Mon parti est bien pris et je me confirme tous les jours dans ma résolution en lisant le Psaume deuxième, que je vous engage à méditer. Je suis convaincu de plus en plus que peuples et rois sont coupables; que, par conséquent, peuples et rois doivent être châtiés les uns par les autres; que ce qu’il reste à faire pour le prêtre c’est de travailler de toutes ses forces à l’établissement du règne du Christ, sans se compromettre dans des vaines disputes. Son roi, à lui, c’est Jésus de Nazareth; sa tribune, le Calvaire; son drapeau, la Croix. Qu’on n’aille point attacher une couleur à ce drapeau; la croix sur laquelle l’Homme-Dieu fut attaché, celle qui apparut à Constantin n’était ni rouge ni blanche, et cependant, le monde fut sauvé par la première et conquis par l’autre. La pensée la plus intime de mon âme est que le monde a besoin d’être pénétré par une idée chrétienne s’il ne doit tomber en dissolution, et qu’il ne peut recevoir cette idée que par des hommes qui s’occuperont avant tout de cette idée, afin de la présenter sous toutes les formes qu’elle peut revêtir.
Lettre à Alphonse de Vigniamont (Lettres, t. XIV, p. 64).
Alphonse de Vigniamont, originaire de Pézenas, est un ami d’enfance d’Emmanuel d’Alzon. Il est assez piquant de relever que cette réflexion sur le primat de la croix chrétienne sans étiquette datant de 1835 continua d’inspirer le P. d’Alzon, au point de faire pression en 1879-1880 sur les religieux de Paris quand il s’agit de trouver un nouveau titre de revue pour succéder à la Revue de l’enseignement chrétien. Ainsi naquit en 1880 la Croix-Revue, trois ans avant le quotidien La Croix.