- OEUVRES SPIRITUELLES EDITEES|MEDITATIONS SUR LA PERFECTION RELIGIEUSE.|II. MEDITATIONS POUR RETRAITES
- LA TIEDEUR
- Méditations sur la perfection religieuse pour les Augustins de l'Assomption. Paris, 1927, II, p. 127-133.
- CO 39
- 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
1 AMOUR DES AISES
1 BIEN SUPREME
1 CONTRITION
1 DEGOUTS
1 EGOISME
1 ESPRIT FAUX
1 HYPOCRISIE
1 IDEES DU MONDE
1 ILLUSIONS
1 INTELLIGENCE
1 LUTTE CONTRE LE MONDE
1 LUTTE CONTRE LE PECHE
1 MAITRISE DE SOI
1 MANQUE DE FOI
1 MORTIFICATION CORPORELLE
1 ORAISON
1 ROUTINE
1 SAINTS DESIRS
1 TIEDEUR
1 VANITE
1 VERTU DE FORCE
2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT - 1875
Maledictus qui facit opus Domini fraudulenter(1). Il est impossible que les âmes les plus ferventes ne soient pas tentées de tiédeur la tiédeur est une disposition si facile à l’âme fatiguée de combattre! Le sommeil est chose si douce! Etudions-en les causes et les remèdes.
I. Causes de la tiédeur.
1° Faiblesse de l’intelligence. -Cette expression étonne; pourtant, rien de plus juste. L’intelligence chrétienne s’affaiblit à certains moments, la nuit se fait, venit nox: on ne peut plus travailler, venit nox quando nemo potest operari(2). On n’y voit plus clair et le mal se fait dans l’engourdissement de la réflexion. On a perdu l’habitude de la méditation – on ne peut se décider à tirer des conséquences, parce qu’on n’a pas eu le courage de poser les prémisses. Les lectures pieuses dégoûtent; si on en fait, les yeux ne tombent sur les pensées les plus sérieuses et les plus fortes qu’avec une soporifique distraction; d’où il résulte que méditations et lectures se réduisent à du temps perdu. Il faut en dire autant des visites au Saint Sacrement. On n’y réfléchit pas, et la conséquence est qu’on se met dans l’impossibilité d’acquérir aucune énergie. Le pire, c’est qu’on ne prend pas la peine d’étudier un état pareil.
Après avoir laissé s’affaisser les idées divines, on se laisse envahir par les idées mondaines; c’est le moment des concessions. Dire que l’on veut étre du monde? Oh! non. Dire que l’on veut être de Dieu? Oui, pourvu que l’on puisse écouter encore certaines idées humaines. Vainement Jésus-Christ dit: « Qui n’est pas pour moi est contre moi »(3); on veut allier les extrêmes. Cela ne m’est-il pas arrivé bien souvent?
Alors arrivent les illusions. Affreux état que celui du religieux dans l’illusion, d’autant plus que, dans le monde, on peut croire à certaines illusions innocentes, parce qu’elles viennent de l’ignorance involontaire; mais, dans le cloître, ah! qu’il est difficile de croire à la sincérité de l’âme dans l’illusion! Peu a peu, le jugement tout entier se fausse, et alors, quel remède, puisque le point de départ a été la résolution de ne pas comprendre, de peur d’être obligé de bien faire(4)? Quel moment précieux pour Satan, qui attend que les ténèbres s’épaississent pour saisir sa proie sans être vu! Mais il n’en est pas moins assuré que la tiédeur est inexcusable, parce que l’on a voulu au commencement fuir la lumière et que l’intelligence s’est volontairement faussée.
2° Faiblesse du coeur. -L’on s’est dégoûté de Dieu, parce qu’on n’a pas voulu avoir le courage de l’aimer de toutes les forces de l’être. Et pourquoi? Parce qu’on voulait en même temps aimer autre chose. La vie doit avoir un mobile, et si ce mobile n’est pas Dieu, c’est nous. Or, nous pensons à nous, nous sommes préoccupés de nous, et la ferveur à accomplir nos devoirs envers Dieu diminue d’autant. Triste situation que celle-là, où l’on ne sait ce que l’on aime de soi, du monde ou de Dieu! Ah! qu’il est facile de comprendre que Dieu se retire et ne veuille pas d,un amour pareil! Mais, quand Dieu s’est retiré, que reste-t-il?
