- V1-623
- 0+196|CXCVI
- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.623
- 1 ABSOLUTISME
1 APOSTOLAT
1 AUGUSTIN
1 CARDINAL
1 CATHOLIQUE
1 CHRISTIANISME
1 COLERE
1 CREATION
1 CREATURES
1 DIEU
1 DIPLOMATIE
1 DOMESTIQUES
1 EDIFICE DU CULTE
1 ENCYCLIQUE
1 ESCLAVAGE
1 EVEQUE
1 HERESIE
1 LIBERAUX
1 LIBERTE
1 LIVRES
1 MALADIES
1 MONARCHIE
1 MORT
1 NOBLESSE
1 PAGANISME
1 PECHE
1 PEUPLE
1 PRETRE
1 PROVIDENCE
1 ROYALISTES
1 SALUT DU GENRE HUMAIN
1 SOUVERAIN PROFANE
1 SOUVERAINETE POLITIQUE
1 SYMPTOMES
1 THEOLOGIE
1 TOMBEAU
1 TRANSPORTS
1 VERITE
1 VOL
2 ALZON, HENRI D'
2 AMBROISE, SAINT
2 DELAROCHE, PAUL
2 FANNY
2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
2 GREGOIRE XVI
2 JACQUES I STUART
2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 PEDRO I, EMPEREUR DU BRESIL
2 POLIDORI, PAOLO
2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
2 ROBERT BELLARMIN, SAINT
2 ROUSSEAU, JEAN-JACQUES
2 SALA, GIUSEPPE-ANTONIO
2 SUAREZ, FRANCISCO
2 VENTURA, GIOACCHINO
3 AFRIQUE
3 ANGLETERRE
3 BELGIQUE
3 ETATS-UNIS
3 EUROPE
3 FRANCE
3 HIPPONE
3 IRLANDE
3 PARIS
3 ROME, MONTECAVALLO - A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
- ALZON_AUGUSTINE
- le 1er août 1834.]
- 1 aug 1834
- [Rome,
- Mademoiselle
Mademoiselle Augustine d'Alzon,
au château de Lavagnac,
par Montagnac, département de l'Hérault.
France, par Antibes.
Ma chère amie,
Je t’écris pour t’écrire. Je sais qu’une de tes lettres, que mon père m’a annoncée, ne m’a pas été remise. J’en suis fâché. Je l’ai fait demander deux fois; on ne me l’a pas donnée. Ceci me vexe. Cependant c’est à cette lettre, que je ne connais pas, que je réponds, parce que je ne suis pas dans ce moment capable de faire autre chose. Il pleut depuis plusieurs jours, mais ce sont des pluies entremêlées de soleil, qui, loin de rafraîchir le temps, le réchauffent. Il fait lourd, pesant, suintant; on sue des chemises à changer de place; on a mal à la tête; on n’est bon à rien.
Ajoute à cela que je suis de mauvaise humeur contre tout le Sacré-Collège. Ne se sont-ils pas avisés d’excommunier Don Pedro? Je me faisais un plaisir de voir comment les rois s’excommuniaient dans ce pays-ci. Je vais ce matin à Monte Cavallo, pour voir comment se passerait la chose. « Monsieur, me dit un Suisse, il vous faut attendre une heure. » C’était bien long. Je vais faire une commission, je suis pris par une averse, je me mouille comme un barbet. Je vois les voitures arriver; j’ai peur de n’être pas à temps; je ne me mets pas en sueur -j’y étais déjà,- mais je sue un peu plus. Pour arriver à temps, je grimpe cette côte du Monte Cavallo. Je demande si l’on peut entrer. « Pas encore », me dit-on. Je questionne un laquais de cardinal. Cet absurde me dit qu’il y a consistoire secret, et après, quelque chose de public. J’attends encore. Au bout d’une demi-heure, je questionne un Suisse, qui me dit qu’il n’y a que le consistoire. Tu penses que je n’étais pas content et que je m’en suis retourné en colère contre Don Pedro, contre les cardinaux qui l’excommunient à huis clos, et contre leurs laquais qui me font croquer le marmot.
2 août.
Enfin, je viens de recevoir ta lettre et j’ai acquis la presque certitude qu’elle avait été ouverte. D’abord, le retard qu’elle a éprouvé le fait assez comprendre; ensuite, le cachet avec lequel elle est fermée n’est pas le tien; enfin, il y a de l’huile autour du cachet, ce qui montre une tentative de mouler le cachet que tu avais mis. Au fait, cela m’est parfaitement égal et je m’en bats complètement l’oeil. C’est bien le cas de dire avec M. de la M[ennais]: « Ce que l’on éprouve en de pareilles occasions n’a d’autre expression que le silence. » Ensuite, je suis ravi que ce soit cette lettre plutôt qu’une autre qui ait été décachetée; tout ce que tu y dis est parfaitement convenable.
Ce qui m’étonne, c’est de ne pas recevoir de lettres de Paris. Il y a un temps infini qu’il ne m’en est venu de ce côté-là. Pour te donner une satisfaction, à laquelle tu parais beaucoup tenir, je te dirai donc que j’ai enfin lu les Paroles d’un Croyant, mais que Paul Delaroche a gardé l’exemplaire que tu m’envoyais par lui. J’ai fait demander trois fois son adresse à l’ambassade de France. On n’avait pas entendu parler de lui.
