- Sermons divers
- Carême prêché en 1861 à St-Charles de Nîmes
Premier dimanche: *Révélation*(1) - GO 1, p.1-15; Ecrits du P. Bailly, 18, p. 170-175.
- 1 ANCIEN TESTAMENT
1 AVARICE
1 CHARITE THEOLOGALE
1 CORPS MYSTIQUE
1 CREATEUR
1 DOCTRINE CATHOLIQUE
1 ENFER ADVERSAIRE
1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
1 ENNEMIS DE L'EGLISE
1 ESPERANCE
1 FOI
1 HUMILITE
1 INDIFFERENCE
1 INTOLERANCE
1 LACHETE
1 LOI DIVINE
1 LOI HUMAINE
1 MARIAGE
1 MONDE ADVERSAIRE
1 ORGUEIL
1 PAGANISME
1 PANTHEISME
1 PAPE
1 PHILOSOPHIE MODERNE
1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
1 REVELATION
1 REVOLUTION ADVERSAIRE
1 SATAN
1 TOLERANCE
1 TRIPLE CONCUPISCENCE
1 VERBE INCARNE
1 VERITE
2 ARISTARQUE
2 BOSSUET
2 DAVID, BIBLE
2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
2 MONTAIGNE
2 PIE IX
2 PILATE - 17 février 1861
- 17 feb 1861
- Nîmes
- Eglise St-Charles
Non in solo pane vivit homo, sed ex omni verbo quod procedit ex ore Dei.
Depuis que Dieu confondit Satan par ces paroles, elles sont demeurées vivantes, nous les voyons s’appliquer à tous les temps. Aujourd’hui la parole de l’homme et celle du démon s’unissent encore contre Dieu et dans nos tristesses il nous est doux de revenir sur ces divines paroles, car N.-S. est toujours Dieu, et s’il est Dieu il confondra l’enfer. Nous traversons un rude combat, nous ne savons quand et comment il finira, nous savons seulement que les promesses divines sont pour nous et nous devons nous fortifier dans cette parole de N.-S., car dans cette lutte deux géants sont aux prises: l’Eglise qui a le dépôt de la parole de Dieu et le monde qui avec la parole de l’homme et les blasphèmes de l’enfer s’élève contre elle.
C’est donc bien répondre aux besoins des circonstances actuelles, mes frères, que de traiter devant vous ce grand sujet: l’Eglise et son enseignement.
Ne croyez pas mes frères que j’aie la pensée de reprendre ici les controverses que j’ai soutenues dans une autre chaire, les protestants ne sont pas de taille à représenter l’un des athlètes dans ce terrible combat, à moins qu’on ne considère la Réforme comme mère de la philosophie, par la philosophie de la Révolution.
J’aurai pour vous annoncer cette parole l’indépendance nécessaire, je puis rencontrer un Aristarque, subir des blâmes, mon but est invariablement tracé et je l’atteindrai sans me courber, sans me soumettre à aucune faiblesse.
Dans le plan que j’ai adopté pour cette station j’embrasse 14 ou 15 sujets et au milieu des événements actuels, je vous parlerai plus particulièrement de l’Eglise et du Pape, du Corps mystique de N.S. et de son Chef.
Aujourd’hui je m’arrête à ces réflexions: L’homme est-il obligé de se nourrir de la parole divine ? Oui; mais s’il est obligé de se nourrir de la parole divine, il faut qu’il la connaisse, or pour qu’il la connaisse il faut que Dieu ait parlé.
De là quatre questions que nous examinerons ensemble:
1° Dieu a-t-il pu parler à l’homme ?
2° Dieu a-t-il parlé à l’homme ?
3° Pourquoi Dieu a-t-il parlé ?
4° Pourquoi certains hommes prétendent-ils que Dieu n’a point parlé ?
– 1° Dieu a-t-il pu parler à l’homme ?
Pour des chrétiens comme vous, mes frères, l’examen d’une telle question semble inutile, mais il faut la traiter néanmoins afin, comme dit St Jean Chrysostome, de donner aux fidèles des réponses aux questions des infidèles.
