DERAEDT, Lettres, vol.5 , p. 246

Je crois, cher ami, que nous sommes brouillés avec les courriers. Vos lettres n’arrivent plus qu’une heure après que les nôtres sont jetées à la poste. Impossible de s’entendre; cependant ne nous décourageons pas trop. Dieu est bon et il vous donnera la force de porter le P. Aug[ustin]. Pour moi, je n’y vois pas grand remède. Il faut de la patience. C’est le grand moyen du bon Dieu.

Nous sommes ici dans toutes les agitations fiévreuses de l’encyclique. Si la brochure Dupanloup a paru, comme on me l’affirme, je vous l’enverrai. Il faut dire que M. Dupanloup se conduit bien(2). Le noyau des Oblates pour la Bulgarie se forme, la pierre fondamentale(3) est en retraite. La semaine prochaine, nous en aurons deux autres, puis deux autres. Priez bien le bon Dieu pour que cela réussisse.

Adieu, cher ami. Mille fois vôtre.

E.D'ALZON.

Je décachète ma lettre pour vous dire que je reçois la vôtre. Nous reprendrons le P. Augustin au printemps. Dites à Mgr Canova que, par le prochain courrier, je lui exposerai mes vues sur un petit séminaire. Je crois le P. Jérôme pour q[uel]q[ue] chose dans le départ du frère du pope Raphaël(4); ne nous en plaignons pas trop. Impossible d'être plus long, le courrier est arrivé trop tard.1. La réponse du P. Galabert à cette lettre est du 9 février, et sa lettre, dont il est question dans le post-scriptum, est du 19 janvier.
2. Les catholiques intransigeants avaient applaudi sans réserve l'encyclique et le *Syllabus*. Mais les catholiques libéraux étaient effondrés, et l'opinion moyenne heurtée par le ton tranchant des condamnations et déconcertée par certaines d'entre elles. Serait-il vraiment interdit désormais de souhaiter la réconciliation du pape avec la civilisation moderne (80e proposition)? Evidemment les adversaires de la religion se frottaient les mains et ne se privaient pas de tourner l'Eglise en ridicule: pauvres catholiques qui ne pourraient plus user du télégraphe, monter dans un train ou s'éclairer au gaz... A Rome, on fut assez déconcerté de l'accueil fait à l'encyclique. Visiblement il fallait fournir aux lecteurs, et spécialement aux catholiques, des règles d'interprétation. Ce fut Mgr Dupanloup qui s'en chargea. Dès le 26 janvier, sa brochure "La convention du 15 septembre et l'encyclique du 8 décembre" était mise en vente. Son succès fut foudroyant: 100.000 exemplaires en trois semaines. Replaçant les diverses propositions dans leur contexte et les éclairant par la distinction entre la thèse et l'hypothèse, il réussissait à les rendre acceptables. Visiblement Pie IX en fut soulagé, qui, le 4 février, adressa un bref de félicitations à l'évêque d'Orléans (Sur le *Syllabus* et les réactions, voir notamment AUBERT, *Pie IX*, pp. 254-261).
Voici comment, le 30 janvier, le P. Picard décrit au P. d'Alzon l'atmosphère de Paris quand apparut la brochure de Mgr Dupanloup: "L'apparition de la brochure de l'évêque d'Orléans est un véritable événement à Paris. Tous les amis chancelants se rangent à son avis et les ennemis eux-mêmes sont un peu attrapés. La brochure est en effet fort belle. Un chapitre, il est vrai, manque de netteté et présente bien des réticences, ou plutôt offre bien des dangers en conservant certains mots qui donneront bientôt lieu à de nouvelles erreurs ou à de nouveaux malentendus. Le reste est fort bien et fait d'autant plus d'impression que c'est l'évêque d'Orléans qui le dit."
Le 1er février, le P. Hippolyte demande au P. Picard de lui envoyer quelques exemplaires de la brochure de Dupanloup et de l'encyclique afin de les propager et, le 12, il commande au P. Pernet cinq exemplaires de la brochure de Dupanloup à faire circuler chez les novices.
3. Pauline.
4. Stoïan, frère du protopope Raphaël Popov, avait quitté Philippopoli, où le P. Galabert l'avait accueilli (lettres de Galabert du 13 janvier au P. d'Alzon et au P. Bailly). Le 9 février, le P. Galabert dira qu'à son avis le P. Jérôme était étranger à ce départ.