- ES-0208
- CIRCULAIRES
- QUATRIEME CIRCULAIRE(1)
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
1 AUGUSTIN
1 AUTEURS SPIRITUELS
1 CHARITE APOSTOLIQUE
1 CONCILE DE TRENTE
1 CONCILE DU VATICAN
1 DROIT CANON
1 ECRITURE SAINTE
1 EMPLOI DU TEMPS
1 ENFER
1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
1 EPREUVES DE L'EGLISE
1 ESPRIT SURNATUREL A L'ASSOMPTION
1 ETUDE DE L'EGLISE
1 ETUDE DES PERFECTIONS DE DIEU
1 ETUDE DES PERFECTIONS DE JESUS-CHRIST
1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
1 HABIT RELIGIEUX
1 HUMILITE
1 IDEES DU MONDE
1 IGNORANCE
1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
1 MAUVAIS CHRETIENS
1 ORDRE SURNATUREL
1 ORGUEIL
1 PARESSE
1 REGNE DE VERITE
1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
1 TENTATION
1 TENUE RELIGIEUSE
1 THOMAS D'AQUIN
1 TRAVAIL
1 TRAVAIL DE L'ETUDE
1 TRIPLE AMOUR
1 VIGILANCE
1 VOEU DE PAUVRETE
2 ALPHONSE DE LIGUORI, SAINT
2 BARONIUS
2 BERARDI, GIUSEPPE
2 BONAVENTURE, SAINT
2 BOSSUET
2 BOURDALOUE, LOUIS
2 DARRAS, JOSEPH-EPIPHANE
2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
2 LAURENT, CHARLES
2 PAUL, SAINT
2 ROHRBACHER, RENE-FRANCOIS - Nîmes, 18 juin 1874.
Mes très chers Frères,
Au dernier Chapitre général, le P. Laurent a été chargé de préparer un plan d’études, et je ne doute pas que ce plan ne vous soit soumis avant le Chapitre prochain, lequel, si mes désirs se réalisaient, aurait lieu d’ici à deux ans. Mais je crois indispensable de vous soumettre quelques principes en vertu desquels nous devons étudier.
A. — Nécessité de l’étude
I. — L’étude est indispensable au religieux qui ne travaille pas des mains. C’est son moyen de gagner sa vie à la sueur de son front. Qui ne travaille pas se damne. L’étude n’est pas l’unique condition de salut; mais on peut dire que, lorsqu’on n’étudiera plus dans la Congrégation, c’est qu’elle aura fait son temps et qu’elle aura reçu la malédiction de Dieu.
L’étude est une pénitence, une expiation, une préservation. En étudiant, nous satisfaisons pour nos péchés; nous acquérons, si nous le voulons, des mérites pour expier les péchés des âmes que nous sommes chargés d’évangéliser; nous nous préservons de tous les vices dont l’oisiveté est la mère; nous maintenons notre esprit à un niveau supérieur très important pour réagir contre le vulgarisme et la médiocrité des idées modernes. Ces vérités sont si manifestes, qu’il est inutile de les développer, mais je vous exhorte à les méditer souvent.
II. — L’étude, en tant qu’elle est une occupation, nous préserve des tentations auxquelles doit s’attendre tout homme qui se dévoue au service de Dieu. A ce point de vue, je ne saurais trop vous engager à ne point perdre une minute; l’emploi des plus courts moments donne les plus abondants résultats. On se dit: Je n’ai que quelques instants, ce n’est pas la peine de me mettre à l’étude. Or, outre que l’on s’expose à ne pas tenir son esprit en haleine à propos d’un travail commencé, outre que l’on se laisse aller à une véritable perte de temps, contraire au voeu de pauvreté, on ouvre la porte aux tentations que le démon suscite précisément aux heures d’oisiveté.
III. — Vous parlerai-je de l’ignorance à laquelle succombent les meilleurs esprits, parce qu’ils ne s’imposent pas la culture intellectuelle nécessaire à leur vocation? Nous ne sommes plus au temps où l’habit religieux inspirait par lui-même le respect. L’habit religieux n’est respecté que lorsqu’il est porté par des hommes qui, les premiers, le respectent. Je vous engage à respecter et à faire respecter votre habit par tout ce que vous montrerez au dehors, de vertus sans doute avant tout, mais aussi de connaissances utiles à la cause de l’Eglise et de Notre- Seigneur Jésus-Christ.
