- V3-523
- 0+667|DCLXVII
- Vailhé, LETTRES, vol.3, p.523
- 1 AUTORITE DE L'EGLISE
1 CHARITE THEOLOGALE
1 CONCILE PROVINCIAL
1 DEFENSE DE L'EGLISE
1 DOGME
1 DROIT CANON
1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
1 IMMACULEE CONCEPTION
1 INDEPENDANCE CATHOLIQUE
1 INTEMPERIES
1 LIBERTE
1 LITURGIE ROMAINE
1 PRESSE
1 SAINT-SIEGE
1 SEMINAIRES
1 ULTRAMONTANISME
2 BAILLY, LOUIS
2 BOSSUET
2 CART, JEAN-FRANCOIS
2 CHATROUSSE, PIERRE
2 DEBELAY, JEAN-MARIE-MATHIAS
2 DEPERY, JEAN-IRENEE
2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
2 GAREISO, JOSEPH
2 GREGOIRE XVI
2 GUIBERT, JOSEPH-HIPPOLYTE
2 MARTIN, JESUITE
2 PIE IX
2 ROBIN, LOUIS-FRANCOIS
2 TACONNET, EUGENE
2 THIBAULT, CHARLES-THOMAS
2 VEUILLOT, ELISE
2 VEUILLOT, EUGENE
2 VEUILLOT, LOUIS
2 VINTRAS, PIERRE-EUGENE-MICHEL
3 AVIGNON
3 GAP
3 MONTPELLIER
3 NIMES
3 VALENCE
3 VIVIERS - A MONSIEUR MELCHIOR DU LAC (1).
- DU_LAC Melchior
- le 1er janvier 1850.
- 1 jan 1850
- Nîmes,
Mon cher ami,
Il fait un temps affreux: un soleil magnifique, mais une de ces bises à renverser les maisons. Je ne suis pas très bien portant et je trouve bien plus agréable de passer la journée en partie à vous écrire qu’à aller faire d’insipides visites. D’abord, bonne année, mon cher ami, et vous savez tout ce que mon coeur d’ami et de prêtre peut vous souhaiter de patience et de résignation au milieu des épreuves que Dieu vous envoie. Chargez-vous aussi de mes voeux pour notre bon de Jouenne et toute sa nichée. Mille choses, bien entendu, aux Veuillot et à Taconet.
Maintenant, parlons du Concile. Il aura du bon; seulement, il aura été fait à coups de poing. Les choses ont été organisées de façon que les Congrégations se paralysaient entre elles. On a souvent fait double et triple travail pour rien du tout. Ainsi, pour plaire à l’évêque de Nîmes, j’ai refait trois fois le projet de décret sur la liturgie. Quand on me l’a eu rogné, amoindri, annihilé, le P. Martin est venu, l’a supprimé pour en faire un autre, d’une force incroyable dans les considérants, mais moins fort quant aux conclusions. J’avais mis dans mon projet que les évêques de la province, considérant ce que les Papes, et en particulier Pie IX et Grégoire XVI, avaient fait pour ramener à la liturgie, ad tantae auctoritatis vocem obtemperantes curabunt provinciae Avenionensis patres, ubi idonea fuerit occasio, usus missalis ritualis et breviarii Romani quam primum reviviscat et accurate servetur. Interea nihil innovetur quod liturgiae Romanae obstet, et subdiaconis in futurum ordinandis mandetur breviarii Romani recitatio. C’est à peu près cela, car je cite de mémoire. Les évêques ont biffé le quam primum et supprimé l’ordre donné aux sous-diacres de réciter le bréviaire. Le plus acharné contre ce rétablissement a été l’évêque de Viviers, qui, du reste, a constamment fait preuve des idées les plus étroites, et cela d’une manière d’autant plus funeste qu’il se posait en ultramontain.
Heureusement que l’évêque de Gap(2), quoiqu’il ne fît pas partie du Concile, a indirectement, puissamment aidé à la chose. Les Congrégations générales ont été peu de chose sur la liturgie. Le supérieur du Grand Séminaire d’Avignon a fait impression sur tout le monde. Il a dit aux évêques: « Vous nous avez communiqué un projet de décret sur les officialités, dans lequel vous dites que vous croyez devoir accorder quelque chose aux réclamations du clergé, mais vous ne songez pas que la partie du clergé qui réclame la liturgie romaine est pour le moins aussi digne de respect par sa science, sa piété et son amour de l’Eglise. La première demande une chose qu’on peut dire être au moins praeter ius, tandis que la seconde, en demandant le retour à l’unité, demande ce qui est essentiellement secundum ius. »
Sur l’Immaculée Conception, je vous avouerai entre nous que j’avais fait un projet qui me paraissait bon. Les deux idées fondamentales étaient: 1° que, quand toutes les vérités étaient ébranlées ainsi que l’autorité sur laquelle l’enseignement catholique repose, il convenait que cette autorité protestât de sa puissance en continuant à définir les dogmes, comme de tout temps; 2° que l’Eglise, maîtresse de choisir les dogmes qu’elle veut définir, prouvait de qui elle reçoit son secours en proclamant la perpétuelle pureté de celle qui a écrasé la tête du serpent et seule détruit toutes les hérésies dans l’univers. Le P. Martin a préféré copier à peu près la thèse de Bailly.