Il reste des vertus endormies. Où est l’esprit de foi qui nous fait voir Dieu en toutes choses? Où est le sentiment vigoureux, énergique, des grandes vérités sur lesquelles reposent mes relations surnaturelles? Où est cette espérance du ciel, qui donne le mépris des choses créées, inspire les plus généreux sacrifices, tous les dépouillements de la générosité chrétienne, place tous nos désirs dans le sein de Dieu, ne comptant que sur Jésus-Christ et ses mérites? Où est la part de la charité, cette soif de Dieu pour lui-même, pour sa perfection, sa bonté, sa beauté infinie? Où est cette disposition à aimer les créatures uniquement pour le Créateur? Tout cela est effacé, les vertus dorment.
Qu’on ne parle pas du remords possible, la léthargie l’a gagné; qui le réveillera? On est tiède dans la vertu, on est insensible au remords. Que de religieux en sont là! On appelle cela la routine. Extérieurement, ils ont encore une certaine exactitude, mais quel esprit les anime?
Non, la vie se retire sous le poids d’un sommeil coupable. Et comment alors se convertir? Rien de plus difficile que la conversion de l’âme tiède.
II. Remèdes à la tiédeur.
Je les emprunte à saint Grégoire, Pape. Ce grand Docteur veut nous montrer le chrétien agissant avec force, et il ajoute: Iustorum fortitudo est carnem vincere(5).
La première condition pour sortir de la tiédeur et reconquérir la force nécessaire pour revenir à Dieu, consiste à dompter sa chair: Carnem vincere. On a beau dire, à moins d’obstacles insurmontables, il faut en passer par là, vaincre sa chair; et ceux qui trouvent l’austérité inutile sont réfutés par le grand Docteur. Je ne sortirai de ma tiédeur que lorsque j’aurai macéré mon corps, d’une manière prudente sans doute, mais il faut que je le macère: Carnem vincere.
Propriis voluptatibus contra ire,(6). Quelle admirable connaissance de la nature humaine! Nous avons tous l’attrait de la volupté, mais nous avons chacun la nôtre. L’ambitieux, l’avare, mènent parfois une vie très dure.
Je dois rechercher mes voluptés personnelles et leur opposer une digue: Propriis voluptatibus contra ire.
Delectationem vitae praesentis extinguere(7). Que de gens qui se trouvent si heureux de vivre de la vie du temps, qu’ils n’ont aucun désir de vivre de la vie de l’éternité! Ils n’y songent pas. A quoi bon? Et que leur reviendra-t-il de trop se fatiguer à une vie toute détachée de ce bien-être si facile, si doux, qui n’implique pas les grandes fautes, mais qui exclut les grandes vertus? Il faut que j’éteigne en moi la délectation de la vie présente: Delectationem vitae praesentis extinguere, si je veux avoir pour la vie future l’ardeur nécessaire aux sacrifices qu’elle impose.
Mais voici qui est plus fort: Huius mundi aspera pro praemiis aeternis amare(8). Voici le bouleversement de toutes les idées du monde. Il me faut aimer, oui, aimer, à cause de la récompense éternelle;, ce qu’il y a d’âpre, de dur dans ce monde: Huius mundi aspera pro praemiis aeternis amare.
Prosperitatis blandimenta contemnere(9). Je puis avoir des succès, ils flatteront ma vanité, mon coeur; il faut que je les méprise, pour tendre plus haut.
Adversitatis metum in corde superare(10)… J’aurai des appréhensions. La tiédeur voudra reculer. Non, non, il faut que j’aille en avant et que je triomphe de ces sentiments de la terre pour prendre ceux du ciel.
Seigneur, donnez-moi cette vie généreuse, cette force surnaturelle, et ma tiédeur sera vaincue.
2. "La nuit vient, pendant laquelle personne ne peut travailler." (Ioan. IX, 4.)
3. *Qui non est mecum contra me est*. (Matth. XII, 30.)
4. *Noluit intelligere ut bene ageret*. (Ps.XXXV, 4.)
6. Lutter contre ses propres voluptés.
7. Etouffer les délectations de la vie présente.
8. Aimer les âpretés de ce monde, en vue des récompenses éternelles.
9. Mépriser les attraits de la prospérité.
10. Dominer en son coeur la crainte de l'adversité.