- ES-0272
- CIRCULAIRES
- NEUVIEME CIRCULAIRE
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 ANIMATION PAR LE SUPERIEUR
1 APOTRES
1 BON EXEMPLE
1 CHAPITRE GENERAL DES ASSOMPTIONNISTES
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 COMMUNAUTES ASSOMPTIONNISTES
1 CONSEIL DU SUPERIEUR LOCAL
1 CONSTITUTIONS DES ASSOMPTIONNISTES
1 CONTRITION
1 CORDIALITE
1 DECADENCE
1 DEVOTION AU CRUCIFIX
1 DISSIMULATION DE RELIGIEUX
1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
1 EVEQUE
1 EXERCICES RELIGIEUX
1 FIDELITE
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 MONITIONS
1 NEGLIGENCE
1 PECHE
1 PIETE
1 PRIERE DE JESUS-CHRIST
1 PRUDENCE
1 PUNITIONS
1 RAPPORTS DU SUPERIEUR
1 REGULARITE
1 REPOS DU RELIGIEUX
1 RESPECT HUMAIN
1 RESPONSABILITE
1 ROUTINE
1 SAINT-SACREMENT
1 SCANDALE
1 SEVERITE
1 SUPERIEUR GENERAL DES ASSOMPTIONNISTES
1 SUPERIEURS ASSOMPTIONNISTES
1 SURVEILLANCE PAR LE SUPERIEUR
1 SUSCEPTIBILITE
1 TRAVAIL
1 VIE DE PRIERE
1 VIGILANCE
2 BENOIT, SAINT
2 DAVID, BIBLE
2 JACOB
2 JUDAS
2 LABAN
2 NATHAN
2 PAUL, SAINT
2 PIERRE, SAINT - Juillet, 1875.
Mes très chers Frères,
Les tristes événements qui viennent de nous jeter la mort dans l’âme m’ont fait rentrer en moi-même, et me demander quelle part de responsabilité je pouvais y avoir.
Quelle qu’elle soit pour le passé, devant Dieu ce m’est une obligation rigoureuse d’étudier avec vous et de vous indiquer vos devoirs comme Supérieurs, devoirs d’autant plus sévères que vous pouvez mesurer les conséquences que certaines illusions du zèle extérieur ont dissimulées à plusieurs d’entre vous, mais dont l’horreur est facile à comprendre par la vue des faits sur lesquels nous avons trop malheureusement à gémir.
Laissez-moi donc vous exposer vos devoirs comme Supérieurs, et vous conjurer de les méditer souvent, très souvent devant Dieu. Votre salut me semble en dépendre. Je suis obligé de charger votre âme pour sauver la mienne.
Ces devoirs, je les réduis à seize points principaux.
I. Avant tout: le sentiment de votre responsabilité. – Ne pouvant pas tout faire par vous-mêmes, vous devez faire faire, et veiller à ce que l’on fasse bien, de sorte que, personnellement, vous n’êtes chargés de rien tant que de votre Communauté. Voilà le sujet capital de votre jugement. Vous vous damnez si, votre Communauté tombant en décadence, les âmes de vos religieux se perdent. Elles ne se perdront alors que par votre faute.
II. L’amour des âmes dont vous êtes plus spécialement les pères et les frères. — Vous devez vivre au milieu d’elles comme Jésus-Christ au milieu de ses apôtres. Pour votre consolation, les douze apôtres comptaient parmi eux un Judas, mais quel amour Jésus-Christ n’avait-il pas pour Judas lui-même! Bonus pastor animam suam dat pro ovibus suis. Avez-vous cette préoccupation tendre, amoureuse, persévérante qui, comme Jacob sur les troupeaux de Laban, veille la nuit et le jour? De ces âmes vous êtes immédiatement chargés par l’obéissance, et non pas des autres. Qu’importe que vous sauviez beaucoup de celles-ci, si les occupations étrangères vous ont empêché de veiller convenablement sur celles-là?
III. L’exemple. – Les occupations d’un Supérieur le dispensent de bien des exercices communs. Il ne peut pas se livrer à une surveillance utile, si les religieux savent à quel moment fixe il est retenu ici ou là. Il n’en est pas moins vrai que, avant tout, les membres de la Communauté doivent dire : Notre Père fait ce qu’il peut, plus même qu’il ne peut, pour être notre Supérieur et remplir les obligations de sa charge. Quand, dans une maison religieuse, le Supérieur mérite un tel éloge, sa tâche est devenue bien facile. C’est l’image vivante de celui dont il est dit qu’il commença par faire avant d’enseigner.
