Aux Religieuses de l’Assomption

AUG 1861 Auteuil RA
Informations générales
  • Aux Religieuses de l'Assomption
  • Retraite aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil en août 1861
    Onzième instruction - Saint Jean-Baptiste modèle de vie contemplative et active
  • Cahiers d'Alzon, XI, pp. 158-177.
  • CZ 95, pp. 48-53 (Cop. dactyl. des notes de Soeur M.-Antoinette d'Altenheim).
Informations détaillées
  • 1 AME EPOUSE DE JESUS CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANNONCIATION
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 AUSTERITE
    1 BAPTEME
    1 BAPTEME DE JESUS-CHRIST
    1 BAVARDAGES
    1 CHARITE APOSTOLIQUE
    1 CIEL
    1 CONFESSEUR
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
    1 DETACHEMENT
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ENFANCE DE JESUS-CHRIST
    1 ESPRIT DE L'EDUCATION
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FOI
    1 FORMATION DES AMES DES ELEVES
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 HYPOCRISIE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST EPOUX DE L'AME
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JUIFS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORGUEIL
    1 PAIX INTERIEURE DE L'APOTRE
    1 PATIENCE
    1 RECHERCHE DE DIEU
    1 REFORME DU COEUR
    1 SACERDOCE DE JESUS-CHRIST
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SERVICE DU ROYAUME
    1 SIMPLICITE
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SUPERIEURE
    1 TEMOIN
    1 TIEDEUR
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VIE ACTIVE
    1 VIE CONTEMPLATIVE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE RECUEILLEMENT
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VISITATION DE MARIE
    1 VOCATION
    1 VOIE UNITIVE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 ALTENHEIM, MARIE-ANTOINETTE D'
    2 ELIE, PROPHETE
    2 ELISABETH, SAINTE
    2 GABRIEL, SAINT
    2 HERODE ANTIPAS
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    2 SAMSON, BIBLE
    2 ZACHARIE
  • Religieuses de l'Assomption
  • RA
  • Du 17 au 23 août 1861
  • AUG 1861
  • Auteuil
La lettre

« Parmi les enfants des femmes il n’en a pas surgi de plus grand que Jean-Baptiste(1). »

Saint Jean-Baptiste modèle de vie contemplative et de vie active.

Je me sens sollicité de vous présenter quelques considérations sur un homme que tous les religieux qui mènent une vie contemplative ont pris pour modèle, et qui peut également servir de modèle à la vie active, puisqu’il est dit de lui qu’il marchait devant le Seigneur « avec l’esprit et la puissance d’Elie(2) ». En général, nous ne réfléchissons pas assez sur la manière dont saint Jean a reçu les influences du Sauveur, sur la manière dont il les a reçues pour lui et dont il les a communiquées aux autres.

L’annonciation du Précurseur du Christ souverain Prêtre.

Dans l’Ancien Testament nous avons de très rares récits de la naissance des grands serviteurs de Dieu: Moïse… Samson… Par quelle disposition du Saint-Esprit, dans le Nouveau Testament, les détails de l’Annonciation par laquelle fut préparée la naissance du Sauveur, se trouvent-ils précédés des détails de l’Annonciation par laquelle fut préparée la naissance de saint Jean-Baptiste?

Un ange est envoyé à Marie et à Zacharie, avec cette différence que pour l’un, c’est dans un moment solennel. L’ange fait pour Zacharie ce qu’il lui était impossible de faire pour Marie: les femmes n’entraient pas dans le Saint des Saints. Le grand-prêtre n’y entrait qu’une fois par an pour accomplir des fonctions qui représentaient la réconciliation entre Dieu et son peuple. Il devait y entrer avec les mains teintes de sang; saint Paul a soin de nous montrer Jésus-Christ souverain pontife: « Le Christ, lui, survenu comme grand-prêtre des biens à venir… entra une fois pour toutes dans le sanctuaire non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux mais avec son propre sang(3). » Jésus-Christ seul étant le véritable prêtre, il convenait que le lieu même où était sensée s’accomplir la consommation de la loi ancienne, fût marqué par un signe extérieur: ce signe est l’envoi de l’ambassadeur de Dieu qui annonçait que les temps étaient accomplis, que le précurseur du Messie allait naître. Ce qui ne s’est pas fait pour le Messie, Marie n’y avait pas droit, s’est fait pour Zacharie.

