- V1-437
- 0+142|CXLII
- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.437
- Orig.ms. ACR, AB 18.
- 1 ADOLESCENTS
1 ADVERSAIRES
1 AMITIE
1 AMOUR DU CHRIST
1 AUGUSTIN
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 CHRISTIANISME
1 COLERE
1 CONFESSEUR
1 CONNAISSANCE
1 CONNAISSANCE DE SOI
1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
1 EPREUVES SPIRITUELLES
1 IGNORANCE
1 IMPULSION
1 JOIE
1 LIBERTE
1 LUTTE CONTRE LE MONDE
1 MALADIES
1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
1 NOBLESSE
1 ORGUEIL
1 ORGUEIL DE LA VIE
1 PARENTS
1 PAROLE DE DIEU
1 PENSEE
1 PRESSE
1 PROGRAMME SCOLAIRE
1 PROVIDENCE
1 REFORME DE LA VOLONTE
1 REMEDES
1 RENONCEMENT
1 RETRAITE SPIRITUELLE
1 REVELATION
1 SALUT DU GENRE HUMAIN
1 SEMINAIRES
1 SOCIETE
1 SOLITUDE
1 TRAVAIL DE L'ETUDE
1 VANITE
1 VOYAGES
2 ALZON, HENRI D'
2 ALZON, MADAME HENRI D'
2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
2 BOSSUET
2 BOURDALOUE, LOUIS
2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 MASSILLON, JEAN-BAPTISTE
2 MONTAIGNE
2 ORIGENE
2 PAUL, SAINT
3 FRANCE
3 JUILLY
3 NORD
3 PARIS
3 ROME - A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
- ESGRIGNY Luglien de Jouenne
- le 5 octobre 1833.
- 5 oct 1833
- Lavagnac,
C’est sans doute par une permission de Dieu que les personnes qui me sont les plus chères (mes parents exceptés) combattent le projet de mon voyage à Rome. J’ai eu toutes les peines du monde à y décider mon confesseur. Moi-même, pendant longtemps, j’en avais repoussé la pensée par les mêmes raisons que vous me développez dans votre lettre. Et maintenant, entraîné par je ne sais quelle impulsion, je me laisse conduire dans une voie, dont je ne regarde l’issue qu’avec effroi. N’eût-il pas mille fois mieux valu pour moi suivre la route que je m’étais déjà tracée et sacrifier à Dieu deux années d’études nulles pour moi?
Maintenant, je serais au Séminaire. Depuis quelques heures, j’aurais revu tous les jeunes gens avec lesquels j’ai vécu pendant un an et demi. Je formerais avec quelques-uns d’entre eux des projets pour faire du bien parmi les membres moins zélés de la communauté. Dieu, content de mon sacrifice, me dédommagerait de tant de dégoûts surmontés par une grande joie, comme il m’en a fait éprouver parfois Et au lieu d’un abandon entier de mon avenir entre les mains de sa Providence, je préfère être moi-même mon guide, marcher seul et marcher mal.
Que voulez-vous, mon cher ami, que voulez-vous que je fasse? Retourner dans un Séminaire? J’ai la certitude d’y perdre mon temps et ma santé. Aller à Juilly? Oui, sans doute; mais plusieurs personnes en qui j’ai confiance, quoique avec des vues opposées, me détournent d’aller dans cette maison. A Paris? C’est bien là que je voudrais être, mais M. de la Mennais me conseille d’y aller, et c’est une raison pour que mes parents s’y opposent. Où aller donc? J’ai choisi Rome, comme mon pis-aller.
Quoique je sois loin d’approuver tout ce que vous me dites sur les avantages du Nord, je sais que dans la France, il y a ce qui ne se trouve point ailleurs. pourquoi donc en sortir? me direz-vous. Pourquoi? Parce que je veux étudier quelque temps en liberté et qu’il ne m’est pas permis de le faire ailleurs [qu’à Rome]. Peut-être, cependant, y vais-je à une époque de ma vie où ce voyage me sera le plus utile. Je crois maintenant assez connaître la théologie, pour juger en général de quelle réforme elle a besoin; mais je ne la connais pas assez pour apprécier les détails de cette réforme. J’ai donc besoin d’étudier encore. Je ne sais si, à Paris, je pourrais trouver plus qu’ailleurs des secours pour le travail que je me propose. La théologie est dans tous les temps une science nécessaire à un prêtre, et s’il s’occupe de cette science au milieu des distractions, du bourdonnement, des bouleversements de tout genre dont Paris est le foyer, peut-être est-il grandement exposé à ne pouvoir l’approfondir autant qu’elle le mérite.