IV. La prière. — L’Evangile nous représente Notre-Seigneur passant des nuits en prière : Et erat per noctem in oratione Dei. Pourquoi? Pour préparer le choix de ses apôtres. Non pas qu’il eût besoin d’attirer sur son humanité des lumières dont il était la source même, mais pour enseigner aux Supérieurs un de leurs plus rigoureux devoirs. Les observations à faire, les mesures à prendre doivent être méditées par les Supérieurs au pied du crucifix ou devant le Saint Sacrement, s’ils veulent agir selon et dans l’esprit de Notre-Seigneur.
V. Les avis généraux. – Rien ne s’oublie aussi aisément que ce qui fait l’essence de la vie religieuse. Ce principe d’union, ce lien de charité, cet esprit d’abnégation, de sacrifice, d’obéissance, ce sentiment surnaturel de la perfection, ces saints désirs de monter plus haut, sans quoi la vie religieuse ne saurait subsister, tout cela s’oublie bien vite, si on ne le répète pas sans cesse, dans toutes les occasions: au réfectoire, dans les récréations, à l’Obéissance, au Chapitre. L’Apôtre ne disait-il pas: Insta opportune, importune? Il faut parler, avertir et revenir sans cesse sur les avertissements.
VI. Les avis particuliers. – Certaines natures profitent mieux des avis généraux, par cela même qu’ils semblent s’adresser moins directement à elles. Il en est d’autres à qui les avis particuliers sont indispensables. Elles ne prennent jamais pour soi ce qui s’adresse à tous. Il faut, comme Nathan à David, aller leur dire: tu es ille vir. Sans compter que trop souvent il y a des plaies qu’il faut panser à l’ombre. La fierté se révolte quelquefois de certaines manifestations de fautes en plein jour; et, bien qu’il ne faille pas en toute circonstance tenir compte de la susceptibilité de caractères faciles à se cabrer, pourtant il arrive que la douceur amène des résultats que la publicité du Chapitre serait impuissante à produire. C’est aux Supérieurs de voir ce qui convient. Mais enfin, en public ou en particulier, selon que le dictera la prudence, ils sont obligés d’avertir.
VII. La surveillance sur tout et sur tous. — Notre délicatesse s’effraie de cette obligation, odieuse aux inférieurs, qui se plaisent à l’appeler du nom d’espionnage. Défiez-vous du religieux qui parle contre les espions; personne plus que lui n’a besoin d’être surveillé. Or, qu’il est fatigant de surveiller sans cesse, et qu’il est plus facile de laisser les choses et les hommes décliner vers la décadence! Cependant, pourquoi l’Eglise a-t-elle donné à ses pontifes le nom d’évêques (surveillants), sinon parce que le premier devoir de ceux qui sont en charge est de surveiller? Saint Pierre n’appelle-t-il pas Notre-Seigneur lui-même le surveillant de nos âmes: episcopum animarum nostrarum?
VIII. La sévérité à maintenir la régularité dans les exercices. – Par eux-mêmes, les exercices, à un certain point de vue, ne sont rien. C’est pour beaucoup une routine. Toutefois, cette routine tient en haleine et en éveil, et fournit à un Supérieur l’occasion (pour ne prendre que ce côté) de constater la ferveur, la persévérance de ses religieux. Mais que de difficultés ! Un Supérieur ne peut pas être partout. C’est pour cela qu’il lui faut un aide qui lui rende compte de tout manquement. Si un seul ne suffit pas selon les maisons, qu’il y en ait plusieurs. D’ailleurs, la plus grande régularité peut subsister, même avec certaines irrégularités apparentes. Par exemple, dans les collèges, les surveillants ou professeurs s’abstiennent forcément de quelques exercices, mais la régularité ne se maintient pas moins par des règlements particuliers aux diverses fonctions, et, du reste, par la constatation des dispenses nécessaires au plus grand bien du collège. C’est le cas d’appliquer la comparaison que l’apôtre saint Paul a faite entre le corps et l’Eglise.
