- DR04_193
- 1916
- DERAEDT, Lettres, vol.4 , p. 193
- Orig.ms. AC OA.; Photoc. ACR, AH 401; D'A., T.D. 29, n. 2, pp. 2-4; QUENARD, pp. 3-7.
- 1 ECOLES
1 FRANCAIS
1 GRECS
1 ORNEMENTS
1 ORPHELINS
1 SAINT-SACREMENT
1 SOINS AUX MALADES
1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
1 TEMPERANCE
1 TURCS
1 VERTU DE PAUVRETE
1 VIERGES CONSACREES
2 BRUNONI, PAOLO
2 CLUGNET, LEON
2 ENFANTIN, PROSPER
2 GALABERT, VICTORIN
2 KAJZIEWICZ, JEROME
2 LESUEUR, FRANÇOISE-EUPHOSYNE
2 MARANGO, JEAN-HYACINTHE
3 CONSTANTINOPLE
3 CRIMEE
3 EGYPTE
3 JERUSALEM
3 SEBASTOPOL - AUX ENFANTS DE MARIE DE L'ASSOMPTION A NIMES
- ENFANTS de Marie
- Constantinople, 24 fév[rier 18]63.
- 24 feb 1863
- Constantinople
Mes chères enfants,
Je viens de dire la messe, pour vous remercier de toutes les fatigues que vous avez prises en faveur des Bulgares. Je crois que, pour le moment, vous n’avez à faire que des épitrachélia, ce qui remplace l’étole, et des philons, des chasubles. Ici, je vois un prêtre bulgare se servir d’une aube; il faudrait faire aussi la ceinture et les manchettes. [Les] stichar[ia], hypogonation, homophor[ia](1) sont bien moins nécessaires et ne sont employés que par les évêques ou les archimandrites. Mais Mgr Brunoni en a encore du dernier envoi, fait lors du voyage du P. Jérôme, et puisque je dois en recevoir encore vingt de Paris, je présume qu’il y en aura de reste. Il faudrait quelques voiles pour le calice et la sainte hostie.
Ah! mes pauvres enfants, quelles réparations ne devons-nous pas offrir à N.-S. pour les injures qu’il reçoit dans ces pays? Figurez-vous qu’ils ne consacrent le viatique pour les malades que le Jeudi-Saint. C’est un morceau de pain qu’ils laissent dans des lieux humides, de sorte qu’au bout d’un certain temps ce n’est plus qu’une sorte de masse infecte. J.-C. est-il là? N’y est-il plus? Qui peut le dire? S’il y est, quelle profanation! S’il n’y est plus, que reçoivent donc les malades? Comme ils communient sous les deux espèces et qu’on ne peut conserver le Précieux Sang; comme aussi grâce à Dieu, ils n’ont pas l’idée de dire trop souvent la messe, quand il faut administrer quelqu’un, on prend un peu de ce pain desséché ou moisi, sur lequel a reposé la consécration du corps de N.-S., ils le trempent dans un verre de vin et le donnent au moribond; et c’est avec ce viatique que leurs âmes baptisées paraissent devant Dieu. N’y a-t-il pas là de quoi frémir?
Il faut de l’instruction à côté de ces immenses dégradations. Voyons, qui de vous veut venir faire l’école? J’ai vu hier, dans son lit, la supérieure des Soeurs de Saint-Vincent de Paul (2), qui s’éteint dans d’horribles souffrances. Elle est allée à Jérusalem: N.-S. lui a mis, au Calvaire, sa croix sur le coeur, un cancer. La joie qu’elle a de souffrir, après vingt années de travaux, est inexprimable. Elle a été la mère de trente-trois Soeurs mortes au service des cholériques pendant la guerre de Crimée. Elle et ses filles enterrèrent 17.000 soldats français, avant que le premier coup de canon eût été tiré près de Sébastopol. Les soldats partis, elle et ses soeurs ont repris les écoles; 500 petites filles au moins sont élevées par elles. Ce sont là les vrais apôtres. Les Frères des Ecoles chrétiennes et les Soeurs doivent renverser le schisme, en s’emparant des enfants qui tous apprennent le français. Si je n’étais pas prêtre, je crois que je me ferais maîtresse d’école.
Le P. Enfantin, le chef des Saint-Simoniens, partit, il y a vingt-cinq ans, pour les déserts de l’Egypte afin d’y trouver une femme libre. Il se trompa de route, il devait venir frapper à la porte des Filles de Saint-Vincent de Paul. On lui aurait montré la supérieure, qui, la première, a osé, cornette en tête et visage découvert, aller dans les rues de Constantinople et y imposa le respect aux Turcs, aux Grecs et même à certains Français. Il est vrai que, si le P. Enfantin lui eût proposé de la prendre pour femme, comme il voulait faire à celle qu’il espérait découvrir, celle-ci lui eût fermé la porte au nez. La fille d’Eve vraiment libre c’est la vierge chrétienne, qui n’a d’autre époux que le Fils de Dieu. A mesure qu’on semble moins le comprendre en certains estaminets de France, on semble mieux le comprendre à Constantinople. La stupidité change de logement.
Et nos petites Grecques du P. Marango(3)? Il y en a 36; je leur ai porté de vos images. Leur pauvreté ou plutôt la détresse du lieu, où quatre religieuses leur font la classe, est désespérante. On en aurait plus de 100, si l’on avait de l’argent. Huit à dix jeunes personnes font leur noviciat chez elles, n’ayant pas la possibilité de trouver de quoi coucher dans le berceau de cette Congrégation, pauvre entre toutes. Les petites filles ne s’en effraient pas et quelques-unes n’en veulent pas moins se faire religieuses. N.-S. sait faire pousser ses lys partout et surtout au milieu des épines.
Quant à l’abbé Marango, sa communauté se compose d’un moine du mont Athos, d’un prêtre et d’un diacre; je crois bien qu’il y a aussi un domestique. Tout cela vit dans un salon, grand comme une cellule des Soeurs de l’Assomption, mais avec un plafond bien plus bas. Pour cacher la hauteur, on ferme tant qu’on peut; ce qui est plus économique que de manger, le pain n’étant pas précisément ce qui surabonde le plus chez ces braves gens. Le Grec est sobre; les religieux du P. Marango doivent être tous sobres. On le trompe souvent; il s’en réjouit. Sa devise est: « Soyez comme votre Père céleste qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants« . Je crois bien qu’en général il lui est plus facile d’offrir à ses hôtes des rayons de soleil que des côtelettes et des poulets; mais enfin, il donne ce qu’il a, et ceux qui ne sont pas contents s’en vont.
Adieu, mes chères enfants. Soyez bien sages, bien exactes aux réunions, bien saintes, des filles d’oraison, pour réparer les outrages faits à N.-S. Je vous envoie, par-delà les flots, sur les ailes de mon bon ange, une vraie bénédiction de père.
E.D'ALZON.2. [Mère Françoise-Euphrosyne Lesueur (1799-1863).- J.P.P.M. avril 2001].
3. Le P. d'Alzon écrit Marengo. Dans sa lettre du 15 janvier au P. d'Alzon, le P. Galabert fait le plus bel éloge de ce prêtre grec et de son zèle pour la cause de l'unité chrétienne.