But de la vie du Précurseur et sa sanctification précoce.

L’ange annonce ce que sera cet enfant: « Lui-même le précédera avec l’esprit et la puissance d’Elie, pour ramener le coeur des pères vers leurs enfants et les rebelles à la sagesse des justes préparant au Seigneur un peuple bien disposé(4). » Avant donc d’examiner la solitude dans laquelle saint Jean-Baptiste s’enfoncera, considérons le but de sa vie. Sur trente et quelques années, il en passera vingt au désert; et puis, pendant quelques jours, il protestera contre les crimes d’Hérode, contre l’hypocrisie des Pharisiens, contre les vexations dont les soldats accablaient le peuple; mais surtout, sa grande mission sera de marcher dans l’esprit d’Elie, de préparer un peuple parfait au Seigneur. C’est là votre mission; la mission de filles qui se consacrent à l’éducation…

Voilà donc saint Jean-Baptiste qui est revêtu de l’esprit d’Elie. Il est annoncé, déjà Elisabeth le porte dans son sein, car l’ange le dit à Marie. Marie s’en va en toute hâte visiter Elisabeth qui s’écrie: « Dès l’instant où ta salutation a frappé mes oreilles l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein(5). » Et, vous le savez, c’est la tradition de l’Eglise, saint Jean fut sanctifié par le Saint-Esprit dès ce moment; Notre-Seigneur le dispose lui-même à lui préparer un peuple parfait. Il n’est pas né, et déjà il est sanctifié; sa vocation est marquée, il appartient pour toujours à son Dieu. En présence de ce mystère, je vous dis: Etes-vous sanctifiées? Le Saint-Esprit a-t-il agi en vous? Avez-vous comme Jean compris le bonheur du service de Dieu? Avez-vous compris le bonheur de votre vocation? Etes-vous dans la disposition de préparer à Dieu un peuple parfait?

La Religieuse apostolique doit « préparer les âmes au Seigneur » d’après la méthode du Précurseur.

Vous me direz: comment puis-je préparer un peuple parfait? Comment? Ce que l’ange Gabriel annonçait à Zacharie devait s’accomplir pendant trente années de solitude, sous l’action de l’Esprit qui sanctifiait Jean. Prenez la résolution de vous cacher dans la solitude et là « de préparer un peuple parfait au Seigneur ». Quels sont les sentiments avec lesquels vous préparerez au Seigneur un peuple parfait? Ecoutez ce qui est dit de l’enfance de Jean: « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu précéderas le Seigneur pour lui préparer les voies(6). »

1° par la vie intérieure.

Qu’est-ce que vous êtes? Vous n’êtes pas un grand personnage, vous êtes une jeune religieuse, pleine de bonnes dispositions… je puis vous dire: « et vous enfant »… vous n’êtes pas grand-chose. Saint Jean-Baptiste non plus, quelques jours après sa naissance, et Notre-Seigneur l’appelle le prophète du Très-Haut. Quel sera le peuple parfait que vous préparerez au Seigneur? Toutes les petites âmes qui vous sont confiées, toutes les saintes dispositions que vous pouvez faire croître en elles, les vocations que vous pouvez préparer; vous pouvez au moins en faire de bonnes mères de famille. Mais, il faut pour cela « marcher devant la face de Dieu ». Dans les oeuvres extérieures, il faut toujours marcher devant la face de Dieu. Vous ne pensiez pas tous les jours en récitant le Benedictus que ces paroles vous étaient adressées à vous-mêmes? Tout prêtre doit se rappeler en récitant son Office que ce qui est dit de Jean-Baptiste, l’Eglise le lui dit à lui, et elle le dit aussi à vous, qui êtes appelées à la vie apostolique: « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut. » Quelle dignité, quelle magnificence! Etre appelé le prophète du Très-Haut! pour donner à son peuple la science du salut(7) ».

