OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|INSTRUCTIONS DU SAMEDI|TROISIEME SERIE
  • INSTRUCTIONS SUR LES ACTES DES APOTRES
    XI
    [LES DIACRES. MARTYRE DE SAINT ETIENNE. ACTES, VI ET VII.]
  • Les Instructions du Samedi. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932, p. 257-267.
  • BR 2-3
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOTRES
    1 DIACONAT
    1 INTOLERANCE
    1 JUIFS
    1 MARTYRS
    1 PERSECUTIONS
    1 TOLERANCE
    2 ABRAHAM
    2 DAVID, BIBLE
    2 ETIENNE, SAINT
    2 GAMALIEL
    2 JEAN-BAPTISTE, SAINT
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 LEVI
    2 MOISE
    2 PIERRE, SAINT
    3 CONSTANTINOPLE
  • Collégiens de Nîmes
  • 14 mars. 1868
  • Nîmes
La lettre

Mes chers enfants,

On ne trouve pas toujours la joie au service de Dieu, et on a toujours quelque persécution à souffrir quand on veut se montrer énergiquement chrétien. Outre la persécution que font à l’Eglise ses ennemis naturels, il en est une autre bien plus désagréable, bien plus terrible: c’est la persécution qui se fait au sein même de l’Eglise de Dieu par ses propres enfants.

Si l’Eglise avait pris de grands accroissements, les chrétiens n’en étaient pas pour cela plus à l’aise, car, ainsi qu’on le chante dans la nuit de Noël, Dieu, en multipliant les fidèles, n’a pas rendu plus féconde la source de notre joie: multiplicasti gentem, et non magnificasti loetitiam. (Is. IX, 3.) Or, en ce temps-là, dit le texte sacré, comme le nombre des disciples augmentait, il s’éleva un murmure de la part des hellénisants contre les Hébreux: ils prétendaient que leurs veuves étaient méprisées dans la distribution de chaque jour. Voilà donc le trouble qui se met dans la première oeuvre de miséricorde, et, en général, dans toutes les bonnes oeuvres on trouve un principe d’amour-propre.

Ce sentiment ne cesse de gâter les meilleures choses. Qu’y avait-il, en effet, de meilleur que cette communauté de biens, que ce sentiment généreux qui poussait les premiers chrétiens, sinon tous, à apporter aux pieds des apôtres toutes leurs richesses? Qu’y avait-il de meilleur que cette distribution de secours? Eh bien! l’esprit d’amour-propre vient gâter tous ces précieux éléments. Dans cette dispensation de secours, je vois la première Conférence de Saint-Vincent de Paul, et remarquez comme dès le début elle excite les récriminations et la fureur des méchants. Nous le verrons tout à l’heure, le premier président de la première Conférence de Saint-Vincent de Paul, saint Etienne, sera lapidé.

En attendant, que répond saint Pierre aux plaintes des hellénisants? « Qu’il n’est pas juste que les apôtres abandonnent la parole de Dieu pour fournir la nourriture des chrétiens: Non est aequun nos derelinquere verbum Dei, et ministrare mensis; » et plus bas: « Nos autem orationi et ministerio verbi instantes erimus: Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. » La prière et la prédication, telles doivent être les occupations des apôtres.

Quelle sera la détermination de saint Pierre et des autres apôtres? « Cherchez donc parmi vous, mes frères, sept hommes auxquels tous rendent bon témoignage, qui soient remplis du Saint-Esprit et de sagesse, pour que nous puissions leur confier le soin de cette oeuvre. » Ainsi furent élus sept diacres dont les noms sont cités dans les Actes des Apôtres. On a discuté vivement pour savoir si ces sept diacres étaient un ordre sacré; les protestants le nient, et, de fait, ils ont eux-mêmes des diacres, qui sont de très honnêtes personnes sans doute, mais n’ont aucun rapport avec les diacres établis par les apôtres.

Le premier de ces sept diacres était saint Etienne. Il se distinguait par une grande charité; il était l’homme des bonnes oeuvres. « Il était, disent les Actes, plein de grâce et de force, faisait des prodiges et de grands miracles en présence du peuple: Stephanus autem plenus gratia et fortitudine, faciebat prodigia et signa magna in populo. » Ainsi, il donnait au peuple l’aumône qui nourrit le corps, mais il n’oubliait pas non plus de leur distribuer la nourriture de l’âme, car, comme le dit le cardinal Gousset, s’il est bon de distribuer aux pauvres l’aumône matérielle, il faut à bien plus forte raison leur distribuer l’aumône spirituelle, la plus nécessaire, la plus indispensable.

Saint Etienne était donc un homme plein de l’esprit de Dieu; il avait été avec saint Paul disciple de Gamaliel, le plus fameux docteur de la loi qui fût alors. Chargé avec les autres diacres du soin des pauvres, il administra bien toutes choses.

