OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L’ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.

Informations générales
  • OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|CONFERENCES AUX RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION, NIMES, 1870-1871.
  • TRENTE-CINQUIEME CONFERENCE DONNEE LE 23 JANVIER 1871
    DE LA CHARITE
  • DA 45; CN 6; CN 7; CV 33.
Informations détaillées
  • 1 AME
    1 AMOUR DU PAPE
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 AUGUSTIN
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CORDIALITE
    1 CORPS
    1 CORRECTION FRATERNELLE
    1 DESSEIN DE SALUT DE DIEU
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 EVEQUE
    1 JOIE
    1 MISERICORDE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PECHEUR
    1 PREDESTINATION
    1 QUATRIEME VOEU DES ASSOMPTIADES
    1 RELATIONS ENTRE RELIGIEUX
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SALUT DES AMES
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 MILLERET, MARIE-EUGENIE
  • Religieuses de l'Assomption
  • 23 janvier 1871
  • Nîmes
La lettre

Plan de l’Auteur.

Objet de la charité. -Le premier but de la charité, son objet, c’est Dieu et le prochain pour l’amour de Dieu: Diliges amicum tuum sicut teipsum.

De l’amour de notre corps.

Amour des pécheurs.

Propre des Assomptiades.

Aimer ses ennemis.

Ordre de la charité. -Il faut qu’il y ait un ordre. Dieu avant tout. Perfection dans cet amour.

L’homme doit s’aimer plus que le prochain.

Lire q.26, art. IV.

De la direction. -Lire q. 27, art.3.

Causa diligendi Deum. Deus est modus. Sine modo diligere. S.Aug.

Joie.

Paix.

Miséricorde.

Correction fraternelle.

Texte stenographié de la conférence.

Nous abordons aujourd’hui les dernières questions que St Thomas consacre à la Charité, et nous parlerons de l’objet de la Charité, de l’ordre de la Charité et des conséquences de la Charité, passant rapidement sur toutes ces questions.

Quant à l’objet de la Charité, nous n’avons qu’a répéter cette parole du nouveau Testament: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces et ton prochain comme toi-même ». Mais alors se présente une nouvelle question: Il y a donc deux objets de la Charité, Dieu et le prochain? Ici, mes Soeurs, je tiens à développer devant vous un enseignement philosophique qui répondre à notre question et en même temps vous guidera dans une foule d’autres circonstances; je veux dire, le principe de causalité. Il faut remonter aux causes premières et pour qu’il y ait de l’ordre, à une cause unique. Si il y a deux causes, le désordre s’en suit; le principe de l’ordre est dans l’unité. Donc pour établir la vertu de Charité dans l’ordre, il faut remonter à une cause unique qui est Dieu. Dieu donc est l’unique objet de notre amour et nous n’aimons le prochain qu’à cause de Dieu. Voilà donc l’ordre établi; l’acte par lequel nous aimons Dieu est spécifiquement le même par lequel nous aimons le prochain. Dieu est la raison formelle de notre amour pour le prochain; et une vertu qui embrasse un nombre quelconque d’objets demeure toujours une du moment où elle n’embrasse ces objets divers que sous une même raison formelle. Ici, l’objet formel est un; vous voyez la nécessité de procéder toujours avec unité, La Charité, la plus parfaite de toutes les vertus a un objet unique qui est Dieu; tous les autres objets qui s’y rapportent sont secondaires. De ce principe nous allons établir l’ordre de la Charité.

