Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 319.

27 apr 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Personnel du collège et futurs religieux – Le confesseur – Ne vous analysez pas trop – Le souci de la gloire de Dieu et du bien des âmes – La vie extérieure – La très intime présence de Dieu en nous et ses conséquences actives – Votre rendement de compte – Les dames Carbonnel – L’architecte et le terrain.

Informations générales
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  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 319.
  • Orig.ms. ACR, AD 509; D'A., T.D. 19, pp. 188-193.
Informations détaillées
  • 1 ACHAT DE TERRAINS
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 ASSOMPTION
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONFESSEUR
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CONTRARIETES
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DOMESTIQUES
    1 ECONOME DU COLLEGE
    1 EMOTIONS
    1 ENERGIE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 FRERES CONVERS ASSOMPTIONNISTES
    1 GENEROSITE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 IMPRESSION
    1 JOIE
    1 LACHETE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIVRES LITURGIQUES
    1 LOCAUX SCOLAIRES
    1 MAITRES
    1 MAITRISE DE SOI
    1 MYSTIQUE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARESSE
    1 POSTULANTS ASSOMPTIONNISTES
    1 REFUGE LE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 SALUT DES AMES
    1 SUPERIEURE
    1 SURVEILLANTS
    1 TRISTESSE
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    2 ANDLEY
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 BOYER, MADAME EDOUARD
    2 CARBONNEL, ANTOINETTE
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CHARPENTIER
    2 COIRARD, MIRRA
    2 DESHAYES, PHILIPPE
    2 DESNOTS
    2 DOYEN-CAYOL, ALEXANDRE
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 LENORMANT, CHARLES
    2 MONNIER, JULES
    2 QUESTEL, ARCHITECTE
    2 RAIGECOURT, MADEMOISELLE DE
    2 RANCE, ABBE DE
    2 RUAS
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 TOURNAUX
    2 WILSON, CHARLES
    3 AMERIQUE
    3 NIMES, EGLISE SAINT-PAUL
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 27 avril 1847.
  • 27 apr 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

J’ai reçu avant-hier, ou plutôt samedi soir, par M. Tournaux deux lettres de vous. Hier, une autre lettre m’arrive par la poste, et, tandis qu’il est là près de mon bureau à faire mon buste, je prends vos lettres et vais y répondre par ordre.

Laissez-moi seulement vous dire que je suis jusqu’à présent très content de cette nouvelle acquisition. J’aime beaucoup ces natures énergiques qui se donnent sans se marchander. Je crois que nous en ferons un bon religieux. L’apostolat envers les enfants paraît le charmer. Il est peu instruit, mais je lui crois de la capacité. Il y a dans ses expressions une certaine fermeté qui m’est allée parfaitement. Je ne sais que vous dire de Beiling. Il est sûr qu’il a laissé dans la maison une réputation qui lui ferait tort, et qu’il aurait sûrement quelque peine à changer. Je n’ose vous dire de nous l’envoyer, à moins d’une transformation telle que nous puissions être sûrs que, dès les premiers jours, il ferait oublier tous ses antécédents. Je n’ai pas précisément besoin d’un économe. J’ai mis M. Ras à la lingerie et à la dépense; pour la lingerie, il fait très bien; pour la dépense, j’ai peur qu’il ne soit pas tout ce que je pourrais désirer. Ne m’envoyez pas M. Desnots, si vous ne le trouvez pas bien. J’aurai bien bonne envie d’accrocher M. Cayol, si faire se pouvait; d’après ce que Cardenne m’en dit, ce serait une acquisition précieuse. Si le jeune homme recommandé par M. Deshayes veut venir pour la lingerie, il le peut sans difficultés. Supposé qu’il accepte d’être Frère convers, il me semble qu’il pourra plus tard nous être bon pour le jardin. Mais sondez un peu ses dispositions et son esprit. Toutefois s’il peut m’attendre, je ne suis pas positivement pressé pour le moment.

Je vous enverrai un calque du projet de plan que je vous ai promis, mais auparavant je veux le montrer à M. Questel architecte, qui a fait l’église de St Paul en style roman et qui m’est extrêmement recommandé par M. Lenormand. Il se trouve ici aujourd’hui, et je vais vous quitter dans un moment pour aller le voir. Mais dites-moi donc comment je puis m’en tirer avec M. Charpentier, qui est revenu me relancer. Je vais me faire donner une note des prix de ce pays-ci, afin que votre architecte puisse faire son devis. Il sera très facile d’avoir des arceaux de 3 mètres, au lieu de 4. Nous aurons des classes de 9 mètres et de 6; ce qui sera, je crois, très suffisant.