Il y eut, cependant, des membres de la Synagogue qui voulurent discuter avec Etienne, et qui, dit le texte, « ne pouvaient résister à la sagesse et au Saint-Esprit qui parlait par sa bouche: et non poterant resistere sapientiae et Spiritui qui loquebatur. » Voilà donc déjà la tribu de Lévi qui se tournait du côté de Dieu, mais non pas toute, comme l’a prétendu saint Chrysostome, et sur ce point tous les commentateurs se sont déclarés contre le grand évêque de Constantinople. Tous ne se convertirent point, mais il s’en convertit un grand nombre.

Alors on aposta des hommes qui disaient avoir entendu Etienne blasphémer contre Moïse et contre Dieu. Ceux qui agissaient ainsi étaient des Juifs, mécontents qu’on prêchât quelque chose qui s’éloignait de la rigueur du pharisaïsme, jaloux aussi de saint Etienne à cause du bien qu’il opérait. Remarquez-le encore, ce qui se passe aujourd’hui se trouve dans les Actes des Apôtres. Toute l’histoire des bonnes oeuvres est là, dans ce livre inspiré. On peut y étudier l’esprit humain dans sa haine contre l’Eglise, et même dans ses misères au sein de l’Eglise. Mais c’est à vous aussi d’étudier ce livre pour y découvrir de nouveaux points de vue; ils sont si nombreux que je ne puis vous faire remarquer tous ceux qui se présentent.

Ces Juifs ameutèrent donc le peuple, les sénateurs, les scribes contre saint Etienne, et courant sur lui, ils l’enlevèrent et l’amenèrent dans le Conseil, « et statuerunt falsos testes, et ils firent paraître de faux témoins. » Voilà bien, mes chers enfants, le caractère des ennemis du bien; ils ont toujours à leur service la calomnie et le mensonge. Ils jouent toujours quelque mauvais tour, parce que ces enfants de ténèbres ont plus de prudence et de ruse que les enfants de lumière.

Que reprochent à saint Etienne ces faux témoins? D’avoir dit: « Que ce Jésus de Nazareth viendra détruire ce Temple et changer les traditions que nous avons reçues de Moïse: Quoniam Jesus Nazareth hic, destruet locum istum, et mutabit traditiones quas tradidit nobis Moyses. » Quel crime à cela? On pouvait bien prévoir, aux agitations qui existaient alors, la catastrophe qui entraînerait la destruction du Temple et la ruine de Jérusalem. D’ailleurs ne pourrait-on pas dire, tout en retirant ce que cette parole pourrait renfermer de blasphème à l’égard de Notre-Seigneur, ne pourrait-on pas dire que la faute en était surtout à Jésus-Christ lui-même qui avait prédit la ruine de Jérusalem? Dès lors saint Etienne ne faisait que répéter ses paroles et n’était pas l’auteur d’une pareille prédiction. Mais Jésus-Christ avait prédit le renversement du Temple, et tout devait s’accomplir. S’il est des circonstances où Dieu permet que l’Eglise soit persécutée pour l’expiation des péchés des fidèles, il est aussi des moments où il venge le sang des saints: vindica sanguinem sanctorum tuorum, et où il relève cette même Eglise en écrasant ses persécuteurs et ses bourreaux.

Alors, dit le texte, tous ceux qui siégeaient dans le conseil fixèrent les yeux sur Etienne. « et sa figure parut celle d’un ange: et viderunt faciem eius tanquam faciem angeli. » Les commentateurs disent que Dieu donna en ce moment à saint Etienne une certaine majesté semblable à celle des anges. Interrogé par le prince des prêtres sur ce dont on l’accusait, Etienne fit un long discours dont je ne puis vous donner que le résumé.

Dans ce discours il montre que Abraham, Moïse et David sont pour lui; qu’il suivait par conséquent les traditions de ses Pères et des patriarches. Puis, s’adressant aux Juifs, il leur dit: « Dura cervice, et incircumcisis cordibus et auribus, vos semper Spiritui Sancto resistitis; sicut patres vestri, ita et vos. O hommes à la tête dure, incirconcis de coeur et d’oreilles, vous ne cessez de résister à l’Esprit-Saint; comme ont fait vos pères, ainsi vous agissez vous-mêmes. » Voilà certes de quoi surprendre les gens tolérants, à la parole, mielleuse. Quoi! C’est saint Etienne, l’homme le plus charitable de la nouvelle Eglise, celui que les apôtres avaient choisi entre tous pour les oeuvres de charité, c’est ce même homme qui traite si sévèrement les Juifs, au péril de la vie! En ce moment, saint Etienne ne se préoccupait pas de sa vie: il fallait avant tout venger les droits de Dieu. A ces paroles les Juifs entrèrent dans une grande fureur, et cela se conçoit aisément.