Dieu unique objet de la charité et auquel tous les autres se rapportent, nous-même, le prochain puis notre corps. Nous devons nous aimer plus que le prochain, c’est à dire aimer notre âme parce que le terme de notre amour étant la béatitude, il est juste que nous la souhaitions à notre âme avant de la souhaiter à celle du prochain; St Thomas dit aussi que la charité étant une amitié et l’amitié impliquant l’union, plus l’union sera étroite, plus l’amour sera grand; or l’unité qui existe de l’individu à lui-même est quelque chose de plus que l’union la plus étroite qu’il peut avoir avec un autre, et la charité qu’il se portera à lui-même devra être quelque chose de plus aussi, et l’homme doit s’aimer soi-même, càd sa nature spirituelle, après Dieu plus que tout autre. L’homme aime Dieu comme le principe du bien sur lequel est fondé l’amour de la Charité, il s’aime lui-même parce qu’il participe à ce même bien et il aime le prochain parce qu’il est associé à cette participation. Or la participation de l’homme au bien divin est un motif qui l’emporte sur celui résultant de son association avec un autre dans la participation du même bien, et la preuve que l’homme doit s’aimer plus que le prochain, c’est qu’il ne doit pas encourir en pêchant un mal spirituel qui est contraire à sa participation à la béatitude pour éviter le péché du prochain. Aussi,nous devons aimer le prochain avant notre corps, parce que l’âme du prochain est quelque chose de plus excellent et que nous devons aimer davantage ce qui offre un motif plus puissant d’être aimé ainsi. Or le motif de l’amour du prochain est qu’il nous est associé dans la participation pleine et directe de la béatitude et ce motif est plus puissant que celui résulte de la participation indirecte à la béatitude sur lequel est fondé l’amour de notre corps; il s’en suit que relativement à son âme, nous devons aimer le prochain plus que notre propre corps. On peut encore dire que le sacrifice de notre corps à l’âme du prochain peut apporter à notre âme des avantages excellents.