2° par l’étude de la science de Dieu.

Vous enseignez l’histoire, la géographie, l’arithmétique, les sciences naturelles, la littérature, la religion, mais avant tout vous devez enseigner « la science du salut ». Et voyez-vous combien il est nécessaire pour vous d’acquérir la science de Dieu, science ou nécessité qui se présente sous un double point de vue: pour vous et pour les autres? Saint Jean-Baptiste fut instruit par son père; Zacharie était prêtre, il possédait sans doute quelque science, mais cette science n’était rien en comparaison de la science intérieure communiquée à son fils dans les longues veilles du désert, dans la vie effrayante d’austérités qu’il mena pendant un certain temps: « Pour donner à son peuple la science du salut par la rémission de ses péchés(8). » Saint Jean-Baptiste n’avait pas le pouvoir de remettre les péchés; il y a ce rapport de plus entre lui et la religieuse qu’entre le prêtre et lui… Le prêtre, en vertu du pouvoir de Notre-Seigneur donne la rémission des péchés. Aussi, saint Jean-Baptiste a-t-il soin de dire qu’il baptise seulement dans l’eau; c’est une cérémonie figurative qui n’efface pas directement le péché, c’est une préparation. Et, de même, vous préparerez les voies du Seigneur, par ces entretiens surnaturels que vous aurez avec les enfants… pourvu que dans ces instructions, vous marchiez dans l’esprit de saint Jean-Baptiste, « avec l’esprit d’Elie ».

3° avec l’esprit d’Elie.

Vous êtes-vous rendu compte de cet amour ardent pour la gloire de Dieu qui faisait sécher Elie quand il voyait les péchés de son peuple, qui le faisait fuir au désert pour prier pour son peuple, qui lui faisait demander à Dieu une sécheresse de trois ans et ensuite la pluie…

Cherchez-vous les occasions de procurer la gloire de Dieu dans cette vertu, avec cette énergie d’Elie? dans cet esprit de Jean qu’il manifesta après la solitude du désert. Avec quelle disposition sortez-vous de votre méditation pour aller aux enfants? dans quelle mesure êtes-vous dépouillées de vous-mêmes et revêtues de l’esprit de Dieu, de la vertu d’Elie? pour « préparer au Seigneur un peuple parfait »? Etes-vous dans une disposition d’un tel oubli de vous-mêmes, de vos succès, du mépris de votre amour-propre, de votre susceptibilité… de tout ce cortège de passions qui environne même le coeur d’une religieuse? Etes-vous dans la résolution de marcher dans la force sainte et divine, ayant renouvelé votre coeur afin d’en imprimer les traits dans l’âme des enfants, parce que ce seront les traits du divin Sauveur. Le prophète n’est rien que le héraut; il marche devant, il indique que le Très-Haut arrive.

Vous, religieuses consacrées à l’éducation, consacrées à procurer le salut des âmes, vous êtes destinées à continuer cette vie des prophètes: « Et toi, petit enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut. » Vous êtes destinées à préparer les voies de Dieu, vous ouvrez les chemins et Dieu va passer en triomphe à travers ces chemins pour aller à cette âme qu’il veut convertir. Vous avez à votre disposition la puissance miséricordieuse de Dieu: « Par la miséricordieuse tendresse de notre Dieu, qui nous amènera d’en haut la visite du Soleil levant. » Voilà comment par vous se manifestera le Soleil de justice. Ces enfants viennent recevoir une éducation chrétienne sans doute, mais vous devez les élever plus haut, vous devez les élever vers Celui qui se lève pour les éclairer… Voilà quelque chose de ce que vous avez à faire dans votre vocation… l’esprit de Jean et d’Elie, voilà votre esprit propre.

