- TD50.349
- Instructions sur les Actes des Apôtres d'après les notes du P. Favatier.
- Vingtième instruction. [Autres missions de saint Paul, Actes XVIII-XIX]
- Cahiers d'Alzon, XIII, pp.239-248.
- Orig.ms. des notes du P. Favatier BR2, pp. 150-156; T.D. 50, pp. 349-355.
- 1 APOSTOLAT
1 APPARITIONS DE JESUS-CHRIST
1 AVARICE
1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
1 CHATIMENT DU PECHE
1 COMMERCE
1 CONVERSIONS
1 DESINTERESSEMENT DE L'APOTRE
1 DEVOIRS DE CHRETIENS
1 ENERGIE
1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
1 EPREUVES
1 EVEQUE
1 GENEROSITE DE L'APOTRE
1 HERESIE
1 HUMILITE
1 INDEPENDANCE CATHOLIQUE
1 INDUSTRIE
1 JUIFS
1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
1 LUXURE
1 PAGANISME
1 PAUVRE
1 PERSECUTIONS
1 PREDICATIONS DE CAREME
1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
1 PROVIDENCE
1 REVOLUTION ADVERSAIRE
1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
1 TRAITRES
1 TRAVAIL MANUEL
1 VERTU DE CHASTETE
1 VERTU DE PAUVRETE
1 VERTUS DE L'APOTRE
1 VOCATION SACERDOTALE
1 ZELE APOSTOLIQUE
2 CLAUDE, EMPEREUR
2 DEMETRIUS
2 FAVATIER, PAUL
2 GALLION, PROCONSUL
2 JUDAS
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 PAUL, SAINT
2 PIERRE, SAINT
2 SENEQUE LE PHILOSOPHE
3 ASIE
3 ATHENES
3 CORINTHE
3 EPHESE
3 JERUSALEM
3 ROME - Elèves du collège de Nîmes.
- Vendredi 27 mars 1868.
Le sujet que j’entreprends est un peu vaste aujourd’hui, car je me propose de voir trois chapitres. Je voudrais finir, d’ici à mercredi, le travail sur les Actes des Apôtres et réserver au moins 2 instructions, celles de vendredi et de samedi, pour des sujets qui se rapportent plus spécialement au temps de pénitence que nous traversons et aux grandes fêtes de Pâques qui vont arriver. C’est pourquoi nous laisserons de côté plusieurs questions qui auraient présenté pourtant quelque intérêt; telles que la question des mauvais livres, de l’instruction et de l’autorité de l’épiscopat, etc. etc…
Pour aujourd’hui, nous avons à étudier une question très importante, le désintéressement dans l’apostolat, désintéressement dont St Paul nous offre un si admirable exemple. Aussitôt après avoir quitté Athènes, l’Apôtre se rend à Corinthe. Corinthe était la ville la plus débauchée du monde ancien. Il semblait que St Paul n’eut pas à s’occuper de délivrer de la fange ignoble où elle croupissait cette ville de plaisirs et d’impuretés, mais Notre-Seigneur lui apparut cependant pendant la nuit et lui dit de ne pas se décourager, de parler parce qu’il avait dans cette ville un grand peuple. Cela prouve, mes chers enfaqnts, que lorsque certaines personnes dont on désire la conversion ne sont pas aussi édifiantes qu’on le voudrait à l’approche du temps pascal, il ne faut point pour cela désespérer. Saint Paul a mis, il est vrai, dix-huit mois à évangéliser la ville de Corinthe, mais aussi il a opéré de très grandes, de très nombreuses conversions. Quant à vous, vous n’avez à travailler peut-être qu’à la conversion de deux ou trois personnes, et ce sera bien assez si vous réussissez à gagner ces âmes à Dieu.
Saint Paul, à son arrivée à Corinthe, y rencontre d’autres Juifs qui avaient été chassés de Rome par l’édit de Claude. Ces gens-là fabriquaient des tentes, et St Paul se joignit à eux et partagea leur travail, car c’était chez les Juifs un usage passé à l’état de loi que ceux qui étudiaient les lettres sacrées, travaillassent en même temps à quelque métier manuel. Ce serait une très grave question à examiner que celle de savoir pourquoi Dieu permet qu’un homme aussi occupé que l’était S. Paul travaillât de ses mains. On peut cependant observer que S. Paul ne travaillait pas probablement du matin au soir, et que, tout en travaillant, il pouvait répondre à ceux qui venaient le consulter. Nous voyons aussi dans ce fait l’obligation du travail pénible imposé à tout homme comme punition du péché. M. de Lamennais, cet homme qui pour avoir mal fini n’en était pas moins un grand esprit, dit un jour, en se frappant le front: « C’est surtout des auteurs qu’il a été dit: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. »
Mais ce qu’il faut surtout admirer dans st Paul, c’est l’énergie. C’était un homme, si j’ose dire ainsi, qui savait se retourner; il nous donne un exemple de quelqu’un qui sait faire plusieurs choses à la fois. En outre, l’Apôtre prêchait l’Evangile dans la ville la plus corrompue du vieux monde; il voulait montrer la guérison de la corruption dans le travail. Les hommes laborieux ont, en effet, dans le travail, un châtiment contre le péché et, en même temps, un préservatif contre le péché. Au-delà de toute raison, se trouvait donc pour St Paul la nécessité du travail comme gardien de cette chasteté qu’il venait prêcher aux courtisanes de Corinthe, et, comme soeur de cette même chasteté, il apportait la pauvreté dans le travail. Aussi Dieu lui apparaît-il pour l’engager à continuer son oeuvre. Il faut qu’il vienne purifier par le travail cette terre souillée de tant d’ignominies, il faut qu’il y immplante la fleur de chasteté environnée, en quelque sorte, des épines fécondes de la pauvreté et du travail. Enfin, un autre avantage de cette conduite de l’Apôtre, c’est qu’elle assurait ainsi son indépendance: en travaillant, il n’avait rien à demander à personne.