Revenons à cette question: L’homme peut-il s’aimer d’un amour de Charité? Oui, il le peut et il le doit. Qu’est ce donc alors que N.S. a signifié par ces paroles: « Qui enim voluerit animam suam salvam facere, perdet illam: nam qui perdiderit animan suam propter me salvam faciet illam » (Luc IX/24)? Nous tombons à une question très grave de la vie intérieure, mes Soeurs. Quand nous poursuivons l’amour de nous-même, l’amour propre, nous faisons bien; nous accomplissons le précepte du Sauveur; nous combattons là l’amour désordonné de nous-mêmes; le péché a exagéré cet amour, il a porté le désordre dans notre coeur. Mais que d’une autre façon, de la bonne façon, nous devions nous aimer, c’est évident. Vous devez désirer le bonheur éternel, le bien suprême, vous devez vous le souhaiter constamment. Cette doctrine de l’Eglise est la condamnation des erreurs de Fénelon qui voulaient que les justes parfaits acceptassent par amour leur damnation éternelle. L’Eglise n’a jamais admis cela; elle enseigne que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Si un homme se perd par le mauvais usage de sa liberté, Dieu ne veut sa condamnation que comme châtiment. Il veut que chacun fasse tout ce qu’il peut pour être sauvé. Dieu peut vouloir que nous soyons damnés quand nous avons commis le péché mortel, mais il ne nous prédestine pas à la damnation, au contraire, il nous veut du bien; donc nous devons nous le vouloir aussi. Dans sa prescience, il peut voir notre infidélité et ses suites, mais nous devons jusqu’à notre dernier soupir désirer être sauvés et tendre vers Dieu de toutes les aspirations de notre âme. Je vous indique là une erreur de Fénelon, erreur très subtile et que l’Eglise a condamnée parce qu’elle pouvait enfanter ce qu’on appelle le panthéisme mystique. Donc l’homme non seulement peut s’aimer d’un amour de Charité, mais encore, il le doit. Je vais plus loin: doit-il aimer son corps? Non dans un sens parce qu’il ne peut pas nous rendre cet amour et la charité implique deux termes, une mutualité d’amitié, -aimer, être aimée -obligation d’une part, devoir de l’autre. (Mais nous verrons plus loin que nous devons l’aimer en vertu de la charité qui nous fait aimer Dieu lui-même.) Arrêtons-nous à cette considération et appliquons là à la vie de Communauté. La charité dit St Thomas doit subsister entre deux personnes qui s’aiment. J’aime Dieu parce qu’il m’aime; le prochain me rend aussi un amour de charité. Je suis obligés d’aimer, mais les autres sont obligés de m’aimer aussi. Voyez donc les conséquences. J’ai l’obligation d’aimer et le droit d’être aimé; dans ce double devoir se trouve la force d’une Congrégation. Mais si j’ai le droit d’être aimée, j’ai aussi le droit d’être supportée (non pas d’être insupportable, mes Soeurs) j’ai aussi le droit d’être édifiée et d’être aimée par ma supérieure qui est obligée de me gronder et qui me témoigne son affection en me reprenant de mes fautes. Ne vous y méprenez pas, mes Soeurs, c’est au nom de l’affection que vous porte votre Supérieure qu’elle est obligée de vous corriger pour votre bonheur. De plus, j’ai le devoir d’édifier le prochain. Je dois être d’un bon exemple, je dois tacher de lui procurer du bien; si je ne l’édifie pas, je ne l’aime pas. Il ne s’agit pas ici de petites manières tendres mais de services réels d’édification donnés au prochain. J’ai le droit d’être aimée, cela veut-il dire que vous avez le droit d’être exigeantes? Oui, mes Soeurs, dans un sens, mais distinguez bien. Il y a des exigences que vous pouvez avoir, des services que vous avez le droit de réclamer. St Alphonse de Liguori, ce saint si consommé qui avait fait le voeux de ne pas perdre un instant son temps, voulut, dans sa dernière maladie que ses religieux placés autour de son lit ne cessent pas de lui parler de Dieu. Une religieuse quand elle souffre à le droit de demander qu’on lui parle de Dieu, sans doute. Cela veut-il dire qu’elle a le droit d’aller trouver sa Supérieure sans lui laisser un instant de repos? Ceci est une autre question, mes Soeurs. Ces grandes lignes du devoir d’aimer, du droit d’être aimé, comme cela va mettre à l’aise les coeurs tendres. Vous avez un droit absolu, usez-en toutes les fois que vos exigences seront dans l’ordre surnaturel, et alors, à bien parler, ce ne seront plus des exigences, ce ne sera plus même une imperfection. Par cet amour réciproque qui devient un devoir, vous aurez le moyen le plus puissant de maintenir la concorde, l’unité dans votre Communauté. « Solliciti servare unitatem Spiritus in vinculo pacis » (Eph. IV/3) L’amour de Charité s’étend-il aux pécheurs? Oui, N.S. a aimé les pécheurs. « Christus dilexit me et tradidit semetipsum pro me » (Gal II/20) Nous devons aimer les pécheurs non pas relativement à leurs fautes, mais quand à leur nature qui les rend capables de la béatitude divine. Les Religieuses appelées à faire le 4e voeux d’étendre le règne de J.C. dans les âmes veulent sans doute l’étendre dans les âmes parfaites,, mais aussi dans les âmes pécheresse; pour cela il faut être préoccupées de ces âmes, il faut prier, faire pénitence, se porter aux oeuvres de zèle selon l’esprit de son institut pour ces âmes. Une religieuse de l’Assomption qui n’aurait pas cet amour des pécheurs, manquerait certainement à l’esprit de sa vocation. -Les pécheurs peuvent-ils s’aimer entre eux d’un amour de charité? Evidemment non. Ils n’ont pas la charité, puisque le péché mortel la détruit et qu’ils ne peuvent espérer la béatitude éternelle. Celui qui aime l’iniquité hait son âme. (Ps X/6)

Nous venons de voir les divers objets de la charité, il faut maintenant examiner dans quel ordre elle les embrasse. St Augustin nous le dit dans l’numération des 4 choses que nous devons aimer. St Thomas: Il y a 4 choses que nous devons aimer, une qui est au-dessus de nous, c’est à dire Dieu; une autre qui est nous-même, une troisième qui est près de nous, le prochain, et une quatrième qui est au-dessous de nous, notre propre corps. Ainsi nous l’avons dit: l’amitié de la Charité est fondée sur la communication de la béatitude. Or il y a dans cette communication un être que l’on considère comme le principe d’où émane la béatitude, c’est-à-dire Dieu; il y en a enfin un troisième auquel la béatitude se communique comme par rejaillissement, c’est le corps humain. L’Etre d’où émane la béatitude, nous devons l’aimer par la seule raison qu’il en est le principe. Quant à celui qui y participe, nous devons l’aimer pour deux raisons: soit parce qu’il ne fait qu’un avec nous mêmes, soit parce qu’il nous est associé dans la participation de la béatitude; ce qui fait 2 choses à aimer par la Charité et c’est ce qu’on trouve dans l’amour de soi et du prochain.