L’apostolat doit chercher sa fécondité dans la vie intérieure.

Saint Jean-Baptiste se renferme dans la solitude: essayez de vous rendre compte de cette vie solitaire et pénitente… il faut de la prudence, sans doute. Mais où est votre amour du silence, de la solitude, de la séparation, du retranchement des créatures, pour vivre seule avec Dieu, vous entretenant avec Dieu?…

Quand on prend les choses de ce côté, quelle est la grandeur de la vocation d’une âme qui se voue au salut des âmes! Mais où suis-je? me direz-vous? Vous êtes, ma fille, entre Dieu et les âmes, en ce monde où il y a des êtres créés à l’image de Dieu et vos Soeurs que vous devez sanctifier un jour. Sortez de vous. Pour que vous puissiez faire entendre la voix de Dieu, il faut qu’elle ait déjà retenti dans votre coeur. Cette voix ne se fait entendre que dans la solitude, enfoncez-vous-y, mettez-vous à la disposition de Dieu, ne cherchez qu’une seule chose: Dieu. Alors, revenez vers les enfants; vous serez cette voix du désert qui retentira dans les villes… Il y a différentes espèces de voix. Lorsqu’on n’est qu’une voix et qu’on ne parle que pour parler… on n’est qu’une voix et une cymbale retentissante. Lorsqu’on est la voix qui crie dans le désert comme Jean-Baptiste, « la voix de Dieu qui fracasse les cèdres »; lorsqu’on est cette voix qui renverse par son zèle, qui embrase par ses flammes, on est une voix retentissante sous l’action de Dieu. On est quelque chose. La voix de saint Jean-Baptiste s’élevait contre les Pharisiens, contre Hérode, surtout contre les Pharisiens.

Qu’êtes-vous donc? Une voix. Vous devez être la voix qui dit: Jésus est là, « aplanissez ses sentiers(9) ». Tous vos efforts doivent tendre à préparer le règne de Dieu dans les âmes. Voilà des âmes pénibles, désagréables: « tout ravin sera comblé , toute montagne ou colline sera abaissée(10) ». Il faut qu’en tout et partout vous ayez une très unique préoccupation: préparer le règne de Dieu… alors, toute préoccupation d’amour-propre disparaîtra devant la cause de Dieu, cette cause si grande! Voilà votre but, votre mission. Voilà pourquoi après vous être retirées dans la solitude avec Jean, vous en sortirez pour faire du bien aux enfants. Si on vous laisse plus longtemps au désert, vous y vivrez dans le recueillement… si on vous en retire, vous serez « La voix qui crie dans le désert ».

S’exercer avec l’esprit d’Elie.

Voyez avec quelle ardeur vous embrasserez cette cause; quelle ardeur que l’ardeur d’Elie! Parmi les trois personnages de l’Ancien Testament, j’ai une grande tendresse pour Elie. Vous n’avez pas étudié son caractère? cette foi ardente, cette horreur du mal, cette haine non du pécheur mais du péché, ces soulèvements, cette irritation profonde qui ébranlait Elie contre Israël prévariquant et faisait descendre le feu du ciel…