B. — But de nos études
IV. — Il n’est pas seulement nécessaire d’étudier; il faut encore donner un but à nos études. Or, pour nous, tout doit se rapporter à Dieu, à Jésus-Christ, à son Eglise.
1° A Dieu, connu par l’étude des préambules de la foi: præambula fidei, comme dit la théologie; à Dieu dans ses attributs, dans la production de ses oeuvres: la création; dans la conservation de ses oeuvres : la Providence. C’est ainsi que toutes les sciences sont illuminées de la pensée de Dieu et remontent à lui comme à leur principe. Et qu’y a-t-il à étudier en dehors de Dieu, de l’univers son ouvrage, et des lois qui le régissent?
2° A Jésus-Christ: Deum nemo vidit unquam; uni genitus Dei filius qui est in sinu Patris, ipse enarravit. C’est Jésus-Christ, auteur et consommateur de la foi: auctorem fidei et consummatorem Jesum, que nous devons surtout étudier. In Christo omnia, tout est en Jésus-Christ, mais à l’état révélé, régénéré, surnaturalisé. La foi par Jésus-Christ nous découvre des vérités que la raison seule ne peut atteindre; mais c’est dans la doctrine de Jésus-Christ que nous devons trouver la connaissance d’un monde nouveau, supérieur à nos investigations et dont les lumières, accordées par un don purement gratuit, se reflètent pourtant sur le monde naturel, et nous apprennent à le connaître et à le juger à un point de vue plus divin, si l’on peut dire ainsi. En Jésus-Christ se trouve la science de Dieu dans son essence; de l’homme déchu relevé réconcilié, régénéré; des droits de Dieu sur l’homme et des devoirs de l’homme envers Dieu. Etudions Jésus-Christ en lui-même, dans la loi dont il est le terme; dans sa vérité, qui n’est autre que lui-même; dans les vérités qui en découlent, et qui ne sont vérités qu’autant qu’elles remontent à lui. Etudions Jésus-Christ dans sa puissance: Christum Dei virtutem, et, puisque son oeuvre semble plus attaquée de nos jours, rendons-nous compte de tout ce que nous devons lui donner pour être ses ministres: ut ministros Christi.
3° Enfin à l’Eglise. Si Dieu se manifeste dans l’univers: coeli enarrant gloriam Dei, Jésus-Christ se manifeste dans son Eglise; Jésus-Christ tient la clé de toute histoire humaine et cette clé n’est autre que le plan divin de l’Eglise. L’Eglise est une société : tabernaculum Dei cum hominibus, et tout s’y rapporte aux élus de Jésus-Christ: omnia vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei; tel est l’enchaînement, et, si vous voulez, le dernier mot. Dieu a tout fait pour lui: omnia propter semetipsum operatus est Dominus, et s’oubliant en quelque sorte lui-même, il nous déclarera qu’il a tout fait pour les élus: omnia propter electos. Dieu, Jésus-Christ, les élus, voilà le dernier mot de l’Eglise, de son histoire, de l’histoire de l’humanité et de toutes les sciences historiques et sociales. La société et l’histoire ont leur source dans la société des élus, l’Eglise céleste, qui a sa base en Jésus-Christ: ipso summo angulari lapide Christo Jesu, qui lui-même remonte à Dieu : Christus autem Dei. Je ne crois pas qu’un religieux de l’Assomption puisse se proposer un ensemble plus vaste que celui-là.
Sans doute l’esprit humain a besoin, pour arriver à une science plus complète, de certaines connaissances instrumentales; mais, de même que chaque métier a besoin des outils qui lui sont propres, vous voyez sur-le-champ que les connaissances nécessaires pour arriver à la science, telle que nous nous la proposons, doivent emprunter leur forme au but que nous avons devant les yeux; et c’est pour cela que, sans blâmer qui que ce soit, nous avons le droit de mettre dans nos études classiques les préparations les plus convenables au but absolu de nos études religieuses.
C — Conditions de nos études
V. — N’oublions pas que les études d’un religieux impliquent certaines conditions, sans lesquelles elles lui sont inutiles et même dangereuses. Elles lui sont inutiles, s’il ne poursuit pas sans cesse un but surnaturel. Le prophète disait aux Juifs ce qu’on peut bien dire aux religieux qui ne relèvent pas sans cesse leurs études par la pensée de Dieu: Seminastis multum et intulistis parum, comedistis et non estis satiati, bibistis et non estis inebriati, operuistis vos et non estis calefacti, et qui mercedes congregavit misit eas in sacculum pertusum. (Agg. I, 6.) Hélas! que de vies inutiles, et pourtant occupées, parce que la direction n’était pas du côté de Dieu! Seminastis multum et intulistis parum.