IX. L’obstination à faire beaucoup travailler. — Tel est notre esprit, et telle est pour nous une très importante sauvegarde. Comme le font observer les Constitutions, nous n’avons pas de grandes austérités, mais nous avons l’acharnement du travail. Malheur au religieux fainéant! La malédiction de Dieu pèse sur lui. Malheur au Supérieur qui ne fait pas beaucoup travailler! Chaque religieux est pour lui le talent confié par le Père de famille et qu’il doit, par le travail qu’il imposera, non pas doubler, mais centupler. Sans doute, il aurait tort d’écraser, mais son obligation consiste à faire travailler chacun selon sa capacité; et, comme la capacité de l’ouvrier à produire s’accroît par la bonne direction du travail, nul ne peut dire, d’une part, ce qui sera donné, si le Supérieur le veut bien, et, de l’autre, les dangers écartés, les tentations vaincues, les péchés supprimés, les vertus accrues, les mérites acquis par une pensée surnaturelle au milieu d’un travail incessant. Je ne dis pas qu’il ne faille pas un peu de repos, à la condition toutefois que le repos du religieux accroîtra chez le Supérieur le travail de la surveillance.
X. Mais à quoi servirait le travail, s’il n’était pas animé par une pensée divine? Nouvelle obligation du Supérieur de veiller à l’entretien du zèle selon l’esprit de notre Congrégation. Quand commence le déclin des familles religieuses? Quand la routine vient à les pénétrer. On va, mais machinalement. S’il n’est pas éteint, le feu sacré se cache sous la cendre. Au Supérieur de l’alimenter sans cesse, soit par de nouveaux travaux, soit par l’ardeur renouvelée pour les travaux anciens. Ceci doit être la matière d’un examen constant et d’une incessante observation. Il ne suffit pas de déplorer les progrès de la décadence, il faut en extirper les causes : il faut ressusciter l’esprit de Dieu, il faut sans cesse mettre du bois au foyer, et les Supérieurs qui, sans porter remède à la routine de leurs inférieurs, se plaignent de leur peu de zèle, sont peut-être les moins zélés de la Communauté. J’avoue qu’il est nécessaire d’avoir comme un certain don d’invention, mais j’ajoute que le Supérieur doit concentrer son zèle surtout sur les siens, avant de le dilater sur les personnes du dehors. Je n’énumère pas les moyens d’entretenir la ferveur. Les Constitutions les indiquent suffisamment. Mais je respecte l’initiative de chacun, en ce sens que les aptitudes sont diverses et qu’il y aurait péril à trop écraser les Supérieurs sous le poids d’une uniformité trop absolue.
XI. — On n’a peut-être pas suffisamment fixé dans quelle mesure les Supérieurs particuliers doivent rendre compte de leurs maisons au Supérieur général. Ce point sera examiné au prochain Chapitre. En ce moment, quelques Supérieurs sont d’un zèle parfait sur cet article, d’autres n’y songent que peu, d’autres point du tout. Je ne puis donner en ce moment qu’un avis général, en attendant qu’une règle positive soit établie. Il est manifeste que le Supérieur particulier, obligé de faire cette sorte de règlement de comptes, est forcé par là même de se mettre en face de l’autorité qui lui est confiée, et de la manière dont il s’en sert. Dès lors, force lui est d’en user avec plus de prudence, d’intelligence, d’activité et de succès.
XII. Pour aujourd’hui, je crois bien que les déplorables événements qui ont amené cette circulaire seront pour vous un aiguillon puissant. Mais, si nous ne fixons pas notre attention suivie sur les précautions à prendre constamment, combien de temps cette attention, tristement réveillée, se soutiendra-t-elle? Ce n’est point une faute pour les Supérieurs de se permettre des soupçons, même mal fondés, pourvu qu’une vraie charité les inspire. Sans doute, il importe de réprimer un esprit constamment soupçonneux, qui détruit son influence par la gêne que ses trop nombreuses défiances portent avec elle, mais les faits sont là. Il est évident que, si les fautes les plus graves ont été commises, c’est que la surveillance a manqué. On l’a constaté cette fois, mais combien d’occasions où la surveillance nécessaire a fait défaut! On n’a pas vu le mal parce qu’on n’a pas pris les précautions suffisantes pour le découvrir. Etablissons bien que toutes les misères et même certains désordres ne seront pas connus, mais il y a une question de bonne foi: la surveillance est-elle suffisante, et cherche-t-on consciencieusement à écarter toutes les occasions de chute? Hélas! quel est celui d’entre nous, moi tout le premier, qui peut se dire exempt de reproche?