J’arrive maintenant à une question importante qui n’est pas traitée dans St Thomas, mais qui découle de ses enseignements. Vous devez, dit-il, aimer vos père, mère, soeurs selon la nature; mais vous devez toujours préférer Dieu à toutes choses, c’est incontestable; il faut avoir le courage de faire les sacrifices que vous avez faits pour briser les liens de la chair et du sang et arriver à la vie Religieuse. -Mais vous voilà en Communauté, vous formez une famille. Quel est l’ordre dans lequel vous devez vous aimer les unes les autres? Mes Soeurs, ce que je vais vous dire est très grave, et ce n’est qu’après avoir mûrement réfléchit que je vous exprime ma pensée, Il est parfaitement vrai qu’une Supérieure Générale doit être aimée. Je ne veux pas ici faire d’applications personnelles; je laisse de côté tout ce que vous pouvez trouver de bon, d’aimable, qui facilite votre affection, je me place dans l’ordre de la foi, et je ne crains pas de dire que lors même que toutes ces qualités, ces vertus qui attirent seraient transformées en défauts, vous êtes obligées d’aimer votre Supérieure Générale et après le Pape, c’est la personne que vous devez le plus aimer. Ce que je vous prêche-là ce n’est pas de la tendresse, c’est du devoir, et un grand devoir. Votre Supérieure Gle. c’est le centre, qu’elle ait personnellement des défauts, ce n’est pas là une question; je ne prétend pas dire que toutes les Supérieures Générales sont impeccables; je n’examine pas ici non plus quelle doit être la mesure de son autorité. C’est une question décidée par les Constitutions que je ne veux pas aborder. Mais quoi qu’il en soit, elle est le centre, et tous les rayons doivent converger vers le centre; et ce que je veux établir ici, c’est l’obligation stricte, rigoureuse où vous êtes par un principe de foi de prendre votre Supérieure Générale pour centre de la Congrégation et de l’aimer d’un amour qui prime toutes vos autres affections. Tant qu’il n’est pas constaté que votre Supérieure Générale est arrivée à un degré tel qu’elle doit être repoussée du centre (cas qui peut être prévu par les constitutions), vous êtes tenues de vous grouper autour d’elle pour maintenir ce centre, pour établir un principe de vie dans votre Congrégation par l’unité de vues et d’action. Je vous le répète, vous pourrez trouver des imperfections, mais quand une fois vous aurez nommé une Supérieure Générale, une fois que vous l’aurez posée comme le centre de votre Congrégation, vous n’avez qu’une chose à faire, aller en esprit de foi, avec confiance, amour et respect. Quand on a élu une Supérieure Générale, il est à croire qu’on lui a supposé l’esprit de sa Congrégation; et en passant, je dois vous dire que celles appelées à donner leur voix doivent toujours choisir la personne qui possède le plus l’esprit de son Institut, joint à des qualités de prudence et à un talent de gouvernement indispensable à sa charge. Et c’est tout simple, mes Soeurs, c’est la Supérieure Générale qui doit avoir le plus l’esprit de la congrégation parce que c’est à elle que tous les autres membres doivent le demander. Rappelez- vous ceci: c’est toujours au centre, à la source que vous devez remonter dans vos difficultés, vos embarras, c’est là et pas ailleurs que vous devez puiser l’esprit de votre institut, c’est l’autorité première qui doit toujours vous guider. Je parle pour l’avenir, mes Soeurs, car grâce à Dieu, la Congrégation va bien. Mais défiez vous de quiconque vous dirait un jour ou l’autre que l’esprit de la congrégation ne réside pas dans la Supérieure Générale aidée de son conseil et dans les Supérieures particulières qu’elle choisit et nomme, et qu’il se trouve dans telle ou telle Soeur; ah! croyez mois, la première chose à faire pour cette personne, qui comprend si bien les choses, c’est de la prier de passer la porte. Je vous parais dur, mes Soeurs, mais croyez bien que le véritable esprit de charité est un esprit de conservation; et de même qu’il vaut mieux entrer au ciel borgne, boiteux, que de garder un membre sujet de scandale, de même il faut mieux faire certains retranchements que de laisser le corps entier se gangrener. Votre Congrégation est un corps moral, il repoussera d’autant plus vigoureux que vous en aurez coupé les membres mauvais. Je vous dit ces choses avec une profonde conviction. Une Religieuse de l’Assomption, après N.S. et la Ste Vierge, doit aimer le Pape, après le Pape, sa Supérieure Générale. Pourquoi ne vous dis-je pas que vous devez aimer les évêques? Vous êtes catholiques, vous devez de la dépendance, du respect à l’évêque, mais c’est tout. J’établi donc l’ordre de la Charité dans votre famille Religieuse. Votre Mère Générale d’abord, puis vos Supérieures particulières, enfin vous devez vous aimer étonamment les une les autres dans cet ordre, cette harmonie que constitue le droit d’être aimés, le devoir d’aimer. Je dois encore vous dire ceci. Vous êtes obligées de choisir pour votre Supérieure Générale celle d’entre vous qui aura le coeur le plus large. Elle