- Aux Religieuses de l'Assomption
- Retraite prêchée par le P. d'Alzon aux Religieuses de l'Assomption d'Auteuil du 17 au 23 août 1860
Second jour - Deuxième instruction - Lutte contre soi-même: corps, imagination, caractère, *le moi* - Ecrits Spirituels, pp. 1142-1147
- DA 8 (notes de Sr M.-Antoinette d'Altenheim), pp. 39-48.
- 1 AMOUR FRATERNEL
1 AMOUR-PROPRE
1 AUSTERITE
1 DROITS DE DIEU
1 ENERGIE
1 ESPERANCE
1 GOURMANDISE
1 LUTTE CONTRE LE CORPS
1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
1 MORTIFICATION CORPORELLE
1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
1 REFORME DE LA VOLONTE
1 REFORME DU CARACTERE
1 SANTE
1 UNION A JESUS-CHRIST
1 VERTU D'OBEISSANCE
1 VOEU D'OBEISSANCE
2 AGGEE
2 CHARLES-QUINT
2 ISAIE, PROPHETE
2 JEAN DE LA CROIX, SAINT
2 PASCAL, BLAISE
2 PAUL, SAINT
2 PHILIPPE NERI, SAINT
2 THERESE, SAINTE - Religieuses de l'Assomption
- RA
- 18 août 1860
- 18 AUG 1860
- Auteuil
Militia est vita hominis super terram.
Mes chères filles,
Continuons l’examen des gens contre lesquels nous avons à lutter. Nous allons parler du sujet multiple qui est l’homme. Vous avez à lutter contre vous-même.
1° Contre votre corps. Bien que saint Paul dise: « Nous n’avons pas seulement à lutter contre la chair et le sang », cependant nous avons à lutter contre la chair et le sang, contre cette « chère guenille » comme l’appelaient les femmes savantes. Il faut nous rendre compte de l’empire que le corps cherche à prendre. C’est une mauvaise voiture qui nous verse à gauche, quand nous voulons éviter d’être versés à droite. Si nous ne nous soignons pas, nous sommes malades: nous voilà bien avancés. Si nous nous soignons trop, voilà le corps qui se révolte: nous sommes gourmands, paresseux, etc. Nous avons à lutter contre la gourmandise, c’est très honteux à dire.
Moi, à six ans, j’étais déjà gourmand. Je faisais lever ma bonne à minuit pour me chercher du bouilli froid. Les gens les plus intelligents ont cette misère ou toute autre. Nous trouvons mille et un prétextes pour soigner notre corps. Nous l’aimons. Une religieuse n’a qu’à obéir. Mais voilà cependant un embarras qui se présente. Présenterai-je simplement mon état à ma supérieure où me réfugierai-je dans des détours pour obtenir ce que je désire? Et que fait-on de cette parole de saint Paul: Qui sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis? (Gal. V, 24).
Il faut qu’il y ait un crucifiement. Votre corps est-il crucifié? Le crucifiement ne se trouve pas toujours dans l’austérité, pas pour tous. Je connais une dame qui me parlait du plaisir qu’elle éprouvait à prendre la discipline. Il ne faut pas d’excès. Il peut y avoir bien des luttes à livrer pour faire durer le crucifiement plus longtemps. Vous désirez briser vos liens, vous dites: Cupio dissolvi, et esse cum Christo (Phil., I, 23); et encore: Quis me liberabit a morte corporis hujus? (Rom., VII, 24). Pas toujours: quelque sainte que vous soyez. J’ai vu des gens qui s’étaient abîmé la santé par suite d’imprudences et qui avaient peur de paraître devant Dieu, précisément à cause de cela. Si on y trouve une trop grande satisfaction, c’est une illusion de plus, un jeu du diable. L’obéissance est le remède à cela.
2° Lutte contre l’imagination. Vous avez de l’imagination. Quelle est la fille qui n’en a pas? En lisant saint Philippe Néri, j’ai eu le désir d’être élevé de terre. Cela ne vous est-il jamais arrivé? Lui s’y était préparé en faisant quarante heures de suite d’oraison et en restant trois jours sans manger. Toutefois si nous n’aspirons pas à l’imiter, nous arrangeons un ordre de choses auquel nos supérieurs ne comprennent rien – ils sont grossiers -, nous avons besoin de consulter des docteurs en Israël. Dans le cloître j’ai vu des âmes contemplatives avoir des croix, des tourments là où il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Ce n’est pas tant votre fait; c’est, je crois, le propre de ceux qui vivent dans la solitude. Non pas que si le bon Dieu nous appelle à la vie intérieure et aux saintes horreurs de la contemplation, suivant l’expression de saint Jean de la Croix, ce ne soit tout autre chose que les souffrances imaginaires.
Sainte Thérèse fait observer qu’elle avait guéri certaines Carmélites de maux affreux spirituels en leur faisant donner un bon dîner. L’amour-propre trouve son compte dans ces souffrances. Je serai une religieuse comme une autre, moi qui voulais être une religieuse extraordinaire. La lutte contre l’imaginaton devrait se dissiper par un souffle d’obéissance ou tout au moins de raison.
3° Lutte contre la volonté. On m’a accusé, dans un séminaire où je prêchais, de vouloir enlever la première peau de mes auditeurs. Eh bien, ce n’est pas la première peau que je voudrais ici vous enlever, mais le dessous de la peau. La volonté est tellement en nous, pas seulement à l’extérieur! Les tristesses, les susceptibilités, etc. viennent de la volonté. Vous voudriez commander, avoir de l’influence, qu’on s’occupât de vous. Une personne qui n’a pas donné toute sa volonté fera son oraison, ses communions, etc., et elle sera triste. Pourquoi cela? On ne fait pas sa volonté.