A cette question je répondrai: pourquoi pas? Le psalmiste a dit:
Comment celui qui a planté l’oreille sur la tête de l’homme ne pourrait-il pas entendre ? Comment celui qui a créé l’oeil pourrait-il ne pas regarder, et s’il peut entendre et voir, comment ne pourrait-il point parler ? Mais dira-t-on, Dieu est infini et l’homme est fini, il ne peut exister entre lui et nous aucune communication.
Soit, mais je vous le demande, Dieu a-t-il pu créer le monde ? Si vous le niez, je ne discute pas avec vous, si vous êtes de cette école qui avec les pygmées de notre philosophie revient aux errements des philosophes géants de l’Orient et voit Dieu partout, ne pouvant l’accepter tel qu’il est, je ne puis m’écarter de mon sujet pour vous suivre, mais si vous acceptez un Dieu créateur, vous acceptez nécessairement un Dieu capable de se révéler.
– 2de question. – Dieu a pu parler, mais a-t-il parlé ?
C’est là une question de fait pour laquelle les preuves de raison ne sauraient suffire. Cet homme peut-il marcher ? Oui, vous répondrai-je avec ma raison, s’il est ingambe; mais marche-t-il ? c’est là un fait qu’il faut constater.
Dieu pouvant parler était libre de ne point parler. Mais il a parlé et parlant à tous il a pris l’ordre de preuves convenant le mieux à tous. Un homme viendra disant: je viens au nom de Dieu, et pour preuves il consommera des actes divins, des miracles et cet homme s’effacera lui-même le plus qu’il pourra; il déclarera qu’il doit, lui, s’anéantir, mais qu’un autre dont il est le précurseur sera glorifié.
Dieu se servira d’abord d’instruments, et après avoir parlé beaucoup par les prophètes, parlera par son Fils et c’est le Fils de Dieu qui dira: si vous ne croyez pas à mes paroles, croyez à mes actes; c’est lui qui dans la suite des temps viendra nous dire les jugements de Dieu son Père; c’est lui qui aura été le Verbe fait chair, c’est-à-dire la parole mise à la portée de tous.
– 3e question: Quand vous parlez, mes frères, pourquoi parlez-vous?
Quelquefois sans doute, pour le plaisir de parler; mais ordinairement c’est pour être écouté. Dieu aussi évidemment en parlant a pour but de se faire écouter. Or de cet axiome si simple pour tout le monde, résultent plusieurs conséquences importantes:
1ère conséq. Si Dieu a parlé pour être écouté, quel est le crime de ceux qui ne l’écoutent pas!
Vous rendez-vous compte de cette indifférence de l’humanité vis-à-vis de N.-S.; c’est le crime de Pilate condamnant J.-C. Que lui répond en effet Notre Sauveur: Je suis venu rendre témoignage à la vérité, et lui: Qu’est-ce que la vérité?
C’est le dialogue de tous les jours depuis 18 siècles entre l’Eglise qui est J.-C. continué selon l’éloquente parole de Bossuet, et le monde.
L’Eglise dit aussi: « Si j’ai ma raison d’être, c’est que j’ai reçu le dépôt de la parole de la vérité et je rends témoignage à la vérité ». Et le monde par la bouche des proconsuls comme par la plume des feuilletonistes du jour reprend: Qu’est-ce que la vérité? Ecoutez-les: « Eglise, vous ne comprenez pas vos intérêts, ne voyez-vous pas que je vais vous condamner. Qu’avez-vous à dire? »
Le délaissement où paraît l’Eglise de nos jours est celui de J.C. devant Pilate, et le témoignage de J.-C. est toujours debout pour elle: Je suis venu rendre témoignage à la vérité.
Oui, vous commettez le crime de l’odieuse indifférence de Pilate, hypocrites de nos jours qui voulez aussi chercher à sauver J.-C. par les moyens humains. Pilate comme vous avait de bonnes intentions, il avait une femme qui lui faisait passer de sages avis, et si cela ne l’a pas excusé, vos bonnes intentions ne vous excuseront pas non plus. J.-C. fatigué finit par ne plus leur répondre, il préfère la mort à profaner la vérité devant des coeurs lâches et impurs.
Si Dieu a parlé et a parlé pour être écouté, alors il faut anéantir tout ce fantasmagorisme élevé par tant de gens de notre temps, et il faut admettre absolument que Dieu a donné les moyens de connaître sa parole et dès lors on doit la chercher.
