Aux religieuses de l’Assomption

aug 1872 Auteuil RA

Cinq aspects principaux de l’esprit naturel, grande plaie de notre époque: l’inintelligence du surnaturel, la disposition à la sensualité spirituelle, le désir de plaire, l’affaiblissement du coeur et le respect humain – Prière à Jésus crucifié.

Informations générales
  • Aux religieuses de l'Assomption
  • Retraite prêchée à Auteuil, août 1872
    Cinquième instruction - Sur l'esprit naturel
  • Cahiers d'Alzon, VIII, p.69-77
  • CZ 101.
Informations détaillées
  • 1 AFFECTIONS DESORDONNEES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 DEVOTION A JESUS CRUCIFIE
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 EGOISME
    1 IDEES DU MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 NATURALISME
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PURETE D'INTENTION
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TIEDEUR
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    2 DAVID, BIBLE
    2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
    2 JONATHAN
    2 PAUL, SAINT
    2 TERTULLIEN
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 18 au 25 août 1872 (1)
  • aug 1872
  • Auteuil
La lettre

« La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit(2). »

Je ne vous parlerai pas de ces péchés épouvantables qu’il ne convient même pas de nommer dans l’assemblée des Saints. Mais il s’agit ici de la disposition d’une foule d’âmes qui subissent sans s’en douter l’influence de la morale indépendante.

La morale indépendante est, dit-on, plus parfaite que la morale chrétienne. Le chrétien fait ses actions ou par peur du châtiment ou en vue de la récompense; il est mieux, dira-t-on, de pratiquer la vertu pour la vertu. Avec cette belle théorie on ne la pratique pas du tout.

Je viens vous parler aujourd’hui contre l’esprit naturel qui me paraît la grande plaie de notre époque. – Il y aurait bien des choses à dire là-dessus. Je m’arrêterai à cinq détails principaux: 1° l’inintelligence des choses surnaturelles; 2° la disposition à la sensualité; 3° le désir de plaire; 4° la faiblesse du coeur; 5° le respect humain que je considérerai comme suite de l’esprit naturel.

1° L’inintelligence du surnaturel

Que de fois on rencontre des personnes pieuses qui vous disent: « Moi, je ne comprends pas », et elles ont souvent plus raison qu’elles ne pensent. N’y a-t-il pas aussi des religieuses qui ne comprennent pas ? Parce qu’elles ont détruit en elles le second don du Saint-Esprit, l’intelligence. Saint Thomas fait observer que nous avons l’intelligence des choses d’abord par les sens. – « Nous commençons par ce qui est animal, dit saint Paul, et nous arrivons à ce qui est spirituel(3). » Saint Thomas ajoute: Autant l’âme est au-dessus du corps, autant l’intelligence qui vient par l’intérieur de l’âme est au-dessus de l’intelligence des sens. L’homme ne peut s’élever que par un don de Dieu, par une grâce qui illumine son intelligence. Donc quand une religieuse dit: « Moi je ne comprends pas », elle ferait bien d’examiner si elle a conservé le don d’intelligence. J’entends ce don surnaturel du Saint-Esprit par lequel une pauvre fille, peu capable pour les choses humaines peut beaucoup pour les choses surnaturelles. Vous pouvez avoir beaucoup d’esprit, une grande instruction et n’avoir pas le don d’intelligence et ne rien comprendre aux choses de la foi. En vous donnant la vocation Jésus-Christ vous a dit: « Mon ami, avance plus haut(4)« . – Et vous, n’avez-vous pas répondu: « Non, Seigneur, laissez-moi dans ma bonne petite sphère; j’ai du décorum, je garde la forme extérieure ». Oui, mais vous n’avez pas le fond et vous ne voyez pas tout ce qui se cache d’humain dans votre coeur!… Le Saint-Esprit vous invite à monter dans l’ordre surnaturel et vous voulez voir les choses avec les yeux des sens. Ainsi vous pouvez être une personne très honnête mais très humaine. Vous ne vivez pas dans le monde, mais vous vivez dans un petit monde qui est aussi l’ennemi de Jésus-Christ. Car le monde pour lequel Jésus-Christ n’a pas prié est partout où il y a opposition avec Lui. Peut-être dans votre noviciat n’avez-vous pas fait le sacrifice de certaines idées du monde et, vous les portez, vous les gardez encore. Cependant, la conséquence vraie de tout ceci, c’est que l’inintelligence vous empêche de pratiquer la loi de Dieu. Vous ne vivez pas d’une manière contraire à la loi, mais vous vivez à côté de la loi.

