATAN CONTRE JESUS-CHRIST
1 HISTOIRE DE L'EGLISE
1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
1 IMITATION DE JESUS CHRIST
1 INCONSTANCE
1 JEUDI SAINT
1 JUIFS
1 LACHETE
1 LUTTE CONTRE LE MONDE
1 MERE DE DIEU
1 MISERICORDE DE DIEU
1 PASSION DE JESUS-CHRIST
1 PERSECUTIONS
1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
1 REDEMPTION
1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
1 SACRIFICE DE LA CROIX
1 SACRILEGE
1 SAGESSE DE DIEU
1 SAINTS
1 SANG DE JESUS-CHRIST
1 SEMAINE SAINTE
1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
1 TRAHISON
1 TRIOMPHE
1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
1 UNION A JESUS-CHRIST
1 VERTUS
1 VIE DE SACRIFICE
2 ADAM
2 ANNE, GRAND PRETRE
2 CAIPHE
2 CESAR-AUGUSTE
2 HERODE ANTIPAS
2 ISAAC
2 JEAN, SAINT
2 JUDAS
2 LAZARE
2 PIERRE, SAINT
2 PILATE
2 SIMON DE CYRENE
3 FRANCE
3 JERUSALEM
3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS - 20 mars 1880.
- Paris
Nous entrons dans la grande semaine. Elle s’ouvre par un triomphe, elle se poursuit au milieu des complots contre la vie de Jésus; à quoi il répond par l’humilité en lavant les pieds à ses apôtres, par l’amour le plus immense en instituant l’Eucharistie, par la prière la plus douloureuse dans l’agonie du jardin des Oliviers.
Les complots se poursuivent et s’exécutent. Le premier acte en est une trahison et un reniement, le second une condamnation multiple, le troisième une série de supplices, le quatrième la mort du Sauveur, le cinquième sa déposition au tombeau, en attendant qu’il ressuscite.
Je voudrais présenter à mes lecteurs de courtes méditations sur ces sujets si importants.
I. Le triomphe.
Après la résurrection de Lazare, les Juifs venus à Jérusalem pour la Pâque voulaient tous voir Jésus. Et, bien que le Sauveur se cachât depuis quelque temps aux recherches des prêtres et des docteurs, il crut devoir faire une entrée triomphale à Jérusalem.
« Ne crains pas, ô fille de Sion, avait dit le prophète, voilà ton roi qui vient à toi plein de douceur, monté sur le poulain d’une ânesse, sur le fils d’une bête de somme ». On sait comment la prophétie fut exécutée à la lettre. Ce poulain que personne n’avait pu monter, c’étaient, disent les Pères, la gentilité dans sa révolte contre la loi de Dieu. Ne pouvons-nous pas dire, d’une manière plus pratique que sont les caractères indomptés que Jésus-Christ subjugue, quand il veut terrasser une âme? C’est aussi tel peuple qui n’a voulu connaître aucun frein et qui, peu à peu, s’assouplit sous la loi évangélique. C’est surtout l’histoire continuelle de l’Eglise. Elle est poursuivie par la haine et les conspirations les plus infernales; toujours elle montre son éclat et sa gloire à l’heure où l’on y pense le moins, pour reprendre bientôt après sa vie de luttes, d’humiliations et de douleurs en apparence inutiles. A quoi sert à Jésus d’entrer dans Jérusalem en triomphateur, sinon à aiguiser la rage de ses ennemis? Mais il faut qu’il donne quelque courage aux siens, et, quoiqu’il arrive, il se manifestera aux hommes pour préparer la foi, et l’espérance des uns, pour rendre les autres plus inexcusables.
II. Les complots.
Un conseil est assemblé chez le prince des prêtres. On dispute, on met en avant la peur qu’on a des Romains. C’est un grand instrument de règne que la peur servie à propos! A la vérité, elle ne réussit pas toujours; nous l’avons bien vu ces jours-ci. Mais enfin Caïphe se lève et dit: « Vous n’y comprenez rien. Ne voyez-vous pas qu’il convient qu’un homme meure pour tout le peuple? » Or, fait observer saint Jean, il ne prononça pas ces paroles de lui- même, mais il prophétisa, parce qu’il était pontife pour cette année. Dieu parle souvent et annonce ses arrêts même par la bouche des méchants.
