- V1-573
- 0+180|CLXXX
- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.573
- 1 ARMEE
1 BEAU LITTERAIRE
1 CATHOLICISME
1 CLERGE
1 DILIGENCE
1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
1 FEMMES
1 FETE-DIEU
1 FLEURS
1 IMAGINATION
1 IMPRESSION
1 LIVRES
1 MALADIES
1 MARIAGE
1 MATERIALISME
1 NEGLIGENCE
1 PARDON
1 PENSEE
1 PLANTES
1 POPULATION
1 PROCESSIONS
1 REVE
1 SEMINAIRES
1 TRANSPORTS
1 VETEMENT
1 VIN
1 VOYAGES
2 ALZON, MADAME HENRI D'
2 ASTRUC
2 COMBALOT, THEODORE
2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 NODIER, CHARLES
3 DAMAS
3 LIBAN, MONT
3 MONTPELLIER
3 ROME
3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
3 ROME, PLACE SAINT-PIERRE
3 ROME, PONT SAINT-ANGE - A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
- ALZON_AUGUSTINE
- le 2 juin 1834.
- 2 jun 1834
- Rome,
- Mademoiselle
Mademoiselle Augustine d'Alzon,
rue de Grenelle, n° 50, fb. S.G.
Paris. France.
Je ne t’ai pas écrit avant-hier, ma chère amie, je ne sais trop pourquoi. Je ne sais que le dire. Ce nouveau retard que tu m’apprends m’ennuie assez. J’aimerais que cela finisse. Tu vas te fâcher peut-être de ce que je suis si pressé; cependant, il me semble que cette affaire traîne trop et fatigue. Toi- même, tu dois en être lassé. Je te conjure de prendre un peu de calme, et, sur toutes choses, de ne pas croire que Dieu t’envoie un ange du ciel pour te faire connaître sa volonté. C’est cependant ce que tu as l’air d’attendre. Je te prie aussi de me donner souvent de tes nouvelles, mais de ne pas prendre un caractère si large que quatre de mes lignes remplissent une de tes pages(2). J’attends toujours l’arrivée du courrier avec une grande impatience, et je suis toujours un peu désappointé, quand je passe plusieurs jours de poste sans rien recevoir de toi.
La lettre de M. Féli, que tu m’envoies, m’explique les motifs qui l’ont déterminé à publier son livre(3). On n’en saurait trouver de meilleurs. Je crains seulement qu’il n’ait été à côté de son but. Engage M. Combalot à m’écrire. Je serais bien aise de recevoir de ses nouvelles et de connaître quels sont les projets qui occupent dans ce moment la folle de sa maison. Pourquoi ne vient-il pas à Rome? J’aurais tant de plaisir à le voir. Ce voyage lui ferait le plus grand bien.
Pour moi, je m’applaudis tous les jours de me trouver ici. J’aurais passé au Séminaire de Montpellier un temps insupportable, à cause des Paroles d’un croyant; ici, au contraire, je me trouve à merveille pour voir comment vont les choses. Je mets de l’eau dans mon vin, de la raison, du poids, de la gravité (ne ris pas, je te prie). Le voyage de Rome m’a fait, en un mot, un bien infini.
La Gournerie est arrivé ici depuis huit jours. J’en suis très content. J’ai vu avec lui plusieurs processions de la Fête-Dieu et autres belles choses qui réjouissent le coeur. Je t’assure que c’est une belle chose qu’une procession de la Fête-Dieu à Rome. Il n’y a qu’un malheur, c’est que je ne trouve pas Saint-Pierre bien disposé pour cette cérémonie. Comme je sais qu’il y a des gens d’une autre opinion, je ne donne la mienne que pour ce qu’elle vaut.
Cependant, il y a des endroits, d’où l’on ne peut nier que la procession n’offrit un coup d’oeil magique. J’étais, par exemple, placé à l’extrémité de la colonnade, à droite en regardant Saint-Pierre, en face de la rue qui aboutit au pont Saint-Ange. La procession sortait des colonnes et se déployait sous les tentes que l’on avait formées pour réunir une colonnade à l’autre. Toute la place de Saint-Pierre était garnie de troupes, de voitures, de la population des campagnes qui ne manque jamais, aux jours de fête, d’accourir à Rome. Si je voulais te faire une description poétique, je ne manquerais pas d’ornements à placer dans mon tableau; mais tu sais que ce n’est pas mon genre.