Si, parmi vous, il s’en trouve qui aient la vocation de se donner à Dieu, qu’ils me permettent de leur faire une petite révélation. C’est que, si les projets de la Révolution se réalisent, le budget ecclésiastique sera supprimé et je vous déclare qu’à un certain point de vue je n’en serai pas fâché, parce qu’alors il sera nécessaire qu’il y ait des gens qui passent une partie de leurs nuits dans le travail des mains et qu’avec plus de désintéressement le clergé y gagnera une plus grande indépendance. C’est là une question très grave que celle qui traite de l’existence matérielle du clergé, et elle sera certainement débattue dans le futur concile.
Quant à St Paul, il travaille avec ardeur et le luxe de Corinthe ne lui fait pas dire qu’il peut bien faire comme tant d’autres et ne pas prendre tant de peine; mais il va toujours dans un esprit profond de pauvreté et de travail. Les Juifs ne purent supporter ce spectacle, qui était un reproche et, se soulevant contre l’Apôtre, le firent paraître devant le tribunal de Gallion, frère de Sénèque. Mais Gallion, homme pacifique, ne voulut pas s’occuper de ces questions de mots, comme il les appelait.
De Corinthe, donc, St Paul arriva en Ephèse. Il y avait, en cette ville, un temple fameux, le temple de Diane, une des sept merveilles du monde. Mais il y avait, dans cette ville, un certain Démétrius, orfèvre qui faisait en argent de petites reproductions du temple de Diane, et cette industrie lui rapportait quelque chose. Mais voici que St Paul vient prêcher Jésus-Christ et, par suite, vient annoncer que Diane n’est pas une déesse. C’était la ruine du commerce de Démétrius et de ses ouvriers; aussi, rassemblant ces derniers, Démétrius leur dit: « Vous savez tous les bénéfices que nous retirons de notre métier et, d’un autre côté, vous voyez que, non seulement à Ephèse, mais dans toute l’Asie, Paul détourne les foules du service des dieux en disant qu’ils ne sauraient être dieux ceux qui sont l’ouvrage de nos mains. Vous comprenez tout le tort que cela va faire à notre industrie, etc… »
Ces paroles de Démétrius eurent l’effet qu’il en devait attendre: les ouvriers, transportés de colère, soulevèrent toute la ville contre l’Apôtre. Rien n’est plus épouvantable pour attaquer les intérêts religieux que certains intérêts industriels. St Paul courait le risque d’être mis à mort par la populace en courroux, mais, averti par quelques-uns de ses amis les Asiarques, il s’en alla au plus vite.
Pour une question d’industrie, le christianisme fut donc, en ce moment-là, ébranlé à Ephèse; et il arrive souvent pareil malheur. Il y a sans doute deux espèces d’industrie, l’industrie considérée en elle-même, qui s’était persuadée, dans un temps, que le protestantisme est plus favorable au développement de l’industrie que le catholicisme; ce qui est faux de tout point. Mais ce n’est pas à cette industrie que je fais allusion; je parle surtout en ce moment de l’industrie pieuse. Que le bon Dieu nous en débarrasse! Il y a sans doute quelque chose de permis là-dedans, et quelque chose presque nécessaire; mais les abus sont une chose terrible. Comme catholiques, vous aurez un jour des devoirs à remplir; mais souvenez-vous bien de mes paroles. Si vous vous trouvez jamais en face de ce que j’appelle l’industrie religieuse, ayez le courage de St Paul et protestez comme lui contre tout ce qui vous paraîtrait contraire à la loi de Dieu.