Il faut pour la science ecclésiastique, plus que pour toute autre, une grande retraite. Je sens bien, sous un rapport, que celle où je vis depuis si longtemps m’a fait du mal, mais il faut savoir quelquefois faire de nécessité vertu. On croit, et fort à tort, qu’il ne suffit que de combattre. Il faut plus. Il faut y être préparé, et la préparation nécessaire aux combats du Seigneur peut être considérée par rapport à l’esprit et par rapport au coeur.
Il est sûr que la science manquait aux rédacteurs, soit du Correspondant, soit de l’Avenir. C’était chose facile à voir. De là tant de bévues qui n’ont pas eu de fâcheux résultats, grâce à l’ignorance de la plupart des lecteurs, mais que plus d’une fois pourtant on a pu remarquer. Quant à la préparation du coeur, elle était à peu près nulle. Qu’est-ce que toutes ces petites rivalités, ces froissements misérables, ces jalousies mesquines, par lesquelles l’action du Correspondant et de l’Avenir a été si souvent paralysée? Aviez-vous réellement l’amour de Jésus-Christ et de son Eglise, quand vous vous dénigriez à l’envi les uns les autres? Et n’était-ce pas plutôt l’orgueil, je me trompe, la vanité qui vous coupait les ailes ct détournait, vos regards de dessus vos ennemis véritables pour les reporter avec humeur sur vos alliés naturels?
Si aujourd’hui on veut faire quelque chose, je crois qu’il est essentiel de commencer par s’oublier soi-même. Je ne dis pas que ce soit ce que j’ai fait, mais je dis que ce n’est pas à Paris que j’irai apprendre la doctrine de l’abnégation absolue. Je crois que la retraite seule est capable d’inspirer cette vertu. Je crois qu’il faut vivre longtemps loin des hommes, pour s’accoutumer à aimer les hommes.
Or, ne pensez pas qu’à Rome je me propose de me répandre beaucoup. Je pars avec un prêtre qui est dans le mouvement. Je me propose d’étudier la Bible. C’est l’étude qui a formé ceux qui ont eu le plus d’influence sur leur époque, depuis saint Grégoire, saint Jean Chrysostome, saint Augustin, et Origène jusqu’à saint Bernard et à M. de la Mennais. Presque tous ces hommes-là l’ont étudiée dans la retraite.
Lorsque vous me proposez tant de chercher a vie vers le Nord, vous raisonnez, laissez-moi vous le dire, un peu trop humainement. Quoi donc? Ne pensez-vous pas qu’il soit bon de se retirer un peu du vain bruit de tant de disputes, de ce tintamarre de cervelles philosophiques, comme dit Montaigne, pour écouter dans le silence la voix de Dieu? Ne pensez-vous pas qu’il donne à ses paroles une vertu nouvelle, lorsqu’on lui en demande l’intelligence, afin de présenter la lumière aux intelligences trop malades, trop faibles pour la découvrir elles-mêmes? Je crois que l’Ecriture Sainte peut présenter aujourd’hui une foule de développements nouveaux. Jusqu’à présent, on ne l’a guère étudiée que pour y chercher des règles de conduite de l’homme privé. Vous ne voyez pas autre chose chez Bourdaloue, Massillon et même Bossuet, à l’exception de sa Politique sacrée. Mais on n’y a pas encore cherché le secret des maladies de nos jours. On n’y a pas, non plus, cherché les remèdes de ces maladies. Ils s’y trouvent cependant; il faut donc les y trouver. Voilà une étude digne d’un prêtre, et qui encore demande la retraite.
Je voudrais vous faire une question. Le christianisme commença par les masses et finit par atteindre les sommités sociales. Saint Paul l’atteste en mille endroits et présente ce fait comme une preuve de la divinité de la religion. Infirma mundi elegit Deus. Pensez-vous que le mouvement régénérateur s’opère en sens inverse et que, des sommités, le christianisme redescende dans les masses? C’était, sans doute, un grand miracle que de voir le fleuve de la science remonter, pour ainsi dire, Vers les montagnes d’où il était descendu. Pour vivifier une seconde fois le monde, suivra-t-il sa marche naturelle? De la réponse à ces questions dépendent bien des conséquences.
Adieu, mon ami. Redoublez d’amitié pour moi; j’en ai besoin. Je viens de supprimer une immense lettre, où j’essayais de vous dire ce que je souffre; mais ce sont des choses qui se disent et ne s’écrivent pas.
Emmanuel.