Aux Religieuses de l’Assomption

31 MAR 1871 Nîmes RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Sermon sur la Compassion de la Sainte Vierge. Vendredi 31 mars 1871.
  • Ecrits spirituels, pp. 1013-1024.
  • CN 9, pp. 83-84 (cop. ms du P. H. Letocart sur le texte qu'en avait Soeur M.-Claire, R.A.).
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ADORATION
    1 AMITIE
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOSTOLAT DE LA PRIERE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 BEAUTE DE MARIE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
    1 CROIX DU CHRETIEN
    1 DETACHEMENT
    1 DEVOTION AU CRUCIFIX
    1 DON DE SOI A DIEU
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 ENFANTS
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPOUX
    1 EPREUVES
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 IMITATION DE LA SAINTE VIERGE
    1 INGRATITUDE
    1 JESUS-CHRIST MEDIATEUR
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JOIE
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LACHETE
    1 MARIE NOTRE MERE
    1 MERE DE DIEU
    1 MERE DE FAMILLE
    1 MORT
    1 MORT DE JESUS-CHRIST
    1 OUBLI DE SOI
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 PRIERE A LA SAINTE VIERGE
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 PURETE DE MARIE
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REDEMPTION
    1 SACERDOCE
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SALUT DES AMES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 TIEDEUR
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE SACRIFICE
    1 VOIE UNITIVE
    2 BELIME, MARIE-CLAIRE
    2 LETOCART, HUGUES
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • 31 mars 1871
  • 31 MAR 1871
  • Nîmes
  • Prieuré des Religieuses de l'Assomption
La lettre

Mesdames,

La fête de la Compassion de la Très Sainte Vierge se présente à nous avec un double caractère. J’y vois dans les souffrances de la Mère d’un Dieu le type des douleurs de la mère de famille; j’y vois aussi, dans le martyre de la plus pure des Vierges, la fête de toutes les âmes appelées par un choix divin à ensevelir et à transformer leur perfection dans la souffrance. En un mot, Marie au pied de la Croix, Mère et Vierge, voilà les deux considérations que je veux aborder aujourd’hui en étudiant dans le mystère de la fête de la Compassion la grandeur, la fécondité des souffrances de la mère chrétienne et de la Vierge, épouse de Jésus-Christ.

I. Modèle des mères.

Douleurs des mères.

J’envisagerai d’abord la mère de famille. Mesdames, quand je touche à cette question, je sens que j’aurai tout à la fois beaucoup et peu de choses à dire. Quelle est la mère qui n’ait souffert et beaucoup? et que puis-je vous apprendre à cet égard? Que de sollicitudes dans son coeur! que de responsabilités dans son esprit; ses affections sont une croix, ses devoirs l’entraînent; elle porte comme un lourd fardeau le poids de ce qui l’entoure: son mari qu’elle aime et dont elle est aimée, ses enfants, ses gens; tout le poids de la maison enfin. Tout ce qui entoure cette mère de famille active sa sollicitude et ses angoisses. Et puis il y a encore ce cercle qui va s’étendant autour d’elle soit dans la famille, soit dans la sphère de l’amitié et qui, pour être plus large, ne l’en étreint pas moins très douloureusement. Oui, il faut qu’elle souffre, la femme qui a uni sa destinée à celle de son époux; la mère qui veille sur son enfant depuis le berceau jusqu’à l’heure cruelle de la séparation. Elle aura tour à tour les préoccupations de son enfance et les labeurs de l’éducation et puis, quand elle aura donné une tendresse immense, elle verra parfois se retourner contre elle ce coeur qu’elle a réchauffé de son amour et, sans parler de cette douleur poignante de l’ingratitude, l’heure viendra où l’enfant quittera la maison paternelle pour aller s’asseoir à un autre foyer et reporter sur une autre créature l’affection qui avait été la part unique de sa mère. Oui, voilà votre sort, mères chrétiennes, sans parler de vos autres douleurs qui sortent de la mine inépuisable de votre coeur, partout où votre affection touche ici-bas, elle se heurte, elle se blesse, et toute votre vie il vous faut aller creuser votre sillon ensanglanté dans la souffrance, en vous déchirant aux épines du chemin. Et cela, Mesdames, parce que vous êtes chrétiennes et que toute âme chrétienne doit se donner, et vous le savez, se donner, c’est souffrir. Si vous ne vous donnez pas, vous n’êtes pas chrétiennes et vous n’aurez atteint la perfection du christianisme que lorsque vous vous serez données au milieu des douleurs, des larmes, des angoisses de votre vie. Cela vous manquera-t-il? Mesdames, hélas! non. Riez à certains moments, je vous l’accorde; jouissez de loin en loin des charmes de la famille et des joies du coeur; cela vous sera parfois donné. Toujours est-il qu’au sortir de ces fêtes, vous tombez dans le deuil, que vos sourires les plus joyeux finissent par une larme. Jetez vos regards sur la terre et voyez quelle est la course de tout voyageur ici-bas, n’est-ce pas un pèlerinage de douleurs.