Que c’est magnifique! voilà pourquoi le plus grand éloge qu’on pouvait faire de saint Jean-Baptiste, éloge qui est sorti, du reste, de la bouche de Dieu, c’est qu’il marchait dans l’esprit et dans la vertu d’Elie! Elie ne serait pas bon au XIXe siècle où il faut faire tant de concessions… et Notre-Seigneur n’était pas disposé à en faire, des concessions… Ayons cet esprit d’Elie, quand ce ne serait que pour faire contraste avec cette platitude qui nous entoure. Ayons le courage de prendre en main la cause de Dieu… dans l’esprit d’Elie et de Jean… car enfin, c’est aussi l’esprit de Jean… Hérode avait commis un crime, un adultère et Jean a le courage de lui dire qu’il est un monstre… On lui tranche la tête, mais n’importe!… sa mission est accomplie. Saint Jean-Baptiste, le plus grand des enfants des hommes, ne vit que 30 ans, 32 ans et sa mission est accomplie! Il s’était élevé contre les abominations du peuple de Dieu, il avait annoncé celui qui devait venir. A son approche, voici la notion qu’il donne de lui: « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde(11). » Etudiez cette belle mission, laissant de côté les grandes fureurs des prophètes, voyez comment saint Jean-Baptiste montre l’Agneau de Dieu. Voilà une pauvre enfant qui vient à vous, incertaine sur ce que Dieu demande d’elle, d’autres qui ont des idées fausses de la piété, du christianisme… Vous pouvez leur montrer l’Agneau de Dieu, dussiez-vous en souffrir quelque chose… et vous en souffrirez quelquefois… vous devez les conduire à celui qui après avoir été leur Sauveur sera dans certaines circonstances, leur Epoux ou au moins leur modèle dans la vie du monde. « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. »

Il faut accepter la privation de consolations sensibles.

Je vous demande ce qui s’est passé dans l’âme de Jean, lorsqu’il vit le Sauveur? Il le sentit étant encore dans le sein de sa mère et Jésus dans le sein de Marie, et il tressaillit… Il ne l’avait pas rencontré depuis lors, comme le prouvent ces paroles: « Et moi, je ne le connaissais pas(12). » Il était son précurseur, il devait le montrer du doigt, lui préparer les chemins, clore l’Ancien Testament, il était le dernier des prophètes, et il ne connaissait pas Jésus. Il y a là un grand enseignement pour nous. Quand même vous n’auriez pas de ces communications intimes que votre titre d’épouse vous donne quelque droit d’attendre, ne vous plaignez pas… souvenez-vous des trente années que Jean passa sans voir Jésus… et Jésus-Christ était à quelques lieues de lui, sans que jamais il soit venu le trouver. (Je sais bien qu’il y a des gravures qui représentent Jean jouant avec l’Enfant-Jésus, tout cela, c’est la fiction.) Quoique vous soyez une grande sainte, que vous viviez près de Jésus comme Jean-Baptiste, qui était dans le même pays puisqu’il prêchait à peu de distance, vous ne verrez pas toujours Jésus… Pourquoi Notre-Seigneur ne s’est-il pas manifesté? C’est un grand mystère. Notre-Seigneur a voulu nous apprendre que le témoignage de la foi était plus précieux que le témoignage des sens. Saint Jean-Baptiste est chargé de montrer Jésus, et il ne le connaît pas… Il est très bon que Jésus se cache de vous: l’effort de votre foi sera plus énergique. Pour vous qui êtes appelées à une vie intérieure, vous figurez-vous quel supplice ce dut être pour Jean… Selon la tradition, Jean fut élevé dans le désert. Vers l’âge de 7 ans, de 12 ans selon d’autres, sa mère le conduit au désert pour qu’il y mène une vie solitaire et pénitente, suivant sa vocation extraordinaire. Il est donc resté là dix-huit ans ou vingt-trois ans, priant et menant une vie austère, et Jésus n’est jamais venu le trouver! Quelle dureté! mais aussi, quelle perfection que cette patience de Jean sachant que Jésus était là, il ne se plaint pas…

Privation de direction spirituelle.

Ici, permettez-moi de faire une application. Avis aux personnes qui se plaignent de ce qu’on ne les dirige pas toutes les fois qu’elles le voudraient; de ce qu’elles n’ont pas leur confesseur ou leur Supérieure dans la poche pour répondre à leurs questions: qu’elles considèrent cette patience admirable de Jean. Si quelqu’un devait être le directeur de Jean… et à 12 ans, il pouvait vouloir être dirigé… ce devait être Jésus, le docteur des docteurs… point du tout. Sans doute, Jean avait reçu des grâces particulières, mais enfin… Jean, à 12 ans, est le modèle du religieux qui se forme. Vous serez patientes désormais, dans certaines attentes… vous pratiquerez la foi, l’obéissance, la soumission. Il faut que vous acceptiez le secours quand Dieu vous le présente, et que vous soyez prêtes à le laisser tomber quand il ne vous est pas accordé. Vous éviterez certains empressements où il se mêle de temps en temps quelque chose d’humain.

