- TD 6.183
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- BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
HISTOIRE GENERALE DE L'EGLISE DEPUIS LA CREATION JUSQU'A NOS JOURS, PAR M. L'ABBE DARRAS (1). - Revue de l'enseignement chrétien, N. S., V. n° 25, mai 1873, p. 67-72.
- TD 6, P. 183.
- 1 ANCIEN TESTAMENT
1 ATHEISME
1 AUGUSTIN
1 DOGME
1 EDUCATION RELIGIEUSE
1 EGLISE
1 FAUSSE SCIENCE
1 FILLES DES ECOLES
1 GALLICANISME
1 GRACE
1 HAINE CONTRE DIEU
1 HERESIE
1 HISTOIRE DE L'EGLISE
1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
1 JESUS-CHRIST
1 LIVRES
1 LOISIRS
1 MORALE
1 NOUVEAU TESTAMENT
1 PAGANISME
1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
1 PHILOSOPHIE MODERNE
1 PROTESTANTISME
1 REVELATION
1 THEOLOGIE
1 TRINITE
1 VERITE
1 VIEILLESSE
2 BONALD, LOUIS DE
2 BOSSUET
2 CELSE
2 DARRAS, JOSEPH-EPIPHANE
2 DONAT
2 EUTYCHES
2 GUENEE, ANTOINE
2 HENRIETTE D'ANGLETERRE
2 LAMORICIERE, LOUIS DE
2 MAISTRE, JOSEPH DE
2 NESTORIUS
2 ORIGENE
2 ORLEANS, DUCHESSE D'
2 PELAGE
2 ROBERT BELLARMIN, SAINT
2 ROHRBACHER, RENE-FRANCOIS
2 VOLTAIRE - mai 1873.
- Nîmes
L’Histoire générale de l’Eglise, par M. l’abbé Darras, est un magnifique défi jeté à la science moderne par l’histoire ecclésiastique, qui est la vraie science de tous les temps. Elle est, en outre, la confirmation de la sentence de M. de Maistre contre nos derniers fabricants d’histoire: L’histoire, depuis trois siècles, est une vaste conspiration contre la vérité. Déjà l’abbé Rohrbacher en avait donné d’irrécusables preuves contre l’erreur gallicane. M. Darras ajoute au beau travail de son illustre devancier, en prenant à partie les adversaires de la vérité surnaturelle, et leur prouve combien leur science est de peu de valeur, et leur polémique frivole.
L’ampleur du cadre permet d’aborder toutes les difficultés d’histoire, de philosophie et de théologie, et de résoudre toutes les problèmes soulevés contre un dogme importun parce qu’il est la base d’une morale gênante.
Mais, en laissant de côté tous les détails où ce beau livre a le privilège d’exposer le vrai côté des choses avec une rare lucidité, l’oeuvre de M. Darras nous semble destinée à rendre les plus grands services à plusieurs classes de lecteurs, en dehors des membres du clergé dont il devrait être la lecture habituelle.
Il nous paraît d’abord s’adresser spécialement aux jeunes catholiques arrivés au terme de leurs études classiques. Ne voit-on pas, en dehors des grands centres où l’on espère trouver des guides sûrs, à ce moment de la vie, quand une intelligence de dix-huit à vingt ans commence à prendre possession d’elle-même, de jeunes hommes, dévorés du désir de savoir, perdre un temps précieux, parce qu’ils n’ont personne pour les diriger dans leurs travaux? Les vrais savants font défaut autour d’eux, et leurs facultés ne sont pas assez développées pour se suffire à elles-mêmes. Supposons un jeune homme plein de foi, doué d’une belle intelligence, d’un coeur animé d’un grand amour pour l’Eglise; il veut faire quelque chose pour la cause si attaquée des vérités divines, il veut tout au moins être en mesure de réfuter les erreurs de chaque jour, peut-être même faire une propagande comme les laïcs chrétiens peuvent le faire aujourd’hui. Eh bien! je ne connais pas, pour ce jeune homme, un meilleur arsenal que le livre de M. Darras. Il y trouvera de plus cette initiation précieuse à tout un ensemble de travaux. C’est un magnifique plan d’études, et peut-être de tous le plus utile et le plus fécond. Filia temporis veritas, la vérité se développe à travers les siècles; et, à mesure que l’histoire déroule les annales de l’Eglise, je ne sais quels horizons apparaissent, toujours nouveaux, toujours plus vastes. L’histoire de l’Eglise, c’est l’histoire de cette portion de l’humanité qui a toujours conservé la vérité, pour qui tous les temps ont été faits, pour qui la science réserve la solution vraie de ses problèmes.
A l’âge où l’on sent, avec une exubérance de vie dans les veines, une exubérance de curiosité dans l’intelligence, il est impossible, si la pureté de l’âme s’est conservée au milieu d’inévitables dangers, de ne pas éprouver le désir de donner une direction supérieure à cette ardeur dévorante, à laquelle un aliment est nécessaire, et qui se précipitera dans les profondeurs du mal, si elle ne s’élance vers les sommets du bien, du beau, du vrai.
