- TD 8.244
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- LE PERE ZIGLIARA
- Le Pèlerin, V, n° 24, 18 août 1877, p. 370.
- TD 8, P. 244.
- 1 CLERGE PAROISSIAL
1 ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE SCOLASTIQUE
1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
1 FAUSSE SCIENCE
1 FEMMES
1 HOMMES
1 PHILOSOPHIE MODERNE
1 SAINT-ESPRIT
1 SOLITUDE
1 THOMAS D'AQUIN
1 TRAVAIL DE L'ETUDE
1 VISION BEATIFIQUE
2 BENARD, CHARLES-MAGLOIRE
2 ZIGLIARA, THOMAS-MARIE
3 ROME, COLLEGE SAINT-THOMAS - 18 août 1877.
- Paris
Les séminaires de France commencent à adopter un cours de philosophie qui se répandra partout, il faut l’espérer, quand les aspirants au baccalauréat seront délivrés de l’affreux et éclectique Bénard. Lorsque je dis affreux, je ne parle pas de M. Bénard, que je n’ai jamais vu ni en figure ni en peinture, mais de son livre, qui selon moi est un des plus horribles pots-pourris qu’on puisse rencontrer.
Le père Zigliara, dominicain régent du collège de St-Thomas à Rome, après avoir professé quinze ans la philosophie, publie son cours en trois volumes, et je ne crains pas d’affirmer que, pour qui a une teinture du latin de l’Ecole, son travail est un vrai chef-d’oeuvre.
Prendre la moelle de saint Thomas, en faire la base d’un enseignement adapté aux erreurs actuelles; convaincre paisiblement, froidement, mais très clairement les prétendus savants modernes, d’ignorance, d’absurdité, de suprême déraison; ouvrir des horizons nouveaux aux disciples de la vérité universelle, c’est-à-dire catholique; donner la solution des problèmes incrédules qui pullulent dans la science moderne comme les vers dans un cadavre; fournir de ces abondants et féconds aperçus comme le penseur sincère les cherche pour se reposer des paradoxes de tous les indépendants du jour: tel est le but que s’est proposé le P. Zigliara, et qu’il a atteint.
Tous les lecteurs du Pèlerin doivent-ils se procurer un pareil livre? A Dieu ne plaise! J’exclus les lectrices en masse, sauf les femmes, filles, mères, soeurs de magistrats, avocats, médecins; supposé que ceux-ci aient conservé depuis leur baccalauréat quelques notions de latin, qu’on leur fasse cadeau de la Somme philosophique, qu’on les oblige â la lire, qu’on leur demande prudemment ce qu’ils en pensent: voilà le lot des dames. Quant aux hommes, il leur importerait de creuser certaines questions majeures. Mais les creuseront-ils? Ils n’ont pas le temps, répètent-ils sur tous les tons. Le temps! on le cherche, et on le trouve!
Mais chez qui je voudrais voir ce livre si riche en données toutes neuves, c’est entre les mains des membres du clergé pour qui la solitude du village fait des loisirs si souvent inoccupés; qu’ils lisent, relisent la Somme philosophique et ils s’apercevront bientôt de la vigueur de leur intelligence, accrue par la nécessité de la réflexion. Il n’est pas nécessaire, quand on est quasi-ermite, d’aller comme une locomotive; on a le temps;, et l’on travaille d’autant mieux que l’on travaille avec un silence que rien ne vient troubler. Les agitations anarchiques, l’énivrement de certaines ambitions ont trop troublé les esprits; il faut revenir aux études plus sereines dans leur profondeur même. On dit qu’au-dessous des flots agités par la tempête, l’Océan conserve des abîmes tranquilles, qu’aucun souffle ne vient troubler; le philosophe fatigué des tourments et des naufrages, a besoin de descendre dans les sanctuaires de la vérité appelés par l’Esprit-Saint un immense abîme, abyssus multa, d’y trouver, avec une foi plus lumineuse, le repos dans un avant-goût des lumières de l’éternité.
En lisant, en scrutant le livre du P. Zigliara on se sent introduit dans cet ordre admirable, et l’on se laisse aller à oublier sans peine tous les agitateurs du siècle présent.