Poursuis tes complots, Caïphe. Habile politique, tu crois avoir trouvé une combinaison, où ta haine et ta politique trouveront leur compte abominable. Fais décréter par ton sanhédrin la mort de Jésus, les Romains n’en viendront pas moins, et selon la prédiction de Jésus, le vrai prophète, ils assiègeront Jérusalem, la prendront d’assaut, brûleront le Temple, et, après avoir fait le plus affreux carnage de ses habitants, ils vendront comme pour rien ceux qu’ils se seront laissés de tuer. Le sacrifice des figures cessera à jamais; la véritable hostie, Jésus, ayant été immolée par ta rage et celle des tiens, l’autel sera dispersé, et il n’y aura plus d’autre autel que la croix.
Or, tout cela s’accomplit par la disposition de Dieu. Au moment voulu, quand la plénitude des temps est accomplie, quand les crimes de la terre sont montés assez haut, voici que la miséricorde apparaît: ubi abundavit delictum, ibi superabundavit gratia. Le Rédempteur sera mis à mort, Jérusalem en périra, les Juifs ne seront plus une nation, mais le monde aura été sauvé et Dieu se sera acquis un peuple nouveau.
Servons les desseins de Dieu, mais en cherchant à entrer dans des pensées de miséricorde, et non dans des arrêts terribles de châtiment. Soyons apôtres et non bourreaux, ni valets de bourreaux, comme le furent les Juifs. Donnons à Jésus nos vies, mais songeons quel sacrilège c’est que toucher à sa vie ou à celle de l’Eglise, cette continuation de Jésus. Le châtiment de tout crime de cette sorte peut se faire attendre quelques jours; il est infaillible qu’il arrivera à son heure. Quel besoin Dieu a-t-il de se presser? Il est utile qu’il mette parfois un retard pour endormir les impies dans leur victoire et exercer la patience des bons, trop hâtés dans leur désir de contempler les retours providentiels de la justice infinie.
III. L’humilité aux pieds des apôtres.
Pourtant Jésus se prépare à mourir, et afin de donner aux siens qu’il aima jusqu’à la fin l’enseignement d’une vertu inconnue jusque-là, il se lève de table, dépose ses vêtements, se ceint d’un linge, et, nettant de l’eau dans un bassin, leur lave les pieds, malgré les protestations de Pierre. Et quand il a terminé, reprenant ses vêtements et revenant à sa place: « Vous m’appelez votre Seigneur et votre maître, dit-il, et vous avez raison, car je le suis. Si donc votre Seigneur et votre maître, je vous ai lavé les pieds, combien plus ne devez-vous pas vous les laver les uns aux autres! ».
Tandis que les pharisiens s’exercent à toutes les iniquités, Jésus exerce ses disciples par son exemple à toutes les vertus. Vous serez humbles, vous vous rendrez de réciproques services, vous irez au devant les uns des autres, vous travaillerez dans un but commun, la gloire de mon Père, qui se chargera de vous récompenser de vos vertus.
Soyons ce que nous enseigne le divin modèle, soyons humbles abaissons notre fierté et que l’on sente toujours en nous le désir de marcher sur les traces du très humbles Jésus.
IV. Jésus institue l’Eucharistie.
La pâque figurative a été célébrée, l’agneau pascal mangé selon les prescriptions mosaîques. Voici le véritable agneau, l’agneau comme immolé dès l’origine du monde qui va se donner de ses propres mains: se dat suis manibus. Il prend du pain, rend grâces à son Père, le bénit et le distribue en disant: « Prenez et mangez, ceci est mon corps ». De même pour le calice: « Prenez et buvez-en tous, ceci est le calice du sang de la nouvelle alliance, qui est répandu pour vous et la rémission des péchés de tous. »
Oui, le corps qui va être livré aux gentils, ce sang qui va être répandu, c’est un aliment, c’est un breuvage offert à tous les hommes baptisés. Voilà jusqu’où va l’amour du Sauveur. Aussitôt un nouvel élément, l’élément vital, est introduit dans le culte divin, l’amour. Qui donc avait songé à avoir quelque tendresse pour Jupiter, Junon, Mercure ou Vénus? On les invoquait par peur, nul ne songeait à les aimer. A quoi bon aimer de pareils personnages! Jésus nous a aimés jusqu’à la fin, jusqu’à la mort; il appelle de notre part un amour semblable. Il se dévoue, exerce une nouvelle sorte de dévouement, il se sacrifie, et, par le sacrifice de tous les jours sur l’autel, il nous enseigne comment, nous aussi, nous devons devenir victimes.