Douleurs fécondes.

Mais s’il en est ainsi, avez-vous pensé à tous les mérites que vous pourriez accumuler, la fécondité que vous pourriez donner à vos douleurs, au lieu de les laisser là stériles et vaines? Je ne parle pas ici de ceux qui repoussent la souffrance ou qui se jettent dans l’abîme du désespoir; je veux parler des âmes qui rendent, par une négligence inconcevable, leurs souffrances inutiles. Eh bien! Mesdames, vous toutes qui souffrez et désirez féconder vos souffrances, vous avez dans cette fête des Sept-Douleurs un modèle incomparable. La sainte Vierge, au pied de la croix, est par excellence la Mère des mères; elle est le type de la mère des douleurs, vaste comme les flots de la mer et l’océan d’amertume qui vient submerger son âme. « Oh! vous tous qui passez, venez et voyez s’il est une douleur semblable à ma douleur ». Il n’en est point de semblable, Mesdames, et je ne prétends pas y confronter les vôtres. Mais il ne vous en reste pas moins un devoir: vous devez rendre vos souffrances, quelles qu’elles soient, profitables pour vous-mêmes d’abord, puis pour vos familles, vos amis et l’Eglise de Dieu! Alors plus de plaintes, plus de murmures, regardez Marie! de quoi voulez-vous vous plaindre, mon Dieu! en face d’une telle douleur? Souffrez-vous, je vous le demande, la millième partie des douleurs qui se sont précipitées sur le coeur de la Sainte Vierge? Avez-vous seulement touché des lèvres le calice qu’elle a bu tout entier. Si vous n’êtes pas des chrétiennes, je n’ai rien à dire ici, fuyez la douleur et son influence divine, repoussez-la; désespérez-vous, endurcissez votre coeur pour en ressentir moins fatalement les atteintes, vous le pouvez. Mais si vous appartenez à Jésus-Christ, si vous avez entrepris de marcher à sa suite, sachez souffrir comme Marie, ne craignez pas, ne cherchez pas à émousser la délicatesse de votre âme; sans doute, plus votre âme sera délicate, plus elle souffrira. Faut-il le regretter? Non, vous ressemblerez d’autant plus à la Sainte Vierge.

Douleurs apostoliques.

