- ES-0388
- MEDITATIONS
- DIXIEME MEDITATION LA REGLE
- Sage, ECRITS SPIRITUELS
- 1 AMOUR FRATERNEL
1 APOSTOLAT DES RELIGIEUX
1 AUGUSTIN
1 AUTORITE DE L'EGLISE
1 BON EXEMPLE
1 BUT DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
1 CADRE DE LA VIE RELIGIEUSE
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 COMMUNAUTE RELIGIEUSE
1 CONNAISSANCE MORALE
1 DEGOUTS
1 ENNUI SPIRITUEL
1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
1 ESPRIT RELIGIEUX
1 EXERCICES RELIGIEUX
1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
1 FONDATEUR
1 GRACES
1 IGNORANCE
1 JEUNE CORPOREL
1 JOIE SPIRITUELLE
1 LEGERETE
1 LOI DIVINE
1 MANQUEMENTS A LA REGLE
1 PAIX DE L'AME
1 PRATIQUE DES CONSEILS EVANGELIQUES
1 PRUDENCE
1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
1 REGLE DE SAINT-AUGUSTIN
1 REGLE DE SAINT-BENOIT
1 REGLEMENTS
1 REGLES DES RELIGIEUX
1 REGNE
1 REVOLTE
1 SALUT DES AMES
1 SATAN
1 TRAVAIL MANUEL
1 TRISTESSE
1 VERTUS RELIGIEUSES
1 VIE DE PRIERE
1 VIE SPIRITUELLE
1 VOEUX DE RELIGION
2 BENOIT, SAINT
2 MARC, SAINT
3 ALEXANDRIE, EGYPTE
3 FRANCE
3 HIPPONE
3 ITALIE
La vie de l’homme a besoin d’être réglée, et, en dehors des lois, de nombreux règlements fixent les obligations qui surgissent des situations diverses. Il en est de même de la vie religieuse. Et c’est pourquoi il est bon de revenir sans cesse sur la grande question de la Règle.
Je la considérerai à trois points de vue: 1° l’importance de la règle; 2° l’étendue de la règle; 3° l’esprit de la règle.
I. — Importance de la Règle
Pour plusieurs, la règle est un petit livre qui dit des choses plus ou moins claires, plus ou moins applicables, et dont on fait bon marché, selon qu’on le juge à propos, puisqu’il est reconnu que la règle n’oblige pas sous peine de péché.
L’Eglise ne l’estime pas ainsi, et la manière dont elle a réduit à quelques règles principales les bases de tout Ordre qui serait approuvé par elle, montre bien de quelle façon elle entend faire respecter ces règles fondamentales.
En second lieu, dans la règle, il y a la partie qui concerne la loi de Dieu, qui est toujours obligatoire; la partie qui concerne les voeux et qui ne l’est pas moins, dès qu’on s’y est engagé, et enfin certaines prescriptions dont la violation par mépris constitue un péché plus ou moins grave, selon la gravité de la prescription. Mais si nous nous plaçons au point de vue de ceux qui ont rédigé une règle, que verrons-nous? Des hommes saints tendant à la perfection par des efforts communs, selon la parole du Saint-Esprit : [[ Frater qui adjuvatur a fratre, quasi civitas firma; celui qui est secondé par son frère est comme une ville fortifiée ]]. (Prov. XVIII, 19). Ce sont des frères qui s’entraident pour chercher la vie incorruptible, tandis que les autres cherchent la vie de la corruption : Illi quidem ut coronam corruptibilem accipiant, nos autem incorruptam. (I Cor. IX, 25).
D’où il résulte qu’ils prennent les moyens les plus excellents, et qu’en s’appliquant à pratiquer la loi de Dieu dans toute son étendue, ils vont au-delà, et s’appliquent à pratiquer les conseils laissés par Notre-Seigneur à ceux qui voudraient aller au-delà de la vie ordinaire, en matière d’amour et de générosité. D’où il résulte que la règle comprend non seulement les obligations de tous les hommes envers Dieu et leurs frères, mais en prescrit l’accomplissement le plus absolu, et, allant même plus loin, pose comme loi ce qui pour les autres n’était qu’un conseil. Et comment, dans la règle religieuse, les conseils se transforment-ils en loi? Par les voeux. Vous pouviez ne pas les faire; vous restiez dans la vie commune. Mais vous les avez faits. Acceptez-en toutes les conséquences. Dieu vous l’impose ainsi, et votre vie prend là, pour la récompense, mais aussi pour le châtiment, un cachet tout spécial.
Mais il y a plus. Cette règle n’a pas été donnée pour des hommes voués à une solitude absolue. Cette règle a été promulguée par des législateurs voulant fonder une famille spirituelle par une édification commune. Rien d’admirable comme ces maisons où les habitants ne forment qu’un coeur et qu’une âme : Multitudinis autem credentium erat cor unum et anima una. (Act. IV, 32). Cela a été dit des premiers chrétiens.