L’eucharistie enfantera des prodiges; l’union avec Jésus-Christ, si intime, si puissante, produira des générations de saints. Où n’irait-on pas dans la force d’un pareil aliment, dans l’énergie d’un pareil breuvage? Les chrétiens sont allés à toutes les vertus, au martyre, aux déserts, aux cloitres, aux missions, sur les plages les plus inconnues. La vie de Jésus-Christ était en eux, et ils vivaient ici-bas de l’esprit de Jésus et de son amour, en attendant de vivre de sa gloire et de son union éternelle.
V. Jésus à l’agonie.
Le testament du Sauveur est donné à ses apôtres dans cet admirable discours de la Cène qu’il faudrait sans cesse méditer. Les plus fortifiantes leçons y sont données, les espérances inconnues y sont révélées, l’amour de Dieu pour les hommes y est manifesté; il se lève, chante l’hymne prescrit et sort, il va où la trahison l’attend, mais ne le surprendra pas. Il s’y prépare par cette prière où toutes les terreurs, tous les troubles viendront l’assaillir.
Il a peur, comme un Dieu-homme peut avoir peur. « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de vous! Cependant, que votre volonté soit faite et non la mienne! » Se repent-il d’avoir accepté de mourir pour les enfants d’Adam? Est-il épouvanté de ce que la justice de son Père lui prépare d’expiation? Non; seulement il permet à Satan, qui pour un temps s’était retiré de lui après la tentation du désert, de venir fondre de nouveau sur son humanité très pure pour la torturer à l’avance; car Satan, qui hait Jésus de la haine la plus implacable, ne voudrait pourtant pas sa mort qui sera le salut du genre humain. Ses assauts sont bien plutôt des essaies pour connaître certainement ce qu’est cet homme extraordinaire, dont toute la vie est divine, mais qui n’a pas indubitablement établi qu’il fût Dieu. Or Jésus se cache dans ses anéantissements, ses angoisses, ses terreurs, comme dans une retraite impénétrable à l’esprit de ténèbres.
C’est ce qu’après Jésus et à son exemple ont fait tous les saints. Ils ont accepté de souffrir, de s’enfoncer dans les monts; là ils ont été invincibles aux puissances du mal. Ah! quand ferons-nous comme eux? Quand à leur exemple triompherons-nous par la destruction de toutes les idées du monde, par l’adhésion à la volonté de Dieu?
L’agonie se prolonge d’autant plus douloureuse que Jésus est seul; ses disciples de choix ne savent qu’avoir peur et dormir; le mystère de cette prière n’a pour témoin que l’ange qui vient réconforter le roi des anges. Apprenons, nous aussi, à souffrir et prier sans consolation ni de la terre ni en apparence de Dieu.
VI. Jésus trahi et renié.
Jésus prie au jardin des Oliviers. Judas le sait. Judas a reçu trente pièces d’argent pour le livrer aux prêtres; il prend la cohorte dont ceux-ci disposent, les valets des souverains pontifes (ils étaient dix), et va chercher sa victime.
Saint Augustin, commentant le verset de saint Jean où il est dit: « Jésus sachant que son Père lui a tout remis entre les mains », s’écrie avec un admirable mouvement: donc le traître lui-même, car s’il ne l’avait pas entre les mains, il ne s’en servirait pas comme il l’entendait: ;Ergo et ipsum traditorem, nam si eum in manibus non haberet, non utique eo uteretur ut vellet. Oui, Jésus prévoyant le crime de Judas, se le fait délivrer par son Père. Judas accomplira le plus atroce des sacrilèges, et Jésus se servira de cet horrible déicide pour apporter aux hommes le plus grand des bienfaits, la rédemption par son sang. Pourquoi Judas n’en profite-t-il pas? Parce qu’il ne l’a pas voulu. Pourquoi ne l’a-t-il pas voulu? Parce qu’il a repoussé sa vocation d’apôtre.
Mais bientôt, selon la remarque de saint Augustin, il s’en ira dans son crime, dans le remords, dans le désespoir, se livrer aux mêmes prêtres auxquels il a livré Jésus; il se livrera à Satan lui-même, qui de son côté le trahit en l’abandonnant à sa rage: jam traditor traditur. Le traître, à son tour, est trahi. Il veut confesser son forfait devant les conspirateurs de la mort de Jésus; on lui répond par une amère ironie. Il leur jette le prix de sa trahison. A quoi bon! il va s’ôter la vie à l’aide du gibet qu’il se fait lui-même. Cependant un scrupule cynique s’empare de ces légistes; ils ramassent l’argent et en achètent le champ du sang, ager sanguinis. Et le nom de Judas restera de toutes les injures la plus cruelle.