2° Disposition à la sensualité spirituelle

Tout ce qui est des sens nous abaisse. Or, saint Jean de la Croix parle d’une sensualité spirituelle. C’est la vie des sens prise dans son côté supérieur, mais c’est toujours la vie des sens. On tient à sa cellule, à ses livres, à ses études, à telle maison, à telle Supérieure et tout cela forme un ensemble d’habitudes sensuelles avec lesquelles on se trouble parce qu’on ne veut pas les sacrifier. De toutes ces préoccupations résulte un égoïsme très fin, très délicat, qui deviendra très grossier s’il n’est pas combattu. On garde toute sa commisération pour soi et on n’en a plus pour le genre humain; et on éloigne ainsi de soi la commisération de Dieu. Dieu, dit Tertullien, ne nous épargnera pas dans la mesure où nous nous serons épargnés. Mais moins vous vous épargnerez, plus il vous épargnera.

3° Le désir de plaire

Jésus-Christ a dit: Personne ne peut servir Dieu et Mammon. On ne peut servir en même temps Jésus-Christ et le monde. Mais il y a encore ce cher petit Moi qui veut plaire aux hommes et qui se rend esclave de ceux à qui il veut plaire. C’est peut-être une enfant. Elle si bonne, si gentille, elle remplit si bien ses devoirs!…

Ne connaissez-vous pas des gens qui s’en vont sous le prétexte de faire du bien et qui perdent leur temps?… « Si ce que je fais je le faisais pour les hommes, dit saint Paul, je ne serais pas serviteur de Jésus-Christ(5). » – On fait ses actions par un certain désir de plaire, d’être louée, admirée.

« Comment pourriez-vous croire, vous qui prenez votre gloire les uns des autres(6). » Vous avez encore la foi parce que chez vous ces dispositions ne sont pas encore portées aussi loin que chez les Juifs, mais si le désir de plaire ne vous a pas fait perdre la foi, il vous a fait perdre l’esprit de foi.

Qu’est devenue chez vous la pureté d’intention? Où est votre esprit de foi quand vous agissez pour telle mère, pour telle enfant? Voyez-vous ces personnes qui s’encensent l’une l’autre? est-ce sincère? Non, on fait des compliments pour en recevoir. On ne croit pas un mot de ceux qu’on fait, mais on croit fort bien ceux qu’on reçoit.

4° L’affaiblissement du coeur

Au jour de la profession on est feu et flamme pour Notre-Seigneur; est-ce que cela ne décline pas, en reste-t-on au même point? On se crée des liens, on se lie, on s’attache à une mère, à une soeur. Il est dit de l’âme de Jonathan qu’elle se conglutina à l’âme de David. On fait de même. Il y a de saintes amitiés, mais les amitiés particulières ont toujours un danger, quand ce ne serait que de vous empêcher de faire votre méditation, de garder la présence de Dieu, et de vous empêcher d’étudier les trésors du coeur de Notre-Seigneur. Vous avez besoin d’être portée: mais ne trouvez-vous pas cet appui dans votre communauté et dans vos rapports avec Notre-Seigneur? Il y a un grand danger de s’attacher immodérément à ses Supérieures. Que faire alors? Il faut voir Jésus-Christ en toutes choses, dans toute personne, dans toute affection. Une affection dans laquelle Jésus-Christ ne peut pas entrer et dominer est une affection de l’ordre naturel.

5° Le Respect humain

Enfin, je termine ces considérations sur les conséquences de l’esprit naturel par un mot terrible, le respect humain. Le respect humain entre dans les Communautés religieuses. Convenez mes chères filles, que si vous êtes en compagnie de religieuses ferventes vous parlez volontiers du bon Dieu; si elles ne le sont pas, vous parlez d’autre chose. Vous vous laissez donc mener par le respect humain.