Ainsi donc, Mesdames, en premier lieu, vous êtes obligées, rigoureusement obligées, d’entrer dans cette acceptation entière des volontés de Dieu sur votre vie: ceci ressort de votre condition de chrétiennes: c’est un indispensable devoir. Mais ce n’est pas assez; je puis, si je veux sauver des âmes, je puis enfanter des âmes à Jésus-Christ. Je suis mère, comme Marie était mère et à un double titre au pied de la croix. M. de Maistre a dit: Le grand titre de la femme, c’est de faire des hommes. Je vous offre quelque chose de plus grand encore: faire des âmes! Pourquoi n’entreriez-vous pas dans ce mystère de la maternité douloureuse de la Sainte Vierge? pourquoi n’accepteriez-vous pas la conversion, par vos souffrances, des âmes que vous connaissez et de celles que vous ne connaissez pas? Peut-être fut-il donné à la Sainte Vierge de découvrir d’un regard prophétique, à travers la suite des siècles, les générations qui l’appelleraient bienheureuse; peut-être vit-elle les âmes qui seraient rachetées par le sang de son Fils et trouva-t-elle en ce moment suprême d’angoisse une immense consolation dans ce spectacle. C’est possible: il n’en est pas moins vrai qu’elle a souffert, qu’elle a uni ses douleurs à la Passion de son Fils et qu’elle a été par la passion de son âme, la coopératrice, la collaboratrice du salut du genre humain. Et vous, Mesdames, ne pouvez-vous rien faire par vos souffrances, n’aurez-vous pas votre part dans l’oeuvre du salut de vos frères? Il n’y a pas de femme chrétienne qui ne puisse porter à son foyer domestique le trésor de ses douleurs acceptées et qui ne puisse devenir, elle aussi, à l’exemple de la Très Sainte Vierge, une distributrice de grâces très grandes dans le monde. Voilà, Mesdames, l’oeuvre de votre maternité douloureuse.

II. Reine des Vierges.

Mais je veux surtout envisager, dans ce mystère de la Compassion, le rôle de Marie, Reine des Vierges. Nous touchons à la dernière heure de la vie mortelle de Jésus-Christ. Au moment où le Fils de Marie allait expirer, où la mort allait s’emparer de ce corps saint formé dans les chastes entrailles de la Très Sainte Vierge, on peut dire que l’oeuvre maternelle de Marie était finie. C’est la mère sans doute encore, au pied de la croix; mais c’est surtout la Vierge, et dans ce mystère de douleur, apparaît dans toute sa beauté cette maternité virginale absolument inconnue du monde.

Douleurs de la Vierge.

Oui, c’était une Vierge qui était là, debout sur le Calvaire; elle avait conservé sans tache sa couronne de roses blanches, peut-être teinte de quelques gouttes de sang qui découlait du corps de son Fils; car pour faire de sa Mère la Reine des martyrs, comme le chante l’Eglise: Regina Martyrum, on peut croire que Jésus-Christ lui rendait, en mourant, un peu du sang très pur qu’elle lui avait donné pour former son adorable corps humain. Marie est donc le modèle de celles qui suivent l’Agneau: Sequuntur Agnum quocumque ierit… laverunt stolas suas in sanguine Agni. Elles sont vierges, elles ont lavé leurs âmes dans le sang de Jésus-Christ et, comme l’Agneau, elles apportent le salut du monde.

