Vailhé, LETTRES, vol.1, p.559

10 may 1834 Rome, ALZON_AUGUSTINE
Informations générales
  • V1-559
  • 0+176|CLXXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.559
Informations détaillées
  • 1 CELIBAT
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FRUITS
    1 JARDINS
    1 LANGUE
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MARIAGE
    1 MEMOIRE
    1 ORDRES SACRES
    1 PENSEE
    1 PERFECTION
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 RELIGIEUX HOMMES
    1 SENS
    1 VIN
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 CANET, URBAIN
    2 GRAILLON, CHEVALIER
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 NOVALIS
    2 PELLICO, SILVIO
    2 RENDUEL, EUGENE
    2 VERNIERES, JACQUES
    3 EUROPE
    3 FLORENCE
    3 FRANCE
    3 GENES
    3 MALAGA
    3 MARSEILLE
    3 MONT CASSIN
    3 PARIS
    3 ROME
  • A SA SOEUR AUGUSTINE (1).
  • ALZON_AUGUSTINE
  • le 10 mai 1834.
  • 10 may 1834
  • Rome,
  • Mademoiselle
    Mademoiselle Augustine d'Alzon,
    rue de Grenelle. St-Germain, n° 50.
    Paris. France.
La lettre

Je crois être assez fondé à penser, Mademoiselle, que si vous ne voulez pas me donner un cognato, ce n’est pas que vous le jugiez indigne de moi, mais que vous avez le goût difficile et même fantasque, d’après ce que j’entends dire. Aussi, ai-je bonne envie de vous prévenir que mon goût étant celui de Madame votre mère, il me semble que vous auriez bien fait de vous en rapporter à elle, ainsi que j’avais l’honneur de vous le conseiller. Voilà ce qui eût été de mon goût, parce que c’eût été un goût sage, raisonnable et point contraire au sens commun. Il faut bien vous persuader, Mademoiselle, que vous ne trouverez sans doute jamais sur la terre rien qui soit digne de vous, mais enfin, que si vous voulez jamais vous assujettir aux lois du mariage, il vous faudra abaisser vos regards sur d’humbles mortels qui seront toujours à cent piques de vos mérites. Mais comme il n’est rien de parfait sous le ciel, il faudra prendre votre parti de vous unir à quelque imperfection, ou de ne vous unir à rien du tout. Or, comme il m est revenu que vous aviez la tête un peu sens dessus dessous, quand on traitait devant vous des questions pareilles, j’ai l’honneur encore une fois de vous engager à vous en rapporter à Madame votre mère, qui est une personne qui a du bon sens, pour elle et pour vous, de reste. La seule action raisonnable que vous puissiez est de reconnaître qu’en ces choses-là votre raison ou rien c’est la même chose. L’expérience paraît le prouver.

J’ai l’honneur d’être, Mademoiselle, avec un profond respect,

votre très humble et

obéissant serviteur.

Chevalier Graillon.

Connais-tu, ma chère amie, ce chevalier Graillon, dont je vois le nom au bas d’une lettre qu’on m’a apportée ce matin pour toi, de sa part(2), en me permettant d’y ajouter quelques lignes? Je ne me mêle pas de ce qui-il pense te dire, mais, quoique je puisse t’assurer que mes yeux n’ont jamais rencontré sa nuque, j’ai entendu dire qu’il parlait assez bien raison, quand il s’y mettait. Du reste tu en jugeras toi-même. Je te prie de me faire savoir ce que je dois lui faire dire de ta part.

Quand avez-vous le projet de quitter Paris? Ma mère, dans sa dernière lettre, m’écrit que ce sera vers la fin de mai. J’espère que cette lettre y arrivera, avant que tu en partes. Je te prie de dire à maman que je ne lui écris pas aujourd’hui, parce que j’ai été déranger par une visite qui n’a duré que deux heures. Heureusement, c’était M. Mac-Carthy. Je lui écrirai par le courrier de mardi.

J’ai reçu une lettre de M. de La Gournerie, qui est dans ce moment à Florence, ou, du moins, bien près d’y arriver: sa lettre est écrite de Marseille, mais timbrée de Gênes. Je n’ai pas lu le livre de Silvio Pellico, parce qu’on ne l’a pas encore reçu ici; mais je l’aurai dès qu’il y arrivera. Qu’est-ce que cet ouvrage de l’abbé de la Mennais(3), que l’on annonce pour paraître chez Urbain Canet? Ce serait bien à lui de me l’envoyer; mais comme il y a grande apparence qu’il ne se rappellera pas cet article de la civilité honnête et puérile, attendu que je ne l’y ai jamais lu, je te prie de me l’envoyer, comme je te prie aussi de faire renouveler mes abonnements à la Revue européenne et aux Annales(4) avant de quitter Paris. Nous verrons si tu auras bonne mémoire et si cette partie de ta fête sera aussi solide que l’autre.

Demande à Bonnetty s’il serait bien aise que je lui envoyasse quelques fragments traduits de la philosophie allemande, ou quelque chose sur le mont Cassin. J’ai lu dernièrement un morceau de Novalis sur l’Europe qui est vraiment prodigieux(5). Tu ferais bien d’apprendre l’allemand. Je t’assure que tu recevrais le sang-froid nécessaire pour vaquer aux plus graves délibérations.

L’été commence à se faire sentir. J’avais eu quelques velléités de maux d’estomac, mais je les ai expulsés par d’amples libations de Malaga. En quinze jours, j’en ai bu au moins une bouteille, car de deux que j’ai consommées, une au moins a été la proie de quelques bons religieux qui me faisaient des visites, dont je devinais le but. Comme ils me donnent des citrons de leur jardin autant que j’en veux, il faut bien que je fasse quelque chose pour les allécher. A Rome, une habitude excellente c’est de mettre trois ou quatre gouttes de citron dans l’eau. Cela lui donne un goût parfait, un goût de… de citron, qui lui fait perdre tout ce qu’elle pourrait avoir d’insalubre au milieu des grandes chaleurs.

Tu ne saurais croire le plaisir que j’aurai à voir La Gournerie. C’est un parfait jeune homme, car je présume qui’il est comme je l’ai laissé; mais je t’en ai déjà parlé. Je ne pense pas revenir en France, à moins que des questions urgentes ne m’y obligent. Il me semble que le séjour de Rome me sera utile encore quelque temps; et puis, je dois te dire que j’avais fait voeu de n’y revenir que lorsque tu me pourrais présenter un cognato. Tu vois que mon retour dépend entièrement de toi.

Or sus, laissons ces questions de côté. Tu sais bien que je ne demande pas mieux que de revenir; mais enfin faut-il faire quelque chose. On m’engageait ici à prendre les ordres. M. Vernière ne l’a pas cru à propos: il vient de m’écrire de les prendre à la Trinité et il sait bien qu’il faut plus de dix jours pour s’y préparer et pour faire venir les dimissoires. Je pense m’y préparer pour la Noël prochaine, en m’arrangeant de façon à être prêtre à Pâques. Je te reviendrai quelques mois après, si j’ai la certitude de trouver la cognato.

Adieu, chère amie. Je t’embrasse avec une grande tendresse. Ne manque pas de me faire dire ta réponse à M. Graillon, à moins que tu ne veuilles lui écrire toi-même. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier. p. 417.2. C'était un prétendant à la main de Mlle Augustine.
3. *Les Paroles d'un croyant*: qui parurent à Paris le 30 avril 1834, chez Eugène Renduel et non Canet.
4. Les Annales de philosophie chrétienne; organe de l'abbé Bonnetty:
5. Pseudonyme du poète et philosophe allemand le baron Frédéric de Hardenberg.