Vailhé, LETTRES, vol.1, p.111

17 jul 1830 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-111
  • 0+035|XXXV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.111
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ARMEE
    1 BURETTES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DOMESTIQUES
    1 LIBERALISME
    1 LIVRES
    1 LOISIRS
    1 PARESSE
    1 PRESSE
    1 REPOS
    1 SYMPTOMES
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VOYAGES
    2 ALIAGA, LUIS
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 BONALD, VICTOR DE
    2 CERVANTES
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 FLAVIUS JOSEPHE
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 GRIGNAN, MADAME DE
    2 MAURY, JEAN-SIFFREIN
    2 NICOLE, PIERRE
    2 PLUTARQUE
    2 SEVIGNE, CHARLES DE
    2 SEVIGNE, MADAME DE
    2 TAXIL, PROCUREUR
    2 THIEBAULT, LOUIS
    2 WALSH, JOSE-ALEXIS DE
    3 ALGER
    3 PARIS
    3 PORT-ROYAL DES CHAMPS
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 17 ou 18 juillet 1830.]
  • 17 jul 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Votre silence est long, mon cher ami; il m’afflige. J’ai tort peut-être, mais il m’afflige. Hier, les domestiques étaient occupés. J’allai moi-même chercher le courrier pour l’avoir une heure plus tôt. Je comptais sur quelque chose de vous, mais point. Pourquoi m’oublier? Ces jours-ci, j’ai des accès de paresse. Je les crois pardonnables; les chaleurs sont si excessives qu’on sue sans bouger de place. On n’est bien que dans l’eau. J’avais voulu essayer de travailler la nuit et de dormir le jour. On n’en est pas plus avancé; on sue toujours. Je me suis remis à la vie du vulgaire.

J’ai envie pour me former le style, d’écrire une histoire à de la Révolution. C’est la mort d’un prêtre, qui ne croyait pas défendu de résister aux temporels. On peut lui reprocher seulement d’avoir dit la Messe, avec des pistolets pour burettes. Maury en fit autant.

Je lis les Lettres de Mme de Sévigné. C’est fort bien, mais je ne comprends pas son admiration pour les Essais de Nicole. Je suis de l’avis de son fils, la chère dame était un peu dans le Port-Royal et ne s’en cachait pas. Comment ces gens-là s’arrangeaient-ils pour lire des livres aussi sérieux? Mme de Grignan qui s’enfonce dans Josèphe, Plutarque et Cie? Et ils trouvaient cela beau, ils croyaient le comprendre. Je vous demande pardon d’en revenir toujours à mes moutons. Je ne lis guère que les Lettres, je ne pense qu’à ce qu’elles disent, je suis trop plein du sujet.

J’ai lu ou plutôt j’ai fini de lire Don Quichotte. J’ai essayé d’entreprendre la continuation. Je ne la crois pas du même. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas pu la continuer. C’est trop affecté [et] sans finesse. Dans la première partie, tout est plein de sel et de plaisanteries délicates, avec beaucoup de profondeur dans les pensées(1). Je m’aperçois de plus en plus qu’on ne ressemble pas aux grands hommes, pour imiter leur style ou contrefaire leur tournure.

Si vous savez quelque chose de nouveau, autre que la peur de Bailly et de Thiébault, mandez-le-moi. Avez-vous entendu dire qu’un nouvel ouvrage de M. de Bonald dût paraître? Je sais qu’il est sous presse, et même depuis longtemps. Je ne vous donne pas la commission de me l’envoyer, parce que je suis sûr que son fils me le fera parvenir, dès qu’il aura paru. Que fait l’abbé Gerbet à Paris? Que signifie le libéralisme de la Gazette? J’ai la plus grande envie d’aller à Paris pour vous voir, à peu près rien que pour cela. Mais du Lac m’a promis de venir ici, et je sacrifierai, bien sûr, pour quelque temps le plaisir de vous embrasser à celui de revoir ce bon ami, que je reverrai, après cela, Dieu sait quand. N’en feriez-vous pas autant?

Je ne suis pas content de moi, cher ami. Voilà plus d’un mois et demi que je ne me suis confessé, et pourtant mon confesseur en titre est depuis quinze jours à la maison. C’est peut-être à cause de cela. S’il me l’avait fallu aller chercher loin, je suis presque sûr que c’eût été fait. Mais on renvoie d’un moment à l’autre, du jour au lendemain, et le temps passe, la paresse gagne. La triste chose que la paresse! Je vous prie de me gronder sur ma paresse et sur le reste.

Vous ne savez si vous voyagerez. Je voudrais bien que vous pussiez le savoir, et que vous le pussiez je sais bien où. C’est une belle chose que les voyages, quand on a un bon but! J’ai une envie extrême de vous gronder, je ne sais pas en vérité sur quoi. Vous me feriez bien plaisir de me l’apprendre. Dansez-vous toujours? Sur cet article vous ne serez pas grondé; je n’en prendrai pas la peine.

Le Correspondant d’hier est tout ce qui se peut voir de plus maigre, de plus étique, de plus efflanqué. Avant de l’ouvrir, je le déchirai sans le vouloir. Je le regrettai d’abord; à présent… Il y a pourtant eu, dans les numéros précédents, quelques bons articles. J’ai cru en reconnaître un de vous sur un ouvrage de M. de Walsh; de vous ou d’un autre, il est très bien. Thiébault aussi en fait de bons. Sa lettre sur le procureur Taxil est parfaite. Mais pourquoi des lettres de six colonnes, en réponse à ses observations? Je n’approuve pas cela du tout.

Donnez-moi des nouvelles du père Bailly. Pour lui écrire, il faudrait avoir quelque chose à lui apprendre. Moi, je ne sais rien. Vous lui ferez pourtant bien mes compliments et vous l’assurerez que, si j’ai autre chose à lui dire sinon que je l’aime bien, je le lui ferai savoir.

Je ne suis pas allé hier au bain, parce que je n’ai pas pu. Je veux m’en dédommager aujourd-hui. Cela, joint au courrier qui va partir, me décide à fermer ma lettre et à finir en vous faisant mon compliment sur la prise d’Alger.

Emmanuel.

17 ou 18 juillet 1830.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Emmanuel avait raison, la Suite du Don Quichotte, parue entre la publication de la première et de la seconde partie du vrai Don Quichotte, n'est pas de Cervantès; on l'attribue à son ennemi, Fray Alliaga.