Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 12.

4 feb 1850 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Voyage à Marseille. -Pour avancer dans la vie intérieure, il faut se laisser diriger par Jésus-Christ et accepter les retranchements qu’il demande – Dieu est esprit, et, pour nous unir à lui, nous devons nous élever au-dessus de nos sens – Malgré l’imperfection de notre volonté, il faut continuer à vouloir. – Ne plus s’occuper des impressions passées – Dieu ne peut être tout en nous, tant que nous gardons une portion de notre volonté – Dieu seul estime nos dons à leur vraie valeur – Il faut lui demander la générosité qui nous fait défaut – Nouvelles de sa santé.

Informations générales
  • PM_XV_012
  • 0+676|DCLXXVI
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 12.
  • Orig.ms. ACR, AD 697; V. *Lettres* III, pp. 547-550 et D'A., T.D. 20, p. 139.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR-PROPRE
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHEMIN DE FER
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 ESPERANCE
    1 EXERCICES RELIGIEUX
    1 FOI
    1 HUMANITE DE JESUS-CHRIST
    1 HUMILITE
    1 IMAGINATION
    1 IMPRESSION
    1 OFFICE EN CHOEUR
    1 PENITENCES
    1 PRESSE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REPAS
    1 SAINTS
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOIE UNITIVE
    1 VOLONTE
    1 VOYAGES
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 BOURDET, MARIE-FRANCOISE
    3 MARSEILLE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 4 février 1850.
  • 4 feb 1850
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 94 rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Je vais, dans deux heures, monter dans les wagons pour Marseille, mais auparavant je tiens à répondre à votre lettre du 26 janvier, ma chère fille. Je vous remercie de l’intention qui vous a fait prendre du grand format; mais je n’y tiens pas du tout, pourvu que vous mettiez ce que vous avez à me dire de vous sur une feuille distincte de ce qui concerne les autres affaires.

Vous êtes bien heureuse de pouvoir beaucoup prier. Je cherche, moi aussi, à trouver du temps et je le vois m’échapper, sans que je sache pour ainsi dire comment. Il me semble que, puisque vous revenez à des rapports intimes avec Notre-Seigneur, il est très important de le laisser le maître d’en régler les conditions. On ne comprend pas toujours bien pourquoi il demande tel sacrifice, tel retranchement, et c’est précisément souvent à cause de cela même qu’il faut le lui donner, surtout quand on a l’expérience qu’il demande certaines choses qui sont contraires à notre nature et que, cependant, on s’est bien trouvé de les lui avoir accordées. Ceci est indispensable, si l’on veut avancer avec fruit dans la vie intérieure de Jésus-Christ. Si vous voulez être son épouse, il faut vous laisser diriger par lui. Je vous recommande la plus entière application à ne blesser en rien l’intimité de ces rapports si précieusement renouvelés. Ne vous préoccupez ni de votre sécheresse ni de ce que vous ne voyez pas dans votre coeur; occupez-vous de Notre-Seigneur, montez par sa sainte humanité jusqu’à sa divinité, et là, perdez-vous en foi, espérance et amour. Souvenez-vous que Dieu est esprit et que l’âme, appesantie par les sens, croit être vide, parce que, dans ses rapports les plus réels avec Dieu, ses sens ne sont pas occupés. C’est pourtant là où il faut en venir, vous le savez bien, si l’on veut avancer un peu sérieusement dans la vie intérieure.

L’imperfection de votre volonté est pour moi un grand sujet de compassion, car je suis logé à la même enseigne. Il me semble que le meilleur moyen, pour la guérir, est de continuer à vouloir. A la fin, on arrivera à faire quelque chose. Cette impuissance est encore excellente pour s’humilier, car rien n’abaisse comme l’impression de son incapacité. Plus vous l’aurez, plus vous serez portée à devenir humble; ce qui est toujours un grand point.

Je ne crois pas que vous ayez à vous occuper beaucoup des impressions passées que vous avez eues. Ces impressions, quand elles sont de Dieu, opèrent en nous sans nous; c’est l’essentiel. S’y arrêter peut flatter l’amour-propre et porter à se plaire à soi-même, avec son imagination. Le meilleur est de chercher à s’unir à Notre-Seigneur par la foi. Si les impressions viennent, on les prend, sans s’en occuper autrement que pour augmenter sa foi, son espérance et son amour, par un acte extrêmement simple; et c’est même dans la simplicité de ces actes que vous devez vous établir, pour arriver à la plus grande perfection de rapports avec l’infinie simplicité de Dieu. C’est alors que l’on comprend bien que Dieu est tout et que nous ne sommes rien. Mais c’est là le commencement du ciel, où Dieu sera toutes choses en tous, ut sit Deus omnia in omnibus(1). Vous comprenez que Dieu ne sera pas tout en vous, tant que vous garderez une portion de votre volonté où il n’aura pas entièrement pénétré.

Votre esprit naturel trouve que ce n’est pas la peine de faire attention à de si petites choses. C’est fort bien. Et pourtant, si Notre-Seigneur vous le demande, pourquoi n’ont-elles pas de l’importance? Pourriez-vous me dire ce qu’il y a de grand en vous? Et si Dieu, méprisant ce que vous estimez grand, estime grand ce que vous jugez petit, qu’êtes-vous pour choisir? Je ne vous ordonnerai pas de donner tout à Dieu; je suis convaincu que cela viendra de soi. Ce ne sera pas à l’obéissance, mais à l’amour que vous donnerez tout, car ce sera alors seulement que vous aimerez Dieu de tout votre coeur et de toute votre âme et de toutes vos forces.

Comment après tout voulez-vous que je vous demande de grandes choses, quand vous n’avez pas le courage de sacrifier quelques misérables feuilletons, et que la curiosité de votre nature ne peut s’arrêter devant une défense formelle, où pourtant je ne peux pas vous obliger sous peine de péché, parce que vous en feriez trop? Commencez par vous exercer à vous donner, si vous ne pouvez pas vous donner entièrement du premier coup. Si vous n’avez pas encore cette générosité des saints, demandez-la; elle vous sera accordée. Pour cette fois, je ne vous imposerai pas d’autre pénitence que celle de vous faire passer sur le corps, à la porte du réfectoire; mais souvenez-vous que si je n’obtiens pas plus d’obéissance pour la lecture des feuilletons, je ne vous épargnerai pas.

Je suis content de vos lectures; vous pouvez les continuer. Il faut que je m’arrête ici. Je n’ai plus qu’un moment pour préparer mon départ et déjeuner. Je vous assure que je suis raisonnable. Il y a un siècle que je ne suis allé à l’office. Je me suis levé fort tard, à 6 h. 1/2, à 7 heures, excepté hier et aujourd’hui. Je fais gras, je fais du feu dans ma chambre. Que voulez-vous de plus? Je suis seulement nerveux. C’est une humiliante misère, mais les nerfs n’ont tué personne.

Adieu, ma fille. Soyez aussi bonne pour Notre-Seigneur que vous l’êtes pour moi, je crois qu’il sera content. J’ai reçu la procuration de Soeur Marie-Françoise. Je n’ai pas le temps de vous dire autre chose. Adieu. Mille fois tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D’ALZON.

Je ne puis me relire.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. *I Cor.*, XV, 28.