Je veux considérer cette âme qui s’est donnée à Dieu sans réserve, qui s’est abandonnée aux justices de Dieu et qui dit: « Seigneur, frappez-moi; je suis livrée par amour à vos coups divins. » Mesdames, c’est aux Vierges à dire cela; comprendre la chasteté sans le sacrifice de son être tout entier, c’est tomber dans les ténèbres. Les choses se relient mystérieusement: pour comprendre la Vierge souffrante, il faut aussi comprendre l’amour qu’elle porte à celui qu’elle s’est donnée pour époux. Quel était-il? Virum dolorum et scientem infirmitatem. Il est l’homme de douleur par excellence, ayant accumulé toutes les souffrances humaines dans la personne d’un Dieu, pour leur donner un prix infini. Cette âme donc qui s’est donnée éperdument à l’Epoux était agneau pour le salut du monde et immolé dès l’origine: Agnus qui occisus est ab origine mundi; cette âme, dis-je, doit prendre les sentiments de l’Epoux, elle doit entrer dans la perfection de sacrifices par laquelle il a sauvé le monde: la grande science de cette Vierge devient la connaissance du mystère de la croix, du mystère qui a racheté les âmes. Son amour lui apprend que ce lui est un grand honneur, une grande gloire et une grande joie de souffrir parce que Notre-Seigneur a souffert. Qu’a voulu Jésus immolé dans la souffrance? Quel a été le terme de sa Passion? Sans doute racheter le monde, mais aussi sanctifier sa Mère dans la douleur, l’enrichir des grâces du martyre! Du haut de la croix, il semble lui dire: Voyez, combien je vous aime, non seulement je souffre pour vous, mais je vous rends participante de mes souffrances; voyez comme je vous ai embellie parce que vous avez voulu conserver votre chasteté très pure. Et Marie répond: « Et moi, qui étais votre Mère, je veux unir aux angoisses de ma maternité les douleurs que vous réservez aux âmes vierges et épouses; pour vous ressembler davantage, je veux souffrir avec vous et… il y aura des délices à vous ressembler en souffrant. »

Placez-vous donc, Mesdames, au milieu de ces deux combattants dans la souffrance, si je puis ainsi parler; placez-vous sur le Calvaire entre les souffrances de Jésus et les souffrances de Marie; rendez-vous compte de ce besoin de souffrir que ressent Notre-Seigneur pour embellir l’âme de sa Mère et de ce bonheur douloureux et plein d’angoisse qui inonde le coeur de Marie pour la rendre de plus en plus pure dans la souffrance et plus semblable au Sauveur du monde.

A l’exemple de la Vierge.

Si Notre-Seigneur vous appelle à ce rang d’épouse, voyez comme la souffrance devient le signe inséparable de l’amour. Laissez-moi supposer un instant, qu’il n’y a que Jésus-Christ et vous dans le monde: Jésus-Christ, Dieu de souffrances, enivré de souffrances à force d’amour et une âme virginale qui s’est donnée à lui. Eh bien! Voilà Jésus sur le Calvaire et vous êtes à ses pieds recueillant les gouttes de son sang. Mesdames, du haut de cette croix ruisselante de sang et d’amour il ne tombe pas d’autre parole sur cette âme que celle-ci: Il faut souffrir, il faut entrer dans cette voie royale pour se transformer dans la perfection de la souffrance. Voyez donc quelle vie toute nouvelle la Vierge chrétienne puise au pied de la Croix! De quoi avez-vous le droit de vous plaindre quand vous souffrez: Jésus-Christ vous donne son sang, vous donnez vos douleurs, vous vous unissez au sacrifice de Jésus pour participer aux merveilles de son salut. Rendez-vous donc compte de cette vie intérieure de la croix où vous entrerez par les humiliations de Jésus-Christ et de la Vierge. Comprenez ce que doit être votre crucifix: c’est l’image de votre Dieu expirant; c’est le résumé d’une vie d’opprobres et de douleurs. Vous apprendrez là, Mesdames, ce que doit être votre vie et comment jusqu’à votre dernier soupir vous devez aller à la souffrance constamment, généreusement et avec amour.

A la sainte messe.

Puis, Mesdames, vous qui avez le bonheur d’assister si fréquemment à la Sainte Messe, comprenez aussi ce que ce mystère doit dire à vos âmes. La messe, le sacrifice d’un Dieu immolé d’une manière non sanglante, c’est votre image, Mesdames! Vous n’aurez probablement pas l’honneur de verser votre sang, le martyre ne vous attend pas, bien que de nos jours on ne puisse savoir ce que l’avenir nous prépare, mais vous avez un martyre secret à subir, une longue immolation non sanglante mais non moins réelle et quand vous allez à la communion vous unir à l’homme de douleurs, vous y allez pour former dans vos âmes la science de la douleur. Quand donc vous assistez au sacrifice du Calvaire renouvelé sur nos autels, allez aussi à la Croix, contemplez ce prodige dans un Dieu qui y est attaché pour nous, voyez ces clous qui retiennent ses membres sacrés fixé à l’instrument du supplice et demandez-vous ce que vous pouvez faire, vous aussi, pour vous clouer à une croix. Ce sera en vous dépouillant d’une certaine liberté d’action, en acceptant le saint esclavage de la souffrance, en faisant, Mesdames, tout ce qui vous rendra, à votre tour, les esclaves volontaires de la Croix.

