Vailhé, LETTRES, vol.1, p.265

29 jan 1832 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-265
  • 0+086|LXXXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.265
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ANGES
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 FAIBLESSES
    1 FATIGUE
    1 GUERISON
    1 ILLUSIONS
    1 MAL MORAL
    1 ORGUEIL
    1 PRIERE A LA SAINTE VIERGE
    1 REVE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SOUFFRANCE
    1 TRISTESSE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 29 janvier 1832.]
  • 29 jan 1832
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue DuPhot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Je viens, mon cher ami, de communier pour vous. J’ai prié la Sainte Vierge pour la pureté de votre âme. Ami, votre coeur souffre. Eh bien! ouvrez-le un peu plus à votre enfant, à votre ange; ouvrez-le pour qu’il le plaigne, pour qu’il le console, s’il se peut. Quoique vous ne me l’ayez pas dit, je crois savoir la cause de votre ennui. Vous avez le coeur bon et l’esprit droit, mais involontairement gâtés par beaucoup d’orgueil, de satisfaction de vous-même. Vous avez voulu devenir quelque chose de bien, mais à votre guise. Vous n’avez pas été content de la vertu commune, vous en avez fait une pour vous. Vous n’avez pas dit: « Je veux faire le bien, mais ceci est le bien, et je le ferai. » Or, ce bien, selon vous, ne l’était pas toujours selon Dieu. Vous vous en êtes douté, mais vous vous êtes raidi et vous avez marché en avant. Vous espériez, en agissant ainsi, avoir au moins votre approbation; mais Dieu qui veut autre chose que vous, qui vous aime plus que vous, vous a empêché de trouver joie et bonheur là où vous croyez les trouver. Et vous l’en devez remercier, parce que, si vous êtes fort, si vous comptez sur le secours qui ne vous manquera pas, vous avouerez que vous vous êtes fait illusion, que vous avez fait un rêve, et vous bénirez la main qui vous réveille, rudement peut-être, mais veut vous donner la réalité(2). Que dans l’incertitude de votre esprit, votre coeur ébranlé ait failli ou soit prêt à faillir, je ne m’en étonne pas. Ce qui faisait mon étonnement, c’est qu’au milieu du mal dont vous vous entourez, vous ayez conservé votre robe blanche, que vous ne l’ayez point salie au milieu de la boue, au milieu de laquelle vous aimiez à marcher.

Oui, sans doute, vous êtes à plaindre, plus à plaindre que du Lac, si, comme je le crains bien, en avouant votre tourment, vous n’en voulez voir ni la cause ni le remède. Du Lac, au moins, sait pourquoi il souffre, sait ce qu’il lui faudrait pour le guérir. Lorsque j’écris à du Lac, il pleure, va se confesser et a quelques jours de repos. Du Lac a besoin qu’on le pousse, qu’on le fasse pleurer; et ce qui fait que je l’aime tout particulièrement, c’est que je crois lui être utile et qu’il le croit aussi. A vous, de quelle utilité ai-je été? De bien peu de chose.

Ami, souvenez-vous de ces paroles: J’ignore l’état de votre âme, parce que, si je sais qu’elle souffre, je ne sais pas pourquoi et de quoi. Mais s’il est tel que je le présume, songez que vous vous débattrez longtemps encore avec vous même, que la lutte sera longue, parce que vous ne voulez pas ouvrir les yeux. Pour moi, je vous attends, car tôt ou tard, il faudra bien que vous me veniez dire: « Mon ange, mon enfant, je suis triste, parce que jusqu’à présent j’ai fait de longs détours sur une route que je ne voulais pas suivre, parce qu’elle était trop droite. Aussi, suis-je bien fatigué sans avoir avancé d’un pas. Maintenant, je vois le chemin qu’il faut suivre, et je le suivrai, si Dieu m’est en aide. » Et lorsque vous parlerez ainsi, je vous comprendrai, et vous me comprendrez peut-être. Jusque-là vos pleurs seront stériles, et ce n’est pas de vous qu’il a été écrit: Beati qui lugent.

Que si votre coeur s’emporte, avant que vous ayez eu le temps de guérir le mal de votre esprit,ah! je vous plaindrai beaucoup. Malheur à vous, pauvre ami, car vous serez bien faible, bien épuisé, et un nouvel assaut vous emportera presque infailliblement dans un grand abîme. Vous ne saviez que me dire? Que ne me faisiez-vous la peinture, non de vos souffrances, mais de leur cause? Il vous en eût coûté peut-être, mais elle vous eût soulagé. S’il y avait eu quelque chose de honteux, vous eussiez rougi et rougi utilement. S’il y avait eu vraiment du malheur, l’assurance que vous auriez eue que je vous plaindrais en connaissance de cause vous eût fait du bien.

Mon bon Luglien, dégonflez-vous avec moi, avec votre ami Emmanuel. Parlez-moi davantage, et si vous ne savez pas parler, si vous ne l’osez pas longuement, dites-moi deux mots, nommez-moi le mal de votre esprit et de votre coeur, ce que vous croyez être votre mal.

Adieu.

Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt.

Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents* t. Ier p. 108-110 La date donnée est celle du cachet de la poste à Montagnac.1. Voir des extraits dans *Notes et Documents* t. Ier p. 108-110 La date donnée est celle du cachet de la poste à Montagnac.
2. Nous omettons un court passage relatif au destinataire. [Ce passage a été réintroduit d'après T.D.19, p.2 : il termine le paragraphe. - Avril 1996].