Exercer l’apostolat en toute simplicité et grande humilité.

Mais, voici le moment de la manifestation venu: Jean a le bonheur de voir Jésus… c’est Jean qui accomplit le plus haut ministère et Jésus le plus humble… Tu viens vers moi, dit Jean et Jésus lui répond: « Laisse faire pour l’instant; c’est ainsi qu’il convient d’accomplir toute justice(13). » Il y a là un grand enseignement pour la religieuse qui veut dans ses relations, toujours se faire remarquer par ses hautes vertus, par ses belles dispositions… Saint Jean est le plus grand des enfants des hommes, mais Notre-Seigneur qui s’est appelé le fils de l’homme est plus grand certainement… il se soumet… et dans l’application: remarquez que ce ne sont pas toujours les plus saintes auxquelles on accorde la plus grande confiance… c’est une consolation quand on se sent froissé parce qu’on nous a préféré une autre Soeur.

Notre-Seigneur vient vers saint Jean pour être baptisé par lui, saint Jean le reconnaît, le Saint-Esprit le lui révèle… il est tenté de tomber à ses pieds… aux pieds de celui « dont je ne suis pas digne d’enlever les chaussures(14) ». C’est celui-là qu’il consent à baptiser. Sans doute, il lui dit: je devrais être baptisé par vous et vous venez vers moi… et puis, quelle simplicité! Jésus lui dit: « Laisse faire pour l’instant: c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » Grand mystère, grand exemple d’humilité. Baptise-moi en toute simplicité, tu feras pour moi ce que je devrais faire pour toi. Jean ne se plaint point. Il a parlé, il a dit ce qui était suffisant pour montrer ce qu’était Jésus, ce qui lui a été révélé divinement. Il le sent, et il obéit… il a le courage de se montrer supérieur à Jésus. La plénitude de la justice se trouve là, dans la plénitude de l’humilité du divin Sauveur envers saint Jean. Saint Jean a entendu la voix du ciel, il a vu le Saint-Esprit descendre sur Jésus.

Notre-Seigneur paraît inférieur, lui qui était le supérieur, et Jean qui était l’inférieur, paraît le supérieur, cela avec un sentiment de paix, de charité, d’obéissance.

On trouve la force dans l’humilité, soit qu’on soit au-dessus et qu’on s’abaisse, soit qu’on soit au-dessous et qu’on remplisse les fonctions de Supérieur: « c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice ». Où est la justice? à faire la volonté de Jésus, à reconnaître qu’on n’est rien, qu’on n’est pas digne de dénouer les cordons de ses souliers et à marcher. C’est ainsi que s’accomplissent silencieusement les grands mystères dans l’Eglise de Dieu. C’est ainsi qu’il faut que vous vous conduisiez, soit envers les Soeurs, soit envers les élèves. Dans certaines circonstances, vous trouverez une enfant supérieure à vous… vous resterez supérieure envers elle, parce que c’est votre place; vous ne témoignerez pas votre admiration pour cette enfant, pour ne pas enfler son orgueil… n’y faites pas attention… Quand Notre-Seigneur se manifeste à Jean, les disciples de Jean vont vers Jésus-Christ… Jean est abandonné… c’est une chose très pénible… On fait du bien… et le Bon Dieu conduit une jeune fille au couvent… elle est d’abord postulante, elle a des moyens, de l’esprit… puis elle devient professe, elle est employée aux classes et fixe l’attention des élèves, on vous abandonne…; si vous êtes très humble, vous serez très aise; si vous n’êtes pas très humble, il se passera quelque chose en vous… « Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse(15). » On fait attention à cette Soeur; voilà une enfant que j’aimais tant, qui épanchait son coeur dans le mien… Ah! mon Dieu! il faut que je consente à la confier à une autre… Voilà la vie; que de chagrins!… Saint Jean-Baptiste les a éprouvés pas la miséricorde de notre divin Maître. Notre-Seigneur a bien été abandonné, lui aussi. * »Voulez-vous partir, vous aussi(16)? » Partez… voilà comment Notre-Seigneur répond à ses disciples. Saint Jean-Baptiste répond autrement; mais, ce n’était pas tout à fait la même chose. Quand on quittait Jésus, on ne pouvait aller à personne… Ce serait souvent le meilleur procédé de parler de la sorte.