Cependant Pierre, qui avait dit à Jésus: etiamsi omnes, ego non, Pierre accompagne son maître captif. On lui dédaigné la prophétie. Mais le danger est pressant, et Pierre à trois reprises renie son maître. Cependant, tandis que le coeur de Judas s’était endurci encore plus, quand le Sauveur lui avait dit: « Judas, tu trahis donc le Fils de l’homme par un baiser », un seul regard suffit au disciple présomptueux. Sans rien dire, pour ne pas le compromettre, Jésus regarde Pierre et le coeur de celui-ci est transpercé de part en part. Il sort et pleure amérement, et ses larmes, qui dureront autant que sa vie, creuseront, dit la tradition, des sillons dans ses joues, tant sa douleur sera profonde, tant ses regrets seront amers! Heureux qui, à l’exemple de Pierre, dans un grand amour, déteste des fautes même grandes! Ses fautes lui seront pardonnées en proportion de son repentir.
VII. Jésus et les tribunaux.
Chose étonnante que la quantité de juges: Anne, puis Caîphe, puis Pilate, puis Hérode, puis la populace, puis enfin Pilate une troisième ou quatrième fois, parce qu’il avait seul pouvoir pour porter la sentence finale et que, d’une part, il trouvait Jésus innocent, non invenio in eo causam, et, d’autre part, il ne voulait pas s’exposer du courroux de César on le menaçait.
O sainte Eglise de Dieu, vous connaissez, vous aussi, cette série de tribunaux, tant la jalousie masquée par leur piété menteuse a d’action, tant une certaine légalité a de textes de lois pour condamner l’innocence la plus manifeste, tant la volupté adultère apporte de mépris aux questions les plus importantes, tant la fureur populaire est aveugle à certains moments, tant l’ambition qui tremble a de bassesses devant certaines injonctions!
L’Eglise ne l’ignore pas. On la trahira toujours, on l’enchaînera toujours, toujours elle sera condamnée à périr sur quelque point du globe, et toujours elle vivra, et toujours elle verra sceller la pierre sur la tombe de ses ennemis
Aujourd’hui, c’est en France, paraît-il, que doit s’accomplir pour elle l’oeuvre de mort. Elle sait et ne s’en trouble pas. Hélas! l’Eglise vivra toujours sur quelque partie de la terre, mais il ne lui a pas été prédit qu’elle vivrait toujours en tout lieu.
VIII. Jésus est condamné à mort.
On n’a pas attendu la dernière sentence pour le torturer. La souffrance a commencé dès le jardin des Oliviers. Elle a continué chez les princes des prêtres, quand on le couvrait de crachats, qu’on lui mettait un voile sur la tête, qu’on le chargeait de coups, qu’on le soufflet ait. Il fallait que toute commisération fût absente, que toute cruauté fût assouvie. Il est conduit à Pilate, de là à Hérode qui le traite avec dérision. Au fond peut-être y avait-il là quelque bon sentiment chez ce prince. On ne condamne pas un fou à mort et Hérode avait fait mettre sur les épaules la robe des insensés.
Maintenant, rendez-vous compte du moyen employé par Pilate pour sauver la victime de la fureur judaîque. Jésus sera flagellé, courronné d’épines; on le frappera avec un sceptre dérisoire, on lui donnera le manteau de pourpre. Que veut-on de plus? Ah! rien n’y fera. Excitée par les prêtres, la foule, qui le recevait en triomphe quelques jours auparavant, n’a maintenant plus pour lui que des cris de mort. O bonté et douceur populaire, voilà bien de tes coups!
Rappelez-vous que plus un corps est parfait, plus il souffre, quand on lui cause une douleur. Quel corps plus parfait que celui du Sauveur? Quelles souffrances n’endure-t-il pas? Quelle patience ne met-il pas à les supporter!
Sachons trouver dans ces supplices avant-coureurs de la mort un double enseignement: le luxe de preuves que Jésus veut nous donner de son amour, -répétons-le, parce que rien de plus vrai, voilà jusqu’où il nous aime; mais aussi voilà les exemples qu’il nous donne. Jésus bafoué, insulté, torturé, flagellé, nous enseigne la purification de la douleur. Là est la vie chrétienne. L’horreur du péché, l’acceptation du châtiment est la preuve de l’amour de la créature pour son Dieu, de la même façon qu’un Dieu a montré son amour pour ses créatures. Heureux qui comprend ce mystère! Les saints en ont eu l’intelligence; c’est pourquoi, ce sont des saints. Soyons-le à leur exemple en suivant les traces sanglantes de Jésus.