Mais il reste à savoir dans quelles circonstances il faut tenir ce langage. Une chose parfaitement indubitable, c’est qu’avec le système de tolérance, de conciliation, d’accommodements, système si préconisé aujourd’hui, le christianisme n’aurait jamais pu s’établir. Où sont maintenant les bourreaux de saint Etienne? Ce dernier, au contraire, a conquis une gloire immense, précisément parce qu’il a eu le courage d’être la première victime de la haine des ennemis de Jésus-Christ. Aujourd’hui, dans toute l’Eglise, on célèbre les louanges de ce premier martyr de notre religion. Rien de beau, rien de grand comme le courage apostolique, comme l’énergie du missionnaire! Quand vous aurez cette fermeté de saint Etienne, alors vous donnerez aux pauvres que vous irez visiter quelque chose de mieux qu’un bon de pain ou de viande: vous leur donnerez l’aumône spirituelle, vous aurez le courage de leur parler de Dieu, de leur rappeler leurs devoirs.

La fureur des Juifs ne causa aucune émotion au saint diacre, car il était rempli de l’Esprit-Saint. Ici se place une des plus belles scènes qu’on puisse voir, et ce triple sentiment qui est dans le coeur du martyr, sentiment d’humilité, d’énergie et d’amour, resplendit d’une manière toute particulière. Les Juifs, furieux d’entendre dire à saint Etienne qu’il voyait les cieux ouverts et Jésus à la droite de son Père, se précipitèrent sur lui et l’entraînèrent hors de la ville pour le lapider.

Saint Etienne se contentait de faire à Dieu cette prière: « Domine Jesu, suscipe spiritum meum, Seigneur Jésus, recevez mon esprit, » et dans ces paroles éclate le sentiment de l’humilité. Le sentiment d’énergie est attesté par la cause même de sa mort. Enfin, le sentiment d’amour se révèle dans cette prière: « Domine, ne statuas illis hoc peccatum, Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. » Sentiment d’humilité quand il faut se présenter devant son Dieu, d’énergie quand il s’agit de souffrir pour une sainte cause, enfin d’amour envers ceux qui le font souffrir.

Parmi ces derniers, se trouvait un jeune homme qui avait connu saint Etienne, qui avait suivi les écoles avec lui. A lui seul il travaillait autant que les autres à la mort de saint Etienne, il gardait les manteaux de ceux qui le lapidaient. Mais voyez ce que peut faire le pardon des injures. Comme on l’a fait remarquer, si saint Jean-Baptiste avait dit aux pharisiens et aux sadducéens: « Race de vipères, ne savez-vous pas que Dieu peut faire naître de ces pierres des fils à Abraham? Quoniam potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahae? » (Matth. III, 9), l’on peut dire aussi que les pierres qui lapidaient saint Etienne servirent à faire de Saul un véritable fils d’Abraham.

On sait qu’après la mort de saint Etienne il y eut une persécution où périrent 2 000 chrétiens. Or, à la tête de la persécution se trouvait ce même Saul qui pourtant sera plus tard saint Paul, car saint Etienne a prié pour lui et plus tard la grâce victorieuse de Jésus-Christ viendra s’abattre sur ce farouche persécuteur. Voyez cependant ce qui serait arrivé si le martyr, au lieu de prier pour ses bourreaux, les avait maudits. C’est là une grande leçon pour les supérieurs de collège, car, s’il y a des gens qu’il faut entièrement abandonner, il en est d’autres dont il ne faut pas désespérer parce que ce sont des gens de coeur, pleins d’énergie et de générosité. Tel était Saul, nature ardente et généreuse; on pouvait compter sur lui pour le moment où Dieu aurait parlé à son coeur; et cependant, il était encore persécuteur et consentait à la mort de saint Etienne: Saulus autem erat consentiens neci ejus.

Voyez, mes chers enfants, combien les voies de Dieu sont admirables, combien il faut être miséricordieux pour ceux qui nous persécutent, et comment, tout en affirmant courageusement la doctrine de Jésus-Christ, il faut en même temps témoigner une grande indulgence envers les coupables. Peut-être cet homme se convertira-t-il dans quelques jours, et une trop grande sévérité pourrait le précipiter dans l’abîme: « Neque viae vestrae viae meae, dicit Dominus: vos voies ne sont pas mes voies, dit le Seigneur. » (Is. LV, 8.) Qui eût pu prévoir un si grand changement dans Saul? Saint Etienne dut jeter sur ce fougueux persécuteur un regard de pitié, et faire en secret pour lui une prière ardente.

Le chapitre que nous commentons avait commencé par une petite dissension dans l’Eglise de Dieu: il se termine par la mort de saint Etienne. Il en sera toujours ainsi: quand il s’élève quelque désordre dans son Eglise, Dieu envoie des persécuteurs qui viennent l’épurer dans le sang. Quant à son triomphe définitif, l’Eglise ne doit pas en attendre ici-bas; mais combattons avec énergie et persévérance et nous assisterons à son triomphe éternel dans le ciel.

Ainsi soit-il.

Notes et post-scriptum