- DR09_309
- 4554
- DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 309
- Orig.ms. ACR, AL 32; D'A., T.D.34, n.31, pp.164-168.
- 1 ACTES PONTIFICAUX
1 AMBITION
1 APOSTASIE
1 AUTORITE DE L'EGLISE
1 BUT DE LA VIE
1 CATHOLIQUE
1 CONCILE DU VATICAN
1 CONSTITUTION CONCILIAIRE DE VATICAN I
1 CRITIQUES
1 DESPOTISME
1 ENSEIGNEMENT
1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
1 ERREUR
1 HERESIE
1 IDEES DU MONDE
1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
1 LIBERALISME CATHOLIQUE
1 LIVRES
1 MALADIES
1 MINISTERE
1 MONARCHIE
1 PARLEMENT
1 PARLEMENTAIRE
1 POLITIQUE
1 REVOLUTION ADVERSAIRE
1 ROYALISTES
1 RUSE
1 SOUFFRANCE
2 BERRYER, PIERRE-ANTOINE
2 CHAMBORD, COMTE DE
2 DUPANLOUP, FELIX
2 MAISTRE, JOSEPH DE
2 PIE IX
2 SIMON, JULES
3 FRANCE
3 NIMES
3 ORLEANS - A MONSIEUR NUMA BARAGNON
- BARAGNON_NUMA
- Nîmes, le 23 février 1872.
- 23 feb 1872
- Nîmes
- Evêché|de Nîmes
Mon cher ami,
J’ai depuis quelques jours une névralgie qui m’a fait passer des nuits sur mon fauteuil à crier quelques fois, comme si l’on m’écorchait. Voilà pourquoi je ne vous ai pas donné signe de vie, malgré vos deux excellentes lettres. Je crois que, dans ma brièveté, je ne me suis pas bien fait comprendre(1). Etablissons les faits:
1° Jamais je ne vous ai soupçonné d’ambition et d’intrigue;
2° Seulement vous avez été, pardonnez-moi, et dupé et victime de votre amour de l’habilité.
Rappelez-vous le jour où, il y a q[uel] q[ues] années, je vous prévins que votre habileté me faisait peur. Quand on est aussi admirablement doué que vous de cette qualité, on cède à la tentation d’en faire usage; ce qui n’est pas mal, pourvu qu’elle ne finisse pas par tourner en maladresse, comme je le crains, dans la situation présente.
Je dis, de plus, que vous avez été dupé. Par qui? Par Mgr Dupanloup. Ce n’est pas à moi que vous ferez croire que, ferré comme il l’est sur la question de l’enseignement, il vous ait pris pour travailler avec lui sans un motif secret(2). L’enseignement était un prétexte, le but était la fusion, et certes le tour a été bien joué. Enlever aux catholiques tout court un jeune homme admirablement posé et faire servir son talent à la diplomatie fusioniste, mais c’est prodigieux. Allez, Mgr d’Orléans rit dans sa barbe et il a raison. Qu’après cela, ce que je trouvais votre véritable avenir comme député de Nîmes soit compromis, qu’est-ce que cela lui fait? Il mènera à sa remorque un brillant orateur de la fusion, mais vous ne serez pas, à moins que vous ne tourniez bride, le chef des catholiques légitimistes de France. Que M.le comte de Chambord revienne, je vous préviens que vous serez sur la liste de son premier ministère, ministère de transition, quand vous auriez pu être son ministre définitif.
Il ne faut pas être perspicace pour voir qu’entre la pensée des 80 et celle du comte de Chambord il y a des abîmes. Laissez la Gazette de Nîmes répéter à satiété: « Le roi, le roi, le roi! » Le roi, c’est un fait immense, mais ce n’est pas tout; il y a les principes. M. le comte de Chambord les sauvegarde, vous les sacrifiez. Ne dites pas, mais pourquoi parler d’une pièce que vous ne connaissez pas(3)? Je n’ai pas besoin de la connaître. Les orléanistes l’approuvent, cela me suffit. Me persuaderez-vous que les principes en sont si éblouissants que les orléanistes ont passé immédiatement du blanc au noir? Et si les orléanistes sont contents les vrai légitimistes ne peuvent l’être, et les catholiques encore moins.
