- DR06_110
- 2847
- DERAEDT, Lettres, vol.6 , p. 110
- Orig.ms. ACR, AE 221; D'A., T.D. 25, n. 221, pp. 171-175.
- 1 ABUS DES GRACES
1 COLLEGE DE NIMES
1 CONTRARIETES
1 CRITIQUES
1 DIRECTION SPIRITUELLE
1 DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX
1 DISTINCTION
1 EXAMEN DE CONSCIENCE
1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
1 OBLATES
1 OEUVRES D'ORIENT
1 ORGUEIL
1 POLEMIQUE
1 PREDICATION
1 PREDICATION DE RETRAITES
1 PROTESTANTISME
1 PRUDENCE
1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
1 REPOS
1 RETRAITE SPIRITUELLE
1 RETRAITES PASTORALES
1 SUPERIEUR
1 SYMPTOMES
1 TENUE RELIGIEUSE
1 VIE DE PRIERE
1 VOCATION RELIGIEUSE
2 BAILLY, EMMANUEL
2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
2 BRUNONI, PAOLO
2 CABRIERES, ANATOLE DE
2 COURCY, MARIE-GABRIELLE DE
2 DESCAMPS, PIERRE
2 DONEY, JEAN-MARIE
2 DUMAZER, ALEXIS
2 DURAND, GABRIEL
2 FAVATIER, PAUL
2 GALABERT, VICTORIN
2 GERMER-DURAND, JOSEPH
2 KAJZIEWICZ, JEROME
2 LAMPRE, BARTHELEMY
2 LAURENT, CHARLES
2 MALASSIGNE, ATHANASE
2 MARTIN, VITAL
2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
2 ROUSSEAUX, MARIE DU SACRE-COEUR
2 SAINT-JULIEN, MARIE-GONZAGUE
2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
2 VERON, PAUL
3 ANDRINOPLE
3 AUTEUIL
3 BORDEAUX
3 LUNEL
3 MONTAUBAN
3 NIMES
3 PARIS
3 PHILIPPOPOLI
3 TIBET
3 VIGAN, LE - AU PERE FRANCOIS PICARD
- PICARD François aa
- Le Vigan, 6 août [18]66].
- 6 aug 1866
- Le Vigan
Mon bien cher ami,
Ce n’est pas à mon fils, mais à mon directeur que j’écris aujourd’hui. C’est pour cela que je prends la plume. Voici le sixième jour de ma retraite. J’en ai encore huit ou neuf, mais il me semble que je puis commencer à vous parler de moi. Vous me demanderez peut-être: « Pourquoi faire une retraite si longue? » D’abord, les saints en faisaient de quarante jours. Puis, c’est parce que je ne suis pas un saint que j’ai voulu me recueillir un peu plus longtemps, et je m’applaudis de ma résolution. Les premiers jours, j’étais sous le poids d’une fatigue physique qui me faisait dormir jusque dix et douze heures par jour, soit la nuit, soit après-midi, soit encore sur mon fauteuil. J’ai cru devoir me laisser aller sans trop de scrupule à ce besoin de sommeil. Maintenant, je commence à me troubler un peu, parce qu’il faut mettre un terme à tout. Voici ma pensée, je vous la soumets. Il est certain que, par expérience, je suis à l’époque de l’année où je dors le plus, après les nuits d’été si fatigantes, quoique je n’en aie pas beaucoup souffert cette année; puis, ma tête a un peu plus travaillé, à cause de l’oraison funèbre de l’abbé Durand(1), de mes articles sur le mouvement anglais, de mon discours de la distribution des prix, etc. Il m’est avis que je ferai bien de reprendre peu à peu l’habitude de dormir d’une façon qui ne soit pas trop scandaleuse.
Quant à mon âme, je suis plus confus du temps perdu, des grâces mal employées, de la façon humaine dont j’ai vécu, que de mes péchés. Je me trouve pourtant un fond d’orgueil, de gourmandise, de peu de bienveillance et de légèreté qui m’humilie profondément. Je ne suis pas assez homme d’oraison. C’est un point par où je voudrais me reprendre.
