Vailhé, LETTRES, vol.2, p.153

26 may 1844 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

D’après la supérieure des Carmélites, il lui a exposé la doctrine du pur abandon. -Sa manière de voir, bonne en soi, a peut-être péché dans l’application. -Elle est la plus parfaite, mais n’est pas bonne pour tous. -Lui-même s’est rapproché de l’oraison. -Au sujet de plans de constructions.

Informations générales
  • V2-153
  • 0+336|CCCXXXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.2, p.153
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ARCHITECTURE SACREE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 CALICE
    1 CIRCONCISION DE JESUS-CHRIST
    1 DESOBEISSANCE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ERREUR
    1 JESUS
    1 ORAISON
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PENTECOTE
    1 PRESENTATION AU TEMPLE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SOUFFRANCE SUBIE
    1 VERITE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 BERULLE, PIERRE DE
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
    2 JOSEPH, SAINT
    2 MARIE-ELISABETH DE LA CROIX, CARMELITE
    2 PUYSEGUR, ANATOLE DE
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS (1).
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 26 mai 1844, jour de la Pentecôte.
  • 26 may 1844
  • Nîmes,
La lettre

Je veux passer avec vous, ma chère enfant, une partie du temps où l’Eglise croit que le Saint-Esprit descendit sur les apôtres et je demande à Notre-Seigneur de vous envoyer son esprit consolateur qui vous fortifie, vous régénère et vous éclaire. J’ai beaucoup de dévotion au Saint-Esprit et je voudrais bien qu’il plaçât entre vous et moi le don d’intelligence, afin que nous puissions nous entendre un peu mieux. Dans mon désir d’y arriver, je suis allé trouver la supérieure des Carmélites(2), femme d’un très haut mérite, sachant par coeur votre cardinal de Bérulle, et je lui ai exposé ma manière de voir qui me paraissait être purement la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle m’a répondu qu’elle me comprenait à merveille et que je ne faisais que lui exposer la doctrine du pur abandon.

Je vous avoue que ceci m’a un peu tranquillisé, parce que j’ai au fond de l’âme une telle certitude que j’ai raison que, tout décidé que je suis à faire céder mon opinion, il me semblait que je ne devais pas imposer silence à une de ces convictions victorieuses, que j’ai rarement, mais que je crois devoir maintenir en moi avec quelque zèle, sous peine d’abdiquer mon existence morale. Une fois la question personnelle vidée -car je vous préviens que je la considère ainsi pour ce qui me concerne,- j’arrive à la question générale et je dis:

1° Que ma manière de voir est bonne en elle-même, mais que j’ai peut-être eu tort d’en faire des applications trop absolues. Voilà le point à examiner et sur lequel j’accepte la discussion, et voici encore en quel sens: c’est à savoir si je dois vous pousser dans une voie qui vous répugne tant. Or, je dis que je ne le dois point; et c’est sous ce rapport que je dis que j’ai peut-être mal fait, dans le temps, de vous faire tant souffrir, soit parce que je voulais vous faire avancer trop vite, soit parce que je voulais vous imposer une voie qui n’est pas la vôtre. Car, permettez-moi de répondre d’un coup à deux de vos observations. La première est que je me trompe, quand je pose des principes généraux et des systèmes. -Je vous assure que, pour les principes, je m’en tiens à ceux de l’Evangile; quant aux systèmes, je n’en ai pas, convaincu que je suis que aliae sunt viae meae, aliae sunt viae vestrae(3); seulement, j’ai voulu vous traiter quelquefois d’après moi et [d’après] ce qui m’était allé dans certains auteurs, et peut-être sous ce rapport me suis-je trop hâté.- La seconde observation est que vous vous irritez contre ma promesse de vous étendre sur la croix. Marie et Joseph, dites-vous, ne crucifièrent pas Jésus. Qui donc le présenta à la circoncision et au Temple? Non, Marie ne crucifia pas Jésus. Mais que faisait-elle, selon les Pères, auprès de la croix? Etre bourreau ne me convient pas, si vous y voyez le crime de l’assassinat; être pontife me convient très fort; et puisque tous les jours j’immole Jésus-Christ, je vous préviens que c’est avec bonheur que je vous crucifierai de la manière que je crucifie Notre-Seigneur, et que je ferai couler le sang de votre volonté dans le calice mes paroles font couler le sang de mon Dieu.