XIII. Inspirer une préoccupation surnaturelle, pour détourner de certaines tentations. – Ceci est difficile, et pourtant que de maux seraient évités si les Supérieurs savaient offrir à leurs religieux matière constante à préoccupations pieuses! Quelquefois on trouvera les moyens monotones, parce qu’il est impossible d’en inventer tous les jours: qu’on ne se décourage pas, qu’on soit attentif à toutes les occasions offertes par la Providence, qu’on ait de la prévoyance et de la bonne volonté. Je suis persuadé que les moyens providentiels d’entretenir les esprits dans une sorte de qui-vive constant se présenteront en nombre.
XIV. Le courage pour avertir à temps. – Le monde est plein d’hommes enchaînés par le respect humain. Les Supérieurs ne sont pas libres de ce genre de chaînes: ils n’osent pas toujours. Il faut une véritable énergie pour dire à quelqu’un : Mon ami, vous allez à la dérive; les chutes sont sur le point de vous blesser grièvement; vous tombez, vous vous relevez, mais c’est pour retomber encore; vous nuisez à votre âme; vous nuisez à l’âme des autres; prenez garde que toute la Communauté ne subisse le contre coup de votre conduite peu édifiante. Si un Supérieur n’a pas le courage d’avertir ainsi, quand les circonstances l’y obligent, pourquoi est-il Supérieur? Malheureusement, ce genre de reproches s’adresse aux mêmes religieux, je le sais, et ces membres, attaqués déjà par la gangrène, trouvent insultantes, injustes, calomnieuses de telles observations. Bien souvent les résultats en sont nuls. Cependant, il importe d’aller en avant : clama, ne cesses; quasi tuba exalta vocem tuam. Voilà ce qui est dit au prophète et qui s’applique aux Supérieurs.
XV. La fermeté à punir les petites fautes, pour éviter les plus grandes. – Rien de plus pénible que de punir toujours. Pourquoi les anciens tableaux de saint Benoît le représentent-ils les verges à la main, sinon pour indiquer ce que doit être constamment un vrai Supérieur? Toutefois, il en est des religieux comme des attelages de chevaux. Un bon cocher qui relève les petits écarts de ses bêtes évite les grands. Il tient sans cesse ses chevaux en bride, et il n’est point obligé de les trop frapper, parce qu’ils sentent au moindre faux pas le fouet sur le dos. Humiliante comparaison, tristement vraie, convenons-en! Mais elle fait comprendre comment on arrêterait — ceci est d’expérience les fautes les plus affligeantes, par la punition des fautes moindres qui couperait le mal dans sa racine.
XVI. Enfin, avec toutes les sévérités que j’indique, le Supérieur fera peu, si l’on ne sent en lui une cordialité qui attire les aveux. Les aveux volontaires sont la guérison des trois quarts des fautes qui, cachées, se développent dans les ténèbres, jusqu’à ce que, devenues incurables, elles éclatent en scandales, trop souvent contagieux.
Je vous conjure donc, mes très chers Frères, d’user de tous les moyens que je vous fais connaître avec un grand amour, avec une tendresse vraiment paternelle. Veillez, mais aimez. Songez à votre responsabilité, et, en traduisant ce mot dans son sens primitif, laissez-moi vous dire avec saint Paul: attendite vobis et universo gregi, in quo vos Spiritus Sanctus posuit episcopos. Soyez surveillants, mais surveillants établis par le Saint-Esprit, c’est-à-dire dans la charité qui jaillit du coeur du divin Maître.
Agréez, je vous prie, mes très chers Frères, l’expression de tout mon dévouement en Notre-Seigneur. P.-S. – Je me permets de n’envoyer cette circulaire qu’aux Supérieurs particuliers. Le petit nombre d’observations qu’on m’a transmises sur les circulaires précédentes me fait craindre qu’on n’y ait prêté une trop médiocre attention. Elles sont pourtant comme le programme du prochain Chapitre, et, si on ne les a pas étudiées, le Chapitre ne donnera pas tous les résultats que nous sommes en droit d’attendre.
E. d'ALZON.