Savez-vous, mon cher ami, qu’il nous faudra mourir un jour, vous et moi, et tous? Oh! nous n’y pensons pas. Et pourtant, la mort est notre terme. La mort est notre plus grande ennemie ou notre plus fidèle bienfaitrice, selon que nous la traitions nous-mêmes. N’êtes-vous pas révolté, quand vous songez qu’un peu de poussière doit un jour cacher aux yeux des hommes ce corps, cette tête, cette figure dont vous êtes si amoureux? Homo, natus de mulière, brevi vivens tempore, multis repletur miseriis (1). Et pourtant, on les aime ces misères; on s’y attache, faute de mieux. Pourquoi, me demanderez-vous peut-être, après vous avoir écrit hier, prendre la plume pour vous parler de choses si lugubres? Pourquoi? Parce que j’ai le coeur rempli d’une inexprimable mélancolie. Le jour des morts ne se présente jamais à moi sans bouleverser tout mon être. Autant, par moments, il me plaît; autant, en certains autres, il me fait horreur. Mourir pour être détruit! Mourir pour être uni à Dieu! Ah! c’est bien là que je connais combien je suis encore loin du terme auquel je dois aspirer. Pourquoi ne salué-je pas toujours la mort avec joie?
Lettre à Luglien de Jouenne d’Esgrigny (Lettres, t. A, p. 363-364).
(1) Job 14, 1: ĞL’homme, né de la femme, qui a la vie courte, mais des tourments à satiétéğ.