Ne vous réfugiez ni derrière le Monsieur de l’Univers, ni derrière la perruque de l’Union, ni derrière les députés verdâtres; je ne savais ni la pensée de l’Univers, ni celle de l’Union, encore moins celle des verdâtres députés, quand je vous ai écrit. Ce qui a dicté ma lettre, le voici. Sans doute, je donne une immense valeur au principe d’hérédité, mais pour moi il y a plus. Le comte de Chambord est non seulement le prince le plus catholique du monde, mais le seul catholique, mais catholique de la manière la plus absolue, et je raisonne ainsi. Avec les progrès de la révolution et la trahison des rois, ou bien la royauté périra, ce qui est bien possible, ou elle sera sauvée par le roi réellement très chrétien, par un roi fils légitime et aîné de l’Eglise. Vous me répondez: « Mais où voyez-vous que nous combattions ces idées? nous n’en parlons pas ». Tout juste, comme M. Simon, qui, les yeux aux ciel, jure qu’il n’attaque pas l’existence de Dieu en n’en parlant pas. Comme si se taire n’était pas, en certaines circonstances, une apostasie. Entendons-nous, je ne dis pas que vous soyez apostat, mais je vous signale le danger.
J’ai bien un autre reproche à faire au manifeste, c’est d’accepter des principes opposés à ceux de l’Eglise. Etes-vous si naïf que vous croyez encore que, derrière les cris poussés par M. Dupanloup à propos de l’infaillibilité du Pape, il n’y avait pas la peur d’une condamnation? Le Pape répétant à satiété que l’erreur moderne la plus redoutable c’est, non l’erreur révolutionnaire, mais l’erreur catholico-libérale, j’en suis bien fâché, mais j’arrive rigoureusement à cette conclusion: le grand hérétique moderne, c’est l’évêque d’Orléans. Il n’est pas encore condamné expressément, mais expliquez ses opinions en regard du Syllabus? Et vous, disciple du Syllabus, vous vous laissez embobiner par cet homme et sa coterie! Vous avez été dupé.
Non,l’évêque d’Orléans n’est pas encore expressément condamné, mais patience. Outre que le Syllabus a été formellement approuvé par la première constitution du Concile, avec les autres actes pontificaux, ou bien le Concile sera repris, ou bien il ne le sera pas. S’il est repris, je puis d’ores et déjà vous fournir l’ensemble des condamnations qui seront formulées et que, j’en suis bien fâché encore renferme en partie votre manifeste. Si le Concile n’est pas repris, le Pape qui renoncera définitivement à une convocation nouvelle, fera ce que le Concile aurait fait, au nom d’une autorité que Mgr Dupanloup avait parfaitement raison, à son point de vue, de trouver inopportune. Et comprenez, vous aussi, mon cri de douleur, en vous voyant être un des principaux ouvriers d’une pièce qui renferme des propositions assez fausses pour que l’Eglise les condamne très certainement, un jour.
Mais le comte de Chambord n’a pas repoussé le manifeste? Il eût été bien bon de le repousser. Il ne veut pas diviser encore ses amis. A sa place, j’en aurais fait autant. J’eusse toléré, sauf à repousser plus tard. La loyauté de M. le comte de Chambord est garantie par ses déclarations personnelles. On n’a pas voulu le prendre au filet, il ne s’y est pas laissé prendre, et, comme il a prévenu la France, s’il se sert du filet, tant pis pour ceux qui y auront été pris!
J’avais considéré votre carrière à un point de vue bien plus élevé. Je vous avais cru capable d’accepter, au besoin, la majesté solitaire qui fit la gloire de Berryer sous la royauté de 1830; avec cette différence que travaillant à refaire la France, non avec l’habileté, mais avec vos principes et votre merveilleux talent, vous n’auriez pas été longtemps seul, et, un peu plus tôt un peu plus tard, vous auriez été, cette fois, l’homme du comte de Chambord et l’homme des catholiques. Pouvez-vous m’en vouloir d’avoir rêvé pour vous un avenir, que vous êtes parfaitement capable de réaliser et qui vous eût fait, non pas une célébrité transitoire dans une Chambre disloquée, mais une place incontestée dans nos annales?
Un dernier mot. Lorsqu’en 1820 M.de Maistre publia son livre Du Pape, il fut tiré à 4400 exemplaires, dont plusieurs restèrent longtemps chez l’imprimeur. En 1830, nous étions plus nombreux, mais une poignée après tout. Depuis deux ans, l’infaillibilité est un dogme.
Aujourd’hui, la question de la monarchie chrétienne subit un travail bien autrement rapide que celui de l’infaillibilité. Il ne faut qu’affirmer et attendre. Les compromis n’empêcheront pas les catastrophes, et les principes vrais sont seuls capables de sauver les peuples et de les rendre durables. Or, en face de l’explosion révolutionnaire qui ne saurait tarder je vous crois encore la mission de préparer l’explosion de la vérité et de la monarchie vraiment chrétienne, qui en sera la conséquence.
En voilà bien long pour un homme névralgifié, mais je vous aime tant, cher ami, que, quand je ne suis pas d’accord avec vous, il faut que je vous dise toute ma pensée.
Mille fois et bien tendrement vôtre.
E. D'ALZON.2. Voir *Lettre* 4269 et note.
3. Voir *Lettre* 4550, note. Les 80 sont les signataires du programme des droites, encore inconnu du public.