La tradition porte que saint Marc établit cette vie chez plusieurs chrétiens, à Alexandrie, dont il fut le premier patriarche. De là les Pères du désert, puis saint Augustin à Hippone, saint Benoît en Italie, et les autres qu’il serait trop long d’énumérer. Ces hommes ont groupé autour d’eux d’autres hommes, les uns pour la prière et le jeûne, les autres pour la prière et l’étude ou pour la prière et le travail des mains, tous, plus ou moins directement, pour l’évangélisation, tous avec la pratique des conseils évangéliques.
Or, il y a un grand avantage à pratiquer une vie plus parfaite, pour pouvoir vivre en commun; il y a des avantages non moins grands, pour évangéliser et exercer autour de ces agglomérations une influence salutaire, de pratiquer une règle plus austère et de s’astreindre à des prescriptions plus pénibles. D’où je ne crains pas de conclure au crime de celui qui, de propos délibéré, méprise la règle.
On dit: je la viole par légèreté; et voilà le mal, c’est que le religieux doit avant tout être un homme sérieux. Qui sera sérieux si l’homme qui aspire à des relations plus intimes avec Dieu ne l’est pas? Que l’on se laisse aller à la violation de quelques points de la règle par la faiblesse inhérente à la corruption humaine, je l’accepte; mais la disposition habituelle du religieux à faire bon marché de la règle, non, je ne l’admettrai jamais.
On dit aussi que l’on pèche par ignorance. Voilà encore ce que je ne puis admettre. Le psalmiste a écrit pour les religieux qui doivent les chanter tous les jours, ces paroles : [[ Quomodo dilexi legem tuam, Domine, tota die meditatio mea est. Oh! combien j’ai aimé votre loi, Seigneur, tout le jour j’en fais l’objet de ma méditation]]. (Ps. CXVIII, 97). Et voyez les avantages que cette méditation donne sur les autres hommes. Pourquoi? Parce qu’on comprend mieux la prudence contre les ennemis, la vraie science au-dessus des sciences exactes, l’expérience de la sainteté en face de ceux qui ne cherchent que la sagesse humaine; enfin elle détourne nos pieds de toute voie mauvaise, ab omni via mala.
M’arrêterai-je au mépris par dégoût? Ah! ce serait s’imprimer à soi même le cachet de l’éternelle réprobation. Pourquoi, en effet, le dégoût vous saisit-il, sinon parce que vous avez horreur de votre vocation? Ah! vous allez vous en éloigner, y être infidèle! Bientôt il ne restera pour vous que le regret profond d’avoir voulu porter ces admirables chaînes. Croyez-vous que vous vous en tiendrez là? Non, non! Après avoir brisé la règle des conseils, vous foulerez bien vite aux pieds la loi des préceptes. Ah! que votre avenir est gravement compromis si vous ne vous hâtez de revenir sur vos pas!
Je ne m’arrête pas au spectacle de religieux qui, sans cesse violant la règle, forment des communautés qui n’en sont plus, vrais destructeurs des plus belles parties du temple de l’Eglise. Quels châtiments ne se préparent-ils pas et quelles catastrophes ne provoquent-ils pas en excitant la colère de Dieu!
II. — Etendue de la Règle
Que Satan fasse tous ses efforts pour détruire une règle qui est, en quelque sorte, le moule où se jettent les âmes résolues à tendre à la sainteté, qui pourrait en douter? Mais qui oserait conclure de là qu’il faille céder à Satan? Or, il y a plus. Il faut se rendre compte de l’entière étendue de la règle.
Je ne crains pas de dire qu’elle s’étend à tout. Elle s’étend à tous les instants de la journée, au sommeil qu’elle règle, à la veille qu’elle dirige. Elle nous prend au réveil, et tous nos actes sont préparés en quelque sorte, par ses prescriptions. Elle fixe par la prière nos devoirs directs envers Dieu, par la charité l’offrande de nos moindres mouvements. Cette même charité fixe, non seulement nos relations extérieures, mais nos sentiments les plus intimes avec le prochain, avec nos frères d’abord, puis envers les chrétiens, même envers tous les pécheurs et les errants, au moins dans la mesure où le religieux doit prier pour leur retour à Dieu.
La règle fixe notre travail et nos moindres occupations, elle nous prescrit nos austérités, elle entre dans la pratique de toutes les vertus, selon notre vocation; car chez les uns, c’est un effort, chez les autres, c’est un effort différent, et, comme dit saint Augustin : [[ Ut in omnibus, quibus utitur transitura necessitas, superemineat quae permanet caritas; que sur toutes les nécessités qui passent, prévale la charité qui demeure ]]; maxime que nous devons avoir sans cesse à l’esprit pour nous rendre compte de la perfection qui nous est demandée.