Car il ne suffit pas d’avoir lu vingt ou trente volumes pour avoir tiré de l’histoire de l’Eglise tout ce qu’on en peut obtenir; il faut encore s’arrêter à tous les problèmes soulevés à chaque instant, à chaque pas dans cette marche à travers la vie des peuples. Ce n’est pas d’un coup d’oeil rapide qu’il faut dévorer ces pages chargées de faits, d’affirmations, de réfutations plus ou moins développées. C’est la plume à la main qu’il faut fouiller tous ces filons et les épuiser en quelque sorte. Il faut, là où la vérité apparaît dans tout son jour, prendre pour point d’appui des vérités incontestables, là où la lumière semble faire défaut, revenir avec patience et obstination, n’avancer qu’avec prudence; il faut faire de nombreux extraits, mais aussi poser de nombreux points d’interrogation. On dit que les Bibles de Bossuet et ses exemplaires de S. Augustin étaient criblés de notes; je voudrais que le jeune homme auquel je m’adresse, condamné à ces études solitaires, que fait le génie et qui le font à leur tour, comme dit M. de Bonald, je voudrais que lui aussi maltraitât de la sorte son exemplaire de l’histoire ecclésiastique, qu’il la prît, si l’expression est juste, corps à corps, et qu’après l’avoir lue une fois, il la relût encore, dût-il y trouver des taches, des lacunes, des solutions incomplètes. Le fond étant admirable, le résultat serait un accroissement de trésors dans la mémoire, de vigueur dans le jugement, et aussi de cette flamme pour la cause de Dieu, qui semble pas trop faire défaut de nos jours.
Envisagé par ce côté, l’ouvrage de M. l’abbé Darras me semble le guide le plus précieux à indiquer aux jeunes catholiques condamnés à compléter leurs études dans l’isolement, et résolus pourtant à les compléter.
En effet, la science réelle ne s’acquiert pas seulement par une exposition plus ou moins bien ordonnée des vérités qui se déroulent successivement et s’enchaînent entre elles. Quand Dieu a voulu se révéler aux hommes, il l’a fait, si je puis dire ainsi, par la méthode historique, comme la plus à la portée de toutes les intelligences. Voyez plutôt les livres sacrés, quelle place y occupent les récits de l’histoire. L’Ancien et le Nouveau Testament en sont pleins. L’histoire est le plus sûr moyen de fixer, dans l’esprit de l’homme, la vérité dans l’exposition des faits.
C’est que la vérité elle-même est un fait; la révélation un fait; la création, la chute de l’homme, la réparation sont des faits; la mission de Jésus-Christ est le plus grand de tous les faits, dont l’Eglise est le perpétuel témoin. Et l’homme, par sa nature, saisit plus facilement les faits historiques que les systèmes théologiques et leurs plus profondes investigations. Dieu me préserve de vouloir rabaisser la science des sciences, la théologie, au profit de l’histoire; je dis seulement que le jeune homme livré à lui-même se passera plus facilement d’un maître, s’il lui fait défaut, dans des études d’histoire, que dans les études les plus belles des théologiens anciens ou modernes.
Mais ne peut-on pas dire que les études du jeune homme auquel je m’adresse trouveront un plan très-réel, alors même que, dans ses études et ses travaux, il semble ne suivre que le cours des âges? Bellarmin, dans un discours mis en tête de ses controverses, si je ne me trompe, ne fait-il pas observer l’enchaînement logique des hérésies source de l’enchaînement très logique des vérités catholiques, promulguées successivement par les Conciles ou par les Souverains Pontifes?
Voyez plutôt.
D’abord, c’est l’unité de Dieu qui s’affirme contre le paganisme et la Gnose; puis la Trinité contre les Ariens et les Macédoniens. Nestorius semble n’apparaître que pour fixer, avec Eutychès, par les anathèmes dont tous les deux sont l’objet, à un double point de vue, le dogme de l’Incarnation. Donat inaugure, si je puis dire, la question de l’Eglise; Pélage, celle de la grâce. Plus tard, leurs erreurs développées devaient être reprises en sous-oeuvre par les protestants. Nous revenons aujourd’hui à la négation absolue du surnaturel. On dirait que Dieu, après avoir pris un moment possession du monde par Jésus-Christ, doive en être de nouveau chassé par la révolte radicale de l’homme excité par la révolte de Satan.
