Cher ami, je pense souvent à vous et, je vous l’ai déjà dit, mes rêves mêmes me portent votre image entre une jolie et vertueuse femme et de petits marmousets. En renonçant aux plaisirs de la famille, j’envisage comme dédommagement si, par impossible, je pouvais désirer des dédommagements, – j’envisage vos enfants, sur lesquels je dilate l’amour déjà assez grand que je porte au père.
Où vais-je me perdre? Ami, c’est que je vous aime, et qu’embarquée avec votre souvenir, mon imagination peut aller loin, comme vous voyez. Soyez heureux, Luglien, au sein de la famille que Dieu fera naître de vous. Pour moi, je sens mon cœur se former pour une autre paternité. Oui, il est vrai, mon cœur se dilate pour aimer d’un amour universel; je me fais l’idée de l’immensité du cœur d’un prêtre, et il me semble que le mien commence à la réaliser. Ah! mon cher, vous ne savez pas ce que c’est qu’enfanter, comme saint Paul, des chrétiens, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé avec eux (1). Dans mes instructions aux gens de la maison, je fais un apprentissage bien doux. De quatre ou cinq familles, je ne fais qu’une famille, dont je suis le lien, que j’unis à Jésus-Christ.
Lettre à Luglien de Jouenne d’Esgrigny (Lettres, t. A, , p. 268-269).
(1) D’après 1 Co 4, 15b.