J’ai assisté hier, ma chère amie, à l’un des spectacles les plus affreux que l’on puisse voir. Le Rhône a débordé dans les plaines de Beaucaire. Avignon est presque tout sous les eaux. Avant-hier, à Tarascon, il y avait de l’eau jusqu’au premier étage. Au petit séminaire, la cuisine et le réfectoire seuls ont été inondés: il y a eu près de huit pieds d’eau dans la cour intérieure. J’allai hier à Beaucaire avec Monseigneur. Pendant que j’y étais, deux maisons de la campagne croulèrent. L’eau n’est heureusement entrée à Beaucaire que par la rupture d’une digue qui a eu lieu au-dessous et qui, après s’être ouverte sur une étendue de plus de trois cent pieds, a fait des ravages horribles. Le bateau à vapeur allait pêcher les laboureurs, dont plusieurs avaient passé la nuit sur les arbres. Plusieurs personnes se sont noyées. Des bœufs, des chevaux et des troupeaux de moutons ont été emportés dans une proportion effrayante. Des villages sont cernés depuis plusieurs jours: il a fallu loger les chevaux dans l’église et les troupeaux dans les cimetières. Au milieu de tout cela il y a des gens d’un sang-froid incroyable. Albert de Tessan, qui perd toute sa récolte de vin, se frottait les mains en pensant qu’il serait dispensé de prendre la peine de la vendre. Une seule chose l’inquiétait, c’était de savoir ce que seraient devenues les alouettes.
Lettre à Augustine d’Alzon (Lettres, t. B, p. 56).
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