Je me suis bien remis avec M. Goubier. Quoique souffrant, j’ai prêché le sermon de sa fête patronale avant-hier, parce que le prédicateur qu’il attendait lui a fait faux bond dimanche soir. J’en suis aujourd’hui un peu plus enrhumé, mais j’ai voulu au moins lui prouver toute ma bonne volonté. Je suis constamment très bien en confiance avec M. Durand et M. Monnier, qui certainement sont ceux qui voient le mieux mon oeuvre. Je serais en toute confiance avec Cardenne dont le dévouement m’est acquis, si je pouvais compter sur la sûreté de son jugement pratique; malheureusement, à côté d’un développement religieux et intellectuel très remarquable, il nous arrive quelquefois dans l’ordre des affaires avec des idées qui font éclater de rire tous ceux qui l’écoutent. Les demoiselles Carbonnel ne reviendront pas; je crois vous l’avoir écrit. J’ai revu Mlle Antoinette, avec qui nous sommes très bien; quant à Mlle Isaure, elle est au désespoir de son escapade, mais je vous réponds que je serai inflexible. Du reste, j’ai déjà arrangé les choses de manière à ce que leur retour soit entièrement impossible. Lorsque je vous dis plus haut que je suis renoué avec M. Goubier, je crains bien que ce ne soit jamais comme autrefois. M. Goubier regrette trop que je n’établisse pas les choses de manière à ce qu’il commande et que j’exécute. Or je ne veux plus de ce système, et, sans le dire positivement, je tâche de le faire sentir. Mlle Anaïs ira dimanche prochain faire une retraite au Refuge, en attendant qu’elle ait une occasion pour partir pour Paris; j’espère la lui trouver bientôt.

Je me soucie peu de M. Andley, à 4.000 francs, quelque mérite qu’il puisse avoir; je le redoute un peu, parce que je connais les idées de M. Wilson. Quant à mettre Hippolyte à l’économat, j’y vois quelques inconvénients dont je vous parlerai plus tard; le moindre est qu’il fait parfaitement bien comme surveillant et que je ne voudrais pas qu’il se jetât dans les chiffres, où il perdrait le talent vraiment précieux de s’emparer des enfants. J’ai malheureusement trop peu de bons surveillants pour ne pas garder ceux que la Providence m’a donnés.

Je prends votre lettre du 22. Vous avez bien raison de me dire que vous parlez peu de vous, mais je dois vous avouer que je me reproche votre silence. Il est étonnant que, pensant à vous autant que je le fais, je vous dise si rarement ce qui m’en préoccupe. Je conçois très fort le désir du confesseur, tel que vous le voudriez; mais comme malheureusement cela ne dépend pas de nous, il faut, je crois, que vous preniez courageusement votre parti et que vous ne vous arrêtiez pas à d’inutiles regrets. Je suis bien aise que vous ne remarquiez pas en vous la préoccupation de vous-même dont je vous ai parlé. Peut-être me suis-je mal exprimé. Je voulais vous dire que vous sembliez trop soucieuse d’analyser les émotions et les impressions les plus intimes de votre âme. Je crois que, si j’ai bien jugé, vous avez à chercher la liberté de coeur sur cet article.

Vous avouerai-je que j’ai été tout surpris de voir le détail que vous me donnez sur votre intérieur et sur cette disposition à laisser faire, sans avoir le courage de faire vous-même? Il y a plusieurs jours déjà que je me reprochai très sérieusement de me laisser aller à un état pareil. Je ne crois pouvoir mieux faire que de vous faire part des réflexions qui m’aident le plus à en sortir. Je les ai trouvées dans les lettres de l’abbé de Rancé à un évêque et à des supérieurs ou supérieures de communauté. Or tout principe de guérison pour un mal de cette espèce me paraît dans cette grande vérité que peu importe après tout ce qui en résultera pour nous personnellement, mais qu’il faut s’abandonner entièrement à toute action qui est utile à la gloire de Dieu et au bien des âmes, sans tant se marchander, parce que le temps est court et qu’il ne nous en reste pas trop pour pleurer nos péchés et faire pénitence. Je ne saurais vous dire quel bien m’a fait cette vérité sérieusement méditée. Je ne sais si elle vous sera également utile. Mais il me semble que, quand on se dit: « Il faut aller jusque-là, parce que Dieu s’y trouve avec sa gloire et le bien du prochain », on y va, surtout lorsqu’on se le dit pour les actes intérieurs de sa vie comme pour les actes extérieurs. Cette autre pensée qu’il ne faut pas tant marchander avec Jésus-Christ donne de l’amour et de l’énergie. Pour ma part au moins, voilà l’effet que j’en ai ressenti.