L’on a fait une profession de foi au Saint-Siège qui m’a paru trop peu romaine. J’ai cru devoir protester sur la manière dont on parle, comme Bossuet, de l’Eglise de Rome et presque pas du Pape. Il y a pourtant une belle adresse à Pie IX: elle est de l’évêque de Montpellier.
Il me reste à vous parler de deux décrets, l’un sur la charité et l’autre sur les études. Celui sur la charité témoigne d’assez bonnes intentions, mais il n’y a, à mon gré, que des intentions et pas autre chose. Quand, à la Congrégation générale, on me demanda mon avis, je me permis de déclarer que le sujet était trop important pour en parler après une simple et rapide lecture. Je déclarai cependant que je l’approuvais quant à la pensée, mais qu’il me paraissait exiger de graves modifications, ou plutôt de plus longues études que ce qu’on avait pu lui en consacrer. Ceci commença à mécontenter, à ce que j’ai su depuis.
Dans la même séance, on lut le projet de décret sur les études. Les deux premières parties qui traitent des études des Petits et des Grands Séminaires me parurent pitoyables. Je déclarai que je me reconnaissais incompétent pour les études de théologie, mais que, pour l’instruction littéraire, le décret me paraissait compromettant aux yeux des universitaires qui n’eussent pas mieux fait, si on les avait chargés de déprécier l’instruction donnée sous la direction des évêques. Je demandai, ou qu’on modifiât considérablement le plan d’études, ou qu’on restât dans des termes plus généraux et qui n’engageraient sur rien. On commença à froncer le sourcil. La troisième partie du décret est bonne. On décrète que l’on fera une maison de hautes études théologiques et que l’on demandera au Pape le droit d’y donner les grades. C’est le meilleur moyen, à mon gré, de tuer les Facultés théologiques du gouvernement. Mais, quand on eut lu cette troisième partie du décret, je demandai s’il n’y avait plus rien, et comme l’archevêque me répondait affirmativement, je demandai la permission de parler d’une omission qui me semblait grave.
Je déclarai que l’on n’avait pas dit un mot de la liberté de l’Eglise; qu’on avait abordé les petites questions de détail; qu’on avait par exemple condamné Vingtras(3), dont les sectateurs offraient peu de danger, mais qu’on semblait avoir craint d’aborder en face le grand, le véritable ennemi, l’ennemi qui depuis si longtemps veut asservir l’Eglise; que Dieu nous ayant donné la liberté (la liberté des Conciles par exemple), sans que nous eussions rien fait pour cela, il fallait au moins faire quelque chose pour la conserver. Je brodai ce thème pendant dix minutes et je finis par demander que, ou l’on fît un décret spécial, ou que, dans un décret comme celui des études ou celui des devoirs des évêques, on dît quelque chose de la résolution des évêques de défendre la liberté de l’Eglise.
Il paraît que, de ce moment, je n’ai plus été bon à donner aux chiens. Quelques prêtres vinrent bien me faire compliment de ce que j’avais dit, mais mon évêque me déclara en particulier que je n’avais pas été convenable de reprocher aux évêques d’avoir oublié quelque chose. L’évêque de Montpellier, qui prêcha le lendemain à la métropole, commença son sermon, qui fut court, par une immense tirade contre ceux qui voulaient qu’on fît des décrets sur la liberté de l’Eglise, que l’Eglise se servait de la liberté sans faire de phrases, etc., etc. Je vous demande pardon de tant vous dire ce que j’ai fait, mais franchement voilà les seuls incidents de quelque intérêt.
Le Concile aura de bon que les évêques semblent assez s’entendre et que l’archevêque d’Avignon paraît assez les mener. Cependant, à la dernière session de la métropole, quand on demanda aux évêques le placet pour le décret sur les études, l’évêque de Valence ne se gêna pas pour dire à haute et intelligible voix: non placet.
L’abbé Gareizo, qui vient me souhaiter la bonne année et à qui j’ai fait part de ce que je vous écris, m’assure que j’ai tort de croire que la plupart des prêtres aient désapprouvé ce que j’ai dit sur la liberté de l’Eglise, que je fus, au contraire, approuvé de presque tous; il ajoute que les journaux ont vanté l’énergie avec laquelle l’évêque de Montpellier a parlé sur la liberté de l’Eglise. Et vous voyez pourtant qu’il n’a eu que l’intention de réfuter le regret que j’avais exprimé qu’on n’en eût pas parlé dans les décrets.
Adieu. Le papier me manque pour écrire, et le temps pour me relire. Voici pourtant une lettre, dont vous ferez ce que vous voudrez.
E. d'Alzon.2. Mgr Depéry, un des prélats les plus instruits et les plus zélés du XIXe siècle.
3. Auteur obscur d'une secte philosophique, renouvelée plus ou moins du montanisme. Retiré à Tilly, dans le Calvados, il fut d'abord condamné par l'évêque de Bayeux, puis par le pape Grégoire XVI, en 1843.