DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 289

15 jan 1872 Nîmes CLERGE_ET_FIDELES

L’oeuvre de Saint-François de Sales – Le protestantisme a fait siens les principes révolutionnaires.

Informations générales
  • DR09_289
  • 4532
  • DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 289
  • Brouillon autogr. ACR, AO 128; D'A., T.D.40, n.15, pp.25-28.
Informations détaillées
  • 1 CATHOLIQUE
    1 CHATIMENT
    1 CIRCULAIRES DU PERE D'ALZON
    1 COMMUNE
    1 DESPOTISME
    1 DIRECTION PASTORALE DU DIOCESE DE NIMES
    1 DOGME
    1 ESPRIT CHRETIEN
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IDEES DU MONDE
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 MARTYRS
    1 MAUX PRESENTS
    1 MINISTRES PROTESTANTS
    1 MORALE
    1 PECHE
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PUBLICATIONS
    1 RADICAUX ADVERSAIRES
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 REVOLTE
    1 REVOLUTION
    1 SOUSCRIPTION
    1 TERREUR
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 BOSSUET
    2 GUISE, PRINCES DE
    2 JURIEU, PIERRE
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    3 ALES
    3 ALLEMAGNE
    3 AMBOISE
    3 MONTAUBAN
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES, CONSISTOIRE
    3 NIMES, EVECHE
    3 NIMES, HOTEL DE VILLE
    3 STRASBOURG
  • AUX CURES DU DIOCESE DE NIMES
  • CLERGE_ET_FIDELES
  • [Nîmes, mi-janvier 1872](1).
  • 15 jan 1872
  • Nîmes
La lettre

Monsieur le curé,

Si malgré le peu de succès qu’ont obtenu mes sollicitations précédentes je viens vous parler encore de l’oeuvre de Saint-François de Sales, c’est que Mgr l’évêque, préoccupé des besoins du diocèse, désire voir cette oeuvre si opportune mettre à sa disposition des sommes indispensables dans certaines localités(2).

Nous sommes assurés de recevoir toujours bien au-delà des souscriptions envoyées. Ce n’est point étonnant. Depuis que Strasbourg est passé sous le joug de l’Allemagne protestante, nul pays français ne compte plus que le nôtre de disciples de la Réforme. Il est tout naturel qu’on soit disposé à nous venir plus spécialement en aide, pourvu que nous fassions acte de bonne volonté. Qu’avec une pareille perspective ouverte on reste dans l’indifférence du bien à opérer, c’est ce qui se comprend ou très peu ou beaucoup trop.

Bien que le but direct de l’oeuvre soit de venir en aide aux catholiques placés au sein de populations protestantes, il est évident qu’aujourd’hui les secours que l’oeuvre procure peuvent se diriger ailleurs; car il ne faut pas se faire illusion, le protestantisme, à peu près mort comme secte exclusivement religieuse, s’étend d’une manière effrayante si on l’envisage par son côté politique. Cette double proposition est facile à prouver. Qu’il n’y ait plus, à proprement parler, parmi nous de croyance protestante, pour s’en convaincre il suffit d’entendre le consistoire de Nîmes s’opposer officiellement à ce que le futur synode général des protestants français traite aucune question dogmatique(3). Sur quel dogme, en effet, Messieurs de la Réforme pourraient-ils être d’accord, si tant est qu’ils aient retenu du christianisme un seul dogme?

Au point de vue politique, c’est bien différent. Pour trouver la preuve de cette affirmation, il est inutile de consulter leurs publications nouvelles ou même les lettres intimes de Messieurs les pasteurs, dont quelques-unes nous ont été mises sous les yeux. Prenez tout simplement le cinquième Avertissement de Bossuet(4), et vous verrez combien est persévérante la tradition politique et comme elle se développe avec la plus effrayante logique. Pas un des principes révolutionnaires qui n’y soit clairement affirmé, il y a déjà deux cents ans. S’agit-il de la fameuse distinction entre la grande et la petite morale? Le ministre Jurieu dira à propos de la conjuration d’Amboise que « sans doute l’esprit du christianisme ne souffre point cela, mais que si l’on juge de cette entreprise par les règles de la morale du monde, elle n’est pas du tout criminelle », et il trouve tout simple de quitter l’esprit de l’évangile pour suivre les règles de la morale du monde.