Cependant, puisque je parle poésie, il faut que je te fasse une confidence. Depuis que je suis à Rome, j’ai fait des vers; mais, ma parole d’honneur, je les ai oubliés. Cependant je sais bien que c’était le commencement, car je me suis arrêté au commencement. C’était donc le commencement d’une pièce, où j’aurais parlé de tout, car dans les quatre vers sortis de ma cervelle il y avait du soleil, de la nuit, de la fraîcheur, du repos, de la rosée, des fleurs et des plantes, qui rimaient avec brûlantes. Rime riche, j’espère. Que j’étais abondant! J’ai oublié comment j’avais commencé, mais je n’ai jamais su comment j’aurais fini. Je comptais pour cela sur l’inspiration, et l’inspiration s’est arrêtée au quatrième vers, ce qui est bien fâcheux. Si elle souffle jamais, je te promets de te faire part des torrents d’harmonie qu’elle ne manquera pas de répandre à flots pressés dans mon âme altérée par la contemplation du beau idéal.
Connais-tu la Fée aux miettes de Charles Nodier? Ces jours-ci, j’avais mal de tête et, pour me distraire, je lisais cette oeuvre si originale. Cependant, je n’ai pu m’empêcher de [faire] quelques réflexions tristes sur l’auteur qui l’a composée et sur le genre de lecteurs pour qui elle est faite. Qu’est-ce que c’est en général que ces contes fantastiques, dans lesquels on ne peut se prendre à rien, où l’on s’entoure à plaisir d’un monde de fantômes, où la réalité s’évapore, où l’imagination brise la pensée et enveloppe le coeur de toutes ces bizarres impressions, où l’on calcule sur un rêve, où l’on s’émeut pour une vapeur? Et puis, quel vide dans la pensée de l’auteur! Il veut spiritualiser le monde matériel et c’est, au contraire, le monde spirituel qu’il matérialise.
Aimes-tu le style de Charles Nodier? Il tourne bien la phrase, mais il a un prétentieux laisser-aller qui me fatigue parfois. Enfin, je plains les gens à qui de pareilles impressions sont indispensables pour se distraire d’impressions plus vraies et plus redoutables, et je plains autant l’auteur condamné à les leur fournir. Ce sont de ces lectures que je ne crois pas inutile de faire, pour connaître un peu quels sont les graves riens dont on se remplit aujourd’hui la tête. J’ai besoin de comprendre quels sont les livres importants qui détournent les lecteurs du jour des questions mesquines soulevées depuis le commencement du monde et résolues par le catholicisme. Mais j’oubliais que tu n’aimes pas à réfléchir et que tu me le dis dans ta lettre. Il est fort heureux pour toi que je me le rappelle à temps. Cela t’évite une longue dissertation, dont les préambules t’avaient déjà peut-être effrayée.
Donc, pour en revenir à quelque chose de moins grave, je te ferai part de deux observations que j’ai faites sur les moeurs et goûts des dames romaines que je vois dans les rues. La première, c’est qu’elles aiment prodigieusement les robes de soie; la seconde, c’est qu’elles n’aiment pas moins d’aller en voiture. Les robes de soie n’ont pas de couleur déterminée. Cependant, la couleur gorge de pigeon rose et blanc chiné domine, et je crois, si ma mère veut se débarrasser de la robe de chambre de feu M. Astruc, supposé qu’elle l’ait encore, qu’elle en trouverait ici un placement avantageux. A propos de robe de chambre, tu sauras que, pour me prémunir contre la chaleur, je me suis pourvu d’une robe de chambre, mais une robe de chambre comme tu n’en as jamais vu, une robe de chambre qui n’est ni plus ni moins qu’un habit tel que les portent les prêtres maronites au mont Liban, faite avec une étoffe venue de Damas, fabriquée en Orient, couleur… ah! je suis bien embarrassé. La couleur est sombre, brun, gris-bleu tirant sur le violet moiré, ce qui est d’un très bon effet. On voulait me faire les manches étroites et fermées par des boutons orientaux, mais j’ai préféré qu’elles fussent larges; d’autant plus que l’on me dit que les Levantins les portaient aussi de cette forme. Je dois ajouter qu’une des raisons qui ont contribué à ne pas y mettre des boutons d’Orient, c’est qu’on n’en avait pas. Pour en revenir aux dames romaines qui vont en voiture, je dis les quasi-dames, on en voit quelquefois huit à dix et plus dans les calèches découvertes. Elles ne font pas difficulté de s’asseoir sur la capote renversée. Je ne m’en suis pas scandalisé, parce que j’ai pensé que cela entrait dans les moeurs du pays.
Voilà une lettre qui ne ressemble pas mal, pour les transitions, à la fin de la tienne. Adieu, chère petite soeur. Je t’embrasse de tout mon coeur.
Emmanuel.
Je m’aperçois, en relisant, que j’écris horriblement. Je t’en demande bien pardon.
E.D'ALZON3. Lettre du 8 mai, publiée dans le *Mois littéraire et pittoresque*, 1901,t. VI, p. 21.2. Pour en donner un exemple, l'abbé d'Alzon a écrit trois lignes en caractères énormes.
3. Lettre du 8 mai, publiée dans le *Mois littéraire et pittoresque*, 1901, t. VI, p. 21.