doit imiter sur terre et auprès de vous N.S.J.C. dont le coeur est si large. Si le coeur de votre Supérieure Générale et de vos supérieures particulières doit être large, c’est parce qu’il en faut pour toutes leurs filles, mais aussi il ne faut pas que ma Soeur une telle le veuille tout entier pour elle. Est-ce clair? J’ai le droit d’être aimée, mais non pas d’absorber à mon profit le coeur de ma Supérieure Générale ou de ma Supérieure particulière. Mais, me direz-vous, notre Mère Générale semble s’appuyer plus sur telle Soeur. Il est évident que lorsque votre Mère Générale choisit telle Soeur pour en faire une Supérieure, elle a une certaine confiance en elle. Cette affection qu’elle lui témoigne est comme celle de N.S. vis-à-vis de St Pierre quand il l’établit chef de son Eglise. Est-ce une affection de sentiment? Non, évidemment; c’est une confiance surnaturelle. Elle est obligé d’aimer les âmes et de les confier à celles qu’elle croit les plus capables de les gouverner; elle ne peut pas avoir toutes les âmes entre ses mains; il faut bien qu’elle les confie, et à qui? Heureuses les maisons où il se trouve plusieurs Soeurs qui seraient capables de gouvernement. Cela peut se voir à l’Assomption, ailleurs, c’est rare. On me racontait que chez les Chartreusines, on s’était décidé à élire Supérieure une Soeur aveugle mais qui avait de la tête, tant c’était chose difficile de trouver une femme capable de gouvernement. Il y a donc une affection de confiance, pas de sentiment, qui se manifeste quand la Supérieure Générale dit à une de ses filles: Je ne peux pas porter tout le poids des âmes, je vous charge d’une partie de mon fardeau. Aimera-t-elle pour cela mieux cette Soeur? Oui et non. Oui, de la façon dont N.S. aima St Pierre. Mais quelquefois il arrive que la Supérieure Générale prend pour Supérieure particulière une personne pour qui elle a moins de sympathie mais qu’elle croit plus apte à remplir la charge. Voyez encore: elle fait comme N.S. Naturellement N.S. avait plus de pente pour St Jean et il ne le nomme pas Pape. Je vous demande pardon de cette longue digression qui, je crois, a son utilité et qui du reste ressort de la question que nous étudions dans St Thomas. Revenons-y. Nous passerons les diverses questions que s’adresse le docteur, vous pourrez les lire. Est-il nécessaire que l’amour de Dieu ait un mode? Pour redire la belle expression de St Augustin: « Le mode dans un être quelconque, c’est ce qui est déterminé par la mesure qui lui convient…Le mode d’aimer Dieu, c’est de l’aimer de tout son coeur, c’est-à-dire autant qu’il peut être aimé, ce qui revient au mode qui est propre à la mesure. » A quoi St Bernard ajoute: « Le motif de notre amour envers Dieu, c’est Dieu lui-même, et la manière de l’aimer, c’est de l’aimer sans mesure ». Je laisse ceci à vos méditations et j’arrive aux six conséquences de la Charité posées par St Thomas: Ce sont: la joie, la paix, la bienveillance –beneficentia-, la miséricorde, l’amour, la correction fraternelle, fruits de la Charité. Il y a une chose que j’appellerai douloureuse, c’est l’effort qu’on fait pour aimer quelqu’un qui vous répugne. Cela peut arriver de trouver des Soeurs insupportables. Je suis troublée, je souffre dans mes rapports avec telle Soeur, mais voilà que votre peine va se changer en joie. Si au lieu d’éclater en murmures, vous luttez contre vous-même un ou deux jours, si vous cherchez à apaiser votre coeur dans la méditation et de le ramener doucement vers cette Soeur qui a manqué à votre dignité peut-être même à votre humilité, je vous assure que vous sentirez au fond de l’âme de la joie, et une joie inconcevable qui jaillira de l’effort que vous aurez fait pour pratiquer la Charité. Je vous engage donc de voir comment vous devez chercher la joie de la Charité. -Faites mieux encore; portez la joie autour de vous. Heureuse la communauté, mes Soeurs, où chaque Soeur se proposerait de porter la joie dans l’esprit de J.C., dans la Charité et à plus forte raison la paix. Que de chutes, que d’abus seraient prévenus par là, quelle sainte harmonie règnerait dans le Monastère sous l’action de Dieu! -Les Religieuses dans la voie de la perfection portent toujours avec elles la joie et la paix, car là où il y a la joie il y a aussi la paix. Voyez quelle influence! On a des sujets de dispute, de contestation, et une Religieuse qui a le coeur saintement joyeux met une parole de paix entre les 2 Soeurs qui sont là comme des coqs de combat. Un mot joyeux et pacifiant arrange bien des choses. Et si St Bernard a pu apaiser un schisme en se mettant avec une parole de paix entre le pape et l’antipape, pourquoi sur un théâtre plus obscur une Religieuse ne chercherait- elle pas à calmer bien des irritations, des susceptibilités, en portant la paix et la joie, ces deux fruits de la Charité. Je suis joyeuse, dit-elle, parce que j’aime Dieu de tout mon coeur; parce que j’aime mes Soeurs, je suis préoccupée de leurs avantages et je veux communiquer la joie autour de moi. Gaudium!

