Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 271.

12 dec 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Remerciements pour sa lettre – Leurs rapports, à l’avenir, ne doivent pas s’appuyer seulement sur la dépendance ou sur la foi, mais sur la charité – Il doit être la copie et le représentant de l’Agneau de Dieu qui donne la paix au monde, et, à ce titre, la vie de charité doit s’établir entre eux – Comment le voeu d’obéissance sera pourtant maintenu – Il garde ses lettres de l’année – Nouvelles diverses.

Informations générales
  • PM_XIV_271
  • 0+498|CDXCVIII
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 271.
  • Orig.ms. ACR, AD 474; V. *Lettres* III, pp.162-165 et D'A., T.D. 19, p. 154.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHRIST CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DOT
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FOI
    1 HUMILITE
    1 LACHETE
    1 MARIAGE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 RECONNAISSANCE
    1 RENONCEMENT
    1 REVOLTE
    1 SACRIFICE DE LA MESSE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 UNION DES COEURS
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOEU D'OBEISSANCE
    2 MILLERET, LOUIS
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PAUL, SAINT
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 12 décembre 1846.
  • 12 dec 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Je vais répondre bien vite à votre lettre de la retraite du mois; elle est si bonne pour votre pauvre père qu’il faut d’abord que je vous en remercie. Les deux idées que vous me développez sont toutes deux très bonnes, mais ne sont pas celles qui, je crois, doivent désormais vous fixer. Je crois avoir parfaitement compris toute votre pensée sous les deux formes où vous me la développez, mais il me semble que ce n’est à présent ni l’une ni l’autre impression, sur laquelle vous devez appuyer nos rapports.

Il a été, je crois, très avantageux pour vous de vous mettre dans un état de dépendance, comme vous y avez été pendant un certain temps. Je regrette que vous en soyez sortie, comme vous me le dites dans votre lettre, d’une manière violente. Quelque prétexte que j’aie pu vous en donner, il n’en est pas moins vrai que vous avez été faible devant l’épreuve, et, même en me donnant tous les torts, je croirai toujours que devant Dieu vous y eussiez pu trouver un moyen d’immolation, si vous l’aviez voulu. C’est là que revient si terriblement la maxime, qui n’est pas de moi, mais de saint Paul: Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum(1). Mais, quoi qu’il en soit, le temps de cette épreuve est passé, et, quoique vous puissiez bien faire de vous efforcer de reprendre cet état de dépendance, que vous puissiez également puiser un motif d’humiliation dans vos révoltes(2), il me paraît que ce n’est plus ni par l’obéissance ni par la foi seulement que doivent être réglés nos rapports, mais bien et surtout par la charité. Je vais m’expliquer.

La foi doit-elle disparaître? Evidemment non, en ce sens que nous devrons toujours chercher Jésus-Christ à travers l’un de l’autre. Et, sous ce point de vue, c’est autant à moi qu’à vous à prendre cette vue de foi, non pour dessécher tout sentiment personnel de l’un à l’autre, mais pour le fortifier par cette pensée supérieure qu’il faut que nous bâtissions, l’un par l’autre, l’édifice de notre salut sur la pierre angulaire et unique qui est Jésus-Christ; que nos intérêts doivent s’unir de façon que nos édifices se toucheront par des murs mitoyens, si ce n’est pas un seul et même édifice. Quant à la dépendance, qu’il puisse vous être avantageux d’en développer le sentiment, c’est très possible; mais que je doive en exiger l’exercice, je ne le pense pas. Il peut vous être très avantageux de vous faire petite à mon égard devant Notre-Seigneur, si vous sentez qu’il le demande; mais, si je puis dire ainsi, je crois que je ne dois plus le savoir. Pourquoi donc? Parce que la manière, dont je crois que j’ai à vous conduire désormais, doit être tellement douce au point de vue de l’autorité que vous n’ayez plus aucune difficulté à cet égard, tant le lien doit être souple et le joug léger. Que deviendrait alors votre voeu d’obéissance? Ce serait, pour moi, plutôt une disposition d’âme et de coeur qu’une occasion d’exercer votre vertu.