Courir le péril de l’insuccès.

Admirons ces dispositions parfaites de Jean, cette préoccupation de la gloire de Jésus qui devait être exaltée par lui. Il va accomplir son ministère du côté d’Hérode; il saura sa mission, ce qu’elle est, il s’y expose. Elle lui coûtera la vie, il la donnera. C’est quelque chose de beau qu’une religieuse sentant que ses efforts seront vains et n’en poursuivant pas moins sa mission au péril non de sa vie, (je ne vous crois pas appelées au martyre), mais au péril de l’insuccès. Admirez la paix pleine de force, pleine d’amour de Jean. Il a en horreur le mal, il a la haine du péché. Sachant qu’Hérode ne serait pas converti, que lui, Jean serait en ce sens la voix qui crie dans le désert et qui n’est point écoutée, il fera retentir sa voix, tout de même. Il est nécessaire d’avoir le courage de parler, alors que souvent nous savons que nous ne serons pas écoutés. Il y a des cas où la charité veut que nous nous taisions; mais, lorsque l’impulsion de l’obéissance y est, ayons le courage de parler, de résister… la mort dût-elle s’ensuivre… il faut rendre témoignage à la vérité, à la justice. Votre vocation ne vous élève pas si haut; mais une âme qui aime la justice, la vérité, doit être dans cette disposition. Etant dans cette disposition intérieure, si Dieu ne vous demande pas l’acte, vous y trouverez la force et l’énergie pour combattre le mal.

Saint Jean-Baptiste, dont la vie a grandi parallèlement à celle de Jésus, que Jésus a appelé le plus grand des enfants des hommes, qui a été sanctifié par la visite de Jésus, doit servir de modèle à l’âme qui veut mener une vie parallèle à celle de Jésus, et grandir avec lui soit dans sa vie solitaire, soit dans sa vie publique.

Mon Dieu, faites-moi la grâce de marcher sur les traces de saint Jean-Baptiste, dans l’esprit de foi, de force, de solitude, de pureté, d’amour; que je cherche de loin à vous ressembler. Il y a différentes mesures sans doute, mais que je sois prophète pour parler de vous comme votre prophète, que je me réjouisse de votre gloire, que je me tienne dans l’humilité envers vous, soit que j’aie des succès comme saint Jean-Baptiste obligé de baptiser Notre-Seigneur, soit que je m’abaisse comme Notre-Seigneur… Que j’aie le courage de protester… que dans mon âme, au fond de mon coeur, je sois préoccupée, comme saint Jean-Baptiste, des intérêts de Jésus, de le faire connaître aux hommes afin qu’après avoir ainsi préparé votre royaume dans les âmes, je sois introduite dans votre royaume éternel, Seigneur. Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum
1. Matth., XI, 11.
2. Luc, I, 14.
3. Hébr., IX, 11.
4. Luc, I, 17.
5. Luc, I, 44.
6. Luc, I, 76.
7. Luc, I, 77.
8. Luc, I, 77.
9. Luc, III, 4.
10. Luc, III, 5.
11. Jean, I, 29.
12. Jean, I, 33.
13. Matth. III, 14.
14. Matth., III, 11.
15. Jean, III, 30.
16. Joan., VI, 68.