Un autre fruit de la Charité, c’est la bénéficence, la générosité dans la largesse, la disposition de faire du bien. Dans un sens matériel, vous ne pouvez pratiquer cette vertu à cause de votre voeu de pauvreté, mais il y a une foule de circonstances dans lesquelles une Religieuse peut être généreuse et large et cela convient tout particulièrement à une Religieuse de l’Assomption. Si on est pauvre, on peut du moins avoir cette largeur qui met le peu qu’on possède au service du prochain. De cette façon et dans une foule de procédés vous pouvez être d’une grande benevolentia.

La Miséricorde! Une Supérieure doit être miséricordieuse puisqu’elle tient la place de Dieu. Mais comme ce doux fruit de la Charité convient surtout à une simple Religieuse! Pourquoi? Parce qu’une Supérieure doit être juste aussi bien que miséricordieuse, elle doit veiller à l’observation des Règles et cela implique parfois une certaine sévérité. Tandis qu’une simple Religieuse n’a que la miséricorde à exercer envers ses Soeurs. « Beati misericordes: quoniam ipsi misericordiam consequentur » (Matth. V,7). Quels services elle peut rendre par là dans une foule de circonstances! Elle atténue les torts, sa charité prend des formes diverses, elle s’assouplit aux diverses natures, aux divers caractères, elle s’oublie constamment elle-même.