Je ne crains pas d’ajouter que la règle dont le fond est l’amour plus parfait de Dieu et du prochain ne peut aller sans l’amour de la règle. N’aimez plus la règle, et aussitôt tout tombe, dans la pratique. Voulez-vous être parfait? Suivez parfaitement une règle parfaite, sinon malheur à vous qui prenez une apparence de perfection sans en avoir la réalité! Voulez-vous savoir ce que c’est que la règle dans toute son étendue? Prenez toute une vie humaine, cherchez un acte que la règle ne dirige pas; vous ne pourrez le trouver.
Mais je vais plus loin. La règle prend tous vos actes et les transforme en vertus. Saint Augustin dit dans la Cité de Dieu: [[ Virtus est ordo amoris; la vertu est l’ordre dans l’amour ]]. Qu’est la règle sinon cela? J’aime, mais je dois aimer avec ordre, car l’amour désordonné ne sera jamais l’amour divin; mais si j’aime dans l’ordre, malgré mes répugnances, et à cause même de mes répugnances, ce que je fais se transforme en vertu. Et dès lors, plus j’aime, plus je montre mon amour dans l’ordre, c’est- à-dire dans la règle; plus je fais effort pour aimer dans l’ordre, plus je pratique la vertu. Telle est l’importance de la règle; pour être règle religieuse, il faut qu’elle parte de l’amour, pour être règle, il faut qu’elle soit l’image d’un ordre supérieur divin; pour être règle parfaite, il faut qu’elle impose les vertus ordonnées selon le but proposé.
Mais ceci suppose des luttes, des combats, des sacrifices. Qui le nie? C’est pour cela que la règle est la perfection de la pratique des vertus. Il ne s’agit pas de dire à Dieu qu’on l’aime, il faut le prouver, et la règle suggère les moyens les plus parfaits de donner ces preuves.
Prenons donc la règle dans toute son étendue, et commençons une bonne fois, en la pratiquant, d’aller à tout ce qui nous est demandé, pour faire des moindres actes de notre vie un degré de plus vers le ciel.
III. — Esprit de la Règle
Toute société humaine ici bas vit d’une pensée commune, d’un but commun, et plus le but est élevé, plus la société est parfaite. Au fond de ses bois, le sauvage vit de la pensée de se reproduire, de chasser pour vivre du gibier tué, et de tuer ses ennemis. Une société chrétienne a une pensée plus haute. La France a voulu proclamer le règne du Christ et défendre les droits de l’Eglise: de là sa mission et sa grandeur. Toute famille religieuse a la perfection pour but général, et un but particulier.
Celui de notre famille est d’étendre le règne de Notre-Seigneur dans le monde, et en cela nous sommes essentiellement catholiques, telle est notre pensée dominante.
Or, tout doit se rapporter à cette principale destinée; nous voulons prendre le plus possible à la lettre le but principal : [[ Estote ergo vos perfecti sicut Pater vester coelestis perfectus est; soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait ]]. Voilà le but général. Nous voulons nous consacrer plus spécialement à l’extension du règne de Notre-Seigneur: [[ Adveniat regnum tuum; que votre règne arrive! ]] Voilà notre but particulier. Otez le but d’une société, elle meurt; ôtez à une famille son but, bientôt elle ne sera plus qu’une ruine.
Mais, pour une société religieuse, ce but doit être tout spirituel; par conséquent, on désigne son but quand on parle de son esprit. Toutefois, pour atteindre le but, il faut chercher les moyens, comme nous l’avons dit; donc, il faut étudier les moyens les plus aptes à atteindre ce but.
Eh bien! chaque Ordre a ses moyens principaux; le moyen principal est de chercher à faire le plus de saints possible, pour la cause de Dieu, selon les temps et les circonstances au milieu desquelles on se trouve. L’essentiel est de vouloir tendre à la sainteté et je ne crains pas d’affirmer que l’esprit principal de la vie religieuse, c’est d’enfanter le plus grand nombre de saints, qui soient le plus saints possible; il faut vivre dans une atmosphère de perfection.
D’où il est facile de voir que, plus la règle est parfaite, plus les membres groupés sous son joug devront être parfaits; à la condition cependant qu’ils s’appliqueront sans cesse à se pénétrer de son esprit, à se l’inculquer par tous les moyens, sans découragement, sans se laisser vaincre par aucun obstacle.
Je ne veux pas comparer une famille religieuse fervente à une famille religieuse qui ne le serait pas; mais que de tristesses, d’ennuis, de révoltes, de fautes accumulées dans celle-ci! Au contraire, que de grâces, de ferveur, de paix, de joie permanente dans l’autre! Ah ! n’hésitons pas ; embrassons notre règle et sachons la pratiquer désormais dans toute son étendue.