Voici l’histoire de l’Encyclique. Le Pape a été poussé à la faire paraître principalement par le c[ardinal] Lambruschini, avec les cardinaux Sala(2) et Polidori. Lambruschini a fait les notes, Sala a fait le gros de l’Encyclique, Polidori l’a mise en bon latin; ce qui n’empêche pas qu’il y ait un gros barbarisme, autumet pour autumetur. Le Pape, m’assure-t-on de tous côtés, est bien fâché de s’être tant hâté; il voit qu’il s’est mis dans une cruelle position. Pour mon compte, je suis convaincu que, puisqu’il a rendu une pareille déclaration -sans se douter certainement de ce qu’il faisait(3)- il ne sait non plus quels sont les desseins de la Providence, lorsqu’il a cédé à une impulsion qui n’était pas humaine.
Plus je relis l’Encyclique, plus je vois qu’elle peut condamner ce que M. de la M[ennais] a dit, mais non pas ce qu’il a voulu dire. Quant à la proposition que les princes sont le résultat du péché, elle se trouve formellement dans Suarez. Le P. Ventura me l’y fit lire l’autre jour. Suarez prétend que c’est le seul système par lequel on peut défendre la religion contre les princes absolus. Il faut te dire que Suarez, dans l’ouvrage où il avance cela, attaque Jacques Ier, roi d’Angleterre, qui avait fait un livre, dans lequel se trouvait pour la première fois la doctrine du droit divin, tel que certains royalistes l’entendent. Suarez lui répond que les rois ont, il est vrai, reçu le pouvoir de Dieu, mais par l’intermédiaire du peuple. Ce qui n’est pas cependant la doctrine de Jean-Jacques Rousseau, car Rousseau prétend que la souveraineté appartient à chaque individu, Suarez, au contraire, au peuple entier considéré comme un seul corps. Il appuie sa première assertion -que les princes sont [le] fruit du péché- sur Bellarmin, saint Grégoire pape, saint Ambroise et saint Augustin. Je n’ai pu vérifier que le passage de saint Augustin, qui, dans sa Cité de Dieu, dit que Dieu créa l’homme pour commander aux animaux, mais non pas à ses semblables. L’homme était une créature trop noble pour obéir à un autre qu’à Dieu. Mais après le péché l’homme a été assujetti à l’homme, et par le péché la servitude est entrée dans le monde.
Je te demande pardon de cette petite leçon de théologie politique. Le malheur veut que M. de la M[ennais] ne connaisse pas toujours toutes ces choses. Son génie les devine, parce qu’ayant les principes il en tire les conséquences, mais ce sont quelquefois des conséquences exagérées, et voilà le mal. Pour mon compte, je condamne avec le Pape les Paroles d’un Croyant, mais je n’y puis condamner que l’exagération d’un principe, très vrai en lui-même; et la meilleure preuve qu’il est vrai, c’est que tout le monde sans exception reconnaît ici que les pays où la religion est le plus prospère, sont la Belgique, les Etats-unis et l’Irlande, les deux pays où le principe de liberté est le plus développé, et celui où les catholiques, quoique..(4), sont le plus libéraux.
Ne va pas conclure que je suis libéral pour cela. Je ne suis rien. Je vois seulement qu’un grand mouvement s’opère. Lorsque les barbares envahirent l’empire romain, certainement les évêques d’alors crièrent contre eux. Les barbares étaient, en effet, ou païens, ou hérétiques, et ne se gênaient pas pour piller les églises et massacrer les prêtres. Cependant, il y eut un évêque d’Afrique qui devina leur mission et qui, tandis qu’ils ravageaient sa patrie, les appelait ses frères. De son lit de mort il découvrait ce que seraient un jour ces barbares, il les voyait concourir à l’oeuvre de la Providence et les bénissait, alors même qu’ils assiégeaient sa ville. Cet évêque était saint Augustin. Quand il fut mort, Hippone fut prise et les Vandales respectèrent son tombeau, tandis qu’ils n’épargnèrent probablement pas les palais de tel ou tel évêque fort scandalisé de la conduite de saint Augustin. Les barbares, après avoir ruiné la vieille Europe, en reformèrent une nouvelle. Sans eux, nous n’aurions eu ni la royauté des Francs, ni la féodalité, ni la noblesse.
Les libéraux sont chargés, je crois, d’une oeuvre analogue, oeuvre de destruction pour le passé et le présent, oeuvre de régénération pour l’avenir. Les libéraux ne se doutent pas encore de ce qui leur reste à faire, mais je crois que leur mission devient de plus en plus visible chaque jour. La mission du prêtre est de s’emparer de ce mouvement et de le diriger.
Je n’ai pas le temps d’écrire aujourd’hui à Fanny; peut-être lui écrirai-je dans quelques jours. Adieu, chère amie. Je t’embrasse de loin. Il fait un siroco étouffant.
3. L'abbé d'Alzon se fait ici l'écho du P. Olivieri, Maître général des Dominicains.
4. Il manque un mot.