Comme supérieur, je crois voir bien des choses, sur lesquelles je cède par dédain, disant: « Vous le voulez ainsi, faites; vous verrez ce qui vous en cuira ». Ainsi, pour prendre un exemple, avec la supérieure de l’Assomption. Je ne voulais pas qu’elle fît partir [la] Soeur M.-Aug[ustine] de Nîmes. Je voyais qu’elle ne me disait pas le vrai motif, je lui en attribuais un qui peut-être n’était pas le vrai. Sans croire que cette pauvre irait, dans sa toquade, jusqu’où elle est allée, cependant je prévoyais des misères. De son côté, [la] Soeur M.-Aug[ustine] me disait sans cesse: « C’est notre mère g[énéra]le qui me pousse à aller à Paris ». Ennuyé d’un mystère qu’on me faisait et où je sentais que la supérieure g[énéra]le me donnait tort, je finis par dire: « Eh bien, partez ». Vous voyez ce qui en est résulté. N’est-il pas évident que la prudence veut que les mauvaises têtes soient toujours tenues loin du centre du gouvernement(2)?
Mais je ne veux que vous donner un exemple que vous garderez pour vous, et non pas entrer dans le fond de l’affaire. Seulement, je vous dirai en passant que je sens la supérieure g[énéra]le un peu blessée par rapport à moi, quoique j’aie tâché de rendre mes dernières lettres les meilleures possibles. Il faut pourtant que je vous avoue un sentiment, c’est que, sauf la supérieure g[énéra]le, je m’intéresse moins à la Congrégation des filles. Quand je cherche à analyser ce sentiment, je l’attribue à la manière dont il m’a paru que ma manière de voir et celle de Soeur Thérèse-Emmanuel étai[en]t à l’opposé l’une de l’autre. Peut-être ai-je tort; mais je ne suis plus guère bien à l’aise dans la Congrégation qu’avec la supérieure g[énéra]le, [la] Soeur M.-Gonzague et la supérieure de Nîmes, en qui j’ai une très grande confiance(3). Tout le reste m’apparaît dans le brouillard. Je n’y vois plus clair. On les a écartées, je m’en suis tenu à l’écart, à mon tour.
Je vais vous donner une très grande preuve de confiance, à condition que vous en userez sans avoir l’air de rien savoir, et si vous n’en usez pas, vous me ferez grand plaisir. Voici ce qui est. Il est évident que la ville qui en proportion a fourni le plus de vocations à ces Dames, c’est Nîmes. Or, pour continuer à en fournir, je demande depuis longtemps ou une religieuse qui s’occupe des enfants de Marie d’une façon utile, ou une religieuse qui déchargeant [la] Soeur M.-Gabrielle lui permettra de s’occuper des enfants de Marie. La petite association de Nîmes se partage en deux: les anciennes qui eussent fait un noyau parfait, mais qui n’étant pas toutes anciennes élèves de l’Assomption ont été un peu négligées, et les nouvelles qui amollies par M. de C[abrières], ou mal dirigées par [la] Soeur M. du Sacré-Coeur, ne donnent pas une seule vocation. C’est du moins l’opinion de [la] Soeur M.-Gabrielle. Je me trompe. On en trouvera peut-être chez celles qui ont quitté Nîmes. Voici ce qui va avoir lieu. M. de C[abrières] se retirera d’ici à q[uel]q[ue] temps. Je leur donnerai pour confesseur le P. Em[manuel]-Joseph, qui confesse bien mieux que son frère. Elles ne pourront pas se plaindre; mais si elles ne me donnent pas une religieuse capable pour les enfants de Marie, je me retirerai peu à peu pour m’occuper des Oblates que Dieu bénit. Nous en avons 24, et il s’en prépare quelques-unes qui consolideront tout à fait l’oeuvre.