Douleurs fécondes: a) dans la prière

Mais je ne dois pas seulement vous parler de tout ce que vous devez souffrir, Mesdames, il y a plus encore pour les parfaites imitatrices de la Vierge Marie. Après vous avoir dit que la Vierge, épouse de Jésus-Christ, devait souffrir, je dois vous montrer sa fécondité par la souffrance. Ce que Notre-Seigneur veut sur la croix, ce sont les âmes; il a soif des âmes. Que pouvez-vous faire ici? Il y a le travail des apôtres, ce ne peut être le vôtre; laissant de côté la prédication selon cette parole de l’Apôtre: Mulieres taceant in ecclesiis; laissant aussi de côté les bonnes oeuvres réservées aux diacres, et qui sont aussi votre part, je n’envisagerais aujourd’hui que la carrière apostolique qui vous est réservée, l’apostolat de la prière. C’est celui de Jésus-Christ sur la croix, quand dans un grand silence sa prière sauve le monde. De sa bouche divine quelques paroles pleines de fécondité descendent sur les quelques amis fidèles, les quelques gardes qui veillent autour du crucifié; mais elles sont rares et c’est dans le silence de la prière et de l’adoration muette que Jésus-Christ réconcilie le monde avec son Père. Il est là, le grand intercesseur, le grand médiateur invitant toute âme qui par la chasteté acquiert un droit de s’approcher de lui, les invitant, dis-je, à s’unir à cette grande et unique médiation. Entrez donc, Mesdames, dans ce mystère avec une grande foi, un grand courage. Où irez-vous quand une fois vous aurez plongé dans ces abîmes surnaturels, c’est ce que nul ne pourra dire et quand pourrez-vous mieux faire ces choses, Mesdames? Au moment de la communion! Jamais votre puissance d’intercession ne sera plus grande. Vous rendez-vous compte de tout ce qu’une Vierge chrétienne peut demander à Dieu dans sa prière d’adoration quand elle lui dit: Vous êtes mon premier amour, j’ai renoncé pour vous à toutes les affections de ce monde; puisque en souffrant je puis vous enfanter des âmes, j’accepte toute souffrance qu’il vous plaira de m’envoyer. Me voilà, Seigneur, dans ma solitude, dans mon silence, je n’appartiens qu’à vous seul, je ne vis que pour vous, je vous suis unie par le coeur et l’âme, je ne demande qu’à ajouter ma part de souffrances aux inénarrables souffrances de votre Humanité Sainte; versez donc les trésors de vos douleurs dans mon coeur, dans mon âme; qu’ils puissent acquérir des mérites, participer à ceux de votre divinité et les repasser sur les âmes que vous voudrez choisir pour les sauver. Mesdames, n’y a-t-il pas dans ces pensées un aiguillon pour votre courage? Sera-t-il possible de ne pas aimer la souffrance, quand on aura médité sur les souffrances d’un Dieu? Sera-t-il possible de rester dans une lâche inaction quand il nous est donné de répandre sur les âmes tièdes, malades, mortes peut-être, les bienfaits, la vie divine, l’amour merveilleux de Jésus-Christ?