2° Vous me demandez si la voie que je vous propose est la plus parfaite. Franchement, sans hésiter, oui. Elle l’est pour moi. L’est-elle pour vous? Pas encore, peut-être jamais; car je ne voudrais pas blesser en vous le moins du monde l’attrait du Saint-Esprit, et je suis à l’étudier avec la plus grande attention dans votre âme. Vous avez, en effet, tort encore de croire que je veuille autre chose qu’éloigner les obstacles qui paralyseraient son action, et, sous ce rapport encore, je suis totalement de votre avis qu’un directeur ne doit rien imposer de lui-même, qu’il doit seulement écarter le mal et proposer le bien.

La pensée que ma direction doit vous anéantir est très bonne. Je ne sais pourquoi je suis frappé, avec vous, de ce profond reflet d’indépendance que vous avez emporté du monde et qui vous suit au milieu de vos plus grands abaissements. Tandis que vous vous êtes écartée de l’oraison, je m’en suis singulièrement rapproché et je ne sais pourquoi je suis porté à vous en savoir un gré tout particulier. Que Dieu vous en récompense, si c’est réellement à vous que je le dois, comme je suis heureux de le supposer!

Je vous plains d’être dans les plans. Si j’étais près de vous, je pourrais vous être peut-être bon à quelque chose. J’ai eu, malheureusement, à me tant occuper de plans que je n’ai pu ensuite faire exécuter, que je ne sais si je ne ferais pas un passable architecte. [Vous] voyez que j’ai encore assez bonne opinion de mes petits talents.

Je m’arrête là pour aujourd’hui. Il me faut aller à la Grand’Messe: j’y prierai pour vous le Saint-Esprit. Envoyez-moi toujours votre lettre commencée. Il y a toujours dans vos paroles quelque chose qui me va et qui me fait du bien.

Adieu, ma chère fille. Il faudra que je vous écrive encore sur bien des idées que j’ai en tête.

Notes et post-scriptum
1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption* t. II, p. 77, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 449. La lettre fut écrite le jour de la Pentecôte; le soir même l'abbé d'Alzon partait pour Turin, où son beau-frère était tombé gravement malade.
2. La Mère Marie-Elisabeth de la Croix, née à Aix le 30 mai 1801, fondatrice et première supérieure du Carmel de Nîmes, morte à Nîmes le 7 mars 1861. Voir la petite notice que l'abbé de Cabrières lui consacra et dans laquelle sont racontées les origines de la maison de Nîmes. (*Notice sur la vie de la R. M. Marie-Elisabeth de la Croix*. Paris et Nîmes, 1862.)1. D'après une copie. Voir des extraits dans *Les origines de l'Assomption* t. II, p. 77, et dans *Notes et Documents*, t. II, p. 449. La lettre fut écrite le jour de la Pentecôte; le soir même l'abbé d'Alzon partait pour Turin, où son beau-frère était tombé gravement malade.
2. La Mère Marie-Elisabeth de la Croix, née à Aix le 30 mai 1801, fondatrice et première supérieure du Carmel de Nîmes, morte à Nîmes le 7 mars 1861. Voir la petite notice que l'abbé de Cabrières lui consacra et dans laquelle sont racontées les origines de la maison de Nîmes. (*Notice sur la vie de la R. M. Marie-Elisabeth de la Croix*. Paris et Nîmes, 1862.)3. *Is*. LV, 8.