Sur les Oblates je tiens à vous dire que, depuis que les religieuses de l’Assomption m’ont mis avec Mgr Brunoni dans la position la plus fausse, en promettant des religieuses pour Andrinople, ce qui fait que Mgr Brunoni a refusé à cause d’elles d’autres religieuses qui s’offraient, et puis ne les donnent pas(4), j’ai pris le parti de m’emparer plus particulièrement des Oblates, ce à quoi, vous le comprenez, le P. Hippolyte me pousse avec une ardeur de propriétaire. Et voici ce qui arrive. Des filles que j’aurais poussées à l’Assomption s’offrent pour être Oblates, je les accepte, et, d’ici à peu, on me reprochera de m’éloigner de l’Assomption. Qui l’aura voulu? Ce n’est pas la supérieure à qui j’attribue cet état, mais enfin le malaise commence à peser. Au fait, il y a là deux esprits très différents: des religieuses demi-cloîtrées et des religieuses missionnaires.
Tout ceci est pour moi le sujet de très longues méditations, car je ne veux rien faire que sous l’oeil de Notre-Seigneur. Il me semble seulement qu’ayant rendu des services à une Congrégation, à son origine, cette Congrégation étant arrivée à un état très prospère, (la bourrasque Véron n’est qu’un coup de vent sans conséquence, à mes yeux), sentant comme je le sens un courant en dehors de bien de mes jugements, (je ne dis pas de mes idées), je n’ai qu’à me laisser faire; si on revient, recevoir avec toute la sympathie possible; si l’on s’éloigne, laisser faire. Remarquez bien qu’ici il n’est nullement question de la supérieure, et je ne sais pourquoi je suppose qu’elle-même doit en souffrir, après y avoir donné occasion dans le temps par ses plaintes sur mon compte, que du reste elle m’a elle-même avouées, mais que j’aurais senties quand même elle ne m’en eût rien dit.
J’aurais à vous parler encore des Oblates, mais je ne finirais pas et j’ai à vous entretenir du noviciat. Cette partie de ma lettre peut être communiquée par vous au P. Laurent, si vous le jugez convenable. Le noviciat est vulgaire, et le P. Hip[polyte] croit qu’il n’est pas nécessaire de le relever, ou plutôt n’est en aucune façon convaincu de la nécessité de faire quoi que ce soit dans ce sens. Précipité qu’il est dans les confessions des dévotes et les bonnes oeuvres, le travail personnel qu’il pourrait faire, il ne le fait pas. Ce que nous avons de mieux, c’est le Fr. Barthélemy. En face, à Nîmes, nous avons le P. V[incent] de P[aul] qui s’est admirablement relevé depuis trois mois. Je souligne admirablement, parce qu’il a eu la vertu de sacrifier son découragement et ses idées, et qu’il est pour moi et pour d’autres un vrai sujet d’admiration. Dieu l’a béni, et la maison s’est fermée pour les vacances dans la situation morale la plus désirable. Nous avons le P. Em[manuel]-Joseph avec sa distinction et sa valeur très réelles; le Fr. Alexis avec son exubérance; le Fr. Germer, qui sort de son sommeil et a fait de vrais progrès sous tous les rapports; le P. Athanase, nature plus commune mais très ardente et surtout pleine du désir de la sainteté; le petit Fr. Pierre, qui par son excellent esprit a eu sur la seconde division l’action la plus salutaire. J’avais voulu faire venir le Fr. Vital, mais c’est un vrai mulet pour la brusquerie, la grossièreté des formes et la rudesse de caractère.
Je voudrais prendre de temps en temps à Nîmes quelques novices pour les dégrossir; l’expérience du Fr. Vital m’en dégoûterait. Maintenant, que faire? Suis-je trop pressé? Le P. Laurent, qui est revenu si content du noviciat, pense-t-il qu’en effet il n’y a rien à faire? Que le temps seul suffira pour tout arranger? Dois-je au contraire prendre plus souvent des novices à Nîmes? Je sais bien ce qu’il faudrait. Ce seraient des novices un peu plus distingués, comme Favatier par exemple, qui probablement va nous venir. Mais où trouver des gens à pâte de novices? Vos quatre ou cinq essais malheureux vous ont découragé. Je crois que vous avez tort. Après les sujets de rebut, viendront les sujets les plus précieux. Cherchez, vous trouverez; mais enfin que pensez-vous qu’il faille faire? Tout cela est pour moi un très sérieux sujet d’examen pendant ma retraite.