b) dans les bonnes oeuvres

Que dirai-je maintenant de votre action? Je ne vous demanderai pas de lui donner une grande extension: ce n’est pas votre mission, au moins à l’extérieur. Mais vous avez des oeuvres à faire et pour la consolation de celles d’entre vous qui s’en occupent spécialement, je vous rappellerai que le premier martyr a été un diacre, un homme de bonnes oeuvres. Vous aussi pouvez donner à votre charité un caractère plus élevé que celui d’une aumône matérielle; vous pouvez la transformer en apostolat. Quand vous vous mettez en route, Mesdames, pour visiter le pauvre et le malade, je vous demande d’aller aussi en esprit au pied de la croix et là contemplant Jésus et sa mère, faites-vous cette question: « Quelles sont les âmes que je puis sauver? » Examinez sérieusement, Mesdames, s’il n’est pas temps pour vous de commencer cette mission apostolique. Quand vous donnerez-vous à cette action sur les âmes? Quand unirez-vous pour elles la prière à la souffrance?

c) dans l’immolation

Mais montez encore plus haut; au-dessus de l’apôtre, il y a le prêtre. Je ne parle pas ici du prêtre comme revêtu du caractère sacerdotal, mais du prêtre considéré comme sacrificateur. C’est en ce sens que saint Paul dit: Tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech. La Vierge chrétienne n’est pas appelée à être dans le sens du sacerdoce, mais toute âme qui aime la souffrance peut être sacrificateur. Et voici le rôle de la Vierge: elle est sacrificatrice. Quelle sera la victime? Elle-même, sur l’autel de son propre coeur, tenant en mains le glaive du sacrifice, elle s’immole! Elle s’offre elle-même à Dieu, prêtre et victime à la fois, comme Jésus offrant le sacrifice du Calvaire. En entrant dans ces sentiments avec un peu de générosité, une immense carrière est ouverte et la Vierge épouse du Christ arrive au sacrifice suprême. L’instrument du sacrifice, c’est son amour; la victime, c’est elle-même. Si vous voulez savoir jusqu’où on peut aller dans cette voie douloureuse, regardez la Sainte Vierge en la fête de sa Compassion; et pour vous, Mesdames, jusqu’où irez-vous dans l’imitation d’un si parfait modèle, je ne sais; mais, dans la mesure où vous voudrez avancer, il faudra supprimer vos plaintes. Que l’épreuve vienne dans votre fortune, dans votre santé, dans vos affections, n’importe: c’est un holocauste qui doit être offert à Dieu. « Le Seigneur me l’a donné, le Seigneur me l’a ôté: que son saint Nom soit béni! » Il faudra donc s’abandonner totalement soi-même et tout ce que l’on possède et tout ce que l’on aime, entre les mains de Dieu. Oui, s’abandonner jusqu’à la mort, ce dernier, ce suprême sacrifice de douleur. Mais si vous faites ainsi, Mesdames, la mort ne sera pas seulement une douleur; si elle est le châtiment, la solde du péché, elle est aussi pour l’âme chaste et pure la consommation de son union avec son Dieu.

Conclusion.

Tel est le terme de toute souffrance portée avec Jésus ici-bas, telle est la récompense promise à la Vierge chrétienne qui a entrepris de suivre l’Agneau dans la voie du Calvaire; priez donc la Sainte Vierge d’être votre docteur, votre maîtresse; de vous apprendre quelque chose du prix, de la fécondité de la souffrance. Quand vous serez pénétrées de ces vérités admirables, vous ne vous plaindrez plus de rien, et baisant les pieds de votre crucifix, ces plaies sacrées d’où a coulé le salut du monde, vous demanderez à Notre-Seigneur de faire jaillir de vos souffrances, des plaies de votre coeur la vertu féconde qui sauve les âmes; vous resterez avec Marie à la croix, et de même que Jésus-Christ a versé son sang dans l’amour, vous verserez votre amour dans la souffrance afin qu’il vous soit rendu purifié, renouvelé, transformé dans le ciel.

Amen.

Notes et post-scriptum