S’agit-il de vexations à infliger aux catholiques? Voici le défi porté par Bossuet et auquel on n’a pas répondu. « On conserve les originaux des actes, où, à la requête des consistoires, on devait contraindre les papistes à embrasser la Réforme par taxes, par logements, par démolitions, par découvertes de leurs toits. Les registres des hôtels de ville de Nîmes, de Montauban, d’Alais, de Montpellier et autres villes du parti sont pleines de telles ordonnances ». Ceci ne ressemble-t-il pas à quelque chose de ce dont vous avez pu être les témoins?

Parle-t-on des châtiments infligés aux protestants révoltés? Voici l’excuse: « Il faut être aveugle pour ne pas voir que des gens à qui on renferme la vérité dans le coeur à coups de barre, ne se relèveront pas le plus tôt qu’ils pourront, et par toutes sortes de voies ». Par toutes sortes de voies, entendez bien…Et si on lui objecte que les martyrs des premiers siècles agissaient tout autrement, il vous répondra: « Si les empereurs pour toute autre cause que celle de la religion les avaient opprimés de la même manière, ils eussent été en droit de se défendre ». Nous arrivons à l’insurrection proclamée le plus saint des devoirs.

Nous sommes bien plus avant; voulez-vous l’apologie de la Terreur? Que disent les partisans de 93? Qu’il fallait du sang pour fonder un ordre nouveau. Que dit Jurieu à propos de la conjuration d’Amboise et pour la légitimer, bien que contraire de son aveu à l’esprit de l’évangile? « La tyrannie des princes de Guise ne pouvait être abattue que par une grande effusion de sang ». A la place des princes de Guise, mettez les rois, quelle différence entre la doctrine de Jurieu et la tradition révolutionnaire?

Et la raison de cela? Jurieu vous la donnera encore: « Le peuple n’a pas besoin d’avoir raison pour valider ses actes ». Ceci est répété à plusieurs reprises. Nous en sommes à la raison dernière de la Commune, à la raison du plus fort. Osera-t-on nier que ces excuses ne sont pas celles du radicalisme le plus avancé?

Si ces étonnantes citations -j’en ai passé bien d’autres- vous prouvent l’intime relation qui subsiste entre les doctrines protestantes et l’épanouissement révolutionnaire dont nous sommes les témoins, n’est-il pas évident que pour atteindre le protestantisme dans ses développements modernes, il faut le poursuivre dans les doctrines révolutionnaires les plus dangereuses et que l’oeuvre de Saint-François de Sales, dont c’est le but, mérite un concours dont la nécessité n’a peut-être pas été suffisamment comprise encore?

J’ose espérer, Monsieur le curé, que ces simples réflexions suffiront pour vous prouver, en face des périls présents, la nécessité de prêter le concours désormais le plus actif à l’Association que je viens encore vous recommander.

Veuillez agréer, Monsieur le curé, l’hommage de mes sentiments les plus respectueux en Notre-Seigneur.

E. D'ALZON, vicaire général.
Notes et post-scriptum
1. Le 31 décembre 1871, le P. d' Alzon annonce au P. Picard qu'il va faire une circulaire sur l'oeuvre de Saint-François de Sales et il lui dit comment il va s'y prendre à partir de textes de Bossuet. Dès le 24 janvier le P. Picard est en possession de cette circulaire puisqu'il en parle dans une lettre au P. Bailly.
2. Un "Rapport adressé au Conseil de l'Association de Saint-François de Sales dans le diocèse de Nîmes pour les années 1870 et 1871", signé par le P. Emmanuel Bailly, directeur diocésain de l'oeuvre, reconnaît que l'oeuvre a subi une éclipse dans le diocèse pendant les deux dernières années. La responsabilité en incombe partiellement aux malheurs des temps mais il faut reconnaître aussi, note l'auteur, "qu'on ne semblait plus assez pénétré, autour de nous, du caractère et de la nécessité de l'oeuvre" (DI 114).
3. Voir *Lettre* 4627, n.3.
4. Le cinquième avertissement (4 avril 1690) a pour titre "Le fondement des empires renversé par ce ministre", c'est-à-dire par Pierre Jurieu (1637-1713), théologien protestant qui s'en était pris à l'*Histoire des variations des Eglises protestantes* publiée par Bossuet en 1688.