Vous sentez, dites-vous, beaucoup de défaillance et de tristesse à l’égard de votre vie extérieure. Oui, parce que vous ne vous arrêtez pas assez à cette vérité que la vie extérieure n’est rien pour l’action d’une religieuse, sans l’autre vie qui en est la base. Je crois que les occupations nous font trop perdre de vue cette grande vérité. Je ne m’effraye point de ce que vous n’êtes pas aussi touchée que vous pourriez l’être de certaines vérités autres que la pensée de Dieu seul. C’est la triste condition des supérieurs: le repos et les fruits du repos ne sont pas pour eux. Je ne comprends pas bien la conséquence que vous voulez tirer de la différence qui subsiste entre la pensée de Dieu seul et les autres mystères de la religion. Ce que je comprends très bien, c’est ce que vous dites de la très intime présence de Dieu en nous. Mais pour l’y maintenir ne faut-il pas correspondre à ses demandes, et, après un certain repos avec lui, arriver aux conséquences actives sous peine de tomber dans le mysticisme indien. Je comprends que cette disposition n’exclue pas un état pénible, et je comprends, au contraire, que cet état pénible soit ce qu’il y a de plus rassurant, parce que, tout en se jetant dans l’immense miséricorde de Dieu, il faut bien avoir quelque peine d’en avoir tant abusé. Ne vous laissez pas aller, croyez-moi, à votre nonchalance. Secouez ces sentiments de paresse. Hélas! qu’est-ce que je vous dis là! C’est ma pure condamnation.

Je suis extrêmement content de votre rendement de compte, seulement, je vous prie de n’être pas surprise, si je n’ai pas répondu à tout. Il y a certains points qui voudraient une longue conversation; j’ai été surtout préoccupé de ce que vous m’y dites à la fin sur votre inertie spirituelle. Que je suis heureux de vous voir enfin ne pas trop vous effrayer de ma visite! J’irai vous la faire avec tant de joie que ce serait mal à vous de ne pas être aussi un peu contente. L’impression que me cause votre rendement de compte, est, ce me semble, très bonne, en ce sens qu’il me semble que je vous comprends et qu’après tout, si vous allez à Dieu seul, il n’y a rien de mieux; triste, parce que j’ai, de plus, la conviction profonde que, si vous n’êtes pas meilleure, c’est ma faute, ce que je ne voudrais pas pour beaucoup. J’ai le plus grand désir de savoir toutes vos pensées et je ne puis concevoir qu’il y ait le moindre sentiment de haine, de ma part.

J’ai répondu à toutes vos questions. Vous aurez des exemplaires de l’office du Tiers-Ordre. Mlle de Raigecourt part pour l’Amérique. Peut-être le savez- vous? Elle est arrêtée par Mgr Dupanloup qui la dirige. M. Tournaux vient de m’interrompre pour me charger de vous dire qu’il vous aime beaucoup et qu’il vous trouve très adroite et pleine de tact.

Le 28 avril.

Quelque énorme que doive être cette lettre, je n’en veux pas moins vous dire encore deux choses. La première, que je suis allé voir hier les dames Carbonnel à la campagne, et que j’ai trouvé l’aînée furieuse de ce que je ne l’avais pas rappelée à l’Assomption. Dès que j’ai voulu essayer de justifier Mlle Anaïs, j’ai reçu pour commission de la maudire, avec déclaration que si je ne la maudissais pas, de la part de Mlle Isaure, la malédiction retomberait sur moi. Une visite d’un curé de village nous dérangea un moment. Quand, après trois heures environ passées de la manière la plus pénible, je voulus me retirer, on me signifia que je faisais le prince et que je traitais les gens avec une brutalité infinie, que j’étais sans coeur, etc. Je ne dis rien de pénible, mais j’avoue que je fus sur le point d’avoir un coup de sang par l’effort que je fis pour me contenir. Dieu veuille que cela m’ait servi pour mon purgatoire! Mlle Anaïs quittera la maison dans un jour ou deux pour aller au Refuge attendre une occasion favorable pour Paris.

La seconde chose dont je voulais vous parler est mon entretien avec M. Questel, l’architecte de Saint-Paul. Ce brave homme, par motif de délicatesse, n’a pas voulu se charger d’un travail sur lequel comptait un de ses collègues. Pour peu que les autres en soient là pour le scrupule, nous serons assez dans l’embarras. Que pensez-vous que je doive faire? J’avais envie d’écrire à M. Questel que la loi nouvelle sur la liberté d’enseignement me forçant à la prudence, je modifierais probablement mon plan, et que, pour n’être pas trop longtemps son débiteur, je le prierai de me fournir la possibilité de m’acquitter envers lui. Qu’en pensez-vous?

Adieu, ma chère enfant. Priez bien pour moi ces jours-ci, afin que Dieu me maintienne dans une grande paix au milieu de tous mes petits chagrins, car je n’ose pas les appeler grands. J’ai beau chercher, je ne trouve encore pas de terrain, et il y a un tel concours de mauvaise volonté que je ne sais plus que dire. La pauvre Mme Boyer a été malade de voir que vous écriviez à Mlle Coirard et qu’elle ne pouvait pas recevoir de vos lettres; elle a tâché de se dédommager en lisant votre épître à celle-ci et en se l’appliquant à elle-même. Chargez-moi de temps en temps de quelque chose pour elle, vous lui donnerez dix ans de vie. Je m’arrête pourtant tout de bon cette fois. Adieu, bien chère fille. Mille fois tout vôtre.

Notes et post-scriptum