Aussi quand quelqu’un me dit: J’ai le malheur de ne plus croire, je lui réponds simplement: Tant pis pour vous.
Dieu vous a certainement donné les moyens de croire, il vous a respecté en ne vous imposant pas sa vérité, mais en vous laissant la liberté de la saisir; respectez-le aussi en cherchant à comprendre sa parole.
Si l’on admet que Dieu a pu parler, qu’il a parlé, et que parlant il a voulu être écouté et qu’il avait d’ailleurs les moyens de se faire comprendre, alors il n’y a plus de tolérance possible. Aussi je ne comprends pas ce reproche fait par des catholiques mêmes à d’autres catholiques accusés d’intolérance et frappés par une loi injuste: vous avez été intolérants, subissez la conséquence de vos principes. Ceci n’est pas admissible, la justice de Dieu est nécessairement intolérante puisqu’elle oblige à se soumettre immédiatement, dès qu’elle est connue et ses défenseurs doivent la présenter comme telle.
Autre conséquence:
Pourquoi l’homme est-il capable d’entendre la parole et pourquoi la brute ne peut-elle l’entendre?
C’est, répondrez-vous, parce que la brute manque d’intelligence.
Soit, mais si le défaut d’intelligence dispense la brute d’entendre la parole, plus l’homme est doué d’intelligence, moins il est dispensé de la connaître et de l’entendre.
Et cependant que se passe-t-il dans le monde ? Sont-ce les savants qui croient davantage ?
Ecoutons N.-S. au milieu de ses disciples: « O mon Père, maître du ciel et de la terre, je vous rends grâce car vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et vous les avez révélées aux petits et aux faibles ».
Réjouissez-vous donc, ô hommes du peuple et ne vous scandalisez point si vous voyez des savants perdre leur foi dans les études où ils devaient la puiser, et s’ils deviennent esclaves de mille nouveautés. Réjouissez-vous, car N.-S. rend grâces à son Père de ce qu’il en est ainsi, il dit aussi. Venite ad me omnes qui laboratis et onerati estis.
Venez à lui, hommes de labeur, venez, pauvre mère qui manquez de pain pour vos enfants, séchez vos larmes, car vous avez la foi et l’homme ne vit pas seulement de pain, venez à J.-C., il vous donnera le repas de vos âmes.
Mais répétons-le, si l’ouvrier, si le pauvre reçoit davantage le don de la foi, le savant n’est pas moins coupable en la rejetant.
Dieu n’enseigne pas seulement, il parle en maître et ordonne ce qu’il faut faire, et c’est parce qu’il ordonne des choses pénibles à la nature que l’homme ne veut pas se soumettre au joug que lui impose la foi, il repousse la parole de Dieu. Durus hic sermo. On veut que je sois humble et je suis superbe, on veut que je sois mortifié et ma mollesse recherche toujours les douceurs de la vie. Et cependant Dieu a parlé et quand il commande, il a le droit d’être obéi. Regardez en votre coeur et si vous vous êtes dit quelquefois: Sans Dieu je pourrais me venger, je pourrais dérober, je pourrais être impudique, comprenez que ceux qui veulent faire ces choses ont besoin de ne pas écouter la parole.
Et cependant cette parole est notre seule loi et ceux qui font des lois humaines devraient se rappeler toujours que toute loi prend sa force dans la connexion avec la loi divine, et que le jour où il y aurait divergence entre ces deux lois il faudrait abandonner la première pour suivre la seconde. C’est là ce qui a fait les martyrs et c’est là ce qui confond dans tous les temps ces hommes enveloppés d’oripeaux de morale qui croient faire des lois.
Ainsi, par exemple, dans la question du mariage, l’Eglise ayant établi ses lois, toutes celles qu’on peut élever à côté de celles-là deviennent sans valeur le jour où elles sont en contradiction avec les premières et quelle que soit la décision d’un tribunal humain, tout mariage contracté en dehors des lois de l’Eglise ne peut donner que des bâtards.
– 4me question. – Pourquoi certains hommes prétendent-ils que Dieu n’a pas parlé ?
Les hommes ne veulent pas accepter cette parole, d’abord parce que l’intelligence humaine ne veut pas se soumettre au joug de la foi. Or, comme dit Montaigne, l’homme [ blanc ].