La lumière n’est pas nécessaire aux seuls jeunes gens. Que de chrétiennes, jeunes et autres, à qui leur position la rend indispensable! Après des études plus ou moins complètes dans les pensionnats modernes, après ces cours où les parents livrent l’intelligence de leurs filles aux plus incroyables professeurs, et où l’on s’applique surtout à démolir ce qui a été construit par une éducation rapide sans doute, mais dont les principes du moins étaient catholiques, après un couronnement d’instruction par un enseignement littéraire théâtral, et, si j’ose dire, romantique ou romanesque, on peut voir des jeunes personnes sérieuses souffrir du vide fait dans leur intelligence, quand elles n’ont pas à souffrir des ravages faits dans le trésor de leurs croyances. Elles veulent alors recommencer des études chrétiennes. Bossuet n’avait-il pas aidé la duchesse d’Orléans, fille d’Henriette d’Angleterre, à recommencer les siennes, à l’âge de vingt-six ans? Mais comme en général, et aujourd’hui moins que jamais, les Bossuet ne courent pas les rues, il faut un guide. Eh bien! l’histoire de l’Eglise est encore là, avec sa direction ferme, éclairée, large, féconde. Soit que les personnes auxquelles je m’adresse se préparent à exercer dans le monde une influence obligée, et qu’elles veuillent la rendre profondément religieuse; soit que, placées déjà au milieu d’affirmations impies, elles comprennent l’urgence de pouvoir donner réponse aux objections, dans certaines circonstances opportunes: après leurs exemples de patience, de douceur et de fermeté, après la ferveur de leurs prières et de leurs larmes pour certaines âmes plus spécialement confiées à leur sollicitude, je ne connais pas d’arsenal mieux fourni de bonnes raisons contre les sottes objections modernes, que le livre de M. l’abbé Darras.
Si à cette lecture, déjà considérable, elles voulaient en joindre une autre, je ne doute pas que, avec l’intelligence que je dois supposer, elles n’acquièrent une supériorité véritable dans toute discussion entamée contre elles au nom de la libre pensée et de la morale indépendante.
Voltaire, dans ses attaques contre la religion, croyait avoir renversé, écrasé linfâme. Or, à peine ses blasphèmes contre l’Ancien Testament avaient-ils paru, que les Lettres de quelques Juifs de l’abbé Guénée venaient renverser son échafaudage haineux. Depuis, d’autres objections, plus ou moins scientifiques, ont été faites, et il est probable que de nouvelles surgiront encore. Eh bien! pour une personne capable de lier deux idées, si l’abbé Guénée et les autres apologistes du XVIIIe siècle ont réfuté Voltaire, comme Origène avait réfuté Celse; si M. Darras a éclairé, au courant de son histoire, toutes les ombres plus ou moins récentes, à mesure qu’elles se présentaient dans le cadre de son livre, une règle de proportion bien simple ne permet- elle pas d’affirmer que si, dans quelques années, de nouveaux problèmes anti-religieux se présentent, ils seront également éclaircis! Ce ne sera qu’une question de temps, et Dieu fera la grâce que de nouvelles oppositions à la vérité provoquent seulement une effusion nouvelle de lumières.
Il n’en faut pas davantage à une chrétienne instruite pour écart toutes les obscurités de l’impiété à toutes les époques. Quand elle s’est convaincue que rien n’a été dit contre la religion, qui n’ait eu son éclaircissement -et l’Histoire générale de l’Eglise le prouve admirablement- toutes les inventions de l’avenir peuvent s’accumuler, elle sait d’avance que Dieu suscitera un homme pour achever ce que les apologistes modernes ont continué jusqu’au temps présent.
J’ai parlé des jeunes gens et des chrétiennes placés dans les difficultés du monde. Je voudrais dire un mot des hommes de loisir; mais plus je vais, plus je m’aperçois que les gens de loisir n’ont jamais le temps de rien faire, et surtout de rien lire de sérieux. Je m’adresserai donc en finissant à ceux dont la vie occupée s’arrête, avant la tombe, dans un repos qu’ils veulent rendre utile. Le tumulte de l’ambition, la préoccupation des affaires les ont empêchés de descendre au fond de leur conscience, de remonter à leur origine première, de sonder le terme, le but final de leur existence. Pourtant la nuit de la mort les préoccupe; ils veulent, d’un désir sain, savoir si aucune lumière n’éclaire le monde au-delà de la vie présente. De fortes études les fatigueraient trop; pour eux, je l’affirme sans crainte, la méthode historique est préférable à tous égards. L’abbé Darras peut leur être un utile ami, il peut les accompagner dans leurs promenades solitaires. Au coin du feu pendant l’hiver; sur le lit de douleur -comme pour Lamoricière- il les éclairera, les consolera; et, en agrandissant leurs horizons, donnera à leur foi, peut-être endormie, peut-être ébranlée, une nouvelle fermeté et un nouvel élan.
J’ai voulu indiquer quelques-unes des classes de lecteurs auxquels le livre, que je voudrais voir dans bien des mains, peut-être salutaire. Je ne parle pas des ecclésiastiques. Pourtant, que de préjugés d’éducation ne ferait-il pas tomber, que de précieux filons de la science ne peut-il pas aider à découvrir! Aujourd’hui, la curiosité des esprits pousse à remonter aux sources; or, rien ne réveillera plus le goût de ces études que la lecture de certaines pages. Pour moi, je le confesse, il y a un autre sentiment que M. Darras me fait éprouver, c’est le regret de n’avoir plus devant moi assez de temps pour me plonger dans toutes les recherches dont il m’inspire l’ardeur, et au terme desquelles je trouverais des trésors, que je soupçonnais, mais qui seront la conquête d’hommes plus jeunes que moi, et à qui les années ne feront pas défaut.
E. D'ALZON.