Les études sont dangereuses, si, selon l’expression de l’Apôtre, la science qu’elles nous font acquérir vient à nous enfler: scientia inflat. Ah! si nous savons par la science arriver à une connaissance plus parfaite de l’Etre de Dieu, de sa bonté, de son amour, de ses perfections; si nous apprenons à mieux savoir Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié : Jesum Christum et hunc crucifixum; si nous voyons dans l’histoire de l’Eglise comment les plus grands obstacles à son triomphe, comment les plus grands dangers lui sont venus des faux frères: periculum ex falsis fratribus, c’est-à-dire des mauvais prêtres et des mauvais religieux, nous apprendrons à trembler, à nous humilier, à nous abaisser devant le tout de Dieu, le néant de ses créatures et l’infirmité, quand ce n’est pas la corruption, des instruments qu’il emploie.
Mais, si la science enfle, la charité édifie : charitas autem aedificat. Portons la charité dans nos études, c’est-à-dire l’amour de Dieu, de Notre-Seigneur et de l’Eglise, que nous aimerons plus à mesure que nous les connaîtrons davantage. Portons-y la charité du prochain, c’est-à-dire le zèle pour le salut des âmes qui nous seront confiées. Supportons l’aridité, l’ennui, la longueur de nos travaux par la pensée que nous deviendrons par eux des ouvriers qui ne connaîtront pas la confusion, semblables au disciple de saint Paul: operarium inconfusibilem. L’étude accroîtra notre charité, la charité notre ardeur pour l’étude. Alors, l’amour se joignant à la science en sera l’arme et l’excitateur; nous étudierons parce que nous aimerons; l’étude deviendra une forme de la prière, dont le fruit sera une plus grande gloire pour Dieu, et pour nous une plus grande aptitude à sauver les âmes.
D. — Les sources de la science religieuse
VI. — En terminant, je vous dirai quelques mots des sources de la science religieuse. Je me suis souvent convaincu que beaucoup de livres n’étaient pas nécessaires, étaient souvent un bagage inutile.
La Bible avec un bon commentaire, et pourquoi ne pas le demander à saint Augustin ou à saint Thomas! Les oeuvres de notre patriarche, les deux Sommes de l’Ange de l’école, une histoire ecclésiastique, Baronius, Rohrbacher ou Darras, selon les aptitudes de chacun; Bourdaloue ou Bossuet comme modèles de sermons, Bossuet controversiste, quelques auteurs ascétiques, saint Bonaventure, saint Jean de la Croix, saint François de Sales, saint Liguori avec sa théologie morale, quelques rares auteurs modernes où sont exposées les récentes erreurs, afin d’en connaître la facile réfutation; tel devrait être, selon moi, le fond de la bibliothèque de nos religieux.
Si je n’indique aucun auteur de droit canon, c’est que, selon la remarque d’un des maîtres de la science canonique, au moyen âge a été formé le jus; au Concile de Trente le jus novum; nous attendons le jus novissimum. Lorsque, en 1855, le cardinal Berardi me signalait cette transformation du droit, il ne se doutait pas que la révolution forcerait le Concile du Vatican à poser les bases du travail nouveau qu’il est bon d’attendre. C’est l’oeil fixé sur ces transformations que le droit canon doit être étudié par nous et nous attacher de plus en plus à la papauté.
Je n’exclus pas d’autres auteurs, mais je me persuade que cela suffit. Je ne condamne pas ce que je n’indique pas, mais si nous voulons avoir notre esprit à nous, nous avons bien le droit d’indiquer les docteurs qui nous aideront à le former d’une façon plus caractéristique.
Peut-être reviendrai-je, en passant, sur les études, mais je tiens à ne pas en dire davantage aujourd’hui. Cette lettre aura, dans sa brièveté, avec l’avantage d’une plus grande précision, celui de nous maintenir dans un cadre plus ample où la pensée, tout en restant attachée à la vérité, peut l’étudier sous le triple aspect de la raison, de la révélation et de l’histoire où s’unissent, sans se confondre, la science humaine et la science révélée. Plaise à Dieu que ces indications vous aident à devenir des religieux savants dans la mesure où Jésus-Christ, notre guide, notre lumière et notre vie, le jugera utile à l’extension de son règne!
Veuillez recevoir, mes chers Frères, l’expression de mon plus tendre dévouement.
E. d'ALZON.