L’homme pourra s’agiter beaucoup, il retombera de tout son poids dans son ignorance. Ainsi il dira: Je ne crois que ce que je comprends; ce qui est absurde, puisqu’il ne comprend rien de ce qui l’entoure, ou bien il dira: Je ne puis croire ce que je ne comprends pas, ce qui ne diffère pas de la première proposition.
Les hommes ne veulent pas accepter cette parole en second lieu, par intérêt. L’intérêt a fait son nid ici-bas, il a ses calculs, ses aspirations vers l’or, il a concentré toutes nos espérances.
Aussi quand nous nous écrions: pensez à votre salut, de toutes parts on répond: Je pense à ma fortune, je pense à mon établissement.
Enfin en troisième lieu, l’homme ne veut pas accepter la parole de Dieu, parce qu’engendré dans le péché il porte en lui la concupiscence.
Il s’aime si fort qu’il ne trouve plus de place pour Dieu et la notion du sacrifice est devenue lettre close pour lui.
Or l’homme ne veut ni croire, ni espérer, ni aimer, il trouve ces vertus trop pesantes, c’est le joug de J.-C. trop lourd pour certaines épaules, et cependant pour monter aux cieux, il faut tendre vers Dieu, et ces vertus sont comme les ailes qui nous permettent de nous élever vers lui.
Vous, mes frères, soyez hommes de foi, d’espérance et de charité, acceptez ces vertus et comprenez que, si la vérité est pure, rien d’impur ne peut posséder la vérité.
La vérité domine le monde moral, et quand nous voyons la vérité diminuer, de terribles chutes se préparent. Mais c’est alors que la voix de Dieu s’élève plus haut et plus belle, magnificentior, alors tout est renversé jusqu’au cèdre aux racines affermies, dont parle le Psalmiste, alors de grands malheurs fondent sur l’humanité épouvantée et il convient qu’il en soit ainsi pour soutenir le courage des saints, petit troupeau, sans force au milieu du monde. Il est bon qu’il en soit ainsi pour les chrétiens dont la vie est mêlée de mal, afin qu’ils passent au creuset des épreuves où se trempent les caractères affaiblis, cela est bon afin que le sel affadi reprenne sa saveur.
Et quand à vous, troupeau vulgaire des honnêtes gens qui avez bâti votre espérance sur votre coffre-fort et sur la vigilance des gendarmes, il est bon que vous sachiez ce que sont les verrous et les geôliers devant la force de Dieu et si vous avez la témérité de lui faire obstacle, il faut que vous sachiez qu’il est le maître!
Au milieu de nos angoisses et de nos pressentiments, mes frères, devant la puissance du mal, un secours magnifique et qui doit consoler l’Eglise, est cet apostolat laïc comme l’a montré notre bien-aimé Pie IX qui s’élève chaque jour pour aider les pasteurs. Il faut que vous compreniez, mes frères, qu’aujourd’hui tout chrétien est apôtre de la vérité et que cette sainte quarantaine doit puiser dans les souffrances de l’Eglise un caractère tout spécial.
Transmettez votre foi, mes frères, Dieu vous fait un grand honneur dans la catastrophe de ce jour en vous créant ses apôtres, prêchez par vos discours, par votre conduite, par votre vie entière, et cette parole divine que vous devez donner aux autres, venez la puiser dans son Incarnation le jour de Pâques, c’est ainsi que ce saint temps du Carême aura produit des fruits de grâce et de salut.
Ainsi soit-il.
"Notes prises aux sermons prêchés à Saint-Charles par le R.P. d'Alzon pendant le Carême de 1861"
*Tu es Petrus et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam*
(St Math.16, 18).
La part du P. Bailly a été reprise dans la collection dactylographiée de ses écrits (t.18).
Notons que nous avons conservé les canevas du P.d'Alzon lui-même (Orig. ms. CR 163-168 et 170-175, et (douteux) 177; T.D.45, 258-279, 282-284, et (douteux) 299; dans cette banque de données: D00692 à D00704).
Sur ce carême voir *Pages d'Archives*, 2, p.395-399, *Un maître spirituel*, p. 104-146 et les *Lettres* 1577 et 1580 et notes.