IX. La croix et la mort.
La sentence portée par la haine sacerdotale, la fureur populaire, l’ambition effrayée, va s’exécuter. Après les fouets, la couronne d’épines, le sceptre de roseau, le manteau de pourpre, voici la croix. On en charge les épaules du nouvel Isaac, et il prend le chemin de la montagne où il doit être immolé. Que de chutes, que de coups, que de blasphèmes ajoutent à son supplice! Sa mère s’approche, et dans un pareil moment, peut-on dire que la vue de Marie lui soit une consolation? Une pieuse femme lui essuie le visage souillé de sang, de larmes et de fanges. D’autres femmes font entendre les accents de leur commisération. Jésus repousse les consolations de cette sorte: « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais sur vous et sur vos enfants ». La douleur de l’homme n’empêche pas le regard prophétique du Dieu sur le terrible avenir de la cité déicide. On craint que la faiblesse du condamné ne lui permette pas d’aller au bout de son supplice. Un étranger, Simon de Cyrène, passe; on l’angarie pour l’obliger à porter la croix avec Jésus. Heureux le chrétien qui peut aider la victime par excellence à consumer son sacrifice, à entrer dans ses sentiments, à lui rendre les douleurs moins cuisantes, le poids de sa croix moins lourd!
Le calvaire est atteint, la croix est couchée par terre, Jésus étendu sur le funeste et bientôt glorieux instrument de sa mort. Ses pieds, ses mains sont percés, la croix s’élève, le prêtre et la victime sont placés ainsi entre le ciel et la terre, le sang coule par autant de sources de vie pour la guérison des pécheurs, la voix du pontife se fait entendre à de rares intervalles. Il prie pour ses bourreaux: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Il recommande Jean à Marie, et dans la personne de Jean tous les hommes à sa mère, et dit qu’il a soif: soif mystérieuse où les âmes sont la cause de ce nouveau supplice. Il s’adresse à son Père et se plaint d’être abandonné, afin d’enseigner aux chrétiens appelés à la perfection quelles épreuves, quels délaissements, quelles ténèbres il faut subir, avant d’arriver à la pureté du coeur nécessaire pour obtenir l’intimité de l’union avec Dieu. Enfin, il pousse un grand cri et il expire, déposant comme de lui-même son âme entre les mains de son Père. Tout est consommé.
Que voulez-vous de plus? Jésus a-t-il aimé les hommes? Leur salut lui a-t-il coûté assez cher? Que peut-il de plus que mourir pour eux? Que feront maintenant les hommes pour lui? Plusieurs l’ignoreront, d’autres le repousseront. Il sera persécuté dans son Eglise, dans ses disciples les plus chers. Il convient qu’il en soit ainsi, pour que jusqu’à la fin se poursuive la lutte entre la haine de l’enfer et la miséricorde du ciel. Seulement, malheur à qui ne profite pas de cette immense tendresse, à qui ne sait pas comprendre l’amour et les dons inépuisables du Sauveur! Mais aussi heureux qui en profite, reçoit dans son coeur le sang qui coule du coeur transpercé de son maître! Heureux qui vivant dans la contemplation de ces douloureux mystères s’en applique les fruits vivifiants pour l’éternité!
Le sacrifice est accompli, que fera-t-on de ce corps inanimé? Pilate l’accorde à deux disciples secrets de sa doctrine, cachés jusque-là, à ce moment pleins de courage. On le descend de la croix; Marie est là avec quelques pieuses femmes pour l’honorer de leurs parfums. Un tombeau où personne n’avait été déposé encore est, ce semble, providentiellement préparé pour recevoir le corps de Jésus, qui, toujours uni à la divinité, y est renfermé comme dans son premier tabernacle. Laissons les pharisiens venir, avec l’autorisation du gouverneur, poser leur sceau sur la pierre qui ferme le sépulcre, l’entourer de gardes, afin que les apôtres ne puissent l’enlever. La timidité des apôtres les arrêtera sans doute. Mais qui arrêtera l’ange de Dieu quand, à l’heure voulue, il descendra du ciel, et, malgré les sceaux apposés, enlèvera la pierre, renversera les gardes dans leur frayeur, et, premier témoin de la résurrection de Jésus, ouvrira la tombe de celui qui est toujours libre parmi les morts: inter mortuos liber?