Je laisse l’aumône qui ne peut vous occuper particulièrement que vous la forme d’aumône spirituelle, mais nous y reviendrons plus tard et j’aborde une question très importante, la correction fraternelle. Savez-vous mes Soeurs, que selon St Thomas, la correction fraternelle n’est pas seulement un conseil mais un devoir, une obligation rigoureuse, et si elle doit s’exercer dans le monde, à plus forte raison le doit-elle dans un Couvent. Combien de désordres, d’abus seraient supprimés à leur racine si dans un esprit de charité les Soeurs faisaient doucement des observations à leurs Soeurs. Ne dites pas ici: il ne faut pas que me mêle de ce qui ne me regarde pas. Ecoutez si comme nous l’avons dit, vous avez le droit d’être édifiée par vos Soeurs, vous avez aussi le droit de faire remarquer qu’on ne vous édifie pas. Du reste, St Thomas présente la correction fraternelle comme la dernière perfection de la charité? Et, mes Soeurs, il faut bien le dire, ce qui fait souvent que la correction est mal prise, c’est qu’on n’y sent pas l’accent de la charité. St Thomas distingue trois espèces de corrections fraternelles: d’abord des supérieurs vis-à-vis de leurs inférieurs et malheur à la supérieure qui n’exerce pas très exactement ce devoir de charité fraternelle; deuxièment des Soeurs entre Soeurs, enfin des Soeurs envers les supérieures sous trois conditions: qu’il y ait nécessité, qu’elle soit faite avec mesure et respect. Eh oui, mes Soeurs, je maintiens que la correction fraternelle est la pierre de touche de la vraie charité, et la maison où se donne la correction fraternelle sans que celle qui est corrigée le prenne en mauvaise part, serait sans aucun doute la maison où la charité régnerait le plus. De façon que pour arriver à la parfaite charité, je voudrais qu’on s’exerce à pratiquer la correction fraternelle. De St Religieux disent aussi qu’il est bon de faire des corrections à un Saint qui ne le mérite pas pour voir si sa vertu est consommée. Voilà une Soeur très régulière, il n’y a rien à lui reprocher, mais son humilité est-elle aussi évidente? La supérieure enverra une soeur lui faire des observations; si cette soeur, innocente de ce qu’on lui reproche, le prend bien, je n’hésite pas à dire qu’elle est une sainte. Mais si elle pince les lèvres, si son nez s’allonge, ah! il faut dire qu’elle a sans doute de très grandes perfections, mais que sa perfection n’est pas complète. Tout en tenant compte de certains caractères, de certaines humeurs, ce serait un Noviciat excellent celui où la Maîtresse des novices aura le droit de tout dire et de faire donner la correction fraternelle à une novice par une novice, et là où les Soeurs seront réellement heureuses de recevoir des avis de leurs Soeurs et tâcheront d’en profiter, là aussi sera la perfection. Je suppose maintenant que ma Soeur une telle est avertie; elle est reconnaissante, elle remercie sincèrement, mais il reste au fond de son âme un sentiment intime qu’elle n’est pas si coupable qu’on vient de le lui dire. Que faire? Attendre 48 heures, s’examiner devant Dieu, et si la conviction persiste et grandit, allez trouver votre Supérieure, exposez lui franchement le cas et dites lui que vous vous en remettez à son jugement parce qu’elle a grâce et lumière pour connaître votre âme. Je vous indique de petit détail pratique comme un des moyens les plus sûrs pour vous connaître dans l’humilité et vous corriger.

Mes Soeurs, aimez donc la correction fraternelle et croyez que c’est une des choses les plus admirables pour constater l’esprit de charité dans une congrégation. Livrez-vous y avec une grande joie, un grand entrain, un grand zèle, et vous trouverez la paix. C’est cette paix et cette joie que je vous souhaite dans la charité du Saint Esprit. Amen.

Notes et post-scriptum