J’arrive à ce que je veux vous dire sur la charité. Une des prières que je me sens le plus porté à faire est celle-ci: Agnus Dei…, dona nobis pacem. Et je me sens très attiré à être, autant qu’il dépend de moi, la copie et le représentant de cet Agneau de Dieu, purifiant, s’il le faut, non par le sang de la croix, mais par l’acceptation amoureuse de mes souffrances intérieures, ce qui est désordonné autour de moi. Or, s’il est un être au monde, à qui je désire envoyer cette paix, vous savez bien que c’est vous, ma fille. Mais quel rapport, me direz-vous, a votre état avec le mien? Un très grand, ma fille. Car, la seule manière dont je puisse exercer cette paternité que Dieu m’a donnée en ce moment, c’est de vous communiquer les aliments dont il me nourrit; comme aussi c’est à vous maintenant à me faire part de ceux qui vous sont accordés. Et voilà comment la vie de charité doit s’établir plus que jamais entre nous. C’est quelque chose comme le nouveau commerce qui s’établit entre le père et le fils, la mère et la fille, quand l’éducation des uns est terminée et que les autres sont heureux de déposer le poids de l’autorité, pour ne plus conserver que l’influence d’une affection devenue presque fraternelle. Ajoutez maintenant toutes les choses que vous saisissez sûrement à merveille, et il me semble que vous aurez compris ma pensée. Moins que jamais, il ne doit être question d’autorité entre nous que sur votre demande, et, encore une fois, je ne crois plus avoir à dire: Je veux. Le voeu d’obéissance sera-t-il détruit? Non, car il peut subsister tout entier dans vos dispositions. Mais vous devez faire quelque chose de mieux que d’obéir. C’est ainsi, ce me semble, que vous rentrerez dans l’ordre et dans la paix. Que de choses n’aurais-je pas à ajouter? Mais ne le comprenez-vous pas? Il me semble que si. Pourquoi ne puis-je vous envoyer mon coeur et mon âme dans cette lettre?

Pour vos lettres, à moins que vous ne le veuilliez bien fort, vous ne les aurez pas. Vous seriez-vous figuré qu’un des plus grands sacrifices que j’aie faits, c’est d’avoir rendu de bonne grâce celles que je vous ai remises? Mais il faut tout vous dire, votre pauvre père est résolu à garder son bien, puisqu’on apprécie si mal son dépouillement. Sérieusement, je vous conjure de me les laisser. Vos lettres vous remplacent un peu auprès de moi. Je n’en ai aucun scrupule devant Notre-Seigneur. Même en ne les relisant pas souvent, ces témoignages de vos pensées et de votre coeur me soutiennent. Vous ne voudrez pas m’en priver n’est-ce pas? Du reste n’ayez aucune crainte: si je meurs elles vous seront toutes rendues très exactement; mes précautions sont prises à cet égard(3). L’affaire que j’avais en vue pour M. votre frère s’annonce moins belle que je n’avais cru. La jeune personne aura bien un jour 600.000 francs, mais pour le moment c’est si peu que je n’ose en parler. Il faut m’arrêter, la poste me presse.

Adieu, ma fille. Je voulais vous prier de me renvoyer une copie de cette lettre; mais c’est l’expression si fixe, si fortement imprimée en moi de ce que je crois être le vrai sens de Jésus-Christ, sensum Christi(4), que je crois bien la savoir par coeur. Seulement, elle est encore incomplète, mais j’ai été dérangé et pressé. Adieu. Si Soeur Th[érèse]-Em[manuel] veut m’écrire, elle sera bien bonne, mais je n’en ai pas besoin, pour ce qui vous regarde. Cette semaine, j’ai dit une fois la messe pour un autre que pour vous. Hier, je n’ai pas pu la dire; pourtant, je vais mieux. Je n’ai pas le temps de me relire.

Notes et post-scriptum
2. Après avoir lu avec attention toutes les lettres des deux correspondants, qui, pendant huit mois, parlent de cette difficulté, il nous a été impossible d'arriver à la moindre précision. Il faut en conclure qu'il s'agit là plutôt d'un état d'esprit, dans la voie de la perfection, que d'un fait déterminé.
3. La plupart des lettres des premières années furent remises à la Mère Marie-Eugénie de Jésus.1. *Rom*. VIII, 28.
4. *I Cor*. II, 16.