« Notre Mère n’a pas le sens commun. » – La Soeur en a plus qu’elle, bien entendu. – « Telle enfant aime une religieuse plus que moi. Et cette idée de sainteté dont je voudrais être environnée et qui ferait qu’on suivrait mes conseils. – On n’a pas égard à cette sagesse qui m’assiste. – Il ne s’agit pas de savoir si j’ai de la volonté, mais il s’agit de savoir si ma volonté est bonne et raisonnable; pourquoi ne la suit-on pas? »
Aggée a dit: Vous avez beaucoup semé et très peu récolté… et Isaïe: Ecce in sacrificiis vestris invenitur voluntas vestra (LVIII, 3). Voilà pourquoi le saint voeu d’obéissance est si précieux. Mais la volonté est à la fois mon ennemi le plus cruel et le plus subtil, car il faut avoir de la volonté. Je veux des filles de volonté. Je ne veux pas de ces volontés de papier mâché, va comme je te pousse et encore pas toujours. Soyez fortes par l’obéissance, mes chères filles.
4° Je pourrais ici vous parler de la lutte contre l’intelligence, j’aime mieux prendre la lutte contre le caractère. Vous êtes toutes parfaitement bien élevées, par conséquent on ne rencontre point parmi vous de ces formes désagréables. Notre-Seigneur disait qu’il fallait se défier de certains personnages. Non, je ne citerai pas cette parole. Mais sous ces formes charmantes vous avez votre caractère. Qu’en faites-vous? Il y a le caractère boudeur, le caractère dominant, le caractère dissimulé et habile. Mais ce dernier n’est pas le genre de l’Assomption, grâce à Dieu. S’il en était ainsi, je le regarderais comme une des menaces de la chute de la Congrégation. Quelle est la disposition de votre caractère? Est-ce un caractère jaloux, désagréable à soi, au prochain, toujours triste? La charité supprime cela. Dieu ne veut pas que ses épouses soient jalouses les unes des autres. L’humiliation du coeur, de la volonté, la destruction de l’orgueil de la vie, comme dit saint Jean, corrigeront cette tendance. La jalousie repose sur une exagération de nos droits. Quid habes, quod non accepisti; si autem accepisti, quid gloriaris (I Cor., IV, 7).
Vous savez cette histoire de Charles-Quint. Deux dames se disputaient sur leurs droits. Charles-Quint, ne sachant comment terminer cette question de préséance, dit: « Que la plus folle passe la première ». C’est ordinairement cela.
« Mais, mon Père, ce n’est pas pour moi que je plaide, c’est pour l’honneur de la Congrégation. » Trouvez-moi un saint qui ait parlé ainsi. En attendant je vois telle chose chez vous. Si nous étions détachés de nous-mêmes, nous verrions parmi les raisons qui peuvent troubler notre paix, le sentiment froissé de certains droits méconnus.
La tournure de votre caractère n’est-elle pas telle qu’il donne certains biais à la charité? La charité est droite, et nous, nous avons des précautions, nous formons des jugements. La volonté combinée avec le caractère et l’intelligence amène certains jugements qui ne sont pas tout à fait conformes à celui que Dieu portera un jour.
5° Enfin, lutte contre vous-même prise tout entière. Autrefois le démon prit Notre-Seigneur et le menant sur une haute montagne, il lui dit: Haec omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me (Matth., IV, 9). Il y a une montagne sur laquelle le démon nous conduit et là il nous dit: « Adore-toi toi-même ». Nous nous laissons prendre au biais. Le moi est haïssable, dit Pascal: Port-Royal et les Jésuites ont de longues tirades là-dessus. Allons au fond et nous y trouverons l’adoration de nous-même.
Qu’est-ce que l’adoration? La reconnaissance du souverain domaine de Dieu sur toutes les créatures. – Rapporter tout à Dieu. – Quelle est la chose que nous ne rapportons pas à nous-même? Nous ne voulons pas, je sais bien, gouverner Jupiter ou Uranus, mais dans notre sphère. Vous combattez, il est vrai, mais si vous lâchez les rênes, ne revenez-vous pas à ce sentiment d’adoration? S’il n’en est pas ainsi, pourquoi sommes-nous si susceptibles, si peu obéissants? Je suis exagéré! Peut-être, mais quant à moi, je suis convaincu de cette vérité.
Si vous examinez bien, vous verrez certaines petites choses dans lesquelles vous rapportez tout à vous. Il faut que cette tendance soit l’objet d’une lutte acharnée, il faut que vous sentiez cette nécessité de lutter contre vous-même. Voulez-vous, pendant cette retraite, prendre la résolution de combattre comme un bon soldat? Labora sicut bonus miles Christi Jesu (II Tim., II, 3). Je vous invite au combat et à la victoire par la grâce de Notre-Seigneur. Si vous ne voulez pas embrasser ces deux luttes extérieure et intérieure, pourquoi portez-vous le saint habit religieux? Il faut vous anéantir, vous attacher à Notre-Seigneur avant toute chose, mettre votre confiance en lui, selon la parole du psalmiste: ponere in Deo spem meam.
Je ne veux pas vous décourager, je vous prêche l’espérance, afin que sortant de vous, vous vous jetiez entre les bras de Dieu et que vous disiez avec le psalmiste: Mihi adhaerere Deo, bonum est (Ps. LXXII, 28); Seigneur, sauvez-moi de mes ennemis spirituels, spiritus nequitiae, mais surtout de moi-même. Par la grâce de Notre-Seigneur vous triompherez de tous ces ennemis, vous serez victorieuses de la lutte que vous avez à livrer contre la chair et le sang, contre votre volonté, votre imagination, votre caractère, contre vous-mêmes, et vous serez couronnées dans le ciel. Ainsi soit-il.