St Paul ne quitta pas cependant Ephèse pour toujours; il y revint un peu plus tard et il rassembla non seulement tous les fidèles mais tous les prêtres et les évêques de cette ville et leur dit ces admirables paroles: « Vous savez quelle a été ma conduite depuis le jour où j’ai mis le pied en Asie jusqu’à aujourd’hui, servant le Seigneur en toute humilité et avec larmes, exposé sans cesse aux tentations que me faisaient subir les trahisons des Juifs. » (Voyez, mes chers enfants, on n’est jamais trahi que par les siens). St Paul annonce ensuite qu’il doit se rendre à Jérusalem, où il ne sait ce qui lui arrivera, mais le St Esprit lui promet que dans toutes les villes il doit s’attendre aux chaînes et aux tribulations. Mais, dit-il, je ne redoute aucune de ces afflictions et je ne mets pas ma vie au-dessus de moi-même, nec facio animam meam pretiosiorem quam me; parole vraiment sublime et qui ne pouvait retentir que dans l’éloquence apostolique.
Tout ce que je désire, ajoute l’Apôtre, c’est d’achever ma course et le ministère de la parole, dummodo consummem cursum meum, et ministerium verbi. Il leur déclare ensuite qu’ils ne verront plus sa face, non videbitis amplius faciem meam; cependant St Paul retourna six ans plus tard à Ephèse. Veillez donc, dit-il aux évêques, sur tout le troupeau dont le St Esprit vous a confié la charge. C’est là une magnifique déposition que l’Apôtre fait devant ces évêques. C’est le Saint Esprit qui vous a faits évêques. Mais voici une révélation terrible: Ego scio quoniam intrabunt post discessionem meam lupi rapaces in vos, non parcentes gregi. Je sais qu’après mon départ des loups ravisseurs s’introduiront parmi vous et maltraiteront le troupeau. Je sais qu’il y aura non seulement des chrétiens, non seulement des prêtres, mais des évêques qui prévariqueront.
Et cependant, ces évêques, ce sont les apôtres qui les choisirent. C’est là un des mystères de la Providence divine, qui permet ce malheur épouvantable que des ministres indignes gouvernent les fidèles. Jésus-Christ lui-même n’avait-il pas choisi Judas aussi bien que les autres apôtres: Nonne duodecim vos elegi, et unus ex vobis diabolus est. Ainsi St Paul le déclare formellement: Je sais que d’entre vous il s’élèvera des gens qui répandront des doctrines corrompues et ces gens-là auront des disciples, feront de nombreuses victimes. Enfin, arrivent ces belles paroles: Argentum et aurum, aut vestem nullius concupivi, sicut ipsi scitis: quoniam ad ea quae mihi opus erant et his qui mecum sunt, ministraverunt manus istae. Ainsi, St Paul ne travaillait pas seulement pour lui, mais encore pour les autres; il était même allé jusqu’à faire des quêtes pour ces Juifs qui devaient le traiter si indignement. Mais l’Apôtre ne s’arrêtait pas à ces détails et il ne songeait qu’à être fidèle aux recommandations de St Pierre et des autres Apôtres, qui, en l’envoyant, lui avait dit de se souvenir des pauvres: ut memor essem pauperum. Ainsi St Paul était non seulement désintéressé, mais généreux envers les autres, il allait porter lui-même ses quêtes à Jérusalem, pour subvenir à leurs besoins. Il ne reculait devant rien; ce qui lui importait, c’était d’accomplir sa course, dummodo consummem cursum meum.
Ce que vous avez de mieux à faire, mes chers enfants, c’est de ressembler à St Paul, sinon dans votre carrière apostolique, du moins dans votre carrière catholique. Tâchez de bien accomplir votre course, c’est-à-dire cette vie du temps qui n’a de prix qu’à condition d’être le vestibule de la vie éternelle. Soyez généreux, toujours prêts à donner et que votre devise soit celle que St Paul empruntait à Notre-Seigneur lui-même: Beatius est dare quam accipere. Enfin, ayez comme St Paul, un grand amour pour la chasteté, car ce que l’on cherche surtout dans cette soif de l’or, c’est un moyen d’éteindre la soif non moins ardente des plaisirs. C’est à vous, chrétiens tant de fois purifiés par le sang de Jésus-Christ, c’est à vous qu’il appartient de vous élever au-dessus de toutes ces abominations et de toutes ces hontes, en aimant la pauvreté et, s’il le faut, en la pratiquant avec courage et énergie.
Quand vous aurez pris ces saines et fécondes habitudes du travail, vous y trouverez la souplesse de l’esprit que l’oisiveté engourdit nécessairement, vous y trouverez cette sainte indépendance, cette dignité chrétienne qui donnait à l’Apôtre tant de majesté en présence de ses accusateurs et de ses juges. Alors, vous pourrez dire au monde: je n’ai pas besoin de toi et je puis suffire à tous mes besoins. Vous verrez, enfin, ce que c’est que la notion chrétienne du devoir, jusqu’à ce qu’il vous soit permis de vous reposer dans les tabernacles éternels. Ainsi soit-il.