J’aurais encore bien à vous ajouter, mais cette lettre a déjà huit pages. Voyez vous-même ce que vous avez à me dire. Tout me pousse pour l’an prochain à résumer ma vie ainsi: les religieux, le noviciat, les Oblates pour l’action extérieure, et quant à l’intérieur, c’est cette transformation en Notre-Seigneur, à propos de laquelle je fais les plus belles théories, sans jamais rien en réaliser(5).
Je prêche le 8 oct[obre] la retraite pastorale à Montauban. Ne pourriez-vous pas venir y passer q[uel]q[ues] jours(6)? Vous retourneriez avec moi à Nîmes.
Adieu. Totus tibi.
E.D'ALZON.2. Le P. d'Alzon pense ici à l'attitude de Sr M.-Augustine dans l'affaire Véron (v.*Lettre* 2823,n.). A l'époque du chapitre général des Religieuses de l'Assomption en 1864, il n'avait effectivement pas approuvé le départ de Sr M.-Augustine de Nîmes pour Auteuil. Mais depuis lors il avait changé d'avis, allant même jusqu'à écrire qu'il valait mille fois mieux qu'elle reste à Auteuil (*Lettre* 2488 du 10 avril 1865).
3. Sr Thérèse-Emmanuel O'Neill, une des Mères fondatrices, était maîtresse des novices à Auteuil, Sr Marie-Gonzague Saint-Julien, supérieure à Bordeaux et Sr Marie-Gabrielle de Courcy, supérieure à Nîmes.
4. Il y a longtemps que le P. d'Alzon n'a plus évoqué cette affaire, mais elle lui pèse sur le coeur. Voici comment, au début de l'année, Mère M.-Eugénie exposait au P. Bailly son point de vue sur la question: "C'est le P. d'Alzon qui avait choisi Andrinople pour nous et rejeté Philippopoli. Je sais que nous le contrarions en n'allant pas à Andrinople plus que nous pourrions le contenter en organisant quelque chose pour Philippopoli; mais je ne puis trouver le courage de contrarier les Pères Polonais qui ont aussi été de nos premiers amis... et dont le désir d'avoir auprès d'eux leurs propres soeurs me semble légitime. Le P. Kajziewicz est venu me demander de faire tout pour leur laisser cette place... Il m'a avoué qu'il avait cru à un projet de faire venir à notre suite des Pères pour les supplanter. Entre vous et moi je n'assure pas que ce ne fut pas la pensée de Mgr Brunoni et par suite du P. Galabert, le tout communiqué peut-être au P. d'Alzon." (4 janvier 1866). - Notons que, dans sa réponse au P. d'Alzon, le P. Picard n'aborda pas ce point.
5. Longue réponse à cette longue lettre, le 10 août. Après avoir dit l'embarras où il se trouve de devoir donner des conseils à son père, le P. Picard encourage le P. d'Alzon à profiter de son séjour au Vigan pour faire une provision de sommeil et l'invite, dans sa conduite privée comme dans ses devoirs de supérieur, à se poser souvent la question "sur laquelle vous nous avez dans le temps fait un si beau sermon: *Quid nunc Christus?*". Puis il examine les problèmes concrets qu'il lui a exposés. Pour remédier à la "vulgarité" du noviciat, il faudrait pouvoir adjoindre au maître des novices un socius instruit et distingué. Mais déjà le frottement avec les anciens religieux et le contact avec les enfants modifieront bien des choses. Quant aux Religieuses de l'Assomption, il rassure le P. d'Alzon sur les dispositions de la supérieure générale et de la congrégation à son égard.
6. Le P. Picard accepta cette proposition avec joie, mais ne put finalement y donner suite. - Le P. d'Alzon avait cette idée depuis longtemps. Le 6 avril, en parlant de la retraite pastorale de Montauban, Mgr Doney lui avait écrit: "Votre idée de vous faire accompagner par un de vos prêtres est excellente".