– Remèdes à l’esprit naturel

– Prière à Jésus crucifié

Je ne vous indique pas de longs remèdes: prenez votre crucifix, allez à Jésus crucifié comme à votre docteur et dites-lui: mon Sauveur Jésus mis en croix pour moi, apprenez-moi combien je dois fuir les idées humaines, donnez-moi les idées divines qui jaillissent de votre Croix. Vous avez répandu pour moi jusqu’à la dernière goutte de votre sang, donnez-moi l’intelligence de ce que je dois faire pour vous. Sauveur Jésus, homme de douleur, apprenez-moi la perfection des vertus que je dois pratiquer, faites que pour ce qui me regarde, je ne m’épargne pas, que je penche toujours du côté de la sévérité dans ce qui m’est personnel, que je comprenne tout ce que j’ai peut-être à expier dans ma vie du monde, surtout dans ma vie religieuse, que je livre une guerre acharnée à la sensualité, que ce ne soit pas mon esprit qui domine mais le vôtre; que ma vie soit longue ou courte, douce ou fatiguée, cachée ou publique, peu importe. Mais qu’en tout cela ce ne soit pas l’égoïsme qui domine, mais l’amour,le désir du sacrifice. Vous m’avez donné de si grandes marques de votre amour, comment est-il possible que j’aie cherché à plaire à des créatures quand j’étais appelée à être l’Epouse du Créateur? Sauveur Jésus, bannissez de mon coeur tout sentiment indigne de vous. Non pas seulement ceux qui vous révoltent mais aussi ceux qui ne vous plaisent pas. C’est en vous que je veux me reposer et puisque votre Père a mis en vous ses complaisances comment n’y mettrais-je pas les miennes? Votre beauté et vos perfections vous donnent le droit d’être un Dieu jaloux. Mon bon Maître, reprenez sur mon coeur tout votre empire, l’empire que les distractions et les légèretés ont pu vous enlever. Le monde m’a aveuglée, même au couvent; j’ai eu comme un bandeau sur les yeux. J’ai entendu l’Evangéliste me dire: « Prenez garde que la lumière qui est en vous ne soit pas ténèbres(7)« . Je me suis tenue beaucoup trop dans l’ordre naturel, et les lumières de l’ordre naturel ne sont que des ténèbres. J’ai besoin d’autres lumières, d’autres clartés, les rayons de votre amour me les apporteront. C’est vous que je veux aimer. J’aimerai les créatures à condition que les affections entre elles et moi passeront par vous, que ce soit à travers votre coeur que se purifient les sentiments que je reçois et que je donne. Vous êtes l’Epoux à qui j’appartiens, que mon seul désir soit vous, mon seul respect pour vous. Le respect que je dois aux créatures aura sa source dans l’adoration que je vous dois: Que j’accepte l’action des créatures à cause de vous, ne recevant par elles que votre action.

Si vous preniez votre crucifix et que vous teniez ce langage à Jésus crucifié, l’inintelligence disparaîtrait, la sensualité s’enfuirait repoussée par la croix, le désir de plaire vous paraîtrait peu de chose vis à vis de celui dont le prophète a dit: « Nous l’avons vu et nous ne l’avons pas reconnu tant il était défiguré(8)« . Vous avez besoin d’amour, précipitez-vous dans le coeur de Dieu. Il y a dans ce coeur des profondeurs infinies d’amour, et dites encore: « C’est à Dieu seul que je veux aller par Jésus-Christ crucifié, arrière les idées naturelles, les considérations humaines. Je veux ce qui est au-dessus des sens, au-dessus des lieux, au-dessus des anges, je veux l’infini. L’infini ne se trouve qu’en Dieu, c’est à Dieu que je veux m’attacher pour vivre en Lui, pendant toute l’éternité…

Amen.

Notes et post-scriptum
1. Voir E00541, n.1.
2. Ga V, 17. - 3. 1 Co XV, 46. - 4. Lc XIV, 10.
5. Ga I, 10. - 6. Jn V, 44. - 7. Lc II, 35. - 8. Is LII, 14.