Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.127

3 jan 1852 Nîmes, MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il est heureux de la nomination de M. de la Bouillerie comme supérieur des soeurs. – Ses embarras financiers à Nîmes et à Paris ne peuvent le faire songer à une telle charge dans l’immédiat. Qu’elle offre avec amour ses regrets pour M. de Franchessin. – Dans le Midi le peuple s’attache de plus en plus au Président.

Informations générales
  • T1-127
  • 114
  • Touveneraud, LETTRES, Tome 1, p.127
  • Orig.ms. ACR, AD 805; D'A., T.D. 21, n. 62, pp. 43-44.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 EMBARRAS FINANCIERS
    1 PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SUPERIEUR ECCLESIASTIQUE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 FRANCHESSIN, ERNEST DE
    2 LA BOUILLERIE, FRANCOIS DE
    2 LAURENT, CHARLES
    2 LAWOESTINE, ALEXANDRE DE
    2 LAZARE
    2 MARIE DE BETHANIE
    2 MARTHE, SAINTE
    2 NAPOLEON III
    2 THIERS, ADOLPHE
    3 ALGERIE
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PARIS, CATHEDRALE NOTRE-DAME
  • A LA R. MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • le 3 janvier 1852.
  • 3 jan 1852
  • Nîmes,
  • Maison de l'Assomption
La lettre

Ma chère fille,

J’ai depuis quelques jours un mal de tête qui m’empêche de travailler comme je le devrais, et qui me forcera à être court. Je suis très content de vous voir M. de la B[ouillerie] [1] pour supérieur. J’arriverai probablement quand il sera nommé. Ce ne sera pas un grand mal, puisque vous aurez celui que vous voulez, sans que je m’en sois mêlé trop ostensiblement. Du reste, il y a encore bien des épreuves à traverser, avant que je le remplace. Ma mère sait que j’ai besoin d’argent et ne veut m’en donner qu’à la condition que je renoncerai à la maison de Paris. Je ne sais pour le moment que faire. En effet, il est évident que la position n’est pas soutenable ici avec les remboursements que l’on exige, si je n’ai pas quelque ressource. Je suis résolu à tenir bon jusqu’à la fin de l’année pour la maison de Paris, mais si à cette époque nous n’avons pas 40 élèves, je serai bien forcé de fermer l’an prochain[2]. Il n’y a pas moyen d’aller plus loin. Mais si la maison de Paris tombe, comment pourrai-je être votre supérieur? Voilà la dure réalité. Et c’est pour cela qu’il faut absolument, pendant les sept à huit mois que nous avons devant nous, tenter tout ce qu’il sera possible.

Vous me demanderez alors pourquoi je ne pars pas immédiatement pour Paris. Pour une bonne raison: il faut que je trouve avant mon départ environ 40.000 francs. J’avais compté sur la somme que devait me verser ma mère et qui aurait pu aller de 60.000 à 75.000 francs; puis un acquéreur nous échappe, — et entre nous soit dit, un peu par la faute d’un homme d’affaires de mon père qui a voulu me jouer un mauvais tour. Enfin, voilà où j’en suis.

Pourquoi voulez-vous que je sois mécontent de vos regrets pour M. de Fr[anchessin]? Pourvu que vous soyez soumise à la volonté de Dieu, votre tristesse offerte avec amour ne peut-elle pas lui être utile et à vous aussi? Est-ce que Notre-Seigneur ne se troubla pas, lorsqu’il alla visiter Marthe et Marie? Est-ce que devant le tombeau de Lazare, les Juifs, en le voyant, ne dirent pas: [[Voilà comment il l’aimait]]? Il est des douleurs que Dieu bénit, surtout quand il en donne l’exemple. Pour moi, je suis bien plutôt tenté de vous dire: [[Pleurez tant que votre coeur le désire, pourvu que vous soyez soumise]].

Adieu, ma chère fille, ma tête n’en peut plus. Cependant j’avais bien des choses à vous dire, mais cela m’échappe.

M. de Lawoestine pourrait-il vous dire si l’Université est dissoute, comme on le prétend? Faites-lui bien observer que, dans le Midi, le peuple s’attache de plus en plus au Président. Il ne faut pas juger des masses par les chefs, qui tous les jours perdent, ici du moins, de leur influence. Il importe qu’on ne fasse rien contre les légitimistes. Le peuple arrive, et les autres sont tout vexés de n’être pas persécutés pour avoir un prétexte d’opposition[3].

Notes et post-scriptum
1. Mgr François-Alexandre Roulet de la Bouillerie (1810-1882) devint évêque de Carcassonne le 23 mars 1855 et coadjuteur au siège de Bordeaux le 21 mars 1873. Le P. d'Alzon l'avait connu dès sa jeunesse à Paris et appréciait son zèle apostolique dans la capitale.
2. Le collège du faubourg Saint-Honoré ne comptera qu'une douzaine d'élèves à la rentrée de Pâques (Lettre 141).
3. A ce propos, rappelons que, depuis le coup d'Etat du 2 décembre 1851, approuvé les 21 et 22 décembre par 7.338. 216 oui contre 647.747 non, s'étend une période pendant laquelle le prince président Louis-Napoléon gouverne par décrets: 32 départements ont été mis en état de siège; les administrations sont épurées; des 218 députés arrêtés, 5 seront condamnés à la déportation, 65 bannis, 18 dont Thiers éloignés momentanément du pays (décret du 9 janvier 1852). Des commissions mixtes dans chaque département décident du sort des 27.000 personnes arrêtées et détenues, dont 9.571 iront en Algérie (décret du 3 février). En un mot, à la suite de cette répression, le parti républicain est écarté, la police maîtresse du pays, le personnel du régime déchu liquidé. Entre temps, une nouvelle constitution sera promulguée, le 14 janvier, dont la pièce maîtresse est un régime présidentiel accusé. L'empire est en germe; le mot seul manque.
"Grace à une attention délicate de Mme la supérieure, écrivait le P. Laurent au P. d'Alzon, le 1er janvier, j'ai pu avoir un des cing cents billets d'entrée à Notre-Dame pour la cérémonie du Te Deum". Après avoir décrit longuement la "magnificence vraiment impériale" du décor de la basilique et le déroulement de la cérémonie, le P. Laurent parle "des acclamations sans nombre de: Vive Napoléon, exclusivement; j'ai cependant entendu deux fois une voix grêle s'écrier; Vive l'empéreur; elle venait du côté des